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Paul Dini présente Batman – Tome 1 : La mort en cette cité

Le célèbre scénariste Paul Dini (Batman, la série animée) s’empare de la série Detective Comics pour un run en trois tomes (le dernier compile en revanche la série Streets of Gotham). Le premier volume, chroniqué ici, est constitué de plusieurs épisodes assez indépendants, des mini-enquêtes plaisantes mais pas forcément mémorables. Les volets deux et trois se concentre(ro)nt sur le retour de Tommy Eliott/Hush/Silence. Découverte du premier opus, La mort en cette cité, publié en France en 2015.

[Résumé de l’éditeur]
Batman n’est pas seulement un super-héros, il est aussi le plus grand détective du monde. Si ses enquêtes l’amène souvent à se confronter à la pègre de Gotham, il devra cette fois-ci s’escrimer devant la haute société. Sur son chemin, il croisera le Sphinx, devenu enquêteur pour les plus fortunés, et développera même une romance contrariée avec la magicienne Zatanna.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Difficile de décrire davantage le début de l’histoire tant ce volume en regroupe plusieurs sous forme d’épisodes quasiment indépendants. Dix récits sont ainsi proposés (un en deux chapitres qui se suivent) avec une qualité, forcément, plutôt inégale. Dans l’ordre, on a Les belles gens (Detective Comics #821) où Batman et Robin (Tim Drake) poursuivent Erik Hanson, alias Façade, un nouvel ennemi créé pour l’occasion. Ce n’est guère intéressant mais les jolis dessins et le découpage original de J.H. Williams III permettent de passer un bon moment malgré tout.

E. Nigma, détective privé (DC #822) place la première pierre d’une petit fil rouge qui reviendra trois/quatre fois dans l’œuvre : le Sphinx est en pleine rédemption et s’est mis à son compte en tant que privé. Ce n’est pas expliqué par l’éditeur mais Nygma avait découvert l’identité de Batman dans Silence puis avait enchaîné plusieurs évènements importants (peu publiés chez Urban Comics) avant d’être dans le coma et perdre une partie de sa mémoire, cf. le bloc Aftermath de la biographie du Riddler sur Wiki (en anglais).

Il y a d’abord eu quelques segments issus des séries Gotham Knights, Batman et Legends of the Dark Knight (disponibles chez Panini Comics à l’époque dans leur magazine dédié au Chevalier Noir et chroniqués au tout début de la création de ce site, cf. index Hush / Silence, s’y référer pour les détails). Ensuite plusieurs combats et interactions avec Green Arrow et enfin son évasion dans Infinite Crisis (notamment dans le deuxième opus) et l’affrontement qu’il l’avait apparemment plongé dans le coma, avant de revenir ici dans ce Paul Dini présente Batman.

Bref, dans cet épisode, le Sphinx et Batman collaborent pour une enquête plaisante mais vite oubliable. Graphiquement, Don Kramer (qui signe tous le reste du comic book à part un chapitre), livre un travail tout à fait correct, pêchant sur les visages humains de temps en temps mais usant d’un trait globalement élégant et ajoutant une certaine ambiance, à la fois mainstream et sombre. La colorisation de John Kalisz contribue à cette patte visuelle réussie par ses effets d’ombre, moins sur les nuances « chair » et donc de peau.

Dans Traqué (DC #823), Poison Ivy, habilement croquée par Joe Benitez, est mise en sécurité dans la Batcave, de quoi livrer un épisode assez passionnant où L’Empoisonneuse occupe une place importante. La nuit du pingouin (DC #824) met évidemment en avant Oswald Copplebot, lui aussi essayant d’être un peu plus respectable, notamment en gagnant de l’argent légalement. De quoi retrouver éphémèrement le Sphinx dans son nouveau rôle et Zatanna, qu’on croisera plus tard plus longuement. Sympathique mais sans plus.

Sur une pente glissante (DC #826) est probablement l’épisode le plus réussi. Tim Drake est kidnappé par le Joker et tous deux sont ensuite dans une voiture pour un road-trip atypique et sanglant. Moins porté sur l’aspect enquête qui caractérise le volume, cette parenthèse rythmée et remettant bien en place l’ADN du Joker, l’un des rares ennemis emblématiques du titre qui n’est pas en quête de rédemption, est une bouffée d’air frais fortement appréciable ! Suit Double discours (DC #827) où une nouvelle ventriloque officie dans Gotham. Un chapitre plaisant qui ajoute une antagoniste charismatique et un peu mystérieuse.

Dans Le requin de la finance (DC #828), le Chevalier Noir mène l’enquête sur l’assassinat d’un de ses amis maquillé en accident. Pour l’occasion, le justicier renoue avec le Sphinx et tous deux collaborent à nouveau bon gré mal gré. Comme en famille (DC #831) montre cette fois Harley Quinn, elle aussi en pleine rédemption et en demande de liberté conditionnelle. Pour prouver sa bonne foi elle s’infiltre même dans le gang féminin de la nouvelle ventriloque (celle découverte peu avant). Un segment sympathique où Harleen est particulièrement soignée et vêtue de son costume légendaire de la série animée (et donc co-créée par Paul Dini).

Zatanna est ensuite au cœur de la fiction avec En toute confiance (en deux parties, DC #833-834). Là aussi il manque un peu de contextualisation de la part de l’éditeur qui n’explique pas les erreurs commises dans Justice League – Crise d’identité (il y a bien un renvoi vers ce chef-d’œuvre mais pas de justification). En gros, Zatanna « lavait le cerveau » de certains ennemis afin de les rendre plus gentils et avait effacé une petite partie la mémoire de Batman qui avait découvert cela. Batman et Zatanna se confrontent ici à un énigmatique vilain (en réalité quelqu’un qu’ils connaissent très bien). Une réunion assez épique et un binôme relationnel ambigu très appréciable.

Enfin, Entraide criminelle (DC #837) est centré sur le Sphinx et Harley Quinn, qui cherche sa voie chez les Amazones. Un récit un peu bordélique mais parfois drôle. Il aurait été judicieux de le placer avant l’histoire précédente afin de conclure les arcs Sphinx et Quinn du comic et d’achever « en beauté » l’ensemble avec la partie sur Zatanna et Batman. Rien de grave en soi et, comme on le soulignait plus haut, Don Kramer est plutôt efficace dans son travail graphique pour accompagner Paul Dini, plus ou moins inspiré dans son écriture : les intrigues sont sympathiques, les dialogues sonnent naturels mais il manque ce quelque chose qui rendrait l’ensemble bien plus passionnant. Chaque épisode est illustré par une couverture de Simone Bianchi en noir et blanc, de superbes illustrations (comme celle du livre) qui ajoute un certain cachet visuel non négligeable.

En synthèse, La mort en cette cité renoue avec l’approche enquête propre à la série Detective Comics. Malheureusement, proposer un récit presque autonome par chapitre peine à fédérer. Ce côté non feuilletonnesque casse à la fois une certaine immersion dans la lecture et semble diminuer les enjeux (pas de réels danger, peu d’évolutions côté Batman, etc.). Au programme, on a donc une sorte d’émancipation commune chez plusieurs vilains (Harley Quinn, le Sphinx, le Pingouin…), un nouvel allié imprévu qui revient de temps à autre (le Sphinx) et une Ventriloque modernisée mais vite évacuée. La lecture n’est pas désagréable, bien au contraire, mais vite oubliable, c’est un peu dommage.

À noter que plusieurs chapitres de Detective Comics se déroulant majoritairement entre ceux vus ici ne sont pas inclus dans l’ouvrage car non scénarisés par Paul Dini. Commençons par trois qui furent disponibles en France. Pour les trouver (en attendant le Batman Chronicles de Detective Comics de 2007 – donc dans un paquet d’années !), il faut se tourner vers l’ancienne édition de Panini Comics (dans le format Big Book) intitulée Batman – Le cœur de Silence. Oui, le même titre que le second tome de Paul Dini présente Batman chez Urban. Cet ouvrage contenait les épisodes #829-830 puis #841-850, soit trois « inédits » (non republiés par Urban) : les #829-830, formant une histoire complète (Siège), par Stuart Moore, et le #842 (La cotte des tourments), de Peter Milligan. Siège se déroulait intégralement dans un immeuble avec Wayne en civil et Tim Drake présent face à un terroriste qui faisait sauter certains étages. Beaucoup d’action et de tension, un court récit pas mal du tout. La cotte des tourments fait référence à une veste/armure éponyme offerte à Batman par Talia al Ghul. Le justicier remonte aux sources du vêtement, en proie à une certaine malédiction. Plutôt anecdotique…

Le #825 (The Return of Dr. Phosphorus) n’est jamais sorti en France et le #832 (Triage) fut publié dans le magazine Superman & Batman de Panini Comics en décembre 2008; tous deux de Royal McGraw. Le premier est centré sur le Dr. Phosphore et le second sur le fameux « trio infernal », connu surtout grâce Batman, la série animée (étonnamment, cet épisode n’est pas de Dini !). Les #835-837 sont de John Rozum (Absolute Terror) et mettent en scène L’Épouvantail (non publiés en France). Enfin, la suite directe de la série Detective Comics par Dini est La résurrection de Ra’s al Ghul (#840) juste avant Le cœur de Silence (à partir du #841).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 16 janvier 2015
Contient : Detective Comics #821-824, #826-828, #831, #833-834, #837
Nombre de pages : 272

Scénario : Paul Dini
Dessin : Don Kramer, J.H. Williams III, Joe Benitez
Encrage : Wayne Faucher, J.H. Williams III, Victor Llamas
Couleur : John Kalisz

Traduction : Mathieu Auverdin et Alex Nikolavitch
Lettrage : Stephan Boschat (Makma), Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille)

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Batman Dark City – Tome 2 : L’homme chauve-souris de Gotham

Après un premier opus orienté action, superbement dessiné mais au scénario un peu simpliste et improbable (cf. critique de Failsafe), que vaut le second tome de la série de Chip Zdarsky ?

[Résumé de l’éditeur]
Depuis la disparition de Batman, les rues malfamées de Gotham sont aux mains des pires criminels, et des individus tels que Killer Croc ou Harvey Dent brutalisent la population en toute impunité. Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ? Comment peut-il rester sourd aux appels de ceux qu’il s’était pourtant juré de protéger ? Traqué par un certain « Red Mask », reste-t-il même à Bruce Wayne une infime possibilité de sauver sa peau avant de voir sa ville s’écrouler ?

[Début de l’histoire]
Après avoir été touché par Failsafe (cf. tome un) et disparu, Batman se réveille dans une ruelle de Gotham, blessé. Un étrange commissaire Gordon « fantôme » lui parle.

Bruce Wayne découvre qu’il a atterri dans une dimension où son alter ego justicier n’existe pas (pire : le milliardaire est même mort !). Les habitants ont peur et sont sous le joug de plusieurs ennemis dont « le juge », alias Harvey Dent, lui-même obéissant au « Red Mask ».

Heureusement, Bruce peut compter sur l’aide de Jewel, une adolescente qui le recueille et le soigne. La Selina Kyle de ce monde sera-t-elle une alliée ou une ennemie ?

En parallèle, Tim Drake/Red Robin refuse de croire que son mentor est décédé et va tout faire pour le localiser dans les autres univers et aller le chercher.

[Critique]
Contrairement à ce que suggère le résumé d’Urban Comics (et très étonnamment), le postulat de départ est simple : Batman a atterri dans une autre dimension. C’est martelé d’entrée de jeu en avant-propos (avec un très bon résumé du premier volet – évitant de devoir le relire ou à la rigueur les deux ou trois dernières pages si besoin) et dès les premières planches de la bande dessinée qui s’inscrivent comme la suite direct de Failsafe. C’est dans cette Gotham inédite qu’évolue un Bruce Wayne (plus ou moins) affaibli après tous ses combats de l’opus précédent. Mais – comme à son habitude, au point que ça en est parfois risible –, ce Chevalier Noir est quasiment immortel et imbattable ; il se donne à nouveau comme objectif de combattre l’injustice et restaurer un semblant de paix dans la ville.

En effet, dans cette Gotham City, les citoyens semblent avoir peur et être étrangement passifs. Il faut dire qu’il n’y a pas de Batman dans cette dimension. Par contre il y a les actions du Juge (Harvey Dent), violent et radical au possible, gonflé au Venin (de Bane). Il agit sous les ordres du mystérieux « Red Mask ». De quoi découvrir quelques versions alternatives de figures familières : Selina Kyle, Punchline, le Sphinx, Killer Croc, etc. C’est surtout Selina qui est mise en avant avec Darwin Halliday, l’homme derrière « Red Mask » (ersatz d’un équivalent de Joker, annoncé d’entrée de jeu…).

La fiction, extrêmement bien rythmée et beaucoup portée sur l’action (comme dans Failsafe), s’étale sur cinq chapitres (la série Batman #131-135) et leurs quatre premiers backs-up dédiés et centrés sur Tim Drake/Red Robin, dans le « monde habituel » de Batman, à la recherche de son ancien mentor, aidé par Mr Terrific. Le scénariste Chip Zdarsky continue un travail à la fois intéressant, ponctué de quelques beaux moments mais aussi de certains loupées (on y reviendra) et à la fois improbables (idem).

Parmi les réussites, il y a bien sûr cette épopée singulière où l’on sent que l’auteur se fait plaisir. Il créé une nouvelle alliée à Batman (Jewel) et dresse une réflexion pas inintéressante, non pas sur le multivers, mais sur l’ADN du Joker et ses variants (est-il mauvais quoiqu’il arrive ou sombre-t-il dans la folie suite à des évènements traumatisants ou à cause de Batman ?). De quoi converger lors de sa dernière ligne droite pour un voyage dans les différentes dimensions assez sympathique à défaut d’être réellement épique. Ne lisez pas le paragraphe suivant pour ne pas avoir trop de révélations et passez à celui d’après si jamais (et ne descendez pas tout en bas de cette critique car les trois dernières illustrations après l’image de Tim Drake/Red Robin spoilent aussi un peu).

Dans la dernière ligne droite de ce second tome (le chapitre #135, en réalité le 900ème de la série Batman si l’on ignore la nouvelle numérotation, rallongé de quelques pages pour l’occasion), on croise donc différents Batman iconiques : celui des films de Tim Burton campé par Michael Keaton, celui de la série des années 1960 interprété par Adam West, ceux de The Dark Knight Returns et Batman Beyond (La Relève) – les deux qu’on voit le plus –, ceux de différents autres comics (Kingdom Come, Batman Vampire, etc.). Cette fournée de caméos plus ou moins forcés est – comme on l’a souligné – agréable à voir et à lire mais aurait pu aboutir une réunion incroyable qui n’a malheureusement pas lieu. C’est un peu dommage…

Chip Zdarsky propose donc un peu de « fan-service » appréciable mais réussit davantage à toucher le lecteur quand il soigne le personnage de… Tim Drake. En effet, quand ce dernier retrouve éphémèrement sa mère et, in fine, Batman, l’émotion pointe le bout de son nez grâce à l’énergique bienveillance de Drake et la puissance de ses différentes retrouvailles. Malheureusement, l’auteur n’arrive pas à insuffler la même chose lorsque Batman rencontre… Alfred. Il y a bien un ou deux moments « forts » mais il manquait quelques cases de plus, couplées à un texte davantage percutant et peut-être une meilleure mise en scène visuelle. Ce n’est pas très grave au demeurant mais on ressent un déséquilibre sur ce sujet. On aurait aussi voir le couple Alfred/Leslie plus approfondi.

Attention également, sujet clivant (passez à nouveau ce paragraphe mais aussi le suivant si jamais) : Timothy Drake est désormais bisexuel (en couple avec un certain Bernard) ! Pas l’éventuel Tim existant dans cette autre dimension mais le Tim de la continuité habituelle (donc celui resté dans « le monde classique » et la chronologie officielle de Batman). Cela peut paraître surprenant de prime abord car (si l’on n’a pas suivi des titres en VO) on peut légitimement s’étonner qu’il n’y ait jamais eu de mention de cette orientation sexuelle chez ce célèbre protagoniste depuis des années. Cette évolution a bel et bien été abordée (de façon cohérente en plus) mais dans un titre qui n’a pas été publié en France. Urban Comics manque donc à son devoir en ne contextualisant pas ici cette « nouvelle » orientation sexuelle (via une astérisque et mention en bas de case ou en s’y attardant plus longuement en avant-propos ou postface éditoriale) : le coming-out et les explications sont à lire dans la série de 2021 Batman : Urban Legends, dans le segment sur Tim Drake (seul celui sur Red Hood est sorti chez nous, cf. Souriez !).

C’est l’autrice Meghan Fitzmartin qui l’évoque dans Tim Drake in Sum of our parts – en trois épisodes où Tim sauvait justement Bernard –, inclus dans Batman : Urban Legends #4-6 et se poursuivant dans le #10 (Tim Drake in A carol of Bats) et… désormais dans la continuité officielle à travers cette série Dark City par exemple. Ces chapitres rendent donc plausibles ce changement d’orientation sexuelle qui peut apparaître soudain aux yeux des lecteurs ne suivant pas la VO (et pour qui il aurait pu, légitimement, manquer un dialogue pour l’expliquer tout en conservant une cohérence dans l’évolution du personnage). Cet aspect sera un élément critique chez certains (qui crieront au « wokisme », terme galvaudé devenu bien éloigné de sa définition initiale), là où d’autres apprécieront au contraire cette sorte de « progressisme ». Comme toujours, on laisse le lecteur arbitrer sur ce point. Cela pourrait être l’occasion pour Urban Comics de sortir une anthologie sur Tim Drake, tant ses nombreuses séries où il occupe une place centrale manquent en France !

Chip Zdarsky ajoute quelques éléments qui font tâche : un commissaire Gordon imaginaire sous forme de squelette amusant, une main coupée de Batman sans grandes conséquences pour lui (il s’en remet aisément), elle sera même « réparée » de façon invraisemblable, un combat contre un requin qu’on ne détaillera pas et qui s’étale trop longuement, un Ghost-Maker surpuissant… Finalement, le scénariste reproduit un peu « le même travail » que ses prédécesseurs. Les guillemets sont de mise car il ne s’agit évidemment pas de calquer les mêmes histoires mais plutôt de constater une application d’une recette plus ou moins similaire avec des ingrédients plus ou moins identiques.

En résulte chaque fois de très bonnes choses mais d’autres moins palpitantes. En somme : une offre inégale, comme c’était le cas pour les séries longues de Batman opérées par Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et James Tynion IV. Certes, nous n’en sommes qu’au second volume du run de Zdarsky et il y a encore probablement beaucoup à découvrir mais l’on peut déjà dresser ce petit constat. La série n’est pas mauvaise mais elle n’est pas exceptionnelle non plus, elle reste un (énième) « divertissement efficace », à nuancer évidemment en fonction de ses attentes et exigences (et compte en banque).

Visuellement, c’est Mike Hawthorne (Deadpool, G.I. JOE: Origins, Conan: Road of Kings, Daredevil…) qui remplace Jorge Jiménez. Le résultat est tout à fait correct sans faire d’éclat, hélas. L’artiste n’a pas vraiment un style graphique propre à lui qui rendrait son travail plus alléchant. C’est assez convenu, les traits sont trop gras et les expressions faciales parfois proches de la caricature. La colorisation de Tomeu Morey relève un peu l’ensemble ; de toute façon on reconnaît les personnages (ou plutôt leurs variants) et les scènes d’action sont lisibles. C’est donc suffisant pour ce Batman Dark City, même si passer après Jiménez fait (forcément) un peu tâche mais permet de se justifier un peu en se disant que Hawthorne a « sa » dimension là où Jorge Jiménez à la sienne. Ce dernier revient justement à la fin, pour illustrer les voyages rapides entre les dimensions (et donc les différents Batman), c’est évidemment du grand art ! Le dessinateur réussit même à calquer chaque patte des univers dépeints (cf. liste plus haut – et trois des images tout en bas).

Miguel Mendonça s’occupe des dessins des backs-up (toujours écrits par Zdarsky) avec une certaine finesse et élégance bienvenue. Mikel Janin signe aussi quatre planches à la place d’Hawhtorne dans le cinquième épisode sans que l’on sache vraiment pourquoi, cassant l’homogénéité visuelle qui régnait à peu près. Une fois de plus : ce n’est pas très grave et ne gâche en rien l’immersion de la fiction. Comme souvent, l’ouvrage se referme sur une riche galerie de couvertures alternatives, la plupart très réussies. L’homme chauve-souris de Gotham est donc un peu plus original (dans son écriture) que Failsafe mais moins marquant dans sa partie graphique. Inégal mais toujours aussi bien rythmé (la grande force de Zdarsky), le comic book se lit sans déplaisir (malgré ses quelques défauts relevés) et, à l’instar du précédent, donne envie de découvrir la suite, qui sortira le 23 février 2024 (et mêlera les évènements Knight Terrors et Gotham War – un sacré bazar) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 6 octobre 2023.
Contient : Batman #131-135
Nombre de pages : 208

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Mike Hawthorne, Jorge Jiménez, Mikel Janin, Miguel Mendonça
Encrage : Adriano Di Benedetto, Jorge Jiménez, Mikel Janin
Couleur : Tomeu Morey, Romulo Fajardo Jr., Roman Stevens

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

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Batman / Spawn (2022-2023)

Presque trente ans après les deux premières rencontres entre Batman et Spawn (en 1994, cf. critique de l’opus dédié), les deux icônes des comics se retrouvent dans un récit publié aux États-Unis en 2022 puis le 10 novembre 2023 en France (d’où cette précision « 2022-2023 » dans le titre de cette critique). Pour l’occasion, c’est Todd McFarlane (créateur de Spawn) qui écrit le scénario et Greg Capullo qui l’illustre, dessinateur historique de Spawn pendant des années mais aussi de Batman période Renaissance/New52 (et d’autres ensuite comme la saga Metal) !

[Résumé de l’éditeur]
Deux héros, maudits par de sombres tragédies, voient leurs chemins se croiser à nouveau… mais pas par choix ! Quel sinistre ennemi est à l’œuvre, opposant le Chevalier Noir aux Hellspawn ? Des ombres de Gotham City à New York, cet événement épique est la superproduction que vous attendiez depuis plus de vingt ans !

[Début de l’histoire]
Spawn a entendu parler d’un être régissant comme lui, la « bête noire » (Batman) et part à sa rencontre.

À Gotham, la nuit de l’anniversaire de la mort de Martha Wayne, le Chevalier Noir se rend à un mystérieux endroit et découvre une perle ressemblant à celles du collier de sa défunte mère.

Un membre de la Cour des Hiboux le confronte…

[Critique]
Pour les non connaisseurs de Spawn, une très longue présentation et contextualisation est disponible dans la critique de Batman / Spawn 1994. Ce précédent opus proposait deux fictions, une très moyenne et une plus intéressante (surtout graphiquement). Dans cette version 2022-2023, Todd McFarlane transpose son récit dans l’univers de Batman de Scott Snyder et Greg Capullo (forcément), donc dans la série Batman (La Cour des Hiboux, L’An Zéro, Le Deuil de la Famille, Mascarade…).

Ainsi, le binôme convoque la célèbre Cour des Hiboux, un ergot et même le Joker et son look si singulier de l’époque (son visage arraché et remis comme s’il portait un masque). Cela inscrit donc le récit dans un monde qu’il faut (idéalement) déjà connaître un petit peu… Si c’est le cas (et qu’on l’apprécie) alors le plaisir d’y retourner est décuplé ! De la même manière, le titre évoque plusieurs éléments du Spawn Universe (comme les alliés de Spawn, certains de ses ennemis et ainsi de suite), rien de compliqué qui gâcheraient la compréhension de la fiction mais, une fois de plus, c’est davantage plaisant si l’ont est déjà familier avec tout ça.

L’intrigue fonctionne plutôt bien même si elle se complexifie inutilement par aspect (notamment pour le court segment autour du Joker) et forme une histoire assez passionnante mais qui semble appeler à une suite, d’où une petite frustration. On a parfois du mal à reconnaître la plume de McFarlane tant on dirait du Snyder et certains de ses gimmicks (notamment des allusions poussées au passé, des complications un peu futiles comme déjà évoqué). Le scénario demeure malgré tout assez malin (avec un rebondissement peu prévisible), bien rythmé et offre une trame plutôt haletante.

Aux pinceaux, Greg Capullo livre un travail extraordinaire, on sent l’artiste particulièrement appliqué à mettre en scène deux de ses icônes mythiques sur lesquels il a œuvré tant d’années. Si ce Batman/Spawn s’intercale davantage dans Gotham City (et, d’une manière générale, la mythologie du Chevalier Noir), le suppôt du diable de New-York n’est pas en reste, proposant un duo cette fois habile et qui avance main dans la main (à l’inverse des deux précédentes rencontres où une guerre d’ego annulait pas mal cet effet). Le découpage est particulièrement dynamique, les scènes d’action lisibles, visuellement c’est très fluide aussi, un brin plombé par un surplus de narration de temps en temps mais rien de trop gênant. Jonathan Glapion est à l’encrage additionnel et la colorisation de Dave McCaig, proche de ce que faisait Fco Plascencia sur la série Batman, renforçant son immersion dans la série Batman de 2011.

Si l’on est donc plus convaincu par ce retour très moderne, on peut revenir (à nouveau – cf. bas de la critique de la version 1994) sur le choix éditorial d’Urban Comics. En effet, le titre se déroule sur une petite cinquantaine de pages seulement et trois bonus viennent conclure le livre. D’abord la version encrée en noir et blanc avec les textes en anglais de toute la bande dessinée, ensuite la version crayonnée (noir et blanc également évidemment) et enfin les traditionnelles couvertures alternatives (dont certaines en crayonnées). Ces compléments sont évidemment précieux (et très beaux – cf. images d’illustrations ci-dessous (cliquez dessus pour ouvrir et agrandir dans un nouvel onglet) puis les couvertures sous le bloc À propos) mais gonflent le nombre de pages à 176 pour un prix de 19 € (22 € en version limitée).

Cela rouvre le débat sur le prix pour une « simple et seule » histoire d’une cinquantaine de pages pour un prix assez élevé (malgré les bonus), cf. la collection One Bad Day récemment. Si les collectionneurs et fortunés seront ravis de toutes ces éditions, on rappelle que les bourses les plus modestes devront dépenser 36 € pour lire « seulement » les trois récits de Batman/Spawn… Si tout avait été rassemblé dans un seul volume (avec ou sans bonus conséquent), nul doute que le prix aurait été moins cher.

Rappelons que pour le même prix, 19 €, nous avons Gotham City : Année Un, Batman Killing Time et Batman Dark City – Tome 2 qui viennent de sortir et comptent environ 200 pages, permettant donc aisément de regrouper les trois Batman/Spawn et même plusieurs pages complémentaires… De la même manière, le second tome de Poison Ivy Infinite (lui aussi sorti peu avant) compte seulement 8 pages de moins que ce Batman/Spawn et… deux euros de moins également.

Comme toujours, on laisse juge le lecteur/acheteur/client pour arbitrer sur ce sujet. Sur ce site, on conseille malgré tout ce Batman/Spawn sauce 2022, bien plus que celui de 1994. À l’inverse d’ailleurs de l’opus précédent, celui-ci s’adresse directement (et davantage) aux fans de Batman que de Spawn ! Une curiosité dans un bel écrin qui reste à découvrir, encore plus pour les fans de la série de Scott Snyder et Greg Capullo ou tout simplement pour les amoureux du style graphique de ce dernier (cf. toutes les images de cette critique).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 2022 Batman/Spawn #1 + Batman/Spawn #1 NB VO + Batman/Spawn Pencil Unplugged #1
Nombre de pages : 176

Scénario : Todd McFarlane
Dessin : Greg Capullo
Encrage : Jonathan Glapion
Couleur : Dave McCaig

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurive

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Couvertures de Greg Capullo, Gabriele Dell’Otto, Jorge Jiménez et Francesco Mattina.
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