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Batman / Spawn 1994

En 1994, deux ans après l’arrivée dans l’industrie des comics de Spawn, l’éditeur de ce dernier, Image Comics, publie en accord avec DC Comics, une histoire où Spawn rencontre Batman (sobrement intitulée Spawn/Batman). C’est le scénariste Frank Miller qui l’écrit et la situe carrément dans son univers de The Dark Knight Returs ! Le créateur et dessinateur historique de Spawn, Todd McFarlane, illustre ce récit d’une cinquantaine de pages.

Dans la foulée, DC propose lui aussi une fiction entre le Chevalier Noir et le diable de New-York (Batman/Spawn : War Devil). Trois auteurs habituels qui travaillaient à l’époque sur l’homme chauve-souris opèrent : Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant. La partie graphie étant assurée par Klaus Janson. Là aussi tout se déroule sur une cinquantaine de pages.

Ces deux titres (relativement « courts » donc) sont compilées avec des bonus dans Batman / Spawn 1994, disponible en France chez Urban Comics depuis le 10 novembre 2023. C’est à cette même date que les lecteurs français peuvent découvrir la troisième aventure commune de Batman et Spawn (initialement sortie aux États-Unis en 2022) dans Batman / Spawn. Découverte et explications de ce singulier binôme !

Couverture classique (gauche) et couverture alternative limitée.

[Résumé de l’éditeur]
Un mal ancien est revenu à Gotham City. La dernière fois qu’il est apparu, une colonie entière a été rayée de la surface de la Terre, ne laissant qu’un seul indice : Croatoan. Qui que soit Croatoan, il faudra tout le talent d’enquêteur de Batman et les capacités surnaturelles d’un ancien soldat devenu HellSpawn pour sauver les citoyens de Gotham de l’enfer qui est sur le point de se déchaîner sur notre monde.

[Début de l’histoire Batman/Spawn : War Devil]
Simon Vesper a été tué il y a quelques années par Spawn mais son corps n’a jamais été retrouvé. Vesper avait initié la création de la Tour de Gotham, sur le point d’être inaugurée de nos jours.

Batman enquête de son côté sur la disparition de Virgil Dare mais trouve des indices le menant à Vesper, qu’il suspectait d’entretenir des liens avec la mafia il y a six ans avant de perdre sa trace suite à ce qui semblait être son assassinat.

Spawn songe à nouveau à son ancienne cible mais ne se rappelle plus pourquoi il devait lui oter la vie. Il décide de retourner à Gotham pour tenter de se souvenir…

[Début de l’histoire Spawn/Batman]
Attaqué à Gotham par un robot d’appartenance russe, Batman réussit à le vaincre et découvre que ce dernier est relié à une tête humaine (!) parlant anglais. Cette dernière était à un vagabond alcoolique de New-York. Comme le détective le précise : « qu’est-ce que le cerveau d’un clochard new-yorkais fait dans un cyborg soviétique ? »

Le Chevalier Noir se rend à New-York pour enquêter et tombe sur Spawn. Les deux commencent à s’entretuer…

[Présentation & contextualisation]
Il est nécessaire de contextualiser la création de Spawn et, de facto, celle de l’éditeur Image Comics. Si vous êtes familier de tout ceci, vous pouvez passer directement à l’onglet critique. En 1992, sept dessinateurs prestigieux quittent Marvel, déçus et agacés de la façon dont ils sont traités (en terme de royalties notamment mais aussi d’être cadenassé pour leur liberté créatrice – en gros). Ainsi, Todd McFarlane (qui œuvrait sur Spider-Man par exemple), Jim Lee (X-Men), Rob Liefeld (Deadpool), Erik Larsen, Marc Silvestri, Jim Valentino et Whilce Portacio fondent leur propre maison d’édition Image Comics.

Leur indépendance permet de concevoir plusieurs comics phares de l’époque comme Spawn bien sûr (créé par McFarlane), mais aussi WILDC.A.T.s (par Jim Lee — un univers racheté puis réédité par DC Comics ensuite, incluant trois livres en France par Urban fin novembre), Youngblood, Savage Dragon, etc. Ces séries sont un véritable succès et Spawn se vend autant voire mieux que Spider-Man par exemple ! Image Comics donne un nouveau souffle au médium et une lueur d’espoir pour de nombreux auteurs et artistes qui voient grâce à ce nouvel éditeur une certaine révolution dans l’industrie.

La crise des comics de 1993 et les départs successifs de Whilce Portacio (qui a vite renoncé dès 1992) puis Rob Liefeld (1996) et Jim Lee (1998) complexifient la pérennité d’Image Comics qui peine à renouer avec des succès, malgré la solide et remarquable longévité de Spawn. Il faut attendre le début des années 2000 pour retrouver une santé financière, critique et populaire avec l’arrivée du scénariste Robert Kirkman qui signe dans la foulée Invincible puis, surtout, The Walking Dead. En 2012, c’est la passionnante série Saga qui donne une impulsion nouvelle à Image Comics et lui permet de conserver sa stabilité. Si l’évolution de cet éditeur vous intéresse, un simple tour sur Wikipédia (en français de surcroît) donnera quelques clefs de compréhensions, l’article étant assez complet.

Revenons à Spawn. Todd McFarlane présente son anti-héros en 1992 et le succès est immédiatement au rendez-vous (la série fêtera son 350ème chapitre début 2024, cf. couvertures VO ci-dessous – on y reviendra). . Il faut dire que les traits résolument modernes et élégants de l’artiste sont une certaine révolution graphique pour l’époque (toutes proportions gardées puisque McFarlane était déjà « connu » et d’autres illustrateurs de renom comme Jim Lee arborait un style un peu similaire). Le dessinateur pioche dans ses souvenirs d’adolescent pour concevoir Spawn : Al Simmons, un ancien des forces spéciales mort au combat fait un pacte avec le démon Malébolgia. Il accepte de lui vendre son âme dans l’espoir de revoir sa femme et devra mener les troupes de l’Enfer à la victoire contre les forces céleste de l’Armageddon. Mais la créature est séquestré durant cinq ans avant d’être renvoyé sur Terre, défiguré, méconnaissable et arborant différents pouvoirs surnaturels…

Devenu Spawn, Al se rend compte des multiples trahisons dont il fut victime, aussi bien en tant qu’humain qu’HellSpawn (une fois de plus, pour en savoir davantage sans se farcir l’entièreté des comics, la page Wikipédia dédiée vulgarise assez bien l’ensemble)… L’œuvre est sanglante, originale et mature. Elle donnera lieu en 1997 à deux adaptations : un film (raté) et une série d’animation sur HBO (18 épisodes) bien accueillie. Un nouveau long-métrage est prévu pour 2025 au plus tôt. L’auteur de ces lignes l’avoue humblement, il n’a lu que le premier tome de la série principale Spawn (et nul besoin de le connaître ou d’en savoir davantage pour apprécier ce Batman/Spawn 1994 d’ailleurs — un peu moins pour celui de 2022/2023 en revanche).

Si Spawn est produit par Todd McFarlane, aussi bien aux pinceaux qu’à l’écriture, il laisse volontiers et assez rapidement le scénario d’un ou deux chapitres à quelques pointures dont les fameux « trois M » liés à Batman : Frank Miller, Alan Moore et Grant Morrison ! Si ces collaborations sont ponctuelles, elles inaugurent du bon et McFarlane cèdera, entre autres et principalement, à Brian Holguin l’écriture de sa série sur de longs segments. Plus important, McFarlane délaisse aussi ses dessins à plusieurs pointures dont la plus longue au profit de… Greg Capullo ! Le célèbre artiste occupe une place majeure dès le deuxième tome et jusqu’au neuvième (il reviendra aussi dans le douzième) – il signe une jolie illustration de Spawn/Batman à l’époque, à découvrir en bas de cet article, avant le bloc À propos. En somme, Capullo travaille presque sept ans sur Spawn, il était donc naturel qu’il s’approprie la troisième rencontre avec le Chevalier Noir (qu’il a dessiné durant plus de cinq ans) en 2022 dans l’autre comic book Batman / Spawn, sorti fin 2023 chez nous.

 

Spawn va fêter début 2024 son 350ème chapitre ! Ce qui en fait le comic book le plus long (plus de trente ans d’existence) hors registre super-héroïque. Pour lire Spawn en France, c’est (désormais) assez simple, l’éditeur Delcourt ayant effectué un travail assez formidable quand ils ont récupéré les droits au milieu des années 2000. Il y a tout d’abord la série Spawn (aussi nommée Spawn Archives), étalée sur 22 tomes (le dernier est sorti début 2023) et contenant 250 chapitres (de la série éponyme, donc simplement intitulée Spawn en VO). La suite directe se déroule dans Spawn Renaissance, compilant les épisodes 251 à 330 de la série initiale, toujours en cours de publication aux États-Unis. Cela porte à ce jour ce second titre à 13 volumes (le quatorzième est prévu pour janvier 2024). Voir des couvertures ci-dessus.

À noter que les tomes 19 à 22 de Spawn (regroupant les épisodes #201 à #250) furent publiés « en doublon » quelques années plus tôt chez le même éditeur en huit volumes dans Spawn – La Saga infernale. Il s’agissait à l’époque de profiter d’une semi relance après le 200ème chapitre et être au plus près de la publication VO. Désormais il n’y a donc plus trop d’intérêt de l’acheter (c’est aussi pour éviter cette confusion que Spawn est titrée Spawn Archives – tout le monde suit ?). McFarlane a étendu son univers dans de nombreuses séries annexes, parfois en continuant de les écrire ou bien en laissant la mains à d’autres auteurs mais en gardant une supervision.

Citons Sam & Twitch (six opus), centré sur le duo de flics des mêmes noms (malheureusement plus réédités) et différentes histoires anthologiques et un peu « à part » regroupées sous l’appellation Spawn Hors-Série (une douzaine de récits incluant les deux avec Batman mais, idem, certains ne sont plus en vente, d’autres réédités sous forme d’intégrale). Il y a, entre autres, Spawn / WildC.A.T.s (forcément), Violator (l’un des antagonistes de Spwan), HellSpawn, Spaw Dark Ages, Du sang et d’ombre, Les architectes de la peur, Spawn Godslayer, Spawn – The Undead, etc. Voir les couvertures ci-dessus.

Depuis fin 2022, on peut découvrir trois autres séries gravitant autour de Spawn : King Spawn (Spawn devient le rois des enfers, trois tomes en cours), Gunslinger Spawn (relecture façon western, trois volumes en cours aussi) et Spawn – Scorched, L’Escouade Infernale (toute une équipe se créé autour de Spawn avec plusieurs autres anti-héors, deux opus pour l’instant). Notons que cette nouvelles salve a carrément droit à un triptyque de couvertures (cf. ci-dessous). Enfin en 2023, La malédiction de Spawn s’est ajouté à ce fameux Spawn Universe, qui est donc riche et varié ! Todd McFarlane en parle aux confrères de Comicsblog sur ce lien en octobre 2023.

Cette (longue) présentation effectuée, que vaut donc ces rencontres entre Spawn et Batman publiés initialement en 1994 ?

[Critique]
Si l’introduction de cet article ainsi que l’avant-propos d’Urban Comics à l’intérieur du livre évoque chronologiquement la première histoire de Spawn/Batman publiée par Image Comics (donc celle Miller/McFarlane) puis celle par DC, le recueil présente d’abord celle de DC (War Devil) et ensuite l’autre. C’est donc dans cet ordre que les critiques seront aussi publiées.

[Critique Batman/Spawn : War Devil]
La rencontre épique entre le suppot de l’Enfer et l’homme chauve-souris a lieu et… ce n’est pas aussi incroyable que ce qu’on était légitime d’imaginer. Sans surprise, un rapide affrontement entre les deux avant une association se déroule de façon assez convenue. La faute à un scénario conçu à six mains (!) – Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant (responsables à l’époque de nombreuses sagas cultes sur le Chevalier Noir : Knightfall, Cataclysme, No Man’s Land…) – trop bavard et verbeux dans ses dialogues et peu intéressant dans son intrigue globale. En synthèse, un homme mort revient à la vie et veut tuer davantage de personnes, sous l’égide de la magie noire et d’apparitions de démons, évidemment.

L’alliance de Spawn et Batman ne sera donc pas de trop pour venir à bout du démon derrière tout cel (bien qu’assez confuse dans sa résolution). Le célèbre justicier de Gotham et l’anti-héros venant de New-York s’associent presque « comme si de rien était », ne prennent pas le temps de se connaître et collaborent comme si c’était une évidence. Il en est de même pour la conclusion du récit où les protagonistes se quittent après un échange cohérent du côté des deux certes mais étonnante malgré tout. Ce sont peut-être les fans de Spawn qui préfèreront ce War Devil, où la création de Todd McFarlane occupe peut-être une place moindre ou identique que Batman mais semble plus soigné dans l’écriture ou dans l’empathie envers ce singulier personnage.

La dimension graphique perd aussi de sa superbe, Klaus Janson (inoubliable encreur de The Dark Knight Returns) ne réussissant jamais à rendre iconique ce rendez-vous improbable de deux monstres sacrés des comics. Janson a également du mal à gérer son espace géographique, trop étriqué dans des petites cases, canibalisant les grands espaces qui auraient été nécessaires à sublimer l’inoubliable cape de Spawn mais, surtout, l’incursion dans le registre fantastique/horrifique (plus ou moins) inédit à l’époque. Il y a bien une double page sympathique (cf. ci-dessus) mais le reste suit difficilement, dans un style maladroitement ancré (avec un a et non un e) dans les années 1990, à l’inverse des traits de McFarlane (dans l’histoire suivante) – et même ceux de Capullo à l’époque – bien plus intemporels et encore appréciables et délectables aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Heureusement, la colorisation de Janson aidé de Steve Buccellato confère une patte visuelle assez riche, arborant tour à tour le côté sombre de Gotham et les palettes écarlates propres à Spawn. Ce rouge vif dénote d’ailleurs pour un résultat globalement agréable. Toute la bande dessinée est proposée à la fin du livre dans une version encrée en noir et blanc et avec les dialogues en VO. Un bonus qui ravira les fans de Janson et permet de gonfler le nombre total de pages à presque 170, les deux titres principaux ne s’attardant que sur une petite cinquantaine de planches (pourquoi pas compiler les trois histoires de Batman / Spawn (incluant celle de 2022/2023) dans un seul et même ouvrage pour un prix total plus abordable ?).

[Critique Spawn/Batman]
Cette fois c’est la bonne ! La rencontre entre Spawn et Batman est épique, brutale et d’une superbe signature graphique. Il faut dire que c’est Todd McFarlane lui-même (le créateur de Spawn) qui illustre la cinquantaine de pages du titre. L’artiste avait déjà dessiné Batman – Year Two / Année deux en 1987 et avait repris les « pastilles journalistiques » de Frank Miller dans The Dark Knight Returns (1986) dans sa série Spawn. Il semblait donc y avoir une certaine logique voire osmose entre les deux artistes pour cette collaboration. Miller signera une postface l’année suivante de ce Spawn/Batman (donc en 1995), inclut dans l’édition du premier tome de Spawn en France (Résurrection).

Visuellement donc c’est un sans faute. Ici l’espace est nettement mieux pensé avec de belles séquences d’anthologie iconisant tour à tour chacun des deux (anti) héros. C’est d’autant plus incroyable quand on constate aujourd’hui que ces dessins remontent à 1994 et qu’ils n’ont pas pris une ride (et sont nettement plus aboutis que certains plus récents). McFarlane croque sa New-York nocturne habituelle, évidemment proche de la Gotham des aficionados de Batman. L’artiste sublime la rencontre tour à tour violente puis « psychologique ». Rien à redire.

Côté scénario, Frank Miller prend son temps. Contrairement au titre précédent, il se fait narrateur omniscient au service du lecteur et cela fonctionne étonnamment bien, conférant une écriture fluide puis organique quand Spawn et Batman prennent la relève. C’est une guerre d’ego entre les deux qui s’annoncent derrière un conflit (plus dangereux) d’une mystérieuse femme. En ce sens, l’intrigue de fond, vaguement politique et un brin plus science-fiction (par rapport à la première, davantage orienté fantastique/horrifique) est efficace sans faire d’éclat. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande plume complexe ou trop originale.

S’il est fièrement annoncé que la fiction se déroule dans le même univers instauré par Miller dans The Dark Knight Returns, ce n’est clairement pas évident durant la lecture et pourrait être un titre indépendant que ça ne changerait pas grand chose (on retrouve juste cette approche brutale et radicale du Wayne de Miller). L’auteur cite également son Année un mais, encore une fois, cela relève davantage du clin d’œil que d’une réelle volonté d’ajouter un complément indispensable à l’univers. Néanmoins, ce Spawn/Batman vaut indéniablement le coup pour les amoureux des traits de McFarlane (cf. planches ci-dessous et les trois dernières de cet article) et cette confrontation au sommet !

[Conclusion de l’ensemble]
Inutile de préciser que les fans de Spawn ET de Batman doivent évidemment se procurer cette compilation de deux récits emblématiques de 1994. Même si le premier est très moyen, le second est une élégante pépite graphique. En revanche, les passionnés de Batman uniquement peuvent faire l’impasse puisque ces deux courts titres n’apportent pas grand chose à la mythologie (et chronologie) de l’homme chauve-souris – à l’inverse de la version 2022/2023 qui place son récit dans la série Batman de Scott Snyder. D’autant plus qu’il faut débourser 17 € pour à peine une centaine de pages de bandes dessinées, quand on ne connaît pas spécialement Spawn il n’y a pas forcément de raisons de se lancer dedans.

Comme évoqué plus haut, une bonne solution de rapport qualité/prix (et nombre de pages/prix) aurait été de compiler la troisième histoire (2022/2023) dans un seul et même livre (avant ou sans les bonus proposés) pour combler à peu près tout le monde. Il est toujours difficile d’anticiper si cela aurait été mieux accueilli ou non, d’autant plus que ces deux éditions sont aussi proposées avec deux variantes (augmentant au passage le prix à 20 € pour celle de 1994 et 22 € pour l’autre !). Les collectionneurs et complétistes seront probablement conquis par ces jolies propositions. Le lecteur « lambda » (ce n’est en aucun cas un terme péjoratif) y trouvera peut-être moins son compte (36 € au total pour trois histoires d’une cinquantaine de pages dont une assez moyenne, ça commence à piquer).


Illustration de Greg Capullo pour le crossover Spawn/Batman, 1993

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 1994 Spawn/Batman #1 + Batman/Spawn: War Devil #1
Nombre de pages : 168

Scénario : Doug Moench, Chuck Dixon, Alan Grant, Frank Miller
Dessin & encrage : Klaus Janson, Todd McFarlane
Couleur : Klaus Janson, Steve Buccellato, Steve Oliff, Olyoptics

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurice

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Batman / Spawn (1994) couverture alternative (20 €)


 

Vie du site (fin 2022-2023)

Bonjour à tous,

C’est l’heure du désormais traditionnel billet qui partage un peu la vie du site pour un bilan des douze mois écoulés (depuis l’été 2022), ce qui devrait arriver, les fiertés et les frustrations, les collaborations et vos questions éventuelles.

On en avait donc parlé les étés précédents (fin juillet 2021 puis mi-août 2022), il est grand temps de revenir de façon un peu plus subjective sur l’évolution du site. En terme d’ergonomie (et design), très peu de changement si ce n’est le déplacement de la catégorie Index carrément sur le bandeau du haut (au lieu de son ancienne place dans la section Guide). Les Index sont devenus nombreux au fil des années, très pratiques pour les lecteurs de s’y retrouver, il était donc normal de les mettre en avant. Ceux sur les crises DC Comics (petite fierté personnelle que de l’avoir conçu et alimenté) et de la saga Injustice m’ont convaincu de la nécessité d’agencer cela autrement.

Côté critiques, j’essaie toujours d’écrire celles sur les nouveaux comics Batman (et Justice League) en même temps que leur sortie (un peu en amont ou durant les jours suivant) afin de pouvoir coller à l’actualité. En parallèle, j’essaie de terminer quelques titres cultes toujours pas chroniqués sur le site (cette année ce fut les grandes sagas Injustice et Infinite Crisis mais aussi, dans une moindre envergure, les séries Batman : Detective et Batman Detective Infinite).

Au total, ce sont presque 70 critiques de comics qui ont été rédigées depuis un peu plus d’un an ! On est donc à plus d’une par semaine. Et cela, sans compter les films (les deux de Tim Burton, Batman et Batman – Le défi, ont enfin été ajoutés sur le site en même temps que The Flash), les index divers (toujours celui de Chronicles important) et le jeu vidéo Gotham Knights. Parmi toutes les chroniques de comics, en dehors de ceux cités juste avant, je suis plutôt satisfait d’avoir réussi à suivre le rythme de la collection One Bad Day (pas très difficile certes vu leur faible nombre de pages) mais cela a permis d’orienter les éventuels acheteurs en temps et en heure ainsi que d’une invitation sur le site de Bruce Lit.

En terme de coups de cœur, l’année a été assez pauvre pour du Batman pur et dur, les curiosités marquantes se situant principalement chez ses alliés ou ennemis : One Bad Day – Le Sphinx, Catwoman – Lonely City, Red Hood – Souriez !, Gotham City – Année un. Seul Batman/Catwoman (novembre 2023) parmi les titres chroniqués ces douze à treize derniers mois nous a semblé sortir du lot avec l’homme chauve-souris un peu plus en avant (et encore, il y a surtout Selina Kyle), ainsi que le chouette Robin & Batman (idem, beaucoup de Dick Grayson, forcément). Aucune aventure réellement « solo » donc, malgré les quelques éléments sympathiques de The Knight et One Dark Night.

L’occasion d’aborder l’agacement du cruel manque de temps et de l’équilibre nécessaire pour ne pas être lassé (des comics et des chroniques) dans ce travail. Ainsi, la saga Metal, le run de Grant Morrison et quelques autres fictions emblématiques (Paul Dini présente Batman, Meurtrier et Fugitif, Final Crisis…) n’ont toujours pas été critiquées sur le site. Ce sera l’objectif de fin 2023/début 2024 ? On espère (l’actualité du Chevalier Noir hors comics risque d’être assez pauvre à part la suite du film JokerFolie à deux – et la série Le Pingouin dérivée du film The Batman)… J’aimerais achever un autre projet en parallèle (pour les 20 ans de la série Lost – ceux qui me connaissent savent de quoi je parle).

Arriveront en critiques prochainement : les deux premiers volets de la série Batman Nocturne, les deux Batman Spawn, la suite de Dark City, le fameux Batman & Joker Deadly Duo, les Nightwing Infinite et peut-être les Poison Ivy Infinite (en plus, évidemment, des quelques récits complets ou séries anciennes). Côté « analyse » ou « dossiers » (pas vraiment le cœur du site), un article sur les lectures obligatoires/primordiales/facultatives par run d’auteur est prévu. Comme toujours, je reste disponible via les commentaires ou mes réseaux sociaux (Thomas Suinot) ou la page Facebook du site 🙂

Bonne fin d’année à tous !

Gotham City : Année un

[Résumé de l’éditeur]
Deux générations avant Batman, le détective privé Slam Bradley se retrouve mêlé au « kidnapping du siècle » lorsque l’enfant héritier des Wayne disparaît dans la nuit… Lancé à sa recherche, il découvre vite que les faux-semblants se multiplient, et que les justes ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Ainsi débute l’histoire brutale d’une Gotham devenue moderne, cité d’abord radieuse abritant en son sein le vice, la violence et la corruption, et prête à déverser le chaos sur ses habitants.

[Début de l’histoire]
Sue, une jeune femme, se rend au bureau du détective privé Slam Bradley. Elle affirme n’être qu’une messagère chargée de lui remettre cent dollars ainsi qu’une enveloppe scellée que lui-même devra donner en main propre à Richard Wayne.

Ce dernier, homme estimé dans la ville grâce à sa fortune et celle de sa femme Constance sont justement terrorisés. Leur fille Helen a été kidnappée et le(s) ravisseur(s) n’ont pour l’instant rien réclamé…

En jouant l’intermédiaire, Bradley est vite soupçonné d’être mêlé à cette disparition, lui aussi enquêtant sur la mystérieuse Sue et les bas fonds de Gotham

[Critique]
Un polar ambiance 60’s, des connexions éparses à la mythologie de Batman, une enquête complexe, un certain « révisionnisme » de l’héritage des Wayne, un rythme haletant… Gotham City : Année un est un véritable coup de cœur mais – attention – il ne faut pas s’attendre à une aventure du Chevalier Noir (ce dernier apparaît furtivement comme auditeur attentif de l’histoire narrée par le détective Slam Bradley. Ce nom n’est pas inconnu chez DC Comics, c’est même l’un des premiers protagonistes apparaissant dans Detective Comics #1 en 1937 (!), crée par Jerry Siegel et Joe Shuster, les papas de Superman (!!). Le privé évolue principalement dans l’Âge d’or des super-héros jusqu’aux années 1950 avant de disparaître petit à petit des publications de l’éditeur.

S’il change physiquement à plusieurs reprises, son caractère et ses fonctions restent plutôt identiques, revenant ici et là aux côté de Superman ou Batman et Robin. On le remarque surtout au début des années 2000 sous la plume d’Ed Brubaker et Darwyn Cooke (qui la dessine également) dans des récits avec Catwoman. La relation entre Slam et Selina relance un peu l’intérêt pour le personnage et provoque de beaux résultats (cf. Catwoman – Le dernier braquage). Absent depuis le relaunch de 2011 de DC Comics, c’est le prolifique scénariste Tom King qui offre à Slam Bradley une nouvelle version, corrélée aux grands-parents de Bruce Wayne et à Gotham City. L’historique de Bradley est à découvrir brièvement sur sa page Wiki (en anglais) ou dans la passionnante postface signée de l’éditeur Yann Graf.

Gotham City – Année un débute dans une Gotham méconnaissable où il fait bon vivre et où chacun se sent en sécurité. Richard et Constance Wayne sont les parents de la petite Helen, kidnappée et dont le privé Slam Bradley est chargé par Sue, une mystérieuse femme noire, de jouer les intermédiaires entre les Wayne et le(s) ravisseur(s). Bon gré mal gré, Bradley enquête à sa façon de son côté, principalement grâce à la complicité de Constance Wayne. Difficile d’en dévoiler davantage sans gâcher le plaisir de lecture tant il y a différents rebondissements, une narration palpitante et des figures empathiques dignes de « film noir ». La fiction n’hésite pas à soulever des sujets « durs » comme les comics en font rarement (on se rappelle par exemple de la pédophilie dans La cible de Deadshot).

C’est un véritable polar qui mêle donc les ancêtres de Bruce avec la transformation de Gotham City en filigrane, sur fond sociétal de racisme (en ce sens, très proche de la véritable évolution des États-Unis) et d’inspirations cinématographiques (King cite volontiers Chinatown de Polanski), littéraires (les romans de Ross Macdonald – créateur du privé Lew Archer, adapté aussi sur grand écran et incarné par Paul Newman deux fois) et réelles (l’affaire du bébé Lindberg). L’écriture est solide, palpitante, efficace. Tom King réussit à un de ses coups de maître, lui qui est souvent clivant, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, parfois raté comme dans Batman – Killing Time, sorti le même jour en France que ce Gotham City – Year One (son titre VO).

Il est vite révélé que Bradley, très âgé, raconte son histoire à Batman à son chevet. Ce sera le seul véritable lien avec le Chevalier Noir ; mais ce n’est pas grave du tout ! Au contraire, l’œuvre regorge de clins d’œil souvent pertinents : la future Batcave est évoquée, Ace Chemicals également, Crime Alley et même un Bat-Man en symbole de signature. Vu la double thématique (aïeuls de Bruce et ville de Gotham), impossible de ne pas penser (toutes proportions gardées) à Batman – Curse of the White Knight et Les portes de Gotham (et même le film Joker – par rapport aux émeutes grandissantes dans la métropole). Si dans ces œuvres les ancêtres Wayne sont esquissés ou différents, on retrouve dans Gotham City – Année un deux parents froids et antipathiques, bien loin de l’altruisme de leur futur autre fils (Thomas) et, bien sûr petit-fils (Bruce).

En six épisodes, l’ont suit donc le détective Slam Bradley qui gravite dans cet univers si familier mais si éloigné. On aurait aimé avoir peut-être plus de visions et planches sur la ville (après tout, le comic book porte son nom) mais il faut prendre ce Year One au même titre que ceux sur Batman, Robin, Batgirl, Ras al Ghul : un nouveau départ (en l’occurrence d’une cité qui va être gangrenée par la violence au fil du temps). C’est davantage l’enquête, le travail sur les héros et anti-héros qui séduit, couplé à la proposition visuelle.

Le dessinateur Phil Ester rappelle indéniablement le style de Darwyn Cooke (déjà cité pour Catwoman – Le dernier braquage, aussi connu pour Batman – Ego entre autres, The New Frontier…) mais aussi Eduardo Risso (Cité brisée…). Des traits anguleux, un découpage dynamique parfois déstructuré, beaucoup d’aplats côté colorisation (signée Jordie Bellaire) pour jouer avec les ombres, réduites de temps en temps à une ou deux seules teintes – on pense aussi au style de Frank Miller, entre autres sur Sin City (jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn). En somme, il y a une véritable identité graphique qui se dégage de Gotham City – Année un, bien aidé par cette homogénéité plaisante, malgré quelques détails manquants ou émotions sur des visages.

On recommande donc cette œuvre, certes volubile (comme souvent chez Tom King) mais sans être trop verbeuse ou prétentieuse (idem), gage de qualité ici dans une investigation qui s’y prête, aussi bien sur le fond que la forme. Gotham City – Année un devrait ravir les amateurs du genre, propre au registre du « film noir » ou simplement les curieux d’une aventure « différente » dans l’univers de Batman (celle-ci se déroule bien dans sa chronologie même si elle peut aisément être considérée comme indépendante). Ce n’est d’ailleurs étonnamment pas sorti dans le Black Label chez l’éditeur. Pour ce site c’est l’un des coups de cœur de cette fin d’année 2023 !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Gotham City : Year One #1-6
Nombre de pages : 208

Scénario : Tom King
Dessin : Phil Ester
Encrage : Eric Gapstur
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Scribgit

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