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Batman Dark City – Tome 2 : L’homme chauve-souris de Gotham

Après un premier opus orienté action, superbement dessiné mais au scénario un peu simpliste et improbable (cf. critique de Failsafe), que vaut le second tome de la série de Chip Zdarsky ?

[Résumé de l’éditeur]
Depuis la disparition de Batman, les rues malfamées de Gotham sont aux mains des pires criminels, et des individus tels que Killer Croc ou Harvey Dent brutalisent la population en toute impunité. Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ? Comment peut-il rester sourd aux appels de ceux qu’il s’était pourtant juré de protéger ? Traqué par un certain « Red Mask », reste-t-il même à Bruce Wayne une infime possibilité de sauver sa peau avant de voir sa ville s’écrouler ?

[Début de l’histoire]
Après avoir été touché par Failsafe (cf. tome un) et disparu, Batman se réveille dans une ruelle de Gotham, blessé. Un étrange commissaire Gordon « fantôme » lui parle.

Bruce Wayne découvre qu’il a atterri dans une dimension où son alter ego justicier n’existe pas (pire : le milliardaire est même mort !). Les habitants ont peur et sont sous le joug de plusieurs ennemis dont « le juge », alias Harvey Dent, lui-même obéissant au « Red Mask ».

Heureusement, Bruce peut compter sur l’aide de Jewel, une adolescente qui le recueille et le soigne. La Selina Kyle de ce monde sera-t-elle une alliée ou une ennemie ?

En parallèle, Tim Drake/Red Robin refuse de croire que son mentor est décédé et va tout faire pour le localiser dans les autres univers et aller le chercher.

[Critique]
Contrairement à ce que suggère le résumé d’Urban Comics (et très étonnamment), le postulat de départ est simple : Batman a atterri dans une autre dimension. C’est martelé d’entrée de jeu en avant-propos (avec un très bon résumé du premier volet – évitant de devoir le relire ou à la rigueur les deux ou trois dernières pages si besoin) et dès les premières planches de la bande dessinée qui s’inscrivent comme la suite direct de Failsafe. C’est dans cette Gotham inédite qu’évolue un Bruce Wayne (plus ou moins) affaibli après tous ses combats de l’opus précédent. Mais – comme à son habitude, au point que ça en est parfois risible –, ce Chevalier Noir est quasiment immortel et imbattable ; il se donne à nouveau comme objectif de combattre l’injustice et restaurer un semblant de paix dans la ville.

En effet, dans cette Gotham City, les citoyens semblent avoir peur et être étrangement passifs. Il faut dire qu’il n’y a pas de Batman dans cette dimension. Par contre il y a les actions du Juge (Harvey Dent), violent et radical au possible, gonflé au Venin (de Bane). Il agit sous les ordres du mystérieux « Red Mask ». De quoi découvrir quelques versions alternatives de figures familières : Selina Kyle, Punchline, le Sphinx, Killer Croc, etc. C’est surtout Selina qui est mise en avant avec Darwin Halliday, l’homme derrière « Red Mask » (ersatz d’un équivalent de Joker, annoncé d’entrée de jeu…).

La fiction, extrêmement bien rythmée et beaucoup portée sur l’action (comme dans Failsafe), s’étale sur cinq chapitres (la série Batman #131-135) et leurs quatre premiers backs-up dédiés et centrés sur Tim Drake/Red Robin, dans le « monde habituel » de Batman, à la recherche de son ancien mentor, aidé par Mr Terrific. Le scénariste Chip Zdarsky continue un travail à la fois intéressant, ponctué de quelques beaux moments mais aussi de certains loupées (on y reviendra) et à la fois improbables (idem).

Parmi les réussites, il y a bien sûr cette épopée singulière où l’on sent que l’auteur se fait plaisir. Il créé une nouvelle alliée à Batman (Jewel) et dresse une réflexion pas inintéressante, non pas sur le multivers, mais sur l’ADN du Joker et ses variants (est-il mauvais quoiqu’il arrive ou sombre-t-il dans la folie suite à des évènements traumatisants ou à cause de Batman ?). De quoi converger lors de sa dernière ligne droite pour un voyage dans les différentes dimensions assez sympathique à défaut d’être réellement épique. Ne lisez pas le paragraphe suivant pour ne pas avoir trop de révélations et passez à celui d’après si jamais (et ne descendez pas tout en bas de cette critique car les trois dernières illustrations après l’image de Tim Drake/Red Robin spoilent aussi un peu).

Dans la dernière ligne droite de ce second tome (le chapitre #135, en réalité le 900ème de la série Batman si l’on ignore la nouvelle numérotation, rallongé de quelques pages pour l’occasion), on croise donc différents Batman iconiques : celui des films de Tim Burton campé par Michael Keaton, celui de la série des années 1960 interprété par Adam West, ceux de The Dark Knight Returns et Batman Beyond (La Relève) – les deux qu’on voit le plus –, ceux de différents autres comics (Kingdom Come, Batman Vampire, etc.). Cette fournée de caméos plus ou moins forcés est – comme on l’a souligné – agréable à voir et à lire mais aurait pu aboutir une réunion incroyable qui n’a malheureusement pas lieu. C’est un peu dommage…

Chip Zdarsky propose donc un peu de « fan-service » appréciable mais réussit davantage à toucher le lecteur quand il soigne le personnage de… Tim Drake. En effet, quand ce dernier retrouve éphémèrement sa mère et, in fine, Batman, l’émotion pointe le bout de son nez grâce à l’énergique bienveillance de Drake et la puissance de ses différentes retrouvailles. Malheureusement, l’auteur n’arrive pas à insuffler la même chose lorsque Batman rencontre… Alfred. Il y a bien un ou deux moments « forts » mais il manquait quelques cases de plus, couplées à un texte davantage percutant et peut-être une meilleure mise en scène visuelle. Ce n’est pas très grave au demeurant mais on ressent un déséquilibre sur ce sujet. On aurait aussi voir le couple Alfred/Leslie plus approfondi.

Attention également, sujet clivant (passez à nouveau ce paragraphe mais aussi le suivant si jamais) : Timothy Drake est désormais bisexuel (en couple avec un certain Bernard) ! Pas l’éventuel Tim existant dans cette autre dimension mais le Tim de la continuité habituelle (donc celui resté dans « le monde classique » et la chronologie officielle de Batman). Cela peut paraître surprenant de prime abord car (si l’on n’a pas suivi des titres en VO) on peut légitimement s’étonner qu’il n’y ait jamais eu de mention de cette orientation sexuelle chez ce célèbre protagoniste depuis des années. Cette évolution a bel et bien été abordée (de façon cohérente en plus) mais dans un titre qui n’a pas été publié en France. Urban Comics manque donc à son devoir en ne contextualisant pas ici cette « nouvelle » orientation sexuelle (via une astérisque et mention en bas de case ou en s’y attardant plus longuement en avant-propos ou postface éditoriale) : le coming-out et les explications sont à lire dans la série de 2021 Batman : Urban Legends, dans le segment sur Tim Drake (seul celui sur Red Hood est sorti chez nous, cf. Souriez !).

C’est l’autrice Meghan Fitzmartin qui l’évoque dans Tim Drake in Sum of our parts – en trois épisodes où Tim sauvait justement Bernard –, inclus dans Batman : Urban Legends #4-6 et se poursuivant dans le #10 (Tim Drake in A carol of Bats) et… désormais dans la continuité officielle à travers cette série Dark City par exemple. Ces chapitres rendent donc plausibles ce changement d’orientation sexuelle qui peut apparaître soudain aux yeux des lecteurs ne suivant pas la VO (et pour qui il aurait pu, légitimement, manquer un dialogue pour l’expliquer tout en conservant une cohérence dans l’évolution du personnage). Cet aspect sera un élément critique chez certains (qui crieront au « wokisme », terme galvaudé devenu bien éloigné de sa définition initiale), là où d’autres apprécieront au contraire cette sorte de « progressisme ». Comme toujours, on laisse le lecteur arbitrer sur ce point. Cela pourrait être l’occasion pour Urban Comics de sortir une anthologie sur Tim Drake, tant ses nombreuses séries où il occupe une place centrale manquent en France !

Chip Zdarsky ajoute quelques éléments qui font tâche : un commissaire Gordon imaginaire sous forme de squelette amusant, une main coupée de Batman sans grandes conséquences pour lui (il s’en remet aisément), elle sera même « réparée » de façon invraisemblable, un combat contre un requin qu’on ne détaillera pas et qui s’étale trop longuement, un Ghost-Maker surpuissant… Finalement, le scénariste reproduit un peu « le même travail » que ses prédécesseurs. Les guillemets sont de mise car il ne s’agit évidemment pas de calquer les mêmes histoires mais plutôt de constater une application d’une recette plus ou moins similaire avec des ingrédients plus ou moins identiques.

En résulte chaque fois de très bonnes choses mais d’autres moins palpitantes. En somme : une offre inégale, comme c’était le cas pour les séries longues de Batman opérées par Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et James Tynion IV. Certes, nous n’en sommes qu’au second volume du run de Zdarsky et il y a encore probablement beaucoup à découvrir mais l’on peut déjà dresser ce petit constat. La série n’est pas mauvaise mais elle n’est pas exceptionnelle non plus, elle reste un (énième) « divertissement efficace », à nuancer évidemment en fonction de ses attentes et exigences (et compte en banque).

Visuellement, c’est Mike Hawthorne (Deadpool, G.I. JOE: Origins, Conan: Road of Kings, Daredevil…) qui remplace Jorge Jiménez. Le résultat est tout à fait correct sans faire d’éclat, hélas. L’artiste n’a pas vraiment un style graphique propre à lui qui rendrait son travail plus alléchant. C’est assez convenu, les traits sont trop gras et les expressions faciales parfois proches de la caricature. La colorisation de Tomeu Morey relève un peu l’ensemble ; de toute façon on reconnaît les personnages (ou plutôt leurs variants) et les scènes d’action sont lisibles. C’est donc suffisant pour ce Batman Dark City, même si passer après Jiménez fait (forcément) un peu tâche mais permet de se justifier un peu en se disant que Hawthorne a « sa » dimension là où Jorge Jiménez à la sienne. Ce dernier revient justement à la fin, pour illustrer les voyages rapides entre les dimensions (et donc les différents Batman), c’est évidemment du grand art ! Le dessinateur réussit même à calquer chaque patte des univers dépeints (cf. liste plus haut – et trois des images tout en bas).

Miguel Mendonça s’occupe des dessins des backs-up (toujours écrits par Zdarsky) avec une certaine finesse et élégance bienvenue. Mikel Janin signe aussi quatre planches à la place d’Hawhtorne dans le cinquième épisode sans que l’on sache vraiment pourquoi, cassant l’homogénéité visuelle qui régnait à peu près. Une fois de plus : ce n’est pas très grave et ne gâche en rien l’immersion de la fiction. Comme souvent, l’ouvrage se referme sur une riche galerie de couvertures alternatives, la plupart très réussies. L’homme chauve-souris de Gotham est donc un peu plus original (dans son écriture) que Failsafe mais moins marquant dans sa partie graphique. Inégal mais toujours aussi bien rythmé (la grande force de Zdarsky), le comic book se lit sans déplaisir (malgré ses quelques défauts relevés) et, à l’instar du précédent, donne envie de découvrir la suite, qui sortira le 23 février 2024 (et mêlera les évènements Knight Terrors et Gotham War – un sacré bazar) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 6 octobre 2023.
Contient : Batman #131-135
Nombre de pages : 208

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Mike Hawthorne, Jorge Jiménez, Mikel Janin, Miguel Mendonça
Encrage : Adriano Di Benedetto, Jorge Jiménez, Mikel Janin
Couleur : Tomeu Morey, Romulo Fajardo Jr., Roman Stevens

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

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Batman Dark City – Tome 1 : Failsafe

Après le run de James Tynion IV en six volumes (Joker War puis Batman Infinite – et les chapitres de transition de Joshua Williamson dans Abyss), place à une nouvelle ère chapeautée par Chip Zdarsky ! Pour ce premier tome, le scénariste propose Batman face à lui-même (!) façon Terminator (!!) dans une course effrénée et complètement improbable, délicieusement mise en image par un Jorge Jiménez en grande forme ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Il est rassurant de penser que le protecteur de Gotham est un maître tacticien inébranlable ayant toujours dix coups d’avance sur ses ennemis. Mais, si c’était le cas, le crime à Gotham aurait été éradiqué il y a déjà bien longtemps. L’homme derrière le masque fascine car il n’est finalement qu’un simple mortel, et le propre de l’homme est d’être faillible. Tandis que les milliardaires les plus influents de Gotham se font assassiner les uns après les autres, Bruce Wayne broie du noir. Arrivera-t-il à s’extirper à temps de ses tourments personnels pour affronter une vieille connaissance et venir en aide à ceux qu’il s’est promis de protéger ?

[Début de l’histoire]
En remontant la piste de deux cadavres trouvés à Gotham, Batman et Robin (Tim Drake) se retrouvent dans un gala de charité où le Pingouin est également de la partie.

Sérieusement blessé, Robin est emmené par Batman/Bruce aux urgences puis va voir le Pingouin, lui aussi entre la vie et la mort dans un lit d’hôpital. Lorsque ce dernier se suicide, le Chevalier Noir est considéré comme le coupable idéal !

Peu après, un mystérieux robot, Failsafe, s’active dans la Batcave. Créée par le justicier lui-même, cet androïde n’a qu’un seul but : tuer Batman !

[Critique]
Ce premier tome de Dark City bénéficie d’un rythme haletant porté sur l’action ! Si c’est ce que le lecteur vient chercher, aucune doute qu’il sera ravi (d’autant plus que c’est visuellement somptueux – on en reparlera), s’il s’attendait à un récit plus mesuré, psychologique ou original, il sera probablement déçu. Reprenons. Failsafe contient les chapitres #125 à #130 de la série Batman (relancée et numérotée à #001 depuis l’ère Rebirth en 2016). C’est donc toujours « la suite » de Batman Rebirth mais surtout de Joker War puis Batman Infinite. Pas de panique : aucun besoin d’avoir lu tous ces volumes (quasiment vingt !) pour comprendre Dark City.

La fiction s’insère bien « chronologiquement » après les deux dernières séries citées et cela est contextualisé dans un avant-propos (et un peu dans la BD). Bruce Wayne est ruiné, sa croisade habituelle bénéficie donc de moins de moyens technologiques et financiers (même si cela ne s’est jamais fait sentir) et son Robin actuel est redevenu Tim Drake (Damian Wayne étant occupé à d’autres affaires, notamment depuis Robin Infinite et Shadow War). On apprécie grandement le retour de Drake, bien plus intéressant ici et dont la relation avec son mentor/père est bien construite. Pas grand chose d’autre à préciser, le reste est l’habituel et éternel statu quo de Batman quand il est en pleine relance… C’est donc accessible mais un peu « référencé » comme on le verra plus loin.

Dans ce premier opus de Dark City, le Chevalier Noir est accusé de la mort du Pingouin et Tim Drake est sévèrement blessé lors d’une sortie nocturne. Passé ce point de départ, c’est le fameux Failsafe qui s’illustre. Qui ça ? Failsafe, un robot surpuissant créé par… Batman. Dans quel but ? Arrêter… Batman. Le justicier a conçu un programme pour le stopper en cas de dérive, exactement de la même manière qu’il avait efficacement mis en place plusieurs plans pour arrêter les membres de la Justice League des années plus tôt (cf. La tour de Babel, citée dans l’ouvrage). La caractérisation du Batman paranoïaque est, quant à elle, dans la droite lignée de Crise d’identité puis Infinite Crisis (cf. index des Crises DC Comics).

S’ensuit une course contre la montre où Failsafe poursuit Batman jusqu’à pouvoir l’atteindre, le blesser, l’achever. Une bonne partie des alliés de l’homme chauve-souris tente de s’interposer et de l’aider (aussi bien la Bat-Famille que d’autres justiciers comme Green Arrow, le Limier Martien, Superman…). Rien à faire, Bruce Wayne, l’un des hommes les plus intelligents de la Terre, est beaucoup trop malin pour avoir bâti un être artificiel « facilement arrêtable ». Le Chevalier Noir fait donc appel au Batman de Zur-En-Arrh !

Entre science-fiction assumée et aventure musclée, Failsafe ajoute une dimension d’action un peu inédite : la personnalité du Batman de Zur-En-Arrh est « banalement » une sorte de personnalité agressive et invincible de Bruce Wayne. Il faut remonter à 1958 pour sa première apparition (Batman #113) où ce Batman au costume coloré provient d’un autre univers. Toutefois, la fin de l’histoire reste ambigüe quant à la nature de cet autre Chevalier Noir, possiblement issu d’un rêve de Bruce. Grant Morrison l’exhume et l’utilise ensuite dans son célèbre run (Batman #673, 2008) et… c’est à peu près tout. Comme pour le titre de Zdarsky, le Zur-En-Arrh fait partie de la psyché de Bruce et se déclenche quand ce dernier est à bout de force et doit passer « en mode survie » (en gros). Une solution de facilité scénaristique un peu étrange mais efficace sur le papier.

Malgré toutes ces descriptions, il y a beaucoup de choses à découvrir et lire dans le volume (en vrac, attention aux révélations (mineures), passez au paragraphe suivant sinon : Batman dans l’océan, Batman dans l’espace (!) et ainsi de suite…). De « l’improbabilité » à tous les niveaux donc… Deux séries back-ups se déroulent en parallèle : la première suit Catwoman à la recherche des enfants (!) du Pingouin (dont les traits dans l’histoire principale sont calqués sur ceux du film de Tim Burton) – une investigation passionnante et inattendue, complémentant habilement la fiction mère – la seconde nous en montrent davantage sur le Batman de Zur-En-Arrh, face au Joker notamment. Toutes deux sont dessinées par deux autres artistes, Belén Ortega et Leonardo Romero, et auraient méritées d’être en fin du livre pour ne pas gâcher l’immersion et le rythme haletant des chapitres principaux mais ce n’est pas très grave.

Batman – Dark City : Failsafe rappelle immédiatement la saga Terminator avec cet androïde « immortel » qui poursuit sans relâche sa cible (en vérité, la source matricielle est plutôt à trouver dans le film Mondwest, désormais mieux connu grâce à son adaptation moderne en série, Westworld). L »écriture des premières pages est réjouissante (la « mort » du Pingouin, la blessure « mortelle » de Robin…) avant de revenir à des choses plus convenues et habituelles. Une sorte de zone de confort à peine émancipée pour y revenir.

Chip Zdarsky était plus inspiré sur Batman – The Knight (sorti le même jour). On doit à cet auteur d’autres livres chez Urban (et donc DC, chez qui il est fraîchement arrivé) : le fameux The Knight donc, mais aussi Red Hood – Souriez ! et des titres indépendants (Newburn, Public Domain – qu’il dessine également…). Zdarsky vient surtout de Marvel, où s’est surtout fait connaître sur son très long et très bon run de Daredevil ainsi que quelques travaux sur Spider-Man, Devil’s Reign… Sur Failsafe, Zdarsky poste des bases intéressantes mais il devra se montrer à la hauteur par la suite (et plus original) car le récit n’est pas spécialement auto-contenu (il appelle à une autres histoire – à date constituée de deux épisodes nettement moins bons) ; il faut donc apprécier davantage la forme que le fond pour se satisfaire du comic.

Ça tombe bien, Jorge Jiménez est en très grande forme, il dessine merveilleusement bien cette épopée explosive qui se déroule dans une foule de lieux différents. Les traits sont précis, l’action lisible et « vivante », les scènes sont dynamiques (on apprécie un hommage à Matrix Reloaded également), fluides… c’est clairement un sans faute ! L’illustrateur est aidé de Tomeu Morey à la colorisation (déjà à l’œuvre sur Batman Infinite et Joker War – où officiait également Jiménez – et sur divers titres comme Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…) pour un résultat épatant, alternant habilement toutes les séquences diurnes ou nocturnes, urbaines, aquatiques ou même spatiales. Rien que pour l’aventure visuelle et chromatique, cette première pierre de la série vaut le coup !

Comme brièvement évoqué, Failsafe appelle à une suite (un tome deux donc) mais, comme souvent, si celle-ci n’est pas aussi bonne et idéalement meilleure, ce premier volet ne restera pas dans les annales… D’autant plus que la partie graphique n’est plus assurée par Jimenez dans l’immédiat, il va donc être difficile de faire mieux. À suivre probablement fin 2023 en France… MàJ octobre 2023 : L’homme chauve-souris de Gotham est disponible !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023
Contient : Batman #125-130 + back-ups

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Jorge Jiménez, Belén Ortega, Leonardo Romero
Couleur : Tomeu Morey, Luis Guerrero, Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.frBatman Dark City – Tome 1 : Failsafe (21€)


Batman Infinite – Tome 3 : État de terreur (2ème partie)

La séduisante proposition graphique du tome précédent compensait quelques faiblesses narratives. En est-il de même pour cette suite et fin d’État de terreur ? Oui et non. Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Tandis que Poison Ivy développe un réseau de plantes dans les souterrains, Gotham City est rongée par la terreur. Dernier rempart contre ce système de peur permanente promu par Simon Saint, Batman et Miracle Molly poursuivent leur combat. De son côté, l’Épouvantail couve de sombres projets pour traumatiser encore davantage les Gothamiens…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur et la critique ci-dessous suffisent.

[Critique]
À l’instar du volume précédent, une critique par ordre chronologique semble plus pertinent du fait de son éclatement entre les épisodes (sept au total), provenant de différentes séries (deux régulières et deux récits complets). Le premier chapitre, Batman #115 nous ramène dans la série mère initiale, toujours écrite pas James Tynion IV, dessinée et encrée par Bengal et Jorge Jimenez avec une fois de plus Tomeu Morey à la colorisation exceptionnelle, entre autres sur ses jeux de lumière.

On avance un peu plus dans un récit qui « stagnait » jusqu’à présent. Ici, on a Batman et Miracle Molly d’un côté, l’Épouvantail et Sean/Peacekeeper-01 d’un autre, le tout avec Saint qui veut la tête d’Ivy ! Simple mais efficace, sans trop d’éclat (l’action est rapide) et graphiquement Jimenez intervient peu, laissant à Bengal la majorité des planches, pour un résultat graphique un peu plus convenu, malheureusement… L’époque du No Man’s Land est mentionnée, inscrivant – s’il le fallait – cette ère Infinite dans la chronologie « officielle » du Chevalier Noir.

Place ensuite à Nightwing #85, qui remet en avant Dick et Barbara, alias Batgirl. Tom Taylor est toujours à l’écriture (très bon auteur prolifique : DCEASED, Injustice, Suicide Squad Rénégat et, bien sûr, Nightwing Infinite), sublimée par Robbi Rodriguez à l’encrage et au dessin, avec Adriano Lucas – pour un résultat incroyable, graphiquement élégant et au style singulier, une vraie merveille !

Augure est le nom de la femme qui a pris possession du réseau de l’Oracle pour diffuser de fausses informations. Pour en venir à bout, il faudra davantage qu’une destruction physique de matériel informatique. De quoi ouvrir une parenthèse sur le passé du binôme (avec une autre patte artistique – tout aussi réussie) et montrer quelques séquences d’action plus originales que celles de Batman. Si le récit tente une fausse surprise « choquante » (désamorcée en quatre planches mais de toute façon on n’y croyait pas), il ne commet pas d’impairs et conjugue tout ce qu’il faut pour être passionnant, autant dans les aventures de Batgirl que celles de Nighwting, de l’évolution des deux héros et dans l’entièreté de la fresque narrative de l’œuvre globale.

On enchaîne avec le Batman #116 où Jimenez opère cette fois seul aux dessins (tant mieux). L’action bat son plein avec plusieurs confrontations dont le retour de Ghost-Maker (qui reste toujours un deux ex machina…) en allié de Poison Ivy, une situation inattendue à propos de l’Épouvantail, un affrontement très brutal entre Batman et Peacekeeper-01, etc. Des séquences plutôt explosives donc, qui font avancer aussi bien l’histoire (vers une conclusion abrupte ?) que sceller le sort des protagonistes.

Heureusement, le style si atypique de Jimenez couplé à la colorisation sans faille de Morey continuent d’émerveiller tout l’univers de Tynion mis en place depuis le premier tome de Joker War (dont Batman Infinite est la suite directe). Entre les planches de la série Batman avec ce trio artistique et celles de Nightwing, c’est un régal pour les rétines ! On avait justement quitté Nightwing avant cet épisode, on le retrouve juste après – gommant déjà le problème de rythme du premier volet d’État de peur qui jonglait entre trop de récits plus ou moins indépendants, cassant l’immersion narrative – ce n’est donc pas le cas ici, arrivé à la moitié du livre.

Nightwing (#86) reprend pile où il s’était arrêté, avec Dick, Barbara et Tim. D’emblée une mention au back-up de Batman #116 est prononcée mais ce segment n’est pas inclut dans la BD, dommage… Nighwing, Batgirl, Red Robin, Orphan et Spoiler vont affronter Augure, ses robots et Simon Saint. Une conclusion assez convenue et expéditive mais qui reste correcte. En revanche, la série se vautre encore dans une fausse tragédie (on nous fait croire aux morts de certaines personnes – on n’y croit absolument pas – et c’est vite rétabli), pénible…

Reste la proposition graphique, toujours séduisante et le capital sympathie de Dick couplé à Barbara, le duo fonctionne très bien et est super attachant. La fin de l’épisode ouvre également sur une nouvelle antagoniste à suivre.

Dernier chapitre de Batman (#117), permettant de maintenir le rythme impeccable instauré dès le début dans le comic. Le fameux « État de terreur » prend fin, entre exécutions un brin rapides et quelques évènements inattendus, avec une certaine pointe de poésie… Une première conclusion mi-figue mi-raisin (la seconde, la « véritable », est à découvrir en toute fin d’ouvrage, dans Fear State Omega #1.), pour une histoire qui s’était trop attardée dans le premier volet puis s’est soudainement accélérée dans le second, avec parfois une impression de survol.

Si l’arc avec Ivy semble précipité, il trouvera une explication plus poussée juste après dans le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 ; à ce stade, pour expliquer la métamorphose d’Ivy, il faut se tourner vers Tout le monde aime Ivy, le sixième tome de Batman Rebirth (!), et vers la série Catwoman dans… Batman Bimestriel #14 – tous deux cités par l’éditeur au détour d’un dialogue avec Harley Quinn. Un peu rapide pour tout saisir. Du côté de Batman et ses alliés, on retient un Chevalier Noir fougueux, moins désespéré qu’à une époque, interagissant astucieusement avec Molly, entre autres. La conclusion de l’ensemble est donc à découvrir après la critique des deux derniers épisodes qui complètent évidemment cette petite fresque chapeautée par James Tynion IV.

Le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 est sobrement nommé Interlude dans l’édition française – avant l’ultime épisode. Nouveau style graphique, intégralement signé Christian Ward (dessin, encrage, couleur) qui dénote avec ce qui était montré jusqu’à présent tout en restant très soigné. Le découpage y est hors-norme, jouant entre les cases et les mises en scène des planches afin de constituer une lecture parfois labyrinthique ou décloisonnée (rappelant modestement Batman Imposter par exemple, avec la patte unique d’Andrea Sorrentino). Les palettes chromatiques, forcément majoritairement émeraudes, épousent à merveille les traits de l’artiste; mêlant végétation luxuriante et instants intimes feutrés.

On y découvre plus en détail le Dr Bella Garten, aperçue brièvement dans les volets précédents – introduite comme l’ex petite amie d’Ivy alors que cela n’avait jamais été évoqué auparavant. Un procédé scénaristique un peu facile donc, à la manière de Ghost-Maker, considéré comme un élément implanté dans l’univers de Batman depuis longtemps alors qu’on le découvre seulement aujourd’hui. Ce système d’écriture est appelé retcon pour retroactive continuity, soit la continuité rétroactive. Cela consiste à placer un nouvel élément narratif en l’implémentant a posteriori dans un texte/une œuvre, tout en faisant croire (à grands renforts de flash-backs montrant des scènes d’un autre point de vue) qu’il y est disséminé depuis longtemps, c’est-à-dire « défaire la continuité rétroactivement » pour constituer une nouvelle chronologie – Star Wars en est adepte.

L’occasion de mentionner Jason Woodrue, responsable de la transformation de Pamela Isley en Poison Ivy, un personnage (important dans l’histoire d’Ivy) déjà abordé dans Batman Arkham – Poison Ivy. Étonnamment, cet interlude vient complémenter efficacement cet autre comic centré sur l’Empoisonneuse puisque sa relation avec Woodrue était à peine montrée dedans. Le chapitre débouche sur la création d’une « germe contenant le meilleur de Pamela » (sic – utilisée dans l’épisode d’avant). C’est surtout l’évolution de Pam/Ivy qui est intéressante ici, sublimée par les jolies planches de Ward. Du reste, on s’étonne que ce segment n’ait pas été proposé plus tôt (en ouverture de ce troisième tome de Batman Infinite ou dans le deuxième, qui faisait la part belle à plein de récits annexes).

Enfin, Fear State Omega #1 vient fermer le titre – simplement renommé Conclusion dans l’album. Après Fear State Alpha #1 (dans l’opus précédent), cet Omega apporte une conclusion plus développée de toute cette ère étatique de peur. Écrit par James Tynion IV à nouveau mais dessiné par cinq artistes différents (!), l’ultime épisode permet d’achever aussi bien les deux volumes État de terreur que les trois de Batman Infinite puisque le premier (Lâches par essence) y était aussi connecté. On peut même inclure les trois tomes de Joker War, formant ainsi un run en six volets, en attendant la suite…

Il manque à cet état de peur, une dimension plus civile, à hauteur d’homme, comme l’on pouvait la suivre dans Joker War. Néanmoins cette conclusion permet à Batman de « respirer » et, surtout, de s’exprimer, lucide sur son utilité (de plus en plus restreinte) à Gotham et l’avenir de la ville avec ou sans lui. Une approche bienvenue après des épisodes plus ou moins bavards mais qui allaient à l’essentiel. Fear State Omega s’attarde aussi sur quelques têtes connues (Bao/Clown Hunter, Ghost-Maker, Peacekeeper-01…) ou en évoque d’autres le temps d’une ou deux cases (le Batman de Futur State, le collectif Unsanity, Amanda Waller, Catwoman…).

Ce balayage des protagonistes (hors Batman et Crane, les deux mis en avant ici), permet de terminer un long récit qui a offert de belles perspectives graphiques (son point fort), des situations excitantes (les manipulations multiples), de nouveaux personnages plutôt travaillés (Molly, Sean…) et de jolies parenthèses (le duo Nightwing/Batgirl). Malheureusement, le rythme un brin décousu entre les multiples séries et titres complets perd parfois un peu le lecteur, sans s’attarder suffisamment sur ce qui aurait été plus judicieux voire mérité (le parcours d’Ivy, Quinn quasiment absente, Saint expédié aussi, etc.). Une histoire qui, in fine, repart un peu à zéro et ouvre, une fois de plus, un nouveau segment narratif qui pourrait être audacieux et inédit (à suivre dans les cinq chapitres qui seront dans le tome 4 de Batman Infinite, prévu le 23 septembre, écrit et dessiné par une nouvelle équipe – Joshua Williamson et Jorge Molina au scénario, Mikel Janin (Batman Rebirth) au dessin).

Mais, comme toujours, c’est après quelques années qu’on se rendra compte si le récit est resté intemporel et fortement ancré dans la mythologie du Chevalier Noir. Dans l’immédiat, sans être un gros coup de cœur ni une déception ou un loupé, ces tomes 2 et 3 de Batman Infinite sont à savourer visuellement. À ce stade, on retrouve les mêmes critiques que les runs d’auteur précédents, Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et désormais James Tynion IV : chacun y livre un sentier parfois original, parfois convenu, souvent inégal mais proposant de belles choses, graphiquement et scénaristiquement. Chaque artiste a déjà marqué la mythologie de Batman, certains de façon clivante (Snyder), d’autres plus acclamés par un lectorat spécialiste (Morrison) ou néophyte (King). Une chose est sûre : les titres courts ou les récits complets marquent davantage l’Histoire, grâce à un accès plus aisé et un investissement économique (et de temps) moins élevé.

En synthèse, si vous avez aimé la fiction depuis Joker War, aucune raison de ne pas aller jusqu’à État de terreur. Si vous avez trouvé ça « sympa sans plus », inutile de poursuivre. Si vous accordez autant d’intérêt aux graphismes qu’au scénario alors vous serez séduits, sans aucun doute !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 juin 2022.

Contient : Batman #115-117, Nightwing #85-86, Batman Secret Files – The Gardener #1 et Fear State Omega #1.

Scénario : James Tynion IV + Tom Taylor
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez + Robbi Rodriguez  + Christian Ward (+ collectif)
Couleurs : Tomeu Morey + Adriano Lucas + Christian Ward (+ collectif)

Traduction & Introduction : Jérôme Wicky & Thomas Davier
Lettrage : Makma (Sabine Maddin, Michaël Boschat et Gaël Legeard)

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Ci-dessous les six couvertures variantes de la série Batman qui constituaient un grande fresque une fois rassemblée.