Cinquième et dernier tome de Batman : Detective, Briser le miroir propose une histoire éponyme en six chapitres (dont un prologue déconnecté) suivi d’une foule d’épisodes Detective Comics #1027 (dont un inédit non publié auparavant), numéro emblématique de la célèbre série (on explique plus loin pourquoi). Critique.
[Résumé de l’éditeur]
Un nouvel adversaire, se faisant appeler le Miroir, rode dans les rues de Gotham. Mais est-il réellement aussi mauvais que ce qu’il laisse à penser ? Ou est-il simplement le reflet de la perversion du monde qui l’entoure ? Pendant que la Bat-Family doit lutter contre la véritable armée qu’il a levée, Damian Wayne se cache dans l’ombre, planifiant son prochain mouvement dans la traque qu’il mène contre son père, le Chevalier Noir.
[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, se référer à la critique ci-après pour l’ensemble des histoires.
[Critique]
Encore un volume très décousu mais tout de même plus intéressant que le précédent. Le premier chapitre (Detective Comics #1028, intitulé Sang neuf dans Batman Bimestriel et Interlude ici) n’a aucun intérêt. Il montre la vengeance d’un mystérieux homme qui tue des personnes corrompues. En quelques planches, on découvre l’identité du criminel (un inconnu) et ses victimes. Les rares cases avec Batman à cheval permettent de montrer une situation un peu inédite (dessinées par Nicola Scott plus ou moins inspiré)… Difficile de comprendre pourquoi l’éditeur inclut systématique ces morceaux d’épisodes complètement anecdotiques. Même les plus complétistes devraient faire l’impasse dessus.
Heureusement, les cinq chapitres suivants (Detective Comics #1029-1033), forment un arc narratif à peu près complet. On y suit dans un premier temps l’arrivée d’un antagoniste peu connu, le Miroir. Se réclamant du peuple, il mène une vendetta contre les super-héros masqués qui engendrent trop de dégâts selon lui. Son masque réfléchissant se voulant renvoyant la violence envers ceux qui le regardent… Il y a un côté Anarky dans cet ennemi, qui était déjà apparu dans le premier volet de la série Batgirl de l’ère New 52 – créé par Gail Simone. Jonathan Mills de sa vraie identité (on ne sait pas trop s’il s’agit du « même Miroir » ici) a une vision étrange de la justice et estime que des personnes ayant échappé à la mort doivent être tués…
Mais dans Briser le miroir, ce n’est pas cet aspect là qui est mis en avant, le Miroir n’est d’ailleurs pas mentionné sous son identité civile et le scénariste Peter Tomasi (toujours à l’œuvre sur la série depuis le début) le survole plus qu’autre chose… Tout se déroule après le deuxième tome de Joker War mais on ne s’y perd pas. Le Miroir arrive carrément à rassembler la Bat-Famille dans un même lieu, à l’exception de Robin, alias Damian Wayne, qui semble détaché des activités nocturnes de son père et lui-même ne portant plus le costume du jeune justicier.
On ne sait pas trop pourquoi même s’il est sous-entendu que le décès d’Alfred (cf. douzième tome de Batman Rebirth) pourrait avoir causé cette émancipation. L’enfant est en revanche concentré sur le Dossier Noir de Batman, vaguement mentionné dans le tome précédent, afin de suivre une piste prometteuse (où l’auteur Peter Tomasi cite sans aucune subtilité Ed Brubaker et Greg Rucka pour un hommage aux artistes qui ont signé, entre autres, Gotham Central). La fiction prend un tournant à mi-chemin qu’il convient de dévoiler. Passez au septième paragraphe et ne regardez pas les dernières images de cette critique pour ne pas voir de révélations (celles sous les citoyens de Gotham qui arborent des masques de justiciers).
En effet, en marge de Miroir, le fameux Silence (Hush en VO), alias Tommy Elliot sévit dans l’ombre. Il arrive même à kidnapper sans sourciller l’ensemble des alliés du Chevalier Noir ! Le célèbre ennemi est apparu dans Silence puis dans quelques arcs à droite à gauche avec du bon (Paul Dini présente Batman – Tome 2, Batman Eternal…) et du moins bon (Hush Returns, inédit en France chez Urban Comics mais fut publié par Panini Comics en mensuel). Elliot rejoue sa sempiternelle jalousie au détriment d’une amitié d’enfance sacrifiée.
Proposer Silence est une chose plaisante (il est souvent sous-utiliser voire sous-estimer) mais cela arrive un peu tard, a un côté déjà-vu, peu original et la situation est vite réglée malheureusement… Et comme on sait qu’il s’agit du dernier tome de la série sous l’égide de Tomasi, on doute d’une réutilisation proche connectée à ce qu’on vient de voir, c’est assez dommage (comme l’entièreté des volumes de Batman : Detective de toute façon, cf. conclusion de l’ensemble plus loin).
En parallèle, on suit l’ascension du nouveau maire de Gotham, Christopher Nakano qui avait déjà un rôle assez avancé dans Joker War et se poursuivra dans Batman Infinite (qui en est la suite directe). Là aussi, on peine à s’attacher à ce protagoniste et on a l’impression d’être face à une « conclusion » de son parcours et paradoxalement son « introduction ». Heureusement, les dessins de Kenneth Rocafort puis Bilquis Evely et enfin Brad Walker confèrent au récit un voyage graphique plutôt séduisant et coloré. L’action est dynamique, les séquences s’enchaînent à un bon rythme, c’est toujours ça de pris malgré la conclusion un peu abrupte et la déception de savoir qu’il n’y aura jamais de suite sur tout ce que Tomasi avait (maladroitement) mis en place.
Passé cette aventure « sympathique mais sans plus », c’est un festival d’histoires courtes autour du Chevalier Noir qui sont offertes au lecteur. En effet, Batman est apparu dans Detective Comics #27 en 1939 (en vente le 30 mars de cette année mais daté au mois de mai 1939). Mille numéros plus tard (!), une myriade d’artistes prestigieux lui rendent hommage à travers des tranches de vie du justicier et diverses illustrations généreusement compilées en fin d’ouvrage. Tom King, Greg Rucka, Brian Michael Bendis, Marv Wolfman, James Tynion IV, Grant Morrison, Scott Snyder et quelques autres se succèdent donc pour célébrer l’évènement. Un anniversaire de près de quatre-vingt-une années plus tard (à l’époque de la publication, donc en 2020) qui s’étale sur douze épisodes inédits, d’une douzaine de pages chacun et passés en revue ci-après.
Notons qu’onze d’entre eux ont été publiés dans les quatre derniers numéros de Batman Bimestriel, donc du #13 au #16. Le treizième avait même bénéficié d’une couverture alternative (provenant de la série Joker War). Enfin, à l’instar des multiples épisodes de Detective Comics #1000 (bientôt compilés dans un article), ceux du #1027 sont sortis dans un recueil aux États-Unis. Étonnamment, la lecture via les Batman Bimestriel est plus agréable que celle de la version librairie car les chapitres étaient séparés par une note éditoriale et une présentation des artistes opérant dessus. Dans la compilation ressortie, tout s’enchaîne à la suite, manquant d’une certaine respiration (narrative) bienvenue.
Dans Reflux (le dernier chapitre écrit par Peter J. Tomasi et dessiné par Brad Walker, relativement actif tout au long de la série), Batman est enfermé dans une cuve et se remémore tous les ennemis qu’il a affronté au long de sa croisade, chacun lui ayant appris quelque chose dont il pourrait se servir pour s’en sortir. Si la fin est soudaine (on ne comprend pas qui a piégé le Chevalier Noir), c’est l’occasion d’admirer de jolies planches rendant hommage à une grande galerie de vilains (manque curieusement Killer Croc et Bane).
Cours magistral (Brian Michael Bendis / David Marquez) montre tous les alliés de Batman se retrouver au même endroit d’un cadavre. S’agit-il d’une épreuve ou d’une coïncidence ? Tout le monde collabore et permet au Chevalier Noir de se remémorer le talent de détective de ses protégés. Là aussi l’intérêt se situe dans les dessins montrant la Bat-Famille complice. Ces deux épisodes sont vaguement connectés avec le « suivant », c’est-à-dire le #1028 qui… ouvrait le tome (avec notamment les flics ripoux et corrompus). S’il semble logique de les placer en seconde moitié du livre pour conserver une certaine cohérence éditoriale, il manque une certaine note d’intention pour clarifier tout cela (à l’exception d’un banal renvoi « voir Detective Comics #1027 » lu au tout début).
Un bien bon anniversaire (Matt Fraction / Chip Zdarsky) met en avant le Joker et ses fameux « cadeaux d’anniversaire » envoyés religieusement chaque mois depuis la première rencontre entre le Chevalier Noir et le Prince Clown du Crime. Mais au bout d’une vingtaine d’année, arrivé à la fin du mois, Batman n’a pas reçu son cadeau et s’inquiète. Il imagine le pire et cherche son ennemi juré… qui connaît son identité réelle. C’est probablement ce qu’il faut retenir de ce segment, le Joker s’adresse à Bruce et la carte d’anniversaire est envoyée au Manoir Wayne. Cela relance le débat sur le fait que le Joker se moque de qui est Batman et le sait depuis longtemps…
Dans Bleusaille (Greg Rucka / Eduardo Risso), une nouvelle recrue du GCPD découvre la corruption au sein de la police et la dangerosité de Gotham. Mais la jeune femme ne faiblit pas et comprend que quelques collègues, Gordon et bien sûr Batman sont légion face la criminalité. Un segment qui permet d’enrichir (modestement) la célèbre série Gotham Central, déjà scénarisée par Rucka à l’époque. Histoire de fantômes (James Tynion IV / Riley Rossmo) met en avant l’improbable alliance entre Batman, Robin et… Deadman, alias Boston Brand, le justicier de l’au-delà capable de prendre possession des vivants. Un récit un peu à part qui offre une élégante connexion avec la mort des parents de Bruce.
À l’avant (Kelly Sue DeConnick / John Romita Jr.) suit cette fois Bruce Wayne, en tant qu’homme d’affaire, dans un échange tendu avec un potentiel acheteur, en pleine partie de golf. Le milliardaire travaille en réalité avec Gordon pour piéger son hôte corrompu… Probablement l’épisode le plus faible jusqu’à présent. Odyssey (Marv Wolfman / Emanuela Lupacchino) conte la destruction du navire éponyme au sein duquel le grand-père de Bruce Wayne avait caché des œuvres d’art pour échapper aux nazis. Des années plus tard, l’épave semble avoir été trouvée et une expédition plonge pour y retrouver ces trésors. Si l’ensemble se lit bien, on a l’impression de lire l’introduction à une histoire plus grande qui mériterait d’être enrichie. Dommage.
Dans Détective n°26 (Grant Morrison / Chris Burnham), on découvre « Le Spectre d’Argent », un justicier qui s’apprête à nettoyer Gotham de la criminalité. Mais un homme revêtant un costume de chauve-souris fait également ses premiers pas dans la ville et semble plus efficace que lui… Encore une fois, le récit et trop court et ferme une promesse inédite intéressante (un nouveau super-héros ou un antagoniste ?). Testament (Tom King / Walt Simonson) met en avant le Docteur Phosphorus face à Batman, interrogeant vaguement l’impact des combats sur l’équilibre mental des deux protagonistes.
Comme toujours (Scott Snyder / Ivan Reis) se met du point de vue de Gordon qui s’interroge sur les actions du Chevalier Noir et son inextricable espoir. En l’occurrence la disparition du soleil (!) et la solution pensée par Batman et ses alliés de la Justice League. L »épisode le plus coloré et « cosmique » de la sélection dont les actions des justiciers tranchent visuellement avec la noirceur de Gotham et Gordon.
Générations : fracturées (Dan Jurgens / Kevin Nowland) est le chapitre « inédit » car il n’avait été pas proposé dans les Batman Bimestriel. Dans un premier temps, il semble s’agir d’un prologue à Future State. En effet, Batman poursuit quelques ennemis dans un musée le soir d’Halloween puis est projeté dans le passé (en 1939 très exactement) et rencontre Kamandi, envoyé par Booster Gold. Un épisode un peu cryptique qui donne surtout envie de découvrir la suite (annoncé en dernière case avec la mention « à suivre »). Pourtant, en lisant l’avant-propos d’Urban Comics, c’est le dernier chapitre, Un Cadeau (voir ci-dessous) qui semble ouvrir Future State (alors – qu’à chaud – rien n’y est connecté, au contraire). Bizarre…
Un cadeau (Mariko Tamaki / Dan Mora) se déroule durant Joker War et là aussi aurait mérité d’être publié plutôt dans un volume de Joker War qu’ici tant il ne se prête pas vraiment à la célébration commune des ces numéros #1027. Difficile d’imaginer (comme l’indique l’éditeur) que cela va se poursuivre dans Future State (pas encore lu et chroniqué) alors que l’épisode précédent mentionnait des voyages dans le temps et appelait une suite…
En synthèse, les douze chapitres sont, sans surprise, inégaux mais restent une lecture plaisante, sans investissement de durée malgré une certaine frustration de ne pas avoir de suite (existante ou non). Étrangement, Urban Comics n’a pas mis en avant cet anniversaire en couverture ou, idéalement, via une sortie à part – et pourquoi pas rassembler les Detective Comics #1000 et #1027 ? Les premiers sont déjà dans Batman 80 ans, les seconds sont donc jetés ici dans le cinquième et dernier volume d’une série peu mémorable, ce qui est, une fois de plus, assez dommage – surtout vu les prestigieux noms associés à ces épisodes.
Heureusement, une tonne de couvertures alternatives clôturent l’ouvrage (appelée « pin-up de Detective Comics #1027 » !). Une trentaine dont une bonne partie signées Lee Bermejo, qu’on aurait adoré avoir en poster. Briser le miroir est une conclusion de run décevante avec des promesses non tenues, des pistes ouvertes qui ne seront jamais terminées (l’auteur Peter Tomasi a quitté la série après ces derniers chapitres). Ce cinquième volume reste néanmoins le second « meilleur » de la série (après le troisième) pour son histoire autour de Miroir assez intéressante et la célébration des Detective Comics #1027.
[Conclusion de l’ensemble de la série Batman : Detective]
Encore une série très moyenne, fortement inégale et relativement mal découpée. Peter Tomasi ne parvient pas à insuffler des émotions, des moments épiques ou tragiques… Pire : il fractionne ses tomes avec une personnalité (ou un enjeu) indépendant qu’on ne revoie jamais. Le Chevalier d’Arkham, Nora Fries, Double-Face, le Miroir, un autre ennemi emblématique et les multiples antagonistes éphémères arrivent aussitôt qu’ils repartent et c’est bien dommage. On retient surtout le troisième tome et son affrontement avec Mr Freeze et ce cinquième pour les raisons évoquées dans la critique.
Malgré tout, impossible de conseiller les cinq volumes pour cette série complètement dispensable, éventuellement les trois et cinq donc, et encore… C’est un des paradoxes des aventures du Chevalier Noir, celles qui restent en mémoire et passent habilement l’épreuve du temps sont des volumes uniques (ou enrichis d’un ou deux tomes), comme la plupart des incontournables, ou bien les séries longues, inégales mais proposant des choses singulières (Grant Morrison présente Batman, Batman de Scott Snyder, Batman Rebirth de Tom King, etc.).
[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 avril 2021.
Contient : Detective Comics #1027-1033
Scénario : Peter Tomasi, collectif (voir article)
Dessin : Brad Walker, collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif
Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)
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