Archives de l’auteur : Comics Batman

Batman – Les derniers jours du Chevalier Noir

Se déroulant à la fois après Final Crisis (dans lequel Batman trouve une supposée mort, tué par Darkseid) et en parallèle du run de Grant Morrison (juste après le premier opus de l’intégrale et au début de la deuxième), ce récit complet s’étale uniquement sur deux chapitres : Batman#686 et Detective Comics #853 – publiés en avril 2009. C’est le grand Neil Gaiman (Sandman, American Gods…) qui écrit cette étrange épopée onirique et Andy Kubert (à l’œuvre sur le début de la saga de Morrison justement) qui la dessine. C’est aussi de cette histoire qu’est tirée la superbe couverture variante d’Alex Ross avec Alfred et le costume de Batman dans ses mains.

Réédité en librairie en mai 2019 par Urban Comics, Les derniers jour du Chevalier Noir contient la version crayonnée pour gonfler le nombre de pages… Quelques années plus tôt, Panini Comics avait proposé ces deux chapitres dans le premier numéro kiosque de Batman Universe (juin 2010) puis dans une version librairie l’année suivante sous le titre Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ?, accompagné de quatre courts récits de Gaiman. Découverte.

 

[Résumé de l’éditeur]
Batman est mort. Darkseid l’a tué. Et pour sa veillée funèbre, amis comme ennemis sont invités. En sa mémoire, tous se prêtent au jeu et se remémorent l’immense Chevalier Noir. Mais Batman est-il vraiment mort ?

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Attention, proposition clivante ! Le célèbre Neil Gaiman (Sandman, Good Omens, Coraline, American Gods, Stardust…) offre sa vision un peu spirituelle autour du Chevalier Noir en seulement deux chapitres (Batman #686 + Detective Comics #853), dessinés par Andy Kubert (Flashpoint, Grant Morrison présente Batman, Dark Knight III…) – on y reviendra. Sans aucune contextualisation (ni de l’auteur britannique, ni de l’éditeur), on apprend que Batman est mort et qu’une veillée funèbre a lieu en sa mémoire, ses anciens alliés et adversaires sont conviés…

Cette absence de conjoncture permet d’ancrer le récit dans une certaine dimension intemporelle, ce qui fonctionne plutôt bien, puisque les épisodes datent de 2009 et passent admirablement bien l’épreuve du temps. En réalité (éditoriale), Bruce/Batman a été tué par Darkseid dans Final Crisis, écrit par Grant Morrison qui ajoutait ce funeste sort à son run en parallèle : évidemment, le justicier n’est pas décédé mais a été propulsé dans le temps, amnésique. Ce qui explique (possiblement) cette situation de départ des Derniers jours du Chevalier Noir.

Gaiman déroule sa fiction onirique sur deux axes, l’un se déroulant devant le cercueil de Batman où se recueillent différents protagonistes phares de l’univers Batman, l’autre évoquant les souvenirs de certains d’entre eux (notamment Selina Kyle et Alfred – on en parle plus loin). C’est là où le récit s’affaiblit : les différents personnages (amis et vilains) sont relégués à de la figuration à de rares exceptions. C’est donc sympathique à voir mais on aurait aimé avec les témoignages davantage développés de plusieurs d’entre eux (chacun a droit a une ou deux cases néanmoins, connectés à l’historique patrimoine de DC sur Batman donc réservés aux fins connaisseurs pour une meilleure appréciation) plutôt que celui de Catwoman, un peu faible et convenu, et du célèbre majordome – remarquable au demeurant, très original et surprenant (mais pouvant offusquer des puristes malgré l’évidence onirique), on ne le dévoilera pas ici.

Si la bande dessinée s’était étalée sur cinq à six épisodes, entretenant un flou volontaire sur le passif de Batman et ses relations historiques, le titre aurait été bien plus marquant et, probablement, qualitatif. Ici, tout va très vite (forcément) et n’avoir mis en avant que deux personnages est dommage. Heureusement, la voix interne et les pensées de Bruce découvrant cette situation tel un narrateur omniscient un peu fantôme apporte un côté plus palpitant – promettant aussi une sorte de conclusion « épique » ou avec un retournement de situation qui… n’arrivera pas vraiment. Ne pas s’attendre d’ailleurs à un récit d’action, ou autre, c’est avant tout une sorte d’ambiance cotonneuse, sensible, une atmosphère atypique.

Difficile d’en dire davantage sans gâcher le plaisir de découverte et de lecture. Par ailleurs, Les derniers jours du Chevalier Noir peut se savourer ou se lire sans aucun plaisir ou bien… les deux. L’auteur de ces lignes le confesse : la première lecture en 2010 n’était pas terrible, la seconde en 2023 nettement meilleure. Cela n’est pas lié au bagage culturel Batman considérablement augmenté durant ces années mais peut-être une évolution ou maturité plus en adéquation avec le propos. Attention, cela ne veut pas dire que cette création de Neil Gaiman est un chef-d’œuvre ou même un coup de cœur, c’est une curiosité à découvrir (certes, c’est un peu « facile » de dire ça mais c’est très « vrai »). On peut aussi le voir comme le pendant de l’homme chauve-souris du traitement similaire instauré en 1986 par Alan Moore sur l’homme d’acier dans… Les derniers jours de Superman (à quand une édition qui rassemblerait les deux pour un prix plus abordable ?).

Problème justement : à quel prix découvrir Les derniers jours du Chevalier Noir ? 17 € (15,50 € en 2019 à sa sortie)… C’est beaucoup trop cher pour 64 pages d’une histoire aussi singulière, peu accessible (un nouveau venu risque d’être perdu et ne pas accrocher) et vite lue. On l’a déjà évoqué plusieurs fois sur ce site (récemment à propos de la collection One Bad Day ou des Batman/Spawn par exemple) : le nombre de pages n’a aucun impact sur le côté qualitatif d’une œuvre – et ce n’est pas Killing Joke qui viendra prouver le contraire (même si – déjà à l’époque – on critiquait le prix pour y accéder) MAIS quand on a un budget limité où l’on peut avoir à des titres de 200 pages vs. 60 pour un prix presque similaire, cela fait réfléchir.

Pour justifier cela, Urban Comics ajoute les crayonnés noir et blanc et, chose assez rare, avec la traduction en français. Une aubaine pour les fans des traits d’Andy Kubert, dont l’art perd un peu de sa superbe parfois en fonction de la colorisation. Il est vrai que cela ajoute un cachet non négligeable puisque la version en couleur (d’Alex Sinclair) est parfois inégale, conférant un aspect artificiel sur certains visages, gommant l’ambiance « film noir » (volontaire ou non) de la version en… noir et blanc. Autres compléments, une postface de Gaiman (où il clame son amour pour le super-héros et la conception du comic book), des couvertures alternatifs et un carnet de croquis de Kubert.

L’illustrateur se livre à un exercice habile et élégant (finement encré par Scott Williams) reprenant différents styles de Batman (Kane, Sprang, Mazzucchelli, Adams, Bolland…) et, donc, d’artistes qui ont traversé les âges et les pans mythiques du super-héros iconique (la planche qui ouvre le deuxième épisode avec Batman dans le cercueil qui est revêtu d’un costume mythique différent à chaque case est un régal). Néanmoins, pour 17 €, à part les aficionados de Gaiman ou de Kubert, on aurait tendance à déconseiller Les derniers jours du Chevalier Noir. Empruntez le plutôt en médiathèque ou feuilletez-le en librairies/grandes surfaces (possiblement entièrement vu la durée) afin de voir si ça vous branche.

On peut aussi se tourner vers le marché de l’occasion pour retrouver le premier numéro du magazine Batman Universe de Panini Comics, sorti en juin 2010, qui compilait, entre autres, les deux épisodes. Vendu à l’époque 4,60 €, ce format souple peut suffire… La version librairie de Panini Comics de 2011 coûtait 19 € (déjà hors de prix pour l’époque, comme souvent avec cet éditeur) mais incluait quatre récits de Neil Gaiman pour compenser : Pavane (Secret Origins #36, 14 pages), Péchés originels (8 pages) et Quand une porte (13 pages, ces deux segments proviennent de Secret Origins Special #1) – et ces trois épisodes datent 1989 – et Un monde en noir et blanc (Black and White #2, 7 pages) en 1996. Dommage qu’Urban n’ait pas repris cela (d’autant que Gaiman les cite tous dans sa postface).

Pavane se concentre sur les origines de Poison Ivy et a été republié dans le tome de Batman Arkham dédié à l’empoisonneuse. Presque pareil pour Quand une porte, centré sur le Sphinx et également proposé dans le Batman Arkham sur l’homme-mystère. Un monde en noir et blanc est évidemment dans Batman Black & White d’Urban Comics (dans le premier opus — pas encore chroniqué sur le site). Seul Péchés originels reste encore « inédit » en réédition, il s’agit simplement de l’introduction de Quand une porte, centrée sur l’équipe de journalistes qui va interviewer le Sphinx. Le segment en noir et blanc montre le Joker et Batman en tant qu’acteurs de cinéma jouer les rôles que l’on connaît de façon méta !

En somme, Les derniers jours du Chevalier Noir est une proposition élégante (dans son traitement, dans ses dialogues – la participation de Joe Chill en tenancier et ses quelques mots sont parfaits –, dans sa cohérence visuelle – un brin moins dans sa colorisation des visages et expressions faciales parfois), un peu inégale (la caractérisation de Selina Kyle semble bizarre), beaucoup trop courte mais qui redonne un souffle évidemment poétique, un hommage sur une légende « qui ne meurt jamais » (où chacun a sa propre vision et image de la mort de Batman mais aussi de son mythe).

Une écriture intelligente de Neil Gaiman et un exercice de style pour l’auteur britannique globalement réussi (frustrant par sa durée), qui livre un chant du cygne autour de Batman envoûtant et mélancolique. Pour tout cela, évidemment on aurait tendance à dire qu’il faut passer à l’achat MAIS, comme on l’a martelé, entre cette approche très singulière et, de facto, clivante, et le prix, il faut absolument connaître l’œuvre avant de passer à la caisse…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 31 mai 2019.
Contient : Batman #686 + Detective Comics #853 + version crayonnée tirée de Batman Unwrapped by Andy Kubert
Nombre de pages : 152

Scénario : Neil Gaiman
Dessin : Andy Kubert
Encrage : Scott Williams
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cyril Bousquet (studio MAKMA)

Acheter sur amazon.fr : Batman – Les derniers jours du Chevalier Noir (17€)






Harley Quinn & les Sirènes de Gotham

Harley Quinn & les Sirènes de Gotham compile les dix premiers épisodes de la série (VO) Gotham City Sirens (qui en compta 26 au total), créée en 2009 par le scénariste Paul Dini (Mad Love, Paul Dini présente Batman) et le dessinateur (et parfois auteur) Guillem March (Catwoman, Joker Infinite…). Ce récit (complet au demeurant) a été publié en janvier 2020 chez Urban Comics, puis est ressorti dans un format souple un brin raccourci (deux épisodes en moins, conservant malgré tout un côté complet) en été 2021, lors d’une opération estivale à petit prix de l’éditeur (4,90 € !). Il se déroule juste après Le cœur de Silence (alias Paul Dini présente Batman – Tome 2 – dont ces Sirènes de Gotham sont quasiment un opus « 2.5 »).

 

[Résumé de l’éditeur]
Splendides, envoûtantes et dangereuses. Catwoman, Poison Ivy et Harley Quinn en ont assez de suivre les ordres, et elles sont prêtes à s’emparer d’une Gotham qui leur tend les bras depuis la disparition du Chevalier Noir, perdu dans les méandres du temps. C’est l’occasion pour elle de faire cause commune… mais pour combien de temps ?

[Début de l’histoire]
Catwoman se bat avec un malfrat de troisième zone vaguement dangereux mais ses récents problèmes au cœur la rendent très vulnérables. Secourue par Poison Ivy, cette dernière propose de cohabiter chez elle, ou plutôt chez le Sphinx dont elle squatte la résidence avec Harley Quinn.

Les trois femmes décident d’aménager ensemble et former une alliance éphémère. Quinn disparaît rapidement, obligeant Ivy et Catwoman à enquêter…

[Critique]
Les six premiers épisodes de ces Sirènes de Gotham (le « vrai » titre VO de la série, y avoir accoler Harley Quinn en prime n’est qu’un argument commercial, elle n’est pas davantage mise en avant que Catwoman ou Ivy) forment un ensemble très sympathique, qui fait la part belle à ce trio féminin d’antagonistes. Paul Dini y poursuit complètement ce qu’il avait instauré dans ces deux premiers tomes de Paul Dini présente Batman (La mort en cette cité puis Le cœur de Silence). Ainsi, l’histoire débute avec une Selina Kyle encore à peine remise de son opération au cœur et un Bruce Wayne qui n’est autre que Tommy Eliott (Silence) !

On peut arriver à comprendre tout ça si on n’est pas coutumier des précédents travaux de Dini mais c’est un peu rude, d’autant qu’étonnamment Urban Comics ne propose pas un accompagnement éditorial en avant-propos pour contextualiser la situation (le vrai Bruce Wayne a disparu, Dick le remplace en tant que Batman, Silence se fait passer pour Wayne, Damian apparaît pour ses premiers pas en tant que Robin, le Sphinx est un détective privé et non un criminel, etc.) – c’est d’autant plus surprenant que les Paul Dini présente Batman avaient déjà été publiés depuis plusieurs années par l’éditeur.

Passons. Dini reprend donc quelques éléments de son précédent run : on y croise le courtier, la charpentière et deux autres femmes « fortes » comme Zatanna (sur laquelle l’auteur avait excellé) et même Talia al Ghul. De quoi avoir une bande dessinée qui met (enfin) en avant des figures féminines plus ou moins familières pour une association séduisante (dans les deux sens) et qui fonctionne à peu près. En vrac (dans les six premiers chapitres donc) : le trio aménage ensemble puis Ivy et Catwoman se lance à la poursuite du kidnappeur d’Harley. Les choses se compliquent quand le Joker, très jaloux de l’émancipation récente d’Harley (personnage créé par Paul Dini justement, dans la série animée de 1992 et qu’il avait repris, entre autres, dans le chouette Mad Love), se met aussi en quête pour retrouver son amante.

Si Batman (Dick Grayson) apparaît furtivement, l’autre personnage majeur de ce volume est Le Sphinx ! Edward Nigma s’est repenti et reconverti en privé et aide ses alliées, à commencer par Catwoman avec qui il a toujours eu une relation particulière (Catwoman à Rome, Batman/Catwoman…). En résulte un titre où ces quatre habituels « vilain/es » gravitent dans Gotham. On apprécie surtout l’écriture sur Quinn, attachante et un peu perdue et Poison Ivy, qui n’en oublie pas ses convictions et son alliance « pragmatique » (elle n’estime pas que Selina et Harley sont ses amies mais uniquement des collègues).

Graphiquement, Guillem March s’en donne à cœur joie, rendant sexy chacune des sirènes, sans être jamais réellement vulgaire mais parfois trop gratuitement sans réel intérêt (il s’empirera – ou s’améliorera, c’est selon – quand il reprendra la série Catwoman version New52/Renaissance quelques années plus tard) – cf. quelques illustrations de cette critique ou la toute dernière image en bas en VO, admirez le fessier de Selina, la pose suggestive de Pamela (on vous épargne une personnage très très secondaire en string apparent et bas résilles déchirés apparents sans raisons logiques). Il officie sur ces six premiers chapitres (les meilleurs, nommés Union, Conversation entre filles, L’énigme du siècle ! (écrit par Scott Lobdell), Rencard, Le monstre du passé et Le dernier gag) et contribue à la lecture agréable de l’ensemble qui devrait ravir les fans d’Harley Quinn, Poison Ivy, Catwoman et/ou Le Sphinx, sans trop de difficultés.

Jose Villarrubia colorise avec toute une gamme riche et variée propre aux productions du genre, accentuant un côté « mainstream » bienvenu avec parfois Tomeu Morey ou March lui-même en remplacement. Si le titre est globalement accessible (passé le statu quo de départ singulier) et la lecture sympathique, l’ensemble est/sera vite oublié et, de facto, ne vaut peut-être pas les vingt-quatre euros demandés… On conseille davantage la version en bon plan qui se trouve régulièrement en occasion au prix initial voire moins cher (donc entre trois et cinq euros).

Dans cette version (ainsi que la normale), on a droit aux chapitres #7 et #8, le premier (Histoire de fêtes) est centré sur Quinn qui retrouve sa famille (dessiné par David Lopez – dans un style visuel moins abouti que March), le second (Vengeance verte) sur Ivy à son tour kidnappée (écrit et dessiné par March). En revanche, l’édition souple à bas prix ne contient pas les épisodes #9-10 (Les pièces du puzzle et Choisir son camp – Andres Guinaldo au dessin), tous deux se suivent et remettent le Sphinx au premier plan pour aider les Sirènes de Gotham à découvrir et déjouer un ennemi de troisième zone. Vous l’aurez compris, ces autres parties sont moins passionnantes.

En somme, Harley Quinn & les Sirènes de Gotham est une aventure suffisante pour les aficionados des trois anti-héroïnes ou même du Sphinx. Ceux souhaitant voir la suite de Paul Dini présente Batman devraient aussi y trouver leur compte. Sans jamais être trop « girly » (dans le sens péjoratif du terme) ni trop tomber dans le « male gaze », la fiction est sympathique avec un ou deux retournements de situation peu prévisible mais rendant l’ensemble moins épique que prévu. Dommage qu’Urban ne propose pas la suite même si les dix épisodes s’auto-suffisent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 janvier 2020.
Contient : Gotham City Sirens #1-10 (#1-8 pour la version souple)
Nombre de pages : 256

Scénario : Paul Dini, Scott Lobdell, Guillem March
Dessin : Guillem March, David Lopez, Raul Fernandez
Encrage : Guillem March, Alvaro Lopez, Raul Fernandez
Couleur : José Villarrubia, Guillem March, Tomeu Morey, Ian Hannin

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Moscow Eye

Acheter sur amazon.frHarley Quinn & les Sirènes de Gotham (24€)


Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 4/4

Quatrième et dernière intégrale du très long run de Grant Morrison (cf. index dédié), celle-ci regroupe simplement deux séries (titres VO) : Batman, Incorporated en dix épisodes (les deux derniers étant la conclusion nommée Batman, Incorporated : Leviathan Strikes !) et Batman Incorporated (sans la virgule entre les deux mots, correspondant simplement à la suite de la série précédente mais après le relaunch Renaissance/New 52). Cette dernière se compose de treize chapitres, incluant un prologue (#0) et sans un épisode non écrit par Morrison (le #11). Au total donc, 23 chapitres pour cette dernière ligne droite et (enfin !) la conclusion d’une histoire entamée en juillet 2006 (dans Batman #655) et s’achevant pile sept années après, en juillet 2013.

[Historique de publications]
Avant de détailler tout cela, un point sur la parution française, un brin complexe, pour guider les collectionneurs ou simplement les curieux. Si l’intégrale regroupe les deux anciens tomes simples 7 et 8 (Batman Incorporated et Requiem – cf. couvertures juste ci-dessus), les épisodes du tome 7 furent proposés avant dans le dixième et dernier numéro de Batman Universe par Panini Comics en décembre 2011 (Batman Incorporated #1-4 ainsi que Batman – The Return pour les ouvrir), le premier de Batman Showcase en mars 2012 (Batman Incorporated #5-8 – dans ce premier magazine kiosque d’Urban Comics composé de seulement deux numéros ; on reviendra sur la composition du second plus tard) et les Batman Saga #11 et #12 en mars et avril 2013 (Batman, Incorporated : Leviathan Strikes ! #1 et #2) ; cf. les quatre couvertures ci-après.

Enfin, l’équivalent du tome 8 fut, lui, publié dans trois hors-séries de Batman Saga, les #2, #3 et #4, sortis respectivement en juillet 2013, novembre 2013 et février 2014. On retrouve très logiquement quatre à cinq épisodes de Batman Incorporated (la seconde série, sans la virgule entre les deux mots) par numéro : #0 et #1-4 puis #5-9 et enfin #10-13 ainsi qu’un chapitre Special #1. À noter que le #11 (écrit par Jorge Lucas) et le Special #1 (signé Chris Burnham) n’ont pas été repris dans les tomes librairies (simples et intégrales) de Grant Morrison présente Batman car l’auteur écossais ne les avait pas scénarisés. Ils ne sont donc disponibles que dans Batman Saga – Hors-série #4 (mais ne sont pas très intéressants donc ce n’est pas très grave).

[Résumé de l’éditeur]
Enfin de retour à son époque, Bruce Wayne reprend la destinée de Batman, de façon pour le moins inattendue. À la légende du justicier solitaire, il substitue une nouvelle organisation internationale financée par sa multinationale : Batman Incorporated ! Recrutant à travers le monde différents alliés pour sa croisade contre le crime, Bruce se prépare également à croiser le fer avec un nouvel ennemi : Léviathan !

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Enfin un retour à une narration linéaire et plus intelligible ! Malheureusement, la première partie/moitié n’est pas forcément la plus palpitante. On y suit Batman à différents pays afin de recruter différents justiciers locaux pour qu’ils deviennent des Batmen internationaux et intègre l’organisation Batman Incorporated – financée par Bruce Wayne. Le but est simple de constituer des super-héros  dans le monde entier. Aparté « éditorial », la plupart des chapitres de cette intégrale furent chroniqués dans différents articles du site il y a une dizaine d’années et ont désormais été supprimés pour se concentrer sur ces nouvelles critiques (cf. index) à l’exception de Batman Saga Hors-Série #4.

Les deux premiers chapitres (Monsieur Inconnu est mort et Resurrector) se déroulent donc au Japon à la recherche de M. Inconnu, vedette locale que cherchent à recruter Batman et… Catwoman. On ignore pourquoi Selina l’accompagne, elle n’apporte pas grand chose si ce n’est d’être ultra sexualisée voire en sous-vêtement durant cette introduction. L’épisode s’ouvre sur la mort du fameux M. Inconnu par un mystérieux Lord Death Man, encore un énième méchant oubliable pioché dans une création de 1966 et qui semble immortel et lié à l’occultisme. À ce stade, c’est un running gag tellement c’est redondant et peu marquant. Seul intérêt : M. Inconnu avait un complice, le jeune Jiro Osamu qui, sans surprise, devient évidemment le Batman du Japon. On ferme les yeux aussi sur le côté « WTF » de l’ensemble avec un appartement rempli d’eau et une pieuvre géante dedans… Pire, Osamu ne réapparaîtra quasiment plus de tout le reste de la fiction…

Place ensuite à l’épisode Le tango du scorpion, centré sur El Gaucho, déjà vu dans la première intégrale. On retrouve Batman en Argentine qui s’allie avec El Gaucho à la poursuite de Papagayo puis Wayne et Santiago (nom civil d’El Gaucho) flirter avec des femmes pour mieux enquêter sur l’une d’elle (en réalité Scorpiana), liée au concept d’Oroboro (plus connu chez nous par Ouroboros – ce serpent qui se mord la queue indéfiniment), potentiellement à un Dr. Dédale et encore une énième organisation mystérieuse. L’intrique (confuse) se poursuit directement dans L’affaire Kane. Alternant le passé (sur Kathy Kane – première Batwoman) et le présent avec la « nouvelle » Batwoman (Kate Kane, déjà apparue dans la seconde intégrale). L’on découvre que Kathy aurait été tuée par El Gaucho, agent de Spyral à l’époque et que Dédale est un ancien criminel nazi.

La conclusion de ce mini-arc en trois épisodes se déroule dans Maître Espion où toute la troupe d’alliés (Batman, El Gaucho, Batwoman) retrouve Le Masque, justicier britannique et affronte Scorpiana et d’autres ennemis, découvrant dans la foulée la force de frappe dangereuse de Léviathan (oui, une autre organisation maléfique et énigmatique), qui est dirigée par une personne opérant aux côtés du Dr. Dédale. À ce stade, si l’ont met de côté les deux premiers épisodes sur le Batman du Japon, les trois chapitres suivants sont déjà plus intéressants bien qu’assez complexes dans leur écriture mais on comprend l’essentiel et c’est agréable de voir des pièces du puzzle narratif s’emboîter au fil de la fiction.

Le titre du sixième épisode n’est révélé qu’à sa fin, Nyktomorph, qui replace enfin Bruce Wayne à Gotham City (on en viendrait même à conseiller de débuter la lecture à cet endroit, nettement mieux rédigé et passionnant). Cette fois, c’est le milliardaire qui prend les devants, expliquant le concept de Batman Incorporated aux journalistes avec ses alliés justiciers dans tous les pays du monde et des androïdes Batmen (les Bat-bots) pour protéger les villes et citoyens à tout moment avec une démonstration fortuite très efficace (aussi bien graphiquement que narrativement – voir la toute dernière image de cette critique en bas de la page).

En parallèle, le Chevalier Noir monte une autre équipe (encore !) : Red Robin (Tim Drake – un peu délaissé depuis l’arrivée de Damian) et les Outsiders (même si on ne les reverra plus trop ensuite). Côté Bat Inc., le recrutement intensif continue avec le Parkoureur à Paris (Nightrunner en VO), Blackbat en Chine, Dark Ranger (II) en Australie, Batwing au Mtamba et un nouveau Wingman (son identité sera révélée plus tard). Tous arrêtent des actions commises par Léviathan (trafic d’enfants, meurtres…).

Wayne prend également un malin plaisir à écrire sur Internet différentes théories quant à son identité secrète ou celles de ses alliés – une parfaite transposition des tendances complotistes à l’ère des fake news sur Internet dès la publication de l’épisode en 2011 où fleuraient déjà ce fléau numérique. Le rythme de ce chapitre est soutenu, l’ensemble assez dense, tout avance assez vite avec, en fil rouge, une rencontre entre un certain M. Nykto et des malfrats. En conclusion, l’armée de Batmen prospère au même titre que celle de Léviathan, annonçant un affrontement probablement dantesque et épique !

On retrouve ensuite Frère Chiroptère et Corbeau, père et fils, eux aussi déjà aperçu dans Le club des héros de la première intégrale. Soldats-médecine montre leur difficulté à combattre le crime dans un coin reculé des États-Unis, proche d’une réserve indienne et plutôt pauvre. Entre la corruption basique et l’infiltration de Léviathan, Grand aigle (le père) fait fi des conventions et n’hésite pas à être plus offensif pour combattre le crime au détriment de l’idéalisme de son fils. Ce dernier clamera plus tard à Batman (sur place et séduit par cette équipe aux ressources limitées) qu’ils sont « dans le tiers-monde de l’Amérique, là où tout se fait à petit budget ».

C’est précisément là que Morrison loupe le coche d’amorcer une réflexion sur la puissance économique d’un Wayne dans ces cas particuliers où le lieu en manque cruellement. Cela avait pourtant bien démarré mais n’est pas consolidé après. De même, les protagonistes auraient pu mourir de façon héroïque avec une portée émotionnelle non négligeable mais l’auteur les sauve de justesse de façon simpliste, c’est fort dommage. Le chapitre est un brin déconnecté des autres tant le statu quo est différent mais il est coincé entre les obligations narratives qui gravitent autour de lui alors qu’il y aurait tout une extension à écrire autour de ces sujets !

Dernier chapitre de la série (en VO) Batman, Incorporated, Cauchemars en numérique est très particulier, souhaitant moduler sa patte visuelle en adéquation avec son propos. On y retrouve Oracle et Batman dans une réalité virtuelle à la rescousse de Wayne et des investisseurs. Le résultat est en demi-teinte, un voyage graphique parfois séduisant (cf. Oracle/Batgirl ci-dessous), parfois digne de cinématiques de PlayStation 1 ou 2 (rappelant l’affreux Clown de minuit de la première intégrale). Scott Clark et Dave Beaty s’occupent de ces illustrations atypiques (on reviendra plus loin sur le reste de la distribution des dessinateurs, plus commune). Côté scénario, outre cet anti-virus atypique, on remonte aux sources de Léviathan au Mtamba où il y a Batwing, croisé plus tôt, et où Jezabel Jet opérait également avant d’être tuée par Talia (comme on le pensait depuis le début et que ce sera confirmé ensuite – par décapitation en plus !).

Place ensuite à un mix entre conclusion de la (première) série Batman, Incorporated (titre VO donc) et de transition avant la suite (sans la virgule) via un long chapitre d’une micro-série conçue pour l’occasion : Batman Incorporated : Leviathan Strikes ! Celle-ci est divisée en deux épisodes distincts, L’école de la nuit et un second qui n’a étonnamment pas de titre mais il était appelé Léviathan frappe ! lors de sa publication en kiosque en France (dans Batman Saga #12).

Stéphanie Brown rejoint L’école de la nuit, institution prisée pour jeunes femmes qui s’avère un repaire de Léviathan à base de manipulations cérébrales et contrôles mentales… Une paresses d’écriture rabâchée ad nauseam dans trop de comics, incluant sur Batman, pour justifier les comportements de soldats de figurants. Ce procédé est, une fois de plus, dommageable et contribue à l’inégalité de l’ensemble depuis le début du run. La suite et fin est plus palpitante bien qu’elle mette en avant une sorte d’illusion et hypnose collective (là aussi une faiblesse scénaristique beaucoup trop utilisée – ne manque que la partie rêve/cauchemars mais qu’on a déjà eu auparavant et qu’on retrouve à moitié ici (on ne sait pas trop) et aurait eu tout ce qui est « trop facile » comme outil scénaristique).

Néanmoins, cette dernière ligne droite convoque plusieurs des alliés croisés auparavant, confirme quelques pistes, achève la partie avec le Dr. Dédale et ouvre un dernier acte en dévoilant qui se cache derrière Léviathan (attention à la révélation) : Talia al Ghul. À ses côté, un autre mystérieux allié. À ce stade, on ne comprend pas trop si la mère de Damian aime toujours son fils puisqu’elle met sa tête à prix. Si la lecture (depuis le début de l’opus) était inégale (ni désagréable, ni excellente), cette première « conclusion » (équivalent de celle du septième tome simple) relance l’intérêt de l’ensemble, avec beaucoup de promesses.

Côté dessins, on retrouve pour ces dix premiers chapitres deux habituels : Yannick Paquette (#1-3 et #5) et Chris Burnham (#4, #6-7, #10). Le style de Paquette est efficace bien que l’encrage et les jeux d’ombre trop appuyés, causant une certaine disproportions dans certains visages aux traits bien trop épais voire gras. Son découpage est fluide et dynamique, les scènes d’action plutôt lisibles. Burnham est peut-être plus clivant, avec son style plus singulier, presque granuleux, rendant les expressions faciales à la limite de la caricature. Son sens du détail et les éléments assez sanglants dans certaines cases confèrent néanmoins une ambiance atypique et globalement séduisante. Ajoutons Cameron Stewart pour l’avant-dernier chapitre (#9), très convenu, lisse et artificiel malgré quelques cadrages sympa et Pére Perez en complément de Paquatte (pour le #3).

Après cette salve de dix épisodes, la quatrième et dernière intégrale enchaîne avec la seconde série Batman Incorporated avec une reprise au numéro #1 (et même un #0 ajouté ensuite). On pourrait penser à une série différente et plus accessible mais c’est simplement car à l’époque (2011), le relaunch DC Comics New 52/Renaissance opérait sur absolument toutes leurs séries. Batman et Detective Comics n’y échappent pas mais – contrairement aux séries de leurs alliés comme Aquaman, Wonder Woman, Justice League et quelques autres – ne sont pas vraiment remises à zéro.

En effet, l’univers du Chevalier Noir ne reprend pas « depuis le début » et poursuit l’existant (Damian fait partie de la BatFamille, etc.) mais cela n’empêche pas la série d’être un point de départ possible (avec le tome un de la série Batman de Scott Snyder, La cour des hiboux). On retrouve toutefois quelques incohérences : Barbara Gordon n’est plus handicapée ni Oracle mais redevient Batgirl, Stephanie Brown est absente, le costume de Nightwing devient rouge au lieu de bleu, etc. Pour Morrison, cela ne change pas grand chose au global malgré ces chamboulements de personnages assez secondaires. Il était de toute façon impossible qu’il ne termine pas son run à cause de cette obligation de restructuration (afin de séduire l’éternel et hypothétique « nouveau lectorat »).

Rassemblés sous le titre Requiem, la saga se poursuit avec un prologue (Batman Incorporated #0, publié après les douze premiers chapitres comme une sorte d’anniversaire – système appliqué à toutes les autres séries DC de l’époque). De quoi s’attarder sur Dark Ranger II (Australie), Le Chevalier et l’Écuyer (curieusement absent des épisodes précédents) et retrouver Jiro, le Batman du Japon découvert au début de l’opus. On découvre ensuite que James Gordon arrête Bruce Wayne ! Pourquoi ? Aucune idée de suite, retour en arrière un mois plus tôt, de quoi stimuler le lecteur pour savoir comment l’on va aboutir à cette situation, c’est plutôt malin (mais risqué car cela peut être décevant).

On retrouve donc un binôme « inédit » : Batman/Bruce et Robin/Damian, père et fils désormais duo dynamique ! Talia ayant mis la tête de son enfant à prix, beaucoup de criminels veulent en profiter et les justiciers s’en donnent à cœur joie vu les rassemblements à Gotham que cela génère. D’autres malfrats poursuivent leurs activités (incluant « Les Mutants », ce gang créé par Frank Miller dans The Dark Knight Returns auquel Morrison rend donc brièvement hommage ici – et rejoue une scène, plus loin, de Killing Joke d’Alan Moore). En parallèle, l’on découvre l’épopée de Talia (depuis qu’elle était petite fille jusqu’au présent) et, de facto, son point de vue. Cela se reconnecte avec tout ce qu’on a(vait) vu lointainement aux moments des premiers chapitres de ce run (l’armée de Man-Bat, etc.). Une bonne idée pour se remémorer le chemin parcouru (sauf quand on lit tout à la suite mais ce n’était pas le cas du rythme de publication donc pas de quoi être sévère sur ce point).

Léviathan n’est pas en reste et continue de se déployer également « discrètement » dans Gotham City avec différents employés (de la police par exemple) corrompus. Pour Bruce, c’est l’occasion de reprendre son alias de petite frappe, Malone l’Allumette. Sans trop en dévoiler, les treize épisodes se lisent très bien (nettement mieux que la première partie) avec différentes intrigues qui se télescopent puis se connectent de façon cohérente (il faudra compter – encore – sur une mystérieuse personne en guise de Deus Ex Machina ainsi qu’un étrange MacGuffin).

Grant Morrison s’illustre davantage dans le relationnel entre les (trop nombreux) protagonistes. Entre l’empathie envers Damian et la tragédie qui va suivre (ne pas lire le paragraphe suivant si jamais), le duo Tim/Dick, la relation Bruce/Talia et quelques membres de Batman Inc., on apprécie grandement tous les échanges qui fusent (en dialogue ou en action) ! Si pendant toute la lecture du run on pouvait rouspétait à raison tant l’impression de se « forcer » était prédominante, la dernière planche laisse une œuvre totalement ouverte qu’on a, réellement, envie de connaître… Il est difficile de savoir si Morrison avait prévu une suite et le relaunch l’a empêché de réellement déployer tout ce qu’il souhaitait…

Attention à la semi-révélation : le point d’orgue de cette quatrième intégrale et de l’entièreté du run est bien évidemment la mort de Damian, pile au moment où on commençait à l’apprécier davantage. On a du mal à y croire de prime abord (surtout pour un Ghul) et la fin annonce un possible retour (comme la majorité des personnages de DC Comics) mais à l’époque, et même en lecture simple, ça fonctionne très bien. Entre chagrin et colère, l’évolution de Bruce qui en découle est assez « juste » bien que la suite (et conclusion) soit assez courte et rapide. Au-delà de cette tragédie, Grant Morrison fait de Talia al Ghul une méchante désormais emblématique et cruelle.

La fiction est admirablement bien rythmée (à l’exception, peut-être, du segment dans le futur montrant à nouveau le Damian opérant seul, déjà montré dans la première intégrale et intervenant ponctuellement en flash-forward). Avoir enlevé le chapitre #11 écrit Jorge Lucas contribue à ne pas casser l’immersion (une aventure ridicule du Batman japonais croisé en début d’ouvrage) – il est dommage de ne pas avoir laissé le Special #1 de Chris Burnham en revanche, pas le plus pertinent mais sympathique quand même et enrichissait les séquences sur les membres de Bat Inc., à découvrir (uniquement) dans le Batman Saga Hors-Série #4 (chroniqué à l’époque sur le site).

Côté dessin, on note une succession graphique hyper homogène et agréable grâce à Chris Burnham, qui officie sur tous les épisodes, couplé à la colorisation de Nathan Fairbairn. Seul le prologue est signé Frazer Irving (#0) et trois artistes épaulent Burnham le temps de quelques planches : Andres Guinaldo (#6), Jason Masters (#7-10) et Andrei Bressan (#10). Bien entendu, le style si atypique et clivant de Burnham peut rebuter mais s’il est apprécié, ça contribue au plaisir de lecture de cette seconde moitié d’intégrale !

Ce quatrième opus (gonflé d’une tonne de bonus appréciables – couvertures, textes, making-of… sur près de 60 pages !) est donc plutôt conseillé, principalement pour sa deuxième partie comme on vient de le voir. Si cette ultime salve est très inégale (à l’image de l’entièreté du run), elle aboutit enfin à l’assemblage des multiples axes narratifs balancés (et parfois « bricolés ») depuis le tout debut de l’histoire. Cela donne un sentiment de satisfaction au fidèle lecteur, complété par une dimension plus « humaine » agréable.Si Grant Morrison propose une évolution puissante via Batman Inc., son travail dessus laisse pantois : on ne s’attache à aucun des membres en particulier et on l’impression de voir quelques figurants un peu héroïque par ci par là [1].

L’auteur gagne quand il resserre son action autour du traditionnel entourage de Batman. En somme, cette dernière virée du titre est satisfaisante, en produisant quelques coups d’éclat qui auraient pu être condensés en deux intégrales (ou quatre à cinq tomes simples) avec une écriture plus limpide, gommant les nombreux défauts du run (sur lesquels on s’est longuement attardé dans les trois critiques précédentes, cf. index). Une seconde synthèse de l’entièreté de la saga est disponible un peu après.

[1] Un organigramme de Batman Incorporated est proposé dans Batman Showcase #2 (couverture tout en haut). L’organisation est divisée en quatre équipes, elles-mêmes parfois avec des sous-catégories, sous l’égide de Batman/Bruce Wayne et ses Bat-Bots :
Branche Gotham : Dick Grayson/Batman, Damian Wayne/Robin, Commissaire Gordon + Oracle | Batgirl
Branche « Blacks Ops » : Red Robin + Les Outsiders : Katana, Halo, Metamorpho, Looker, Freight Train [ceux qui seront le moins mis en avant dans la série]
Les Indépendants : Wingman, Le Masque, Batwoman, Catwoman, Huntress
Le Club des Héros – Les Batmen de tous les nations
> Europe : Parkoureur, Le Chevalier & L’écuyer
> Asie : Black Bat, Batman Japan (Mr Unknow)
> Afrique : Batwing, Spydra, Traktir
> Amérique : El Gaucho, Frère Chiroptère, Corbeau Rouge
> Océanie : Dark Ranger

Pour lire des « suites » plus ou moins corrélées au run de Morrison, on conseille en priorité la série Batman & Robin sur Bruce et Damian, écrite par Peter Tomasi (sept tomes simples – tous chroniqués sur ce site – réédités en trois intégrales). Elle démarre pendant la troisième intégrale de Grant Morrison présente Batman ou au début de la quatrième (ça ne change pas grand chose) et remet en scène la tragédie de Requiem au milieu de la série puis, bien sûr, le retour de Damian dans sa conclusion (impactant rétroactivement la portée émotionnelle éventuelle visée par Morrison).

Damian est devenu un personnage récurrent apparaissant dans pas mal de titres et a même eu le sien (Robin Infinite en trois volumes et, surtout, Batman – Shadow War). On apprécie davantage son parcours dans le monde alternatif d’Injustice mais surtout Injustice 2 où il se range du côté de Superman puis du clan Ghul et où, chose inédite, il grandit et n’est plus un enfant. Une évolution passionnante signée Tom Taylor qui renouvelait un peu l’archétype du personnage, cadenassé dans son caractère capricieux à peu près partout où différents auteurs l’ont repris.

 

Les Batmen de tous les pays seront présents (quasiment muets mais indispensables à la narration) dans Batman Infinite – Tome 4 : Abyss, qui peut se lire de façon indépendante. À part cela, on ne les reverra quasiment plus ensuite, encore moins en France (contribuant à se dire que « tout ça pour ça ? ») sauf… depuis 2022. En effet, une série intitulée – suspense… – Batman Incorporated, constituée de douze chapitres, a été publiée aux États-Unis en deux volumes compilés (le premier, No More Teachers, est en vente depuis septembre 2023). C’est Ed Brisson qui l’écrit et la place dans la continuité « actuelle » avec, entre autres, Ghost-Maker et Clown Hunter très présents (introduits dans Joker War).

De façon plus anecdotique, peu après la « mort » de Batman, on pouvait suivre les aventures de Dick (avec Tim dans un premier temps) à la fin du second tome de Paul Dini présente Batman et, surtout, dans le troisième avec Damian. Dini a également écrit Harley Quinn et les Sirènes de Gotham se déroulant aussi durant l’absence/le voyage dans le temps de Batman (sans oublier quelques épisodes dans Batman Showcase #2 centrés sur Bruce et Damian en Batman et Robin). Ceux qui ont aimé le Batman Zur-en-Arrh peuvent le retrouver à nouveau « modernisé » dans le run de Zdarsky et sa récente série Dark City. Enfin, pour les quelques récits complets (plus ou moins longs) se déroulant en marge de Grant Morrison présente Batman, se référer aux liens en bas de l’index dédié (avec, par exemple, La lutte pour la cape/Battle for the Cowl montrant comment Nightwing endosse le costume de son mentor disparu).

   

Alors, faut-il lire l’intégralité de Grant Morrison présente Batman ? Et bien… si vous avez cent vingt euros à dépenser et qu’une lecture un peu pénible ne vous fait pas peur, oui bien évidemment. D’autant qu’on assiste aux premiers pas de Damian, la création de Batman Inc. (même si cela ne sera pas repris ensuite) et un duo inédit efficace (Dick et Damian en Batman et Robin). L’auteur écossais décrit aussi une Talia al Ghul plus redoutable que jamais et la hisse au panthéon des ennemis mythiques. On suggère principalement la deuxième et quatrième intégrale (que sa seconde moitié suffit) ; la troisième à quelques pages près (mais importantes) est totalement dispensable et seul le début de la première est pertinent (donc équivalent du premier tome de l’ancienne édition simple voire du bon plan à 4,90 € Le Fils de Batman – passant donc le total à 64,90 € pour ne lire que les parties les plus passionnantes, pas négligeable !). En somme, si vous trouvez le bon plan à 4,90 €, la deuxième intégrale et le huitième et dernier tome de la précédente édition (Requiem) en occasion à bas prix, c’est globalement suffisant (gain de temps et d’argent).

Il est indéniable que Morrison a marqué l’histoire du Chevalier Noir avec son run, principalement grâce/à cause de l’ajout de Damian. Tout le reste n’aura pas été si « révolutionnant » que cela à terme (moins que la saga No Man’s Land par exemple) – peu mémorable, encore moins remarquable malgré les reprises dans le patrimoine DC qui ont certainement fonctionné chez certains. Le rejeton de Wayne a le mérite d’être très clivant, adoré par certains pour sa fougue, son audace, sa radicalité, détesté par d’autres pour son côté peu empathique, insupportable, vulgaire et impulsif.

Chacun juge(ra) en fonction de l’évolution de Damian. Ce qui est dommage est d’avoir encore produit un Robin jeune et masculin, quatre à la suite en plusieurs décennies, c’est un peu redondant et peu original… Paradoxalement, Morrison l’a introduit « comme un cheveu sur la soupe » puis Damian a naturellement et étrangement intégré le reste de la Bat-Famille, de façon soudaine et pas spécialement bien détaillée. Dans sa dernière ligne droite, on apprécie l’ajout d’animaux (une vache, un chien et un chat) et un Damian plus touchant et empathique. Au-delà des comics, il est apparu dans le jeu vidéo Injustice 2, quelques films d’animation (dont Le Fils de Batman, très librement du premier tome de Morrison justement) et il fera ses premiers pas au cinéma dans le DCU chapeauté par James Gunn dans le film The Brave & the Bold (titre provisoire), probablement en 2026, qui sera réalisé par Andy Muschietti (The Flash).

In fine, le résumé le plus proche de cette saga est à lire au détour d’un dialogue, initié par le Chevalier Noir, de cette ultime intégrale qui évoque la création de Batman Inc. et correspond étrangement à celle de Morrison également. C’est ce qu’on a pu ressentir à de multiples reprises en se forçant à lire de nombreux segments confus, où l’on ne savait pas trop ce qui était réel ou non, des résolutions d’intrigues un peu étranges, trop d’apartés abscons. « Nous fabriquons un fantôme, un croque-mitaine trop gros pour qu’on le voit clairement. Ses contours sont flous, son étendue et ses buts incertains. […] Où s’arrête la rumeur ? Où commence la réalité ? »

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 01 février 2019.
Contient : Batman, INC #1-8 + Batman INC: Leviathan Strikes + Batman INC (New52) #1-10 + #12-13
Nombre de pages : 600

Scénario : Grant Morrison, Chris Burnham
Dessin : Frazer Irving, Yanick Paquette, Cameron Stewart, Chris Burnham, Pere Pérez, Scott Clark, Andres Guinaldo, Jason Masters, Andrei Bressan
Encrage : Michel Lacombe, Bit, Dave Beaty
Couleur : Nathan Fairbairn, Frazer Irving, Scott Clark, Dave Beaty

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Simona Maccaroni, Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Acheter sur amazon.fr : Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 4/4 (30 €)