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Joker – The Winning Card

Le duo (gagnant de prime abord) Tom King (écriture) et Mitch Gerads (dessin et couleur) – qui avait signé l’excellent One Bad Day – Le Sphinx – est de retour pour un récit complet autour du célèbre Clown du Crime, se déroulant au tout début des agissement de Batman. Pour l’occasion, le titre sort dans deux éditions, une classique et une limitée (reprenant chacune une couverture issue d’une pleine planche de la bande dessinée). En quatre épisodes (provenant de la série en VO The Brave & the Bold), l’exploit est-il renouvelé ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Batman, Année Un. Alors que Bruce Wayne est encore en phase d’apprentissage pour incarner pleinement le Chevalier Noir, Gordon se lance sur la trace d’un mystérieux clown psychotique en pleine folie meurtrière. Ses intentions sont floues, ses mobiles inexistants, et alors que Gotham est plongée dans la peur, Gordon et Batman vont apprendre ce qu’il en coûte de sous-estimer le Joker.

[Début de l’histoire]
Tandis qu’une jeune fille tarde à rentrer chez elle (elle rencontre le Joker), Gordon assure la sécurité d’une personne à son domicile à Gotham.

En effet, un nouveau psychopathe dans la ville annonce ses crimes en avance et les victimes meurent à minuit précisément.

Batman enquête de son côté, ne trouvant qu’un criminel mystérieux qui tue également par pur hasard et folie…

[Critique]
Enfin un comic book qui renoue avec un Joker fou et effrayant à souhait ! Le mode opératoire est simple mais efficace : le Joker n’apparaît pas trop frontalement (surtout au début), il est globalement mutique sauf pour dire des blagues, on ne sait pas d’où il vient ni pourquoi il tue et… c’est suffisant. Seule la toute dernière ligne droite convoque un brin Killing Joke et son éternel débat que l’homme chauve-souris ne va pas sans le clown du crime (ainsi qu’un autre élément qu’on ne dévoilera pas ici).

Tout n’est pas parfait (loin de là) mais The Winning Card distribue puis joue habilement ses cartes (pardon). L’ambiance est posée instantanément, on retrouve inéluctablement les éléments du One Bad Day consacré au Sphinx : une tension continue, des héros faillibles, des ennemis flippants, un côté glauque et sans limite, etc. Tom King réussit globalement ce qui apparaît comme la « véritable » Année Un du Joker (contrairement au médiocre titre éponyme paru en seconde moitié du quatrième volet de Dark City, écrit par Chip Zdarsky). Pour l’auteur ultra prolifique chez DC (pour le meilleur, le pire mais surtout le clivant : Batman Rebirth, Heroes in Crisis, Batman/Catwoman, …), c’est l’occasion de renouer avec une approche froide et primaire (mais, encore une fois, efficace).

Cette austérité rudimentaire fonctionne aussi grâce à Alfred, compagnon bienveillant et bienvenu dans cette courte aventure (quatre chapitres) et la relation entre Gordon et Batman. On oublie volontairement un rustre grossier ami de Wayne (nommé… Brute – ça ne s’invente pas !) et les éternelles victimes ou personnages ultra secondaire relayés à de la figuration. L’intrigue n’en est pas vraiment une mais ce n’est pas grave, ce qui compte reste l’émotion (ici la tension et l’effroi) relativement bien retranscrite, grâce aux sublimes planches de Mitch Gerads, on y reviendra – auquel on ajoute la curiosité morbide qui se dégage de l’ensemble (et des passages particulièrement sanglants), dans un rythme de lecture rapide.

Rythme pourtant magistralement cassé par deux points narratifs récurrents. Le premier n’est pas nouveau, hélas, chez le scénariste. Il abonde de mots vulgaires dans la bouche de certains protagonistes. Comme expliqué pour Killing Time à l’époque (signé par Tom King aussi), la grossièreté n’est pas un problème en soi, c’est surtout sa « non traduction » en VO comme en VF qui est pénible. Comprendre qu’un terme jugé grossier ou une insulte est remplacé par des signes types %&@#!! – ce qui rend l’ensemble illisible en cas d’abus, comme c’est le cas ici… Sur 96 pages de bandes dessinées, 20 en contiennent au moins un, soit presque 21% de l’ensemble, un cinquième du livre ! Avec, parfois, des aberrations comme la page 19, à découvrir ci-après (en VO et VF) – cliquez pour agrandir.

Le deuxième point conférant une lisibilité moindre est la redondance d’un gimmick chanté, un aspect là aussi déjà récurrent chez King (dans Batman/Catwoman et le onzième tome de Batman Rebirth par exemple). C’est moins grave en soi mais donne une sensation d’utilisation de place précieuse un peu gâchée… Car l’artiste rejoue à fond la typologie de découpage type gaufrier– soit neuf cases par planche – tout au long de sa fiction (rendu célèbre par Watchmen, sublimé dans Killing Joke et déjà reprise dans One Bad Day – Le Sphinx par le même binôme), avec la complicité évidente de son dessinateur. Gaufrier potentiellement gâché par la moitié des cases qui sont uniquement quelques mots de textes (blanc sur fond noir) en répétition ad nauseam (de blagues, devinettes macabres ou chanson donc).

Mitch Gerads, rend l’éprouvant palpable et sublime les effets de lumière grâce à son style si singulier, bien éloigné des dessins mainstreams propres à l’industrie. Bien sûr, sa patte ne plaira pas à tous, mais dans un registre si souvent conventionnel, c’est une aubaine ! Cela est d’autant plus surprenant que The Winning Card regroupe, en fait, les épisodes de The Winning Card paru dans Batman – The Brave & the Bold #1-2, #5 et #9 (et non #4-5 comme indiqué sur le site de l’éditeur). Ce titre n’est pas une série à part entière mais une compilation de chapitres issus de quatre séries en général, pas forcément centrées sur Batman (Aquaman, Superman, Stormwatch, Lois Lane…). Urban Comics a eu le nez fin en la proposant à part dans un récit complet qui s’intercale selon le souhait de son lecteur : dans la continuité officielle (après Année Un de Batman et avant Killing Joke par exemple), dans l’éventuel univers partagé du One Bad Day – Le Sphinx (lui-même s’inscrivant plus ou moins dans la chronologie classique) ou bien comme un titre à part déconnecté du reste. À découvrir d’urgence si l’ambiance moderne vous plaît ou si vous aviez apprécié l’itération de l’homme-mystère par le même duo !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 juillet 2024.
Contient : The Brave & the Bold #1-2, #5 et #9
Nombre de pages : 112

Scénario : Tom King
Dessin et couleur : Mitch Gerads

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : SCRIBGIT

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