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Batman – Curse of the White Knight

Après l’excellent — et désormais culte et incontournable Batman – White Knight — Sean Murphy propose une seconde salve dans son univers détaché de la chronologie « officielle » de Batman (à l’instar de The Dark Knight Returns de Frank Miller qui a conçu au fil des années d’autres volumes pour étoffer également sa propre mythologie, avec des suites et séries annexes).

Cette nouvelle incursion sort dans quatre formats : d’abord le 02 octobre 2020 en version classique en couleurs (22,50€), dans le même format mais avec une couverture alternative spécialement pour les enseignes Fnac (25€), en version limitée en noir et blanc (29,00€)  comme ce fut le cas pour son prédécesseur puis le 20 novembre 2020 en version luxueuse (dans la nouvelle collection Urban Limited) agrandie (36 x 24 cm), encore plus limitée et numérotée de 1 à 1500 avec dos toilé, marquage à chaud et signet (59€ tout de même) !

Que vaut la malédiction (curse en VO) du fameux chevalier blanc ? Critique.


[En préambule si vous n’avez pas le temps de relire White Knight ou sa critique]

Quelques rappels nécessaire et révélations importantes : Harley Quinn (le « vrai » chevalier blanc de Gotham, c’était elle) a secrètement mis au point une pilule guérissant le Joker. Ce dernier est effectivement devenu sain et souhaitait changer la ville de Gotham en bien, sous son alias civil Jack Napier, aux côtés de son ancienne muse (redevenue Harleen Quinzel). Auparavant, le Clown du Crime, trop obsédé par Batman, n’avait même pas compris que son acolyte féminine de toujours (Harley Quinn donc) était partie et qu’une autre  l’avait remplacée : Marian Drews (une de ses anciennes otages). Furieuse de la tournure des évènements (la guérison de son amant), Marian se mue en néo-Joker, véritable nouvelle menace pour la cité.

Dans l’ombre, Jack Napier manipule tous les ennemis du Chevalier Noir afin d’arriver à ses fins politiques. Derrière son apparence « respectable », l’homme est resté menteur et manipulateur mais, cette fois, dans un but plutôt noble. N’est-ce pas ce que fait également Batman (devenu trop dangereux pour tout le monde et sombrant dans une violence hors-norme) ? Napier connaît d’ailleurs la véritable identité du justicier et lui apprend aussi que Jason Todd n’est pas mort…

En parallèle, Victor Fries (alias M. Freeze) ressuscite enfin sa compagne Nora. Le passé de la famille Freeze est lié à celui des Wayne à l’époque des nazis. Une situation explicitée partiellement mais qui renferme encore quelques mystères. La lettre posthume d’Alfred (mort après s’être sacrifié une ultime fois pour son maître) évoque justement des choses secrètes cachées dans le manoir (à la toute fin de l’ouvrage, sans que celles-ci soient dévoilées). Le GCPD s’est doté d’une nouvelle équipe puissante grâce au GTO, Groupe Tactique Opérationnel, initiée par Napier. Celle-ci se compose d’agents d’élites mais aussi des vigilantes de Gotham, comme Nigthwing et Batgirl. Une forme hybride entre forces de l’ordre et justiciers, équipés de la technologie de Batman incluant ses véhicules. Jack Napier redevient le Joker et retourne en prison, épousant Harleen au passage et faisant ses aveux à la police. De son côté,  le Chevalier Noir finit par révéler son identité à Gordon, confessant dans la foulée sa détresse entre son plaisir à faire du mal aux criminels et son envie de restaurer la confiance en son égard.

[Résumé de l’éditeur]
Le fléau Jack Napier est de nouveau derrière les barreaux, mais la sérénité est loin d’être de retour à Gotham, et encore moins au Manoir Wayne, où Bruce peine à retrouver équilibre et sérénité. Son pire ennemi n’a pas seulement ébranlé ses convictions et sa raison d’être, il a également durablement saccagé l’image de Batman et sa légitimité aux yeux des habitants de sa ville. La disparition d’Alfred n’est pas sans séquelle non plus, bien qu’elle laisse derrière lui un héritage inattendu : le journal d’Edmond Wayne daté de 1685, premier de sa lignée à s’être installé à Gotham et adversaire d’un certain Lafayette Arkham, dont les ossements ont été récemment découvert dans la cellule du Joker.

[Histoire]
1685. Manoir d’Arkham. Lord Wayne tue Lafayette Arkham. Ce dernier énonce une malédiction avant de trépasser…

Aujourd’hui. Asile d’Arkham. Le Joker s’échappe, prêt à retrouver son statut de criminel le plus puissant de Gotham et bien décidé à faire oublier son « alter ego » Jack Napier.

Batman et Gordon enquêtent et découvrent de vieux ossements dans une ancienne cellule de l’établissement (où était le Joker à une époque). S’agirait-il des os de Lafayette « Laffy » Arkham, dont la légende raconte qu’il était… un vampire ?

De son côté Bruce Wayne découvre le journal intime de son ancêtre Edmond Wayne, daté de 1685 (dans la cachette qu’évoquait Alfred dans sa lettre posthume).

En parallèle, Nightwing refuse que Batman dévoile son identité aux citoyens de Gotham mais le Chevalier Noir estime que c’est une décision juste et importante, reconnaissant que l’Initiative Napier a fait beaucoup de bien à la ville tout en mettant le justicier face à ses propres erreurs (tout en le « détruisant » intérieurement).

Plus loin dans la cité ténébreuse, Jean-Paul Valley, ancien soldat de l’armée souffre d’hallucinations et apprend qu’il a un cancer. Le Joker, connaisseur des secrets des ancêtres de Wayne ravive la flamme de l’épée et du combat d’Azraël, en la personne de Jean-Paul Valley justement, descendant d’un ennemi des Wayne.

Dans la foulée, le Clown sabote l’annonce de Gordon pour les municipales de Gotham et révèle au monde entier que Batgirl est en réalité Barbara, la propre fille du policier.

[Critique]
Le pari était risqué et il n’est pas vraiment réussi… Après la pépite White Knight, difficile de faire mieux évidemment et le résultat est (très) mitigé. Azraël et l’ancêtre de Bruce Wayne se connectent moyennement à la solide mythologie instaurée par Sean Murphy mais, heureusement, de bons éléments sauvent le reste et l’enrichissent. Explications.

L’univers de Batman, d’une manière générale, se marie moyennement avec les histoires de malédiction (un prétexte ici, il n’y en a pas vraiment), de secte (idem) ou d’ancêtres liés aux Wayne (on a du mal à se passionner pour cette extension d’antan — pas assez proche du présent du héros pour être appréciable, on en reparle plus loin). Ces nouveaux sujets tranchent donc assez radicalement avec le volet précédent — davantage urbain, porté sur le juridique, la morale, le psychisme… — et connotent difficilement avec l’univers du Chevalier Noir (comme souvent donc), en particulier celui mis en place par le scénariste et dessinateur Sean Murphy.

Ainsi, l’Ordre de St. Dumas et Jean-Paul Valley ont toujours été des éléments (crées dans l’indigeste mais culte saga Knightfall) à double tranchant (comme sa lame). D’un côté une psychologie intéressante pour l’être humain (il est quasiment bipolaire, ce qui est hélas peu exploité dans cette itération contemporaine) ainsi qu’une force hors du commun couplée à une panoplie esthétique variée et parfois appréciable quand il endosse le costume, ou plutôt l’armure de Batman (en résulte de savoureuses scènes de combat — ici et déjà à l’époque dans Knightfall). D’un autre côté un passif pénible, un brin lourdingue et surtout un aspect religieux trop prononcé, peu plausible et avec un intérêt limité, in fine.

Heureusement, il n’y a pas « que ça » dans Curse of the White Knight. En complément des dessins toujours aussi sublimes (on y reviendra), l’écriture et certaines situations restent passionnantes car si singulières et hors des sentiers battus. On pense en premier lieu à la relation mi-amicale, mi-amoureuse entre Batman et Harleen Quinzel ainsi que l’évolution de cette dernière. Elle était l’un des points forts du tome précédent, son rôle continue d’être soigné (dommage d’avoir mis sur la touche la néo-Joker même si elle est mentionnée au détour de quelques cases).

Autre suivi appréciable : l’avancement du GTO. Outre l’approche militaire et policière, c’est à nouveau Barbara/Batgirl qui fait l’objet d’une certaine attention ainsi que Renée Montoya, fraîchement promue à la tête des équipes (et dont le costume aux tons pourpres rappellent un peu Huntress — la policière se muera-t-elle en cette justicière dans une suite éventuelle ?). Dick/Nightwing est toujours un peu en retrait mais la fin du livre lui offre un joli échange/hommage. L’on suit évidemment à nouveau le Joker et par bribe Jack Napier — sans aucun doute les passages les plus réussis de l’œuvre. L’équilibre entre cette longue liste de protagonistes (et d’autres) reste idéal et le rythme plutôt soutenu malgré des passages pénibles (voir un peu plus loin). Le texte est dense mais accessible.

Un peu comme dans le tome précédent, Sean Murphy bouscule quelques statu quo de façon inédite : Harleen Quinzel est enceinte, l’identité de Batman est révélée à beaucoup de personnes (dont certaines auxquelles on n’aurait pas songé), celle de Batgirl à la population entière, Gordon démissionne du GCPD, de nouvelles morts dont certaines très osées surprennent et choquent le lecteur, etc. D’autres états des lieux sont plus convenus mais toujours plaisants à découvrir, comme le manoir Wayne qui est brûlé — souvent vu en films mais pas tant que ça en comics ! — ou encore la croisade multiple entre Jean-Paul et le Joker. On note aussi le mystérieux personnage de Ruth, véritable clone d’Amanda Waller, et d’un prêtre, lui aussi énigmatique même s’il fait un peu sens après quelques révélations tardives.

On l’a un peu évoqué, ce qui plombe le récit tient sur deux axes. Le premier correspond à tous les flashbacks de l’ancêtre de Bruce (Edmond Wayne) et cet improbable héritage pour ses descendants (il aurait inondé une partie de Gotham City pour moduler la ville à sa convenance) corrélé à son ennemi de toujours Bakkar (dont Jean-Paul Valley serait, évidemment, le légitime rejeton). Difficile de s’attacher à ces nouveaux personnages ou d’y trouver un intérêt. Seule la conclusion de l’histoire offre une nouvelle perspective et permet de relancer (plutôt efficacement) la narration avec (encore) un statu quo original. Bullock semble être une voix de la raison : « Des histoires de propriétés ? De sectes ? Un vampire qui s’appelle Laffy ? Sans parler de rosbifs et d’un mystère englouti à la Scooby-Doo daté de plus de trois cent piges. En quoi ça va nous aider à choper Azraël ? »

Le second « problème » est lié au premier puisqu’il s’agit de Jean-Paul Valley/Azraël qui est un choix peu cohérent par rapport à White Knight comme on l’a vu car il colle mal au registre initialement mis en place. Bane aurait eu sa place légitime pour le remplacer (il apparaît d’ailleurs pour l’occasion puisque le titre propose une certaine relecture, toute proportion gardée évidemment, de Knightfall, notamment avec la modernisation d’Azraël et de certains de ses costumes). Néanmoins, la présence d’Azraël face, entre autres, à Batman offre des scènes d’action spectaculaires : on ne boude pas son plaisir devant les combats, courses-poursuite et explosions dont la bande dessinée est friande. C’est réalisé avec brio, c’est très intense et réussi !

Une fois de plus, Sean Murphy parsème son histoire de quelques hommages et allusions aux autres œuvres cultes sur Batman, comme le fameux « stylo qui disparaît » issu du film The Dark Knight, ou le logo du Chevalier Noir issu du premier long-métrage de Tim Burton qui orne le tee-shirt… du Joker ! On retrouve aussi son amour pour les Batmobiles avec l’une d’entre elles mise en avant, « ça a toujours été ma préférée » stipule le super-héros/le scénariste. L’auteur égratigne (à nouveau) gentiment tout ce qui a souvent été un peu risible dans la mythologie de Batman, comme Gordon qui n’a jamais reconnu sa fille dans le costume de Barbara « à cause d’un stupide masque en cuir » [autour de ses yeux].

Un peu d’humour au détour de quelques vannes ou punchlines qui manquait peut-être auparavant est le bienvenu. Quelques étrangetés subsistent, comme le matériel informatique utilisé (disquettes et gros écrans d’ordinateurs) qui laisse penser que le récit n’est peut-être pas si « moderne » que cela malgré (dans le tome précédent) l’utilisation de smartphones et de vidéos virales. Une erreur de l’auteur ou une volonté d’être semi-vintage ou plus ou moins intemporel ? Toujours dans les incohérences ou fourvoiements, Batgirl se remet étonnamment vite d’une blessure profonde et on reste surpris d’un certain mutisme planant lors de séquences spécifiques…

Après six chapitres, s’intercale un interlude dessiné par Klaus Janson (encreur de la saga The Dark Knight Returns, donc Murphy reconnaît bien volontiers l’inspiration pour son propre travail, évoquant en Janson une de ses idoles) et intitulé Von Freeze. Prévu initialement pour s’intégrer dans le premier volume (dans lequel Freeze, son passé commun avec les Wayne et des nazis étaient mis en avant), il trouve une place ici plus ou moins bancale ; cassant l’immersion et le rythme du récit principal (en plus de ne pas du tout être dans le même style graphique) et, surtout, y semblant peu connecté suite aux raisons qu’on vient d’évoquer.

Malgré tout, l’épisode est plutôt réussi et s’ancre habilement avec l’Histoire de notre monde et celle, toujours, de cette « nouvelle » mythologie du Chevalier Noir remaniée par Murphy. Seule la fin raccroche fébrilement les wagons avec Curse…. Pourquoi pas inclure ce chapitre spécial dans les prochaines rééditions de White Knight tant il semble davantage y être destiné ? La postface de Murphy, datée de novembre 2019, explique que la famille de Janson a elle-même vécu la fuite de l’Allemagne, à l’instar de ce qu’on lit dans la fiction.

En conclusion, difficile de s’extasier devant Curse of the White Knight qui passe après « l’excellence » (voire le chef-d’œuvre) qu’était son prédécesseur. Le comic demeure intéressant dans l’ensemble car Sean Murphy continue de réinventer l’univers de Batman à sa sauce avec une certaine audace mixée à de jolies évolutions mais malheureusement avec un traitement narratif fortement inégal. Un tiers de l’ouvrage aurait mérité une approche plus terre-à-terre et dans un style plus connecté à ce qui faisait la qualité de White Knight. Cet écart va perdre une partie de son lectorat et surtout « l’aura » qui gravitait autour de cette nouvelle série — sans pour autant rappeler le fossé (immense) entre The Dark Knight Returns en son temps, qui rebâtissait lui aussi la mythologie du Chevalier Noir, et sa première suite catastrophique The Dark Knight Strikes Again.

Curse of the White Knight reste pertinent par certains aspects et il serait dommage de passer à côté, ne serait-ce que pour sa qualité graphique exceptionnelle : traits anguleux et design des personnages toujours aussi inédits, découpage endiablé et efficace (aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus calmes), colorisation peu criarde et élégante (à nouveau assurée par Matt Hollingsworth), etc. Malgré tout, il y a de fortes (mal)chances d’être déçu tant certaines pistes ne sont pas exploitées (quid des autres ennemis ?) et certaines choisies sont nazes (cf. quelques paragraphes plus haut). Encore une fois, le titre se suffit à lui-même mais appelle, sans surprise, à une suite (la fin joue sur un habile teaser).

Pour vulgariser, le comic pourrait se diviser en trois parties : une sur la partie « historique » de Gotham/ancêtre de Bruce (qu’on a donc peu aimé — mais évidemment si ça vous attire foncez, on rêve de voir Sean Murphy sur une œuvre de pirate par contre, il dessine merveilleusement bien ce style), une sur la « seconde partie » de l’arc urbain/juridique/vigilante (la meilleure) et une rassemblant les scènes de combat et affrontements, physiques ou en véhicules, parfois très sanglants et brutaux voire gores (très appréciable). On reste donc sur un quota qualitatif au-dessus de la moyenne. Un second tome qui fera sans aucun doute moins date que son aîné, au résultat en demi-teinte mais qu’on conseille tout de même, pour prolonger la découverte d’un univers atypique et solide.

Comme souvent chez Urban, de nombreuses pages bonus ferment la bande dessinée. Galerie de couvertures alternatives, planches crayonnés (donc noires et blanches), carnet graphique… s’étalent sur une quarantaine de pages. La version noir et blanc ne les comporte pas en revanche. Cette dernière apporte une vision différente, plus « noire », un côté polar et graphique élégant mais qui ne rend pas honneur au travail d’Hollingsworth pour toutes les scènes de combat, surtout celles avec la lame enflammée d’Azraël ou des explosions — les tons orangées sont sublimes. Cela reste évidemment un bel objet en attendant de jeter un œil sur l’autre édition, encore plus limitée (1500 exemplaires) et agrandie.

[A propos]
Le premier chapitre (sur huit sans compter l’interlude sur Freeze) avait été distribué en novembre 2019 au Comic Con à Paris la conférence d’Urban Comics/François Hercouët puis en juillet 2020 pour le Free Comics Book Day (initialement prévu en mai 2020).

Publié chez Urban Comics le 02 octobre 2020.

Scénario & dessin : Sean Murphy (+ Klaus Janson)
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :
Batman – Curse of the White Knight [édition normale – 22,50€]
Batman – Curse of the White Knight [édition limitée noir et blanc – 29,00€]
Batman – Curse of the White Knight [édition limitée format deluxe – 59,00€]

Quelques couvertures alternatives (cliquez pour agrandir).

 

 

 

 

 

Quels comics lire sur le Joker ?

Le 9 octobre 2019, à l’occasion de la sortie du film Joker, j’ai publié un « guide de lecture » sur le Clown du Crime sur Le Huffpost (anciennement Le Huffington Post). Il est à découvrir sur ce lien mais ci-dessous vous trouverez une version adaptée et mise en page pour le site : les liens sur les titres et les images de couverture renvoient vers les critiques sur le site, ceux sur les prix vers amazon.fr pour un achat en ligne. Les autres vers des dossiers ou analyses également sur ce site.

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Quelles bandes dessinées sur le célèbre Clown du Crime peut-on lire en France ?

L’excellent film Joker est actuellement au cinéma. Quelles ont été les sources d’inspiration côté comics? Quelles bandes dessinées sur le célèbre Clown du Crime peut-on lire en France? Sélection d’incontournables.

Les deux co-scénaristes de Joker, Todd Phillips (également réalisateur) et Scott Silver, avaient annoncé que leur version du Joker ne serait pas issue des comics. Oui et non. Il est indéniable qu’un récit culte, Killing Joke, a servi pour la conception du personnage. Écrit par le génial Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta…), qui renie désormais cette œuvre, dessiné par Brian Bolland très impliqué dans l’histoire, Killing Joke (très abordable pour qui veut découvrir le Joker) a été publié en 1988, au moment où les aventures de Batman prenaient un tournant extrêmement sombre et radical.

Les origines du Joker

Les auteurs nous montrent en effet pour la première fois des origines plausibles pour le Joker, avant qu’il ne sombre dans la folie. Homme démuni vivant dans la précarité avec sa compagne enceinte et humoriste raté, il n’a d’autre choix que de devenir complice d’un cambriolage qui tournera mal… Le reste est à découvrir dans le livre, publié en France chez Urban Comics (comme toutes les œuvres citées dans ce billet).

 

(À gauche la version classique du livre (13,50€),
à droite sa version limitée collector (28€))

Pour profiter de la sortie du film, l’éditeur a d’ailleurs proposé Killing Joke dans une nouvelle édition limitée collector. Ainsi, on peut toujours acheter la première, contenant juste l’histoire qui s’étale sur 46 pages seulement (13,50€), ou bien la nouvelle (28€), enrichie de nombreux bonus comme le script intégral et, surtout, les deux versions de la bande dessinée colorisées différemment. L’initiale plutôt psychédélique (de 1988) et la moderne nettement plus froide et réaliste (2008). Deux visions, deux oppositions, deux récits à la fois similaires et différents.

Killing Joke est aussi connu pour sa violence extrême : c’est dans cette fiction que le Joker kidnappe Barbara Gordon, lui tire dessus et la rend handicapée (il est même suggéré qu’elle a été violée). La force de la narration est aussi de montrer la dualité entre le Chevalier Noir (très en retrait au global) et le Prince du Crime : tous deux entretenant une relation ambiguë. En synthèse, s’il y a une œuvre qui a au moins “un peu” inspirée les scénaristes du film Joker, c’est celle-ci (Brian Bolland est d’ailleurs remercié dans le générique de fin) !

Autre comic culte (à petit prix, 15,50€) et revenant sur les origines du célèbre clown : Joker – L’homme qui rit. Scénarisé en 2005 par Ed Brubaker (Gotham Central) cette courte histoire pioche dans les premières apparitions comics du Joker pour la moderniser efficacement. Trois mois après la chute du mystérieux Red Hood dans une cave d’acide (causée par Batman), un bouffon énigmatique apparaît à la télévision et annonce les futures morts de l’élite de Gotham. Avec son système de narration croisée (identique à celui de Batman – Année Un à qui il rend hommage — il aurait clairement pu s’appeler Joker – Année Un), son côté glauque et son aspect intemporel, L’homme qui rit est un must-have pour tous fans du Joker.

Le titre s’inspire du roman éponyme de Victor Hugo, qui a servi de source pour la création du personnage. Pour compléter les 63 pages du récit, l’édition contient quatre chapitres issus de l’excellente série Gotham Central (toujours écrite par Brubaker, accompagné de Greg Rucka) et centrés sur le Joker.

Plusieurs versions du Joker

En autre incontournable, Joker Anthologie (25€) permet de découvrir près de huit décennies consacrées au Clown criminel. À travers une sélection de vingt histoires, de sa première apparition en 1940 aux plus récentes des années 2000 et 2010, en passant par les différents époques éditoriales qui ont vu fleurir plusieurs versions du Joker. En effet, au fil du temps, le Joker passe du fou furieux et tueur sans remords à habile manipulateur, en passant par le “simple bouffon” adepte des farces et attrapes.

Une plongée dans l’histoire du plus grand criminel de la pop culture corrélée à celle de son éditeur et ses différents auteurs. Attention tout de même : l’histoire L’homme qui rit est elle aussi incluse dans Joker Anthologie !

Avec Joker (15,50€) et Mad Love (15,50€ également), on découvre deux récits sur le même personnage mais à l’ambiance complètement différente. L’une est résolument sombre, l’autre plus “enfantine”. Dans Joker — pas encore chroniqué sur le site —, écrit par Brian Azzarello et dessiné (de façon très réaliste) par Lee Bermejo, le célèbre Clown sort de l’asile d’Arkham et compte bien retrouver son titre du plus grand criminel de Gotham. Avec son ambiance glauque, sa violence extrême et son univers lugubre, Joker semble prolonger la version du fou dépeinte dans le film The Dark Knight et interprété par Heath Ledger. Le look de cette itération comics est d’ailleurs assez proche de celle du chef-d’œuvre de Christopher Nolan.

Dans Mad Love à l’inverse, c’est l’incarnation de la version de la série d’animation Batman de 1992 qui est à l’honneur. Écrit par Paul Dini et Bruce Timm (ce dernier est également dessinateur), tous deux déjà auteurs du dessin animé, Mad Love est la transposition d’un épisode culte sur le Joker et Harley Quinn. Dans ce récit, le Joker quitte sa muse, la jugeant responsable de ses échecs. Quinn se rappelle alors de sa rencontre avec « monsieur J. », quand elle était psychiatre à Arkham. Si Mad Love flirte avec une certaine nostalgie pour les fans de la série d’animation, c’est aussi l’occasion de découvrir un Joker plus “léger” graphiquement mais tout aussi violent dans ses actes et ses propos. Double lecture, aussi bien pour les adultes que pour les enfants, cette histoire est, là aussi, incontournable pour découvrir le Joker sous toutes ses coutures.

Le renouveau

Si tous les comics évoqués jusqu’à présent placent le Joker au cœur du récit, quasiment en tant que personnage principal, il faut s’attarder sur deux autres livres beaucoup plus récents dans lequel Batman occupe une place plus importante.  Joker Renaissance (35€) est la compilation de deux volumes de la série Batman entamée en 2011 par le scénariste Scott Snyder et le dessinateur Greg Capullo. Cet épais ouvrage contient donc deux histoires : Le deuil de la famille (à ne pas confondre avec Un deuil dans la famille) et Mascarade. Dans la première, le Joker réussit à kidnapper tous les alliés de Batman et avance connaître l’identité de celui-ci. Dans la seconde, le Clown déverse une toxine dans Gotham City et voit le Chevalier Noir affronter… la Justice League avant d’autres péripéties psychologiques et physiques.

Si les planches sont un régal pour les yeux grâce à la finesse des traits de Capullo et son style atypique, les histoires de Snyder divisent. Cela démarre toujours très bien, avec un concept novateur et des idées intéressantes mais l’évolution et la conclusion de ses récits sont bancales, avec un résultat final mitigé. Certains apprécient son audace, notamment de proposer une vision axée sur la confiance (brisée) entre Batman et sa “famille”, d’autres déplorent une facilité narrative et des “non-évènements” sans impacts majeurs. À découvrir tout de même, pour la proposition graphique et le look du Joker post-2010’s, ainsi qu’un parti pris narratif déroutant ou passionnant.

Dans White Knight, publié l’an dernier (et dont une suite — pas nécessaire — est attendue en France en 2020), le Joker est guéri de sa folie ! Jack Napier, son nom dans le civil, devient alors le « Chevalier Blanc » de Gotham (d’où le titre du comic-book). Il compte d’ailleurs attaquer en justice Batman et la police pour la violence dont ont fait preuve ceux-ci envers lui mais aussi… se présenter aux élections municipales de la ville ! Bon orateur, intelligent et charismatique, Napier bouleverse l’opinion publique au fur et à mesure qu’il gravit les échelons politiques. Sean Murphy (Punk Rock Jesus — qu’on recommande !) a écrit et dessiné cette histoire très rapidement devenue culte, qui peut sans rougir intégrer les Top 10 des meilleures aventures du Chevalier Noir (elle fait d’ailleurs partie des huit incontournables sur ce site). White Knight (22,50€) est sans aucun doute LA pépite la plus récente et originale dans son traitement du Joker.

Pour les plus curieux, on ne peut que conseiller le célèbre Arkham Asylum (19€), dans lequel Batman s’enfonce dans le célèbre asile pour une expérience détonante et fascinante (pour le lecteur). Une plongée dans la psyché de l’homme chauve-souris et, entre autres, sa némésis. Empereur Joker (22,50€) montre le Clown du Crime face à… Superman. Une étrange histoire servie par des dessins très « cartoonesque » qui peut freiner certains.

Enfin, le beau livre Tout l’art du Joker (29€) s’attarde sur l’évolution et les différentes interprétations du Clown fou à travers les âges et les supports artistiques, incluant bien sûr nombreux dessinateurs de comics.

 

Couvertures originales des tomes 3 et 7 de la série Batman,
tous deux inclus dans Joker Renaissance.

On récapitule ! Pour les « petits budgets », on conseille la version simple de Killing Joke (13,50€), L’homme qui rit, Joker et Mad Love (tous trois à 15,50€). Pour les plus aisés, la version limitée de Killing Joke (28€), l’Anthologie “Joker” (25€) et certains récits comme Joker (15,50€) et White Knight” (22,50€).

Batman – White Knight

Sean Murphy (Punk Rock Jesus, Tokyo Ghost…) écrit et dessine les huit chapitres de Batman – White Knight. Un one-shot publié en France le 26 octobre 2018 en trois éditions : une classique en couleur, la même mais en édition limitée avec une couverture inédite uniquement disponible en Fnac et, enfin, une luxueuse limitée (et plus onéreuse) en noir et blanc. Découverte de cette histoire singulière qu’Urban Comics a proposé pour inaugurer sa collection DC Black Label : « le versant adulte de l’univers DC ».

(Les couvertures des trois éditions différentes.)

[Histoire]
Toujours plus radical, Batman tabasse le Joker après une énième course-poursuite. Le justicier ne se soucie même plus des dommages collatéraux et son entourage (Batgirl et Nightwing notamment) peinent à le reconnaître et faire en sorte qu’il se ressaisisse. Le Joker cherche justement à convaincre le Dark Knight qu’ils forment un « couple » et que l’homme chauve-souris a autant besoin de lui que l’inverse. Il le met même au défi d’être guéri de sa folie pour lui prouver que même en étant « gentil », Batman désirera toujours le Clown du crime, d’une façon ou d’une autre…

Batman  est filmé à son insu dans un excès de violence contre le Joker (il l’achève même en lui enfonçant de force des pilules de guérison dans la bouche) et sous les yeux impassibles de Gordon et de policiers. Le justicier est sujet à débat politique et sociétal. Dans une ville où le GCPD ne semble pas assez efficace, les méthodes du Caped Crusader divisent les citoyens.

Peu après, aussi surprenant que cela puisse paraître, le Joker, alias Jack Napier semble guéri de sa folie. En recouvrant ses facultés mentales, il décide d’attaquer la ville en justice, ainsi que le GCPD et, bien sûr, Batman.

« J’aime Gotham et il est temps que je rembourse la dette du Joker.
Cette ville mérite mieux que vous, mieux que le Joker
et mieux que le Chevalier Noir.
Aussi, je serai son Chevalier Blanc. »

De son côté Bruce Wayne s’associe avec Mr. Freeze, travaillant ensemble sur les technologies pouvant d’un côté redonner vie à Nora, la compagne de Victor Fries, et d’un autre côté à… Alfred, apparemment dans le coma et mourant.

Jack Napier entame sa rédemption, aidé de son ancienne psychiatre et compagne Harleen Quinzel. L’homme souhaite aller de l’avant tout en combattant ses démons intérieurs — la folie du Joker rôde toujours — et on le sait responsable (à l’époque où il était encore le criminel redouté) de la disparition de Jason Todd, alias Robin.

Bon orateur, intelligent et charismatique, Napier bouleverse l’opinion publique au fur et à mesure qu’il gravit les échelons politiques.

[Critique]
Cela faisait très longtemps qu’une œuvre (récente) sur Batman n’était pas aussi proche de la perfection. N’ayons pas peur des mots : Batman – White Knight est un chef-d’œuvre. Un one-shot qui fera date et restera dans la postérité aux côtés des récits cultes de l’homme chauve-souris ! À la fois accessibles aux plus néophytes et aux fans ardus, les qualités ne manquent pas pour qualifier cette bande dessinée. Le scénario, habile par bien des aspects, surprend par sa crédibilité (cette inversion des rôles — le gentil Joker vs. le méchant Batman — a déjà eu lieu et elle apparaît, ici, comme un réel défi moderne et plausible). Cette approche contemporaine brasse divers thèmes comme les dégâts immobiliers causés par Batman remboursés par les frais du contribuable, les avis tranchés des médias sur le justicier, les technologies de l’homme chauve-souris non partagées avec les services de police (la répartition de ces ressources aurait pu sauver des vies), etc.

Batman était censé être une solution temporaire pour Gotham… [Jim Gordon]
Mais désormais, c’est une addiction.
Et nous voulons la même chose, Jim : une solution. [Jack Napier, ex-Joker]

En évoquant ces aspects plus ou moins « inédits » dans une aventure de Batman (certains sont souvent abordés mais rarement aussi brillamment développés comme ici), le scénariste (et dessinateur) Sean Murphy propose un récit mature et passionnant. Il en profite aussi pour ajuster quelques éléments iconiques de la mythologie du Chevalier Noir. Dans son White Knight, Batgirl ne connait pas Jason Todd par exemple. Ce dernier a disparu et il n’a pas été remplacé (par un troisième Robin). Il n’hésite pas non plus à reléguer Alfred à de la figuration, luxueuse certes, et a envoyer le célèbre majordome six pieds sous terre. Duke Thomas, personnage créé récemment dans la série de Scott Snyder, apparaît ici comme un grand gaillard musclé, qui porte certes les couleurs de Robin (un souhait de l’auteur, comme le confirme ses croquis de recherche en bonus en fin d’ouvrage) mais est loin de sa version classique.

En plus de revisiter à sa sauce Batman et Gotham, Sean Murphy créé aussi un nouvel ennemi, appelé « la néo-Joker ». Il s’agit en réalité de Harley Quinn mais attention, la « seconde » muse du Joker. Explications : la première Harley Quinn (la psychiatre Harleen Quinzel) existe bien mais s’était éloignée du Joker, qu’elle ne reconnaissait plus. Une citoyenne de Gotham, prise en otage lors d’un braquage de banque par le Clown du Crime, fut victime du syndrome de Stockholm et devint, plus ou moins à son insu, une nouvelle Harley Quinn. Si cela peut paraître ridicule sur le papier, c’est très intelligemment mis en scène dans le comic-book. Murphy tacle d’ailleurs le virage ultra commercial et sexué qu’a pris l’Harley Quinn de ces dernières années dans tous les médiums artistiques. Il balaie même, à raison, l’argument féministe évoqué en guise de justification. On retrouve du coup deux femmes amoureuses du même hommes mais aux deux facettes radicalement différentes : le Joker et sa version « gentille » Jack Napier. Qui plus est, sans en dévoiler davantage, Murphy offre un véritable « bon et solide » rôle à la muse, voire aux deux muses, du Joker. C’est peut-être elle(s ?) qui est la véritable héroïne de cette histoire !

La « neo-Joker », nouvelle ennemie donc, s’allie avec le Chapelier Fou, là aussi tourné en dérision par l’auteur — qui semble se moquer régulièrement de ce qu’il juge plutôt risible dans la mythologie de Batman et, encore une fois, souvent à raison — mais le réécrit habilement pour lui proposer un solide second rôle. Une aubaine pour Jervis Tetch, rarement mis en avant dans les comics sur le Caped Crusader. La plupart des ennemis habituels sont aussi de la partie, avec une mention honorable pour Gueule d’Argile. Hélas — et c’est l’un des rares tout petit reproche à White Knight — la galerie de vilain est maladroitement exploitée (ils sont manipulés, leur cerveau étant contrôlé à distance…) et, in fine, peu montrée ; ils se contente de bastonner de temps en temps.

Les (nombreuses) scènes d’action s’ajustent parfaitement avec les séquences de dialogues. Le dosage est très réussi et cet équilibre bienvenu fonctionne très bien. Entre les coups de sang, ou plutôt les coups de poing, d’un Batman enragé, le récit fait aussi la part belle aux véhicules du justicier. Une nouvelle Batmobile a été conçue par Sean Murphy. Il s’est aussi fait plaisir en incrustant quasiment toutes les autres versions de la célèbre voiture ! Celle de la série d’animation de Bruce Timm, celle des films de Tim Burton (dont Murphy conservera le nom de Jack Napier pour l’alias civil du Joker), celle de la trilogie de Christopher Nolan, celle de la série kitch des années 1960, etc. Une vraie parade qui ne pourra que plaire aux fans.

En autres (très) légers défauts, on peut évoquer la difficulté à se rendre compte de la temporalité. Apparemment plus d’un an s’écoule avec le Joker « sain » et cela n’est pas forcément bien rendu. Des mentions datées auraient peut-être été plus judicieuses. De la même manière, il est évident (surtout sur la fin du récit) que Jack/Joker rappelle… Double-Face. Une schizophrénie à la fois graphique et rédactionnelle qui intervient de façon pertinente lorsque Jack ne prend plus ses pilules de guérison. C’est peut-être pour cela que le vrai Double-Face est très en retrait (même si d’autres ennemis emblématiques le sont tout autant, comme le Pingouin, l’Homme-Mystère, Killer Croc, etc.).

Avec un rythme endiablé et sans temps mort, l’histoire de White Knight ne surprend pas forcément dans ses grandes lignes mais reste redoutablement efficace (parfois même émouvante sans tomber dans le pathos). On  y croise les figures connues de Gotham, comme Leslie Thompkins, Harvey Bullock… des allusions au passé des Wayne (et une curieuse alliance) rappellent les bons moments de la première saison du jeu vidéo de Telltale Game, etc. La dualité entre Batman et le Joker est évidemment au cœur du récit (avec cette rengaine du Je t’aime moi non plus… et de la création de l’un et de l’autre, du miroir amour-haine et ainsi de suite — déjà très bien traitée dans Killing Joke et Arkham Asylum par exemple). Le nihilisme de Batman est bien exploité, perdant ses repères sans le montrer — seule la voix de Batgirl le rappelle à l’ordre, tous les autres sont pessimistes et fatalistes sur le sujet, y compris Nightwing et Gordon, doutant petit à petit du combat de Batman. Le point d’orgue se situe lors de la mort d’Alfred, qui était « la boussole morale de Bruce », comme l’évoque délicatement Batgirl. Par cet incessant rappel au questionnement infini de justice alliée à la moralité et la légalité (un ensemble toujours aussi « complexe » mais abordé frontalement en continue durant tout le récit), White Knight se veut plus profond qu’une relecture de Batman contre le Joker, ici plus humain que jamais. Il interroge, il met en garde, il divertit…

À ce titre, il apparaît comme une étrange continuité du travail de Miller sur son Dark Knight Returns (par les mêmes questionnements thématiques, les violences radicales et les débats journalistiques qui parsèment la narration) mêlé au travail de Geoff Johns sur Batman : Terre-Un, qui est clairement un « nouvel univers » du Chevalier Noir. White Knight semble emprunter les meilleurs éléments de ces deux excellents titres pour accoucher d’un écrin graphique quasi-parfait.

Car en plus d’écrire, Sean Murphy dessine. On lui doit déjà l’excellent one-shot Punk Rock Jesus (fortement conseillé) et la série en deux tomes Tokyo Ghost. À l’instar de celle-ci, l’artiste est accompagné ici de Matt Hollingsworth aux couleurs et, toujours comme pour Tokyo Ghost, une version des crayonnés encrés en noir et blanc de sa bande dessinée fut également en vente. Si la version couleur de Batman – White Knight est sublime par ses palettes sombres pour un résultat « réaliste » et sinistre, la version noire et blanche apporte une ambiance polar (voire hard boiled) très efficace. Aucun bonus n’est inclus dedans en revanche et, paradoxalement, elle coûte plus cher (29€ au lieu de 22,50€). Difficile d’en conseiller une en particulier, les deux sont excellentes à leur manière !

Il faut compter 200 pages environ pour les huit chapitres et ajouter une petite trentaine de bonus (galerie de couvertures, recherches…). Un temps appelé, « Joker : White Knight of Gotham », le livre regorge de citations brillantes, nées de la plume de Murphy, à l’aise aussi bien à l’écriture qu’aux dessins. L’artiste a réussi là où Enrico Marini avait peut-être échoué dans son The Dark Prince Charming. Ce dernier s’était fendu d’une histoire simpliste (ce n’est pas un défaut) mais efficace ; ici Murphy n’hésite pas à complexifier son récit et à proposer de solides rôles féminins (ce qui manquait cruellement dans The Dark Prince Charming). Le traitement narratif sur les personnages et leurs évolutions sont un des atouts de Batman – White Knight. Étrangement, ces deux œuvres (celle de Marini et de Murphy) paraissent complémentaires malgré leurs différences (graphiques et qualitatives) évidentes.

Si White Knight est hors-continuité, on se plaît à imaginer un nouvel univers gravitant autour de celui-ci. La fin sonnant comme un nouveau départ, il n’est pas forcément impensable que l’auteur (ou d’autres) souhaitent s’approprier cette base de données — très riche — pour accoucher de nouvelles pépites similaires. MàJ novembre 2018 : Une suite est déjà prévue pour 2019 ! Sean Murphy travaille en effet sur « The Curse of White Knight » qui mettra en avant Azraël notamment, toujours autour de Batman et du Joker. Freeze aura également droit à un chapitre spécial.

« Je suis un sociopathe manipulateur, qui arrive à peine à se contenir.
Deux cachets de moins et je redeviens ton pire cauchemar. »
[Jack Napier, ex-Joker, à Harleen Quinzeel]

Instantanément culte, Batman – White Knight ne rejoint pas les « coups de cœur » du site mais… les « comics incontournables » sur le Chevalier Noir ! Une très courte liste (c’est le huitième titre dedans) qui propose une porte d’entrée mais aussi des récits qui passent aisément la postérité. Nul doute que ce sera le cas ici.

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 26 octobre 2018. Aux États-Unis d’octobre 2017 à mai 2018.

Scénario et dessin : Sean Murphy
Couleurs : Matt Hollingsworth
Traduction : Benjamin Rivière (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Quelques couvertures classiques ou « variant » de Batman – White Knight.

 

À lire également en complément : la critique de Neault — qui a beaucoup aimé aussi — sur le site UMAC (pour lequel je contribue de temps en temps).