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Gotham City : Année un

[Résumé de l’éditeur]
Deux générations avant Batman, le détective privé Slam Bradley se retrouve mêlé au « kidnapping du siècle » lorsque l’enfant héritier des Wayne disparaît dans la nuit… Lancé à sa recherche, il découvre vite que les faux-semblants se multiplient, et que les justes ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Ainsi débute l’histoire brutale d’une Gotham devenue moderne, cité d’abord radieuse abritant en son sein le vice, la violence et la corruption, et prête à déverser le chaos sur ses habitants.

[Début de l’histoire]
Sue, une jeune femme, se rend au bureau du détective privé Slam Bradley. Elle affirme n’être qu’une messagère chargée de lui remettre cent dollars ainsi qu’une enveloppe scellée que lui-même devra donner en main propre à Richard Wayne.

Ce dernier, homme estimé dans la ville grâce à sa fortune et celle de sa femme Constance sont justement terrorisés. Leur fille Helen a été kidnappée et le(s) ravisseur(s) n’ont pour l’instant rien réclamé…

En jouant l’intermédiaire, Bradley est vite soupçonné d’être mêlé à cette disparition, lui aussi enquêtant sur la mystérieuse Sue et les bas fonds de Gotham

[Critique]
Un polar ambiance 60’s, des connexions éparses à la mythologie de Batman, une enquête complexe, un certain « révisionnisme » de l’héritage des Wayne, un rythme haletant… Gotham City : Année un est un véritable coup de cœur mais – attention – il ne faut pas s’attendre à une aventure du Chevalier Noir (ce dernier apparaît furtivement comme auditeur attentif de l’histoire narrée par le détective Slam Bradley. Ce nom n’est pas inconnu chez DC Comics, c’est même l’un des premiers protagonistes apparaissant dans Detective Comics #1 en 1937 (!), crée par Jerry Siegel et Joe Shuster, les papas de Superman (!!). Le privé évolue principalement dans l’Âge d’or des super-héros jusqu’aux années 1950 avant de disparaître petit à petit des publications de l’éditeur.

S’il change physiquement à plusieurs reprises, son caractère et ses fonctions restent plutôt identiques, revenant ici et là aux côté de Superman ou Batman et Robin. On le remarque surtout au début des années 2000 sous la plume d’Ed Brubaker et Darwyn Cooke (qui la dessine également) dans des récits avec Catwoman. La relation entre Slam et Selina relance un peu l’intérêt pour le personnage et provoque de beaux résultats (cf. Catwoman – Le dernier braquage). Absent depuis le relaunch de 2011 de DC Comics, c’est le prolifique scénariste Tom King qui offre à Slam Bradley une nouvelle version, corrélée aux grands-parents de Bruce Wayne et à Gotham City. L’historique de Bradley est à découvrir brièvement sur sa page Wiki (en anglais) ou dans la passionnante postface signée de l’éditeur Yann Graf.

Gotham City – Année un débute dans une Gotham méconnaissable où il fait bon vivre et où chacun se sent en sécurité. Richard et Constance Wayne sont les parents de la petite Helen, kidnappée et dont le privé Slam Bradley est chargé par Sue, une mystérieuse femme noire, de jouer les intermédiaires entre les Wayne et le(s) ravisseur(s). Bon gré mal gré, Bradley enquête à sa façon de son côté, principalement grâce à la complicité de Constance Wayne. Difficile d’en dévoiler davantage sans gâcher le plaisir de lecture tant il y a différents rebondissements, une narration palpitante et des figures empathiques dignes de « film noir ». La fiction n’hésite pas à soulever des sujets « durs » comme les comics en font rarement (on se rappelle par exemple de la pédophilie dans La cible de Deadshot).

C’est un véritable polar qui mêle donc les ancêtres de Bruce avec la transformation de Gotham City en filigrane, sur fond sociétal de racisme (en ce sens, très proche de la véritable évolution des États-Unis) et d’inspirations cinématographiques (King cite volontiers Chinatown de Polanski), littéraires (les romans de Ross Macdonald – créateur du privé Lew Archer, adapté aussi sur grand écran et incarné par Paul Newman deux fois) et réelles (l’affaire du bébé Lindberg). L’écriture est solide, palpitante, efficace. Tom King réussit à un de ses coups de maître, lui qui est souvent clivant, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, parfois raté comme dans Batman – Killing Time, sorti le même jour en France que ce Gotham City – Year One (son titre VO).

Il est vite révélé que Bradley, très âgé, raconte son histoire à Batman à son chevet. Ce sera le seul véritable lien avec le Chevalier Noir ; mais ce n’est pas grave du tout ! Au contraire, l’œuvre regorge de clins d’œil souvent pertinents : la future Batcave est évoquée, Ace Chemicals également, Crime Alley et même un Bat-Man en symbole de signature. Vu la double thématique (aïeuls de Bruce et ville de Gotham), impossible de ne pas penser (toutes proportions gardées) à Batman – Curse of the White Knight et Les portes de Gotham (et même le film Joker – par rapport aux émeutes grandissantes dans la métropole). Si dans ces œuvres les ancêtres Wayne sont esquissés ou différents, on retrouve dans Gotham City – Année un deux parents froids et antipathiques, bien loin de l’altruisme de leur futur autre fils (Thomas) et, bien sûr petit-fils (Bruce).

En six épisodes, l’ont suit donc le détective Slam Bradley qui gravite dans cet univers si familier mais si éloigné. On aurait aimé avoir peut-être plus de visions et planches sur la ville (après tout, le comic book porte son nom) mais il faut prendre ce Year One au même titre que ceux sur Batman, Robin, Batgirl, Ras al Ghul : un nouveau départ (en l’occurrence d’une cité qui va être gangrenée par la violence au fil du temps). C’est davantage l’enquête, le travail sur les héros et anti-héros qui séduit, couplé à la proposition visuelle.

Le dessinateur Phil Ester rappelle indéniablement le style de Darwyn Cooke (déjà cité pour Catwoman – Le dernier braquage, aussi connu pour Batman – Ego entre autres, The New Frontier…) mais aussi Eduardo Risso (Cité brisée…). Des traits anguleux, un découpage dynamique parfois déstructuré, beaucoup d’aplats côté colorisation (signée Jordie Bellaire) pour jouer avec les ombres, réduites de temps en temps à une ou deux seules teintes – on pense aussi au style de Frank Miller, entre autres sur Sin City (jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn). En somme, il y a une véritable identité graphique qui se dégage de Gotham City – Année un, bien aidé par cette homogénéité plaisante, malgré quelques détails manquants ou émotions sur des visages.

On recommande donc cette œuvre, certes volubile (comme souvent chez Tom King) mais sans être trop verbeuse ou prétentieuse (idem), gage de qualité ici dans une investigation qui s’y prête, aussi bien sur le fond que la forme. Gotham City – Année un devrait ravir les amateurs du genre, propre au registre du « film noir » ou simplement les curieux d’une aventure « différente » dans l’univers de Batman (celle-ci se déroule bien dans sa chronologie même si elle peut aisément être considérée comme indépendante). Ce n’est d’ailleurs étonnamment pas sorti dans le Black Label chez l’éditeur. Pour ce site c’est l’un des coups de cœur de cette fin d’année 2023 !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Gotham City : Year One #1-6
Nombre de pages : 208

Scénario : Tom King
Dessin : Phil Ester
Encrage : Eric Gapstur
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Scribgit

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Dark Knights of Steel – Tome 01 : Au loin l’orage

(À gauche, couverture de la version normale,
à droite, couverture de la version limitée)

[Résumé de l’éditeur]
Un monde médiéval se voit bouleverser à jamais lorsqu’un vaisseau spatial s’écrase sur une planète condamnée. Des années plus tard, le Royaume des Tempêtes confronte le tout-puissant Royaume des El et rassemble des alliés pour le défier. Mais les El peuvent compter sur un allié de poids en la personne de Bruce Wayne, l’impitoyable et dévoué chef de la garde, bien décidé à éradiquer la magie de ses terres… Les alliances se noueront et se briseront, les monarques tomberont, les royaumes s’élèveront, et ce qui semblait être la fin du monde pour beaucoup… n’était que le début d’une nouvelle ère.

[Début de l’histoire]
Les El s’écrasent avec leur bébé sur une autre planète. Au même moment, au Royaume des orages, Constantine a une vision. Il confie à son souverain Jefferson qu’il a vu leur mort prochaine…

Dix-neuf ans plus tard, au château des El, le jeune Kal-El désire accompagner Bruce à l’extérieur. Adopté par les El, Bruce est comme un frère pour Kal malgré son statut de bâtard. Bruce va affronter la magie Banshee (de Black Canary) et refuse de mettre en danger Kal, malgré les pouvoirs divins que ce dernier a.

Plus tard, Bruce et Kal se disputent, le premier tient en haute importance de servir le royaume et respecter les traditions là où le second, venu de l’espace, les juge archaïques.

Dans la forêt de Hobb, un archer vert à capuche sous mauvaise influence tire une flèche et abat le roi Jor-El. C’est le début d’un conflit épique…

[Critique]
Le scénariste Tom Taylor revisite une fois de plus l’univers DC à sa sauce ! Après un Superman dictatorial dans la saga Injustice puis le monde zombifié dans l’univers DCEASED (et une incursion futuriste de Batman dans La dernière Sentinelle – ainsi que quelques autres œuvres éparses et plus convenues : One Bad Day – Ra’s al Ghul, Suicide Squad Renégats, Nightwing Infinite…), le prolifique auteur se tourne vers le registre fantasy-médiéval. Il transpose donc les figures iconiques de DC Comics dans un monde revêtant autant du Moyen-Âge que de la magie.

C’est évidemment très plaisant de lire le parcours croisé d’un Bruce Wayne revisité (et ses « merles » : ces adolescents qui lui rendent service, les différents Robin donc), d’une dynastie El (lire « elle », du nom de famille kryptonien et non « e – i », comme pourrait l’être l’État Islamique – oui ça paraît tiré par les cheveux mais c’est assez étrange en lecture continue de voir El assez souvent !), de guerrière amazones alliées à Supergirl, d’un empire Jefferson (Black Lightning) servi par Constantine, et ainsi de suite. On pourrait tous les révéler mais mieux vaut garder le plaisir de la découverte en lecture !

Dark Knights of Steel est fièrement comparé à Game of Thrones voire Le Seigneur des Anneaux. Il faut évidemment nuancer cela mais ce n’est pas incorrect d’en établir un rapprochement. Concernant Game of Thrones (que ce soit les livres ou la série), il est vrai que Dark Knights of Steel s’y rapproche dans ses thématiques de complots et d’état des lieux (un enfant bâtard, un roi tué, un garçon jeté du haut d’une tour, diverses trahisons, des infiltrés, etc.). Pour Le Seigneur des Anneaux, c’est uniquement la puissance dudit anneau (et d’une transformation qui va avec) qui rappelle un tout petit peu la saga (littéraire et cinématographique) culte. En somme, on est plus proche d’une version édulcorée et comic book mainstream des titres de G. R. R. Martin que J. R. R. Tolkien.

L’ouvrage contient six chapitres sur les douze que comporteront l’intégralité de la fiction. En effet, aux États-Unis, Dark Knights of Steel avait directement été annoncé comme série limitée en douze épisodes, accompagné de quelques bonus, comme les Contes des trois royaumes, trois courts récits situés dans le même univers et principalement liés aux éléments de Batman modelés à ce style fantasy-médiéval (disponible dans ce présent opus). Étrangement, la quatrième de couverture du livre annonce une « série à suivre » ainsi que la couverture du second tome. Il faut donc envisager un troisième volet à minima, ce qui ne serait guère étonnant tant les sagas elseworlds de Taylor s’enrichissent systématiquement en sériés dérivées ou bien préquel ou suite.

Difficile de s’attarder sur l’intrigue globale sans la gâcher, si ce n’est que l’auteur manie avec son habituel brio sa narration : le rythme est haletant, l’ensemble plutôt original, les personnages attachants (une fois de plus Harley Quinn est soignée – revêtant son célèbre costume d’arlequin, c’est approprié !), l’humour est parsemé ici et là, etc. On regrette une absence d’émotion qui faisait le sel d’Injustice (et dans une moindre mesure, de certains segments de DCEASED, notamment dans son troisième et dernier opus, sorti le même jour que Dark Knights of Steel). Enfin, certains protagonistes sont un peu survolés (Green Arrow, Lois Lane…) – c’est mieux que rien car certaines figures emblématiques sont étonnamment absentes (pour l’instant tout du moins). Pas besoin d’avoir des connaissances très poussées dans l’univers DC Comics pour apprécier cette incursion assez singulière et visuellement séduisante.

On retrouve en effet Yasmine Putri au dessin (Bengal pour l’épisode 4 à priori – ce n’est pas spécifié dans la BD, en tout cas pas dans la version limitée – et trois autres artistes pour les trois courts contes de la fin). Plus habituée chez Marvel (Spider-Man) que DC, Putri dépeint ici son monde atypique avec grande justesse, colorisant elle-même ses dessins d’un style relativement aéré, fin et élégant. Les nombreux costumes réajustés pour cet univers fantasy permettent d’identifier immédiatement « qui est qui », bien aidés par les couleurs emblématiques de chaque héros ou anti-héros. On apprécie également les élégantes teintes chromatiques liées aux séquences diurnes ou nocturnes. Dommage que les décors soient souvent assez pauvres ou les paysages un peu vides…

Graphiquement, c’est donc un sans faute pour peu que le style (nous) embarque ! Scénaristiquement, s’il manque un peu d’émotion ou de dramaturgie plus poussée (des morts s’enchaînent sans qu’on les déplore), Dark Knights of Steel tient la route et a de solides fondations. Attention, Tom Taylor en profite pour instaurer un couple lesbien qui devrait faire grincer les dents les puristes (qui crieront au « wokisme » sans réel fondement, ce terme étant devenu galvaudé et mériterait une analyse bien plus nuancée que celle souvent apposée à ce mot).

Amateurs d’elseworlds, de médiéval, de fantasy, de DC Comics, sans chercher une écriture trop subtile ou une intrigue complexe, Dark Knights of Steel devrait (vous) satisfaire ; s’adressant aussi bien aux passionnés de longues date qu’aux néophytes. À voir sur la durée (et donc le second tome, qui arrivera en France probablement début 2024) si l’œuvre mériterait d’être dans les coups de cœur ; il manque encore ce « petit quelque chose » pour la rendre un chouilla plus qualitative mais par son concept elle peut déjà s’inscrire dans un côté intemporel bienvenu. Le livre se ferme sur quelques travaux d’études de personnages et beaucoup de chouettes couvertures alternatives.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 23 septembre 2023.
Contient : Dark Knight of Steel #1-6 + Dark Knight of Steel : Tales from the Three Kingdoms
Nombre de pages : 208

Scénario : Tom Taylor, Jay Kristoff, C.S. Pacat
Dessin & encrage : Yasmine Putri, Bengal, Caspar Wijngaard, Sean Izaakse, Michele Bandini
Couleur : Yasmine Putri, Arif Prianto, Caspar Wijngaard, Romulo Fajardo Jr., Antonio Fabela

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Lorine Roy et Stephan Boschat)

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Batman – Killing Time

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City, 4 mars, 16h46. Banque centrale. Un étrange client fait son apparition. Personne ne le sait, mais le braquage du siècle est sur le point d’avoir lieu, dans cette banque précisément. Trois malfrats – Catwoman, le Pingouin et le Riddler – s’associent pour mener à bien leur mission, juste histoire de tuer le temps…

[Début de l’histoire]
4 mars, 16h33. Killer Croc se rend à la First National Bank de Gotham.

Une heure plus tôt, Selina Kyle joue au tennis dans la résidence privé des Barrington où elle est devenue une amie de Cookie, l’hôtesse des lieux.

17h03, Gordon allume le Bat-signal et Batman apparaît…

À 17h13, Edward Nygma, alias le Sphinx entre dans le bureau Ronald Barrington (mari de Cookie), à l’United Gotham Bank.

24 heures plus tôt, le Pingouin soudoie un homme de main de la First National Bank de Gotham.

Le braquage parfait. Mais pour qui ? Et… pour quoi ?

[Critique]
C’est très beau, ça démarre bien, le concept est plutôt original et… tout s’enlise et devient pénible en cours de route, quel dommage ! L’auteur Tom King est très clivant chez DC Comics, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, ce scénariste tente ici un comic book « de casse ». Un braquage millimétré alléchant mais qui se perd ensuite dans une narration verbeuse, vulgaire et vaine. On explique.

Contrairement à ce que nous fait croire l’éditeur ou le début de la bande dessinée, seulement deux antagonistes emblématiques de l’univers de Batman sont très présents tout au long de la fiction : Catwoman et le Sphinx (Riddler en VO). Un tandem souvent vu en duo (Catwoman à Rome par exemple ou plus récemment de façon plus modeste dans Joker War). Le binôme fonctionne plutôt bien, ces deux célèbres vilains étant moins « fous » que leurs camarades d’Arkham. Bien sûr, il gravite autour d’eux d’autres figures connues : le Pingouin mais aussi Killer Croc, Ra’s al Ghul et quelques autres qu’on ne dévoilera pas.

Le bestiaire est donc assez riche et magnifiquement illustré (on y reviendra). La véritable menace est plutôt un nouveau personnage, nommé « l’aide ». Un étrange gentleman âgé d’environ quatre vingt ans, d’une force inouïe capable de mettre le Chevalier Noir sur la touche. En soi, pourquoi pas mais on n’y croit absolument pas… Ce n’est pas forcément grave dans le cadre de l’intrigue, ce qui lui fait défaut est tout autre : l’écriture générale.

Tom King ne peut s’empêcher de TOUT raconter. Il n’y a quasiment pas une planche sans qu’un narrateur omniscient (on apprendra dans la dernière ligne droite de qui il s’agit) détaille de la même façon ce qui se déroule : à telle heure, à tel endroit, telles personnes font ceci ou cela. Et Tom King s’amuse avec cette forme d’écriture en bousculant la linéarité de son texte, enchaînant des petits ou grands sauts dans le passé ou dans le futur. Même ritournelle donc : à tel endroit, tant de minutes/heures/jours plus tard, telles personnes font ceci ou cela. Efficace et amusant dans un premier temps mais vite gonflant à la longue.

Le scénariste croise même son récit avec un second, fortement encré dans une dimension antique, qui viendra expliciter l’objet du braquage. Là aussi, Tom King se loupe à moitié, conférant un macguffin inintéressant (tout le monde court après ce mystérieux butin) et une évolution peu crédible au titre. Même Batman, se revendiquant propriétaire de ce qui a été volé, n’explique pas pourquoi il l’avait caché dans une banque et non dans sa Batcave quand on lui demande… In fine, le lecteur ne s’implique pas spécialement dans la course contre la montre pour récupérer ce fameux trésor…

Pire encore : entre les bulles de narration omniprésentes et lassantes, le scénariste abonde de mots grossiers dans la bouche de ses protagonistes. Ce n’est nullement un défaut à la base (cela peut même être marrant comme Negan dans The Walking Dead ou cohérent avec l’ambiance d’un titre, comme Marv dans Sin City – jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn) mais l’éditeur états-uniens et français ont fait le choix de ne traduire aucun juron. Comme souvent en bandes dessinées, on se retrouve donc avec une suite de symboles pour ne pas écrire un gros mot. On retrouve donc des « %#$@#$ » au lieu d’écrire « putain / merde / enculé / fils de pute » ou autres termes folklorique…

Encore une fois, ce n’est pas forcément un défaut en temps normal quand ça arrive de temps en temps mais dans Killing Time c’est littéralement à chaque bulle quand deux voire trois anti-héros (incluant Catwoman et le Sphinx) s’y prêtent. De quoi alourdir davantage une écriture déjà bien plombée par de multiples défauts. Un exemple ci-dessus : une seule case, trois bulles de dialogue, six phrases, sept mots écrits de cette façon usante à décrypter/lire (oui : c’est pareil dans la version française que propose Urban Comics – images à venir à l’occasion).

Si l’on pouvait fermer les yeux sur les nombreux improbabilités propres au médium (Batman qui terrasse plusieurs tigres à mains nues, Catwoman qui vient à bout d’un groupe d’hommes de main armées en quelques secondes, la surpuissance d’Aide, etc.) on a quand même du mal à trouver l’ensemble de Killing Time pertinent. Entre le « tout ça pour ça » de soupir en fin de lecture et le « divertissement sympathique » pour les moins exigeants, l’œuvre se cherche un peu, parfois prétentieuse, pourtant prometteuse à défaut d’être révolutionnaire ou trop ambitieuse MAIS très jolie visuellement (cf. les nombreuses illustrations de cette chronique). Quel dommage (bis)…

Heureusement, les six chapitres bénéficient d’un sans faute graphique, orchestré d’une main de maître par David Marquez. L’artiste signe l’intégralité des dessins (et probablement l’encrage car ce n’est pas précisé), conférant non seulement une homogénéité visuelle mais aussi son style épuré, dynamique et efficace dans les nombreuses scènes d’action qui parsèment la fiction. Alejandro Sanchez colorise et apporte une variation chromatique propre aux comics (comprendre que chaque figure est richement mise en couleur grâce à ses costumes et looks habituels) tout en ajoutant cette ambiance parfois austère nécessaire à l’ambiance, parfois plus cosy avec de subtiles jeux de lumière. On apprécie aussi les looks du Pingouin et Catwoman, presque calqués sur ceux du film Batman – Le Défi (là où Nygma est davantage modernisé).

En cela, il est vrai que toutes ces belles planches sont peut-être le point fort de Killing Time, avec son concept initial, ses segments parfois originaux et son (modeste) puzzle narratif. Difficile de déconseiller la lecture mais difficile aussi de la conseiller pleinement – les éléments relevés dans cette chronique devrait arriver à vous aider à choisir. On ne retrouve pas forcément la « patte » de Tom King (qui aime bien déconstruire ses héros et leur insuffler une certaine humanité) donc ses habituels détracteurs pourraient apprécier, toutes proportions gardées tant l’écriture regorge de certains défauts. Pour un braquage de qualité avec Catwoman, on favorise plutôt, ben… Catwoman – Le dernier braquage.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Batman Killing Time #1-6
Nombre de pages : 192

Scénario : Tom King
Dessin : David Marquez
Couleur : Alejandro Sanchez

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Makma (Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.fr : Batman – Killing Time (19 €)