Longtemps fantasmée, une « suite » à la célèbre série d’animation Batman de 1992 (de Bruce Timm et Paul Dini) est annoncée depuis quelques années. Bruce Timm explique avoir été approchée par Warner Bros en 2019/2020 pour créer de nouveaux épisodes mais il n’était pas très intéressé à l’époque… Puis, en imaginant injecter une certaine dose de films d’horreur, de gangsters, d’action et de drame (soit la même formule que pour la série initiale), Caped Crusader commence à voir le jour, créée par Timm et produit (donc développée et supervisée), entre autres, par J.J. Abrams et Matt Reeves (The Batman).
Il faudra attendre août 2024 pour découvrir la première salve des dix épisodes de cette nouvelle fiction qui, finalement, n’est pas du tout une suite à la première série historique et ne se situe pas non plus dans le même univers… En revanche, la direction artistique est particulièrement proche de son aînée (d’où la qualification de « suite spirituelle »), on y retrouve les mêmes graphismes, la même ambiance sombre, des compositions musicales particulièrement soignées et un doublage (VO comme VF) de qualité ! Si Batman, la série animée s’adressait autant aux enfants, adolescents qu’aux adultes, on est ici davantage dans une proposition dédiée aux moins jeunes. Le ton est mature, l’humour quasiment absent, la légèreté trop discrète. Ce n’est absolument pas un reproche, au contraire !
Bruce Timm décide de situer son récit dans les années 1940, de quoi décontenancer certains fans, peu habitué au look de l’époque du Chevalier Noir (et ses grandes oreilles) et à l’absence de véhicules ou gadgets « modernes » (pas d’ordinateurs, etc.). Caped Crusader se paie même le luxe de proposer un Alfred bien loin de son image collective mais pourtant proche des premières bandes dessinées sur Batman et son majordome (cf. Batman Anthologie) ! Toujours sur la forme, on aurait apprécier un générique d’introduction largement plus mémorable que celui proposé, dommage. De la même manière, l’animation est parfois rigide, manque un peu de dynamisme, reste trop statique pour une aventure d’action.
Alors, ça raconte quoi Batman – Caped Crusader ? En 10 épisodes (d’environ 25 minutes), on découvre dans cette itération de Gotham, un homme chauve-souris à ses débuts, évoluant dans une ville austère, où la police est fortement corrompue. Chaque épisode se concentre sur un « ennemi » différent, l’on retrouve quelques figures emblématiques : Selina Kyle/Catwoman (et son costume de l’époque), Harley Quinn et Le Pingouin (deux propositions clivantes – on en parle plus loin) et d’autres moins connues. La plupart des récits appartiennent au registre du thriller ou du polar noir, un seul se risque dans le fantastique pur, cassant l’homogénéité de l’univers conçu, c’est peut-être une faiblesse, le futur de la série d’animation nous le dira (une saison deux est déjà prévue).
En toile de fond, trois fils rouges narratifs un peu plus passionnant : l’évolution commune de Barbara Gordon (avocate) et Harvey Dent (procureur – futur Double-Face, évidemment), sans oublier le Chevalier Noir (qui n’est étonnamment pas le plus palpitant de toute la fiction). La comparaison avec la série de 1992 (indétrônable) est quasiment impossible… Difficile de déplorer l’absence de fantaisie et de charisme de certains protagonistes normalement mémorables, mais cela est probablement à cause d’une subjectivité et d’une petite dose de nostalgie. En acceptant ce nouvel univers et ces nouvelles histoires, il est difficile de bouder son plaisir devant cette proposition peut-être peu audacieuse, néanmoins originale d’une certaine façon et qui inaugure une nouvelle voie pour Batman (dont les dernières adaptations d’animation étaient guère marquantes). Deux épisodes sortent du lot, celui sur Catwoman et celui avec des « enfants » dans une fête foraine, on en dira pas plus mais sans aucun doute celui qui a le plus l’ADN de la série mère.
On le disait plus haut, il y a une probabilité que des spectateurs n’adhèrent pas à une certaine « vision » de personnages. Ici, le Pingouin est une femme, Oswalda Copplebot (!). Elle dirige d’une poigne de fer ses hommes (dont ses fils) dans une période bien évidemment plus difficile pour une femme, encore plus dans un monde de malfrats. Ce procédé (un gender swap) existe depuis des lustres et connaît bien entendu ses détracteurs : autant créer un nouveau personnage plutôt que réinventer un existant en changer son sexe ? C’est d’autant plus surprenant comme choix que la série de 1992 était l’exemple même de ce procédé : la création d’Harley Quinn a ajouté non seulement un personnage mémorable mais a carrément donné naissance à une autre icône du Batverse qui a transcendé le médium. Pourquoi ne pas avoir refait la même chose ici ? Comme toujours, chacun jugera sur place une fois le résultat visionné.
Sans surprise, le terme « woke » est/va être accolé à Caped Crusader, un mot (on l’a déjà dit sur ce site) complètement vidé de sa substance initiale, employé n’importe comment et devenu un fourre-tout avec tout et n’importe quoi dedans : de très bonnes choses comme la sensibilisation et l’éveil des injustices aux minorités (sa définition historique), d’autres plus interrogatives (s’obliger à représenter les minorités dans des fictions, avec donc une dimension politique et sociétale plus poussée – ou modifier la couleur de peau, le sexe ou l’orientation sexuelle de personnages par rapport à leur support d’origine) et certaines absolument ubuesques voire dangereuses (la suppression pure et dure d’œuvres (la vraie cancel culture, la censure donc) au lieu de la contextualisation et la nuance.
Autre personnage d’anthologie remanié par son propre co-créateur : Harley Quinn (conçu par Bruce Timm donc mais aussi Paul Dini pour la première série d’animation – à noter que Dini est complètement absent des artisans de Caped Crusader). La proposition devrait autant ravir (pour certaines choses) que dérouter (pour d’autres éléments) : sans trop en dévoiler, Quinzel est déjà en activité (sans aucune connexion ou liaison avec le Joker) avec un stratagème fort bien conçu. Elle gravite aussi autour de Bruce Wayne pour un segment narratif plutôt bien vu. Harleen devrait aussi en décevoir certains puisque son corps a quelques formes (comprendre qu’on est très loin de l’emblématique silhouette svelte et affinée de la muse du Joker), des origines visiblement différentes et d’autres choses à découvrir… Là aussi il appartient à chacun d’apprécier ou détester (ou rester dans une indifférence notoire – comme l’auteur de ces lignes) face à tout ceci. Cette double relecture clivante fera sans doute parler…
Batman, le justicier masqué (son titre VF) reste globalement une série d’animation dans le haut du panier pour toutes les raisons évoquées (aussi bien sur la forme que le fond). Il manque encore une écriture moins « freak of the week » et d’aspect plus « feuilletonnant » pour s’élever, davantage de vilains plus charismatiques et un univers complètement assumé (soit du polar terre à terre tout le long, soit un mix de tous les registres) et peut-être deux ou trois choses ici et là (animation plus dynamique, générique différent…) et Caped Crusader rejoindra sans souci les incontournables séries d’animations sur Batman (au minimum au-dessus du surestimé Batman Beyond).