Batman Returns
(Batman – Le Défi)
– sortie le 15 juillet 1992 –
[Résumé et critique — rédigée en 2023, en s’efforçant de l’objectiver et la contextualiser]
Après le succès foudroyant de Batman en 1989, l’idée d’une suite est naturellement mise en route rapidement. Tim Burton (qui venait d’enchaîner son troisième succès critique et public, Edward aux mains d’argent) est appelé à nouveau mais il est réticent dans un premier temps (ne portant déjà pas haut dans son estime son premier Batman – aussi surprenant que cela puisse paraît !). Warner Bros lui promet un film « Tim Burton » où le cinéaste aurait carte blanche pour apposer sa patte visuelle et ses thématiques fétiches. Le cinéaste accepte. Il négocie sévèrement pour obtenir ce qu’il veut et obtient quasiment tout : l’encombrant producteur du premier film Jon Peters ne pourra pas se rendre sur les plateaux de tournage (conservés en l’état en Angleterre depuis trois ans pour une somme exorbitante – Burton préfèrera en reconstruire aux États-Unis !), le scénario de Sam Hamm sera revu en fonction des volontés du metteur en scène, etc.
Si le personnage du Pingouin était d’office choisi (une des rares choses imposées par Warner) pour être le nouvel antagoniste, celui de Catwoman a été ajouté (au lieu de remplacer Copplebot) afin de conserver deux fortes figures qui plaisaient au metteur en scène, féru « d’hommes-animaux » (chauve-souris, chat, pingouin… trois d’un coup pour le metteur en scène qui qui retourne donc à Gotham malgré l’épuisement du premier film et la possibilité de tourner une suite à Beetlejuice – qui aura finalement lieu 32 ans plus tard, en 2024).
Burton part de l’ébauche écrite par Sam Hamm (scénariste du premier film) et grandement améliorée et remaniée par Daniel Waters. Grâce à cette liberté créative, Tim Burton mêle son propre univers à celui de Batman, débarrassé de toutes les contraintes contractuelles ou qui l’avaient éventuellement cadenassé auparavant. En résulte un épisode audacieux et grandiose qui surpasse le précédent d’un point de vue cinématographique, une tragédie funèbre où trois écorchés se croisent et signent une danse macabre sublimée par une photographie léchée et une mise en scène peaufinée.
Batman Returns (étrangement traduit Batman – Le défi pour la France – parfois orthographié Batman : Le Défi ou Batman, le défi) est une « suite » paradoxale (les guillemets sont importantes car Burton ne considère pas son métrage comme une suite – on en parle plus loin). Elle double voire triple les ennemis (Max Shreck est le réel méchant de la fiction – on y reviendra) mais demeure plus intimiste d’une manière générale. Les lieux de l’intrigue se comptent presque sur les doigts d’une main, il n’y a pas de « surenchère » d’action ou de séquences davantage épiques et, pourtant, le long-métrage n’en demeure pas anti-spectaculaire pour autant. Il ne souffre que du même défaut de son prédécesseur : Michael Keaton/Bruce Wayne/Batman est éclipsé par l’époustouflant Danny DeVito/Oswald Copplebot/Le Pingouin et la sublime Michelle Pfeiffer/Selina Kyle/Catwoman, rejoints par le talentueux Christopher Walken/Max Shreck.
L’histoire a beau être « simpliste » (ce n’est pas un défaut – et celle du premier film l’était aussi), elle fonctionne immédiatement puisqu’elle s’intéresse avant tout à ses personnages meurtris. On retrouve donc un étrange mélange avec un Pingouin en quête d’une certaine reconnaissance, manipulé (parfois) par Shreck, lui-même cible de la vengeance de Catwoman. Batman gravite entre eux tour à tour allié puis ennemi. Daniel Waters rejoint Hamm pour le scénario, s’inspirant vaguement d’une histoire en deux épisodes de la série des années 1960, assumant aussi délaisser Batman au profit des méchants et souhaitant montrant que ces derniers ne portent pas forcément de déguisements (et donc mettre en avant Shreck).
Par rapport aux comics, on note un Jim Gordon encore plus en retrait qu’auparavant (et qui n’a pas l’air très malin), un Batman recherché comme ennemi public (une approche vu dans quelques aventures), un Pingouin peut-être moins gangster, davantage « freak » (monstre), cher à Burton mais ne dénotant pas avec la version de papier. L’arsenal de parapluies gadget de l’antagoniste est un régal, l’approche féline voire « fantastique » de Catwoman fonctionne admirablement. Le metteur en scène s’éloigne aussi du produit originel en montrant Batman tuer des adversaires (à l’instar du premier opus et comme dans Batman v Superman – mais cela était moins critiqué à l’époque) ou en lorgnant sur un côté subversif et sexualisé (pour rendre meilleur sa création).
En coulisse, Burton n’a pas trop de mal à ne pas imposer Robin dans son film (après une tentative vite avortée dans l’opus précédent et une nouvelle apparition prévue dans une révision du scénario où le jeune prodige était campé par Marlon Wayans – qui avait signé et touche encore de l’argent aujourd’hui grâce à cela !). Sean Young (Rachel dans Blade Runner) devait jouer Selina Catwoman mais est tombée enceinte juste avant le tournage (tout comme Annette Bening qui avait obtenu le rôle). L’actrice devait déjà incarner Vicky Vale dans Batman, on peut dire qu’elle a un peu été maudite par rapport à ces projets, tant elle était motivée et enthousiaste. Heureusement, la performance de Michelle Pfeiffer est extraordinaire : magnétique, envoûtante, sexy sans être vulgaire, la femme féline fatale éblouit l’écran et apporte une certaine dérision dans un programme bien chargé et assez masculin. Son costume de latex a été reproduit près de soixante-dix cette fois faute d’être réutilisable à chaque fois, alimentant l’imagerie BDSM et sulfureuse d’un métrage décidément pas axé pour les plus jeunes.
Batman – Le Défi se déroule lui aussi quasiment intégralement la nuit, en hiver sous la neige de noël en plus. Ajoutant une atmosphère atypique pour une œuvre où Burton s’est amélioré : les cadrages sont plus soignés, inspirés et inspirants, les compositions des plans plus poétiques et ainsi de suite. Le cinéaste libère son imagination à l’empreinte gothique assumée avec ses êtres meurtris, incluant les fantasques hommes de main du Pingouin : des clowns ou autres malfrats à têtes de squelette – et ses animaux, un singe notamment et bien sûr des pingouins (beaucoup de vrais, accentuant une forte odeur désagréable sur le tournage et quelques uns numériques – les prémices des nouvelles technologies numérique sont là…).
Michael Keaton a cette fois son nom en tête d’affiche, rempilant sans trop d’hésitation. Si le film est une suite, il peut totalement être vu indépendamment (d’où la préférence d’appeler cela un diptyque et non une duologie – Burton ne le considère d’ailleurs pas comme une suite). Seule la mention de la relation passée avec Vicky Vale et le Bat-Signal confèrent une vague continuité. Harvey Dent/Billy Dee Williams est supprimé (il reviendra dans Batman Forever sous les traits de Tommy Lee Jones) et, comme dit plus haut, Gordon est réduit à peau de chagrin. On fait donc presque table rase du précédent opus !
Une fois de plus, les ennemis de Batman sont au centre du film et le Pingouin crève lui aussi l’écran grâce à l’interprétation incroyable de Danny DeVito derrière des prothèses et du maquillage de haute qualité – près de cinq heures pour la transformation à subir à chaque fois (l’Oscar des meilleurs maquillage a été gagné ainsi que celui des meilleurs effets visuels). L’acteur vole lui aussi la vedette à Batman, comme le Joker/Jack Nicholson en son temps. Heureusement, l’homme chauve-souris est au cœur d’une romance avec Selina/Catwoman et, mécaniquement, sa psyché est un peu plus soigné. Il faut dire que le mal-être et la solitude sont au cœur de Batman – Le Défi, apportant cette touche intimiste improbable pour un blockbuster estival.
Danny Elfman revient avec un somptueux score, élégante déclinaison du premier, Stefan Czapsky récupère le poste de directeur de la photographie après sa collaboration sur Edward aux mains d’argent. Son travail confère une atmosphère presque mono-chromatique rendant hommage aux plus beaux films de genre expressionnistes et sublimant le « noir » à l’état brute, satiné de neige et de sublimes contrastes. Gotham City perd son côté « New-Yorkais » du premier film pour devenir un personnage à part, un lieu à la fois urbain et fantastique, insaisissable et à l’identité propre.
Les premiers retours étaient si enthousiastes autour du personnage de Catwoman qu’il est décidé de tourner dans l’urgence (à trois semaines de la sortie, 19 juin 1992 aux États-Unis, Canada et Belgique) la scène de fin où Catwoman est bien en vie – là où le métrage laissait planer le doute de prime abord. Ce n’est d’ailleurs pas Pfeiffer sous le masque pour cette ultime séquence (qui devait aboutir à un spin-off qui n’a jamais réellement été mis en projet – Tim Burton n’ayant plus l’envie de replonger dans cet univers – à l’exception du navet éponyme sorti douze ans plus tard (avec Halle Berry) pour lequel Pfeiffer s’est retirée du projet en lisant le script et en voyant le nouveau costume). Funfact : Pfeiffer a bel et bien mis un oiseau vivant dans sa bouche plusieurs fois pour une scène mythique ! De la même manière, la scène d’ouverture d’anthologie du film (la naissance d’Oswald puis sa descente sur l’eau dans un berceau) a été conçue en postproduction et donc ajoutée en fin de parcours !
Contrairement au premier Batman, ce nouvel opus a moins fonctionné en salles malgré les critiques élogieuses. D’un budget faramineux (pour l’époque) de 80 millions de dollars (contre 35 à 45 pour le précédent), Le Défi n’a rapporté « que » le double aux États-Unis et au Canada mais un peu plus de cent millions dans le reste du monde. Total : presque 267 millions de dollars de recettes. Nettement moins que les 411 de Batman mais un succès financier malgré tout (jugé décevant côté Warner, forcément). Par ailleurs, l’approche plus violente, sanglante, « glauque » et sexuelle contribue à élever des ligues parentales qui veulent interdire la fiction aux plus jeunes ; MacDonald est même contraint de supprimer ses jouets du célèbre menu Happy Meal.
Des années après sa sortie, Batman – Le Défi s’est pourtant aisément imposé comme une pièce maîtresse de la filmographie de Tim Burton (qui le préfère au premier) et comme un rendez-vous pour les cinéphiles. Parfois injustement « boudé » voire un peu conspué, faute d’être encore plus noir que la précédente mouture, l’œuvre de Burton n’a pas à rougir, bien au contraire, elle vieillit même aussi bien voire mieux que le précédent – cette fois, elle est vraiment intemporelle.
Pour aller plus loin, on conseille bien sûr les bonus des DVD et Blu-Ray, en complément du très bon ouvrage Batman – L’histoire complète du Chevalier Noir (que j’avais évoqué lors d’une longue interview vidéo). Signalons aussi le très chouette numéro de décembre 2022 de Rockyrama sur le long-métrage (13,50 €) – qui trouve que « seul le remarquable film d’animation »Batman contre le Fantôme » masqué marche dans les traces » [de Batman – Le Défi], c’est plutôt vrai !
Côté vidéo, à l’instar du précédent, de multiples éditions existent, citons celle en format 4K dans un joli écrin garni de goodies (40 €). Sans surprise, le film est aussi inclus dans de nombreux coffrets (avec l’anthologie de Schumacher – 10 € en DVD, 20 € en Blu-Ray – ou avec d’autres titres de Burton). L’œuvre existe aussi en solo (10 €) et une réédition est (encore) attendue pour le 14 juin 2023 (25 €), jour de la sortie du film The Flash où Keaton fait son grand retour en Batman !