Scénarisé par Mattson Tomlin, qui a brièvement participé à l’écriture du film The Batman, dessiné par le talentueux Andrea Sorrentino (Joker – Killer Smile), publié dans le prestigieux Black Label, proposé en France le 25 février 2022, soit très rapidement après sa sortie US (dernier trimestre 2021) et dans deux deux éditions (une classique et une limitée en vente exclusivement chez Leclerc), que vaut Batman Imposter, récit complet en trois chapitres dont les couvertures variantes sont signées par le célèbre Lee Bermejo (Joker) ? Découverte et critique d’un titre qui risque de devenir rapidement culte ! Explications.
(La couverture à gauche est la régulière, à droite la limitée en vente chez Leclerc.)
[Résumé de l’éditeur]
Cela fait trois ans que Bruce Wayne a endossé le costume de Batman afin de faire de Gotham une ville plus sûre et moins corrompue. À force de sacrifices et de persévérance, il a presque atteint son but. Mais quand un imposteur adopte son déguisement afin d’assassiner d’anciens criminels, c’est toute la police de Gotham qui se met à ses trousses, notamment l’inspectrice Blair Wong, déterminée à découvrir la véritable identité du justicier !
« Si la présence de Batman impacte à ce point l’économie de la ville… alors c’est un angle d’attaque inédit qui mérite d’être exploré. Un gars dans un costume de chauve-souris qui tabasse les criminels… ça m’a toujours semblé un peu gros à avaler. En revanche, s’il s’agit d’une mascarade visant à dissimuler une sorte d’espionnage industriel… […] Qui a perdu le plus depuis l’apparition de Batman ? Qui a gagné le plus ? »
[Histoire]
Leslie Thompkins secoure et soigne Batman après une nuit agitée. La psychothérapeute se remémore quand elle a pris le jeune Bruce sous son aile et ce qu’il a enduré. Elle le met en garde : le milliardaire doit honorer ses rendez-vous psy avec elle sinon elle le dénoncera.
De son côté, le citoyen philanthrope Wesker sollicite l’inspectrice Blair Wong. Wesker soupçonne un de ses employés éphémères d’être Batman.
Le GCPD reçoit une vidéo montrant Batman tuer trois anciens pensionnaires de Blackgate condamnées pour assassinat. Si certains policiers sont favorables à cette forme de « justice » radicale, il n’en est pas de même pour le chef du département qui ordonne de traquer et ramener l’homme chauve-souris, désormais criminel et meurtrier.
Le Chevalier Noir doit enquêter sur cet imposteur, tandis que Wong reprend les indices qui mèneraient à l’identité de Batman. À commencer par une grande fortune obligatoire pour être équipée aussi puissamment pour un justicier…
[Critique]
Chef-d’œuvre. On tient une pépite ! C’est devenu tellement rare dans les comics Batman d’avoir un récit complet qui se suffit à lui-même, qui va ravir aussi bien les nouveaux venus que les fans de longue date que le titre rejoint carrément la courte liste des incontournables (pas un coup de cœur, carrément un indispensable !). Dans quelques années, Batman Imposter sera considéré comme un classique, c’est indéniable. Il regorge de qualités, c’est du grand art ! Comme il s’agit d’un elseworld (comme la très bonne trilogie Batman – Terre Un), pas besoin de connaître la continuité « classique » du personnage, celui-ci prend place dans un monde qu’on peut qualifier « d’alternatif », le temps de découvrir cette histoire. Aucun pré-requis n’est donc nécessaire pour se plonger dedans !
L’histoire est évoquée plus haut, concept « simple » mais hyper efficace : un imposteur tue en se drapant du costume du Chevalier Noir. Double-enquête : d’un côté le GCPD qui veut arrêter ce Batman persuadé qu’il s’agit du même justicier déjà connu depuis trois ans, d’un autre côté Bruce Wayne qui cherche bien sûr à mettre la main sur son double meurtrier. Autour de lui, deux femmes importantes : Leslie Thompkins (ici femme noire de la cinquantaine) avec qui il suit une thérapie, échange sur ses doutes constants et son « mal-être », Blair Wong, inspectrice qui traque évidemment l’homme chauve-souris mais s’éprend de Bruce Wayne. Toutes deux forment un point d’ancrage important pour l’évolution de notre héros sans pour autant être de banales « faire-valoir féminins ».
Au-delà des drames et douleurs du quotidien, le récit gagne en nuance quant à l’interrogation de l’auto-justice (vigilantism) et, surtout, le cheminement du mystère sur l’identité du fameux imposteur. Tout est très plausible, écrit intelligemment. Deux exemples concrets. Wong estime à juste titre que Batman (le vrai et/ou le copycat) a forcément accès à des ressources économiques élevées et probablement une formation militaire. Ses pistes l’amènent légitimement vers Bruce Wayne (ce qui, aussi surréaliste qu’il puisse paraître, est rarement le cas dans l’ensemble des productions sur le Chevalier Noir). Mais cela permet d’aider le lecteur à savoir aussi qui se cache sous le masque de l’imposteur. Autre point intéressant : un vaste réseau souterrain utilisé pour par le justicier pour se déplacer rapidement, en moto notamment, et à l’abri des regards. Mais d’où proviennent ces véhicules ? Les motos sont dans les nombreuses rue de Gotham, sans plaques d’immatriculation, plus ou moins cachées, prêtes à servir à n’importe quel moment. Pourtant elles n’ont pas été déclarées volées. Donc sont-elles… achetées ?
C’est ce genre de réflexions qui sont mises en avant dans la partie thriller de l’œuvre ; c’est passionnant et extrêmement bien rédigé par le jeune et nouveau venu Mattson Tomlin, né en… juillet 1990 ! Ce scénariste a d’ailleurs participé à l’écriture du film The Batman de Matt Reeves (même s’il n’est pas crédité en tant que tel, cela a été confirmé dès 2019). Cela se ressent grâce au look de Bruce Wayne, calqué sur l’acteur Robert Pattinson, ainsi que le costume du Dark Knight, proche de celui des images dévoilées. Même si, majoritairement, son visage reste dans l’ombre. Le réalisateur a d’ailleurs évoqué Batman Imposter comme un des sept comics servant d’inspiration pour son long-métrage (même si, factuellement, la bande dessinée a été publié durant la post-production du film, il est aisé d’imaginer que Tomlin a travaillé de concret avec Reeves en injectant « sa patte »). Mais nous reviendrons sur ce sujet quand The Batman sera sorti au cinéma !
Dans Batman Imposter, il y a peu de figures familières de la mythologie du Caped Crusader. Alfred est aperçu en flash-back (il a démissionné de son rôle très tôt face à la colère quotidienne et la violence continue du jeune Bruce). Seuls deux ennemis de seconde voire troisième zone sont croqués. Arnold Wesker, alias le Ventriloque, et Otis Flannegan, alias Ratcatcher. Pas de costumes ou affrontements ici, les deux hommes interviennent rarement et ne sont pas « méchants » (ce sont des rôles très très secondaires), la narration pousse à l’empathie et leur sort est particulièrement bien écrit, en particulier le premier, qui renoue avec l’ADN pur de Batman : l’altruisme et l’humanisme (rappelant aussi le décrié Trois Jokers dont la conclusion mettait bien en avant cet aspect du justicier).
De même, on insiste lourdement sur la règle primordiale du justicier : il ne tue pas. Est-ce un pied-de-nez aux adaptations plus ou moins récentes montrant un Batman « grim and gritty » parfois clivant (le Grim Knight dans Le Batman qui Rit en comic book, le Batfleck de Batman v Superman au cinéma, etc.) ? On ne sait pas trop mais ça fonctionne. On voit un Batman très impliqué dans sa croisade tout en ayant une vision « détective », qui manque cruellement à l’ensemble des comics sur le Chevalier Noir (et à ses adaptations à l’écran), ainsi qu’un bon « code d’honneur », malgré quelques tournures (justifiées) sur la vengeance. Bref, là aussi impossible de ne pas penser au futur long-métrage à venir.
La bande dessinée est parfois bavarde, l’ensemble est dense lors des phases d’enquête notamment, mais elle sait parfaitement les alterner avec des séquences quasi mutiques niveau action et infiltration (voire d’émotions). C’est là aussi un autre point fort du titre : un parfait équilibre pour garder un rythme haletant sans s’éparpiller dans des textes complexes ou au détriment des scènes de contemplation. Il faut dire qu’Andrea Sorrentino régale les rétines à chaque planche. Les amoureux du dessinateur et son style atypique vont être servis !
Comme on l’évoquait dans la critique de Joker : Killer Smile, Andrea Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow dans l’excellent run de la période New 52 (disponible en deux tomes intégrales) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire. Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de Gideon Falls, création indépendante disponible chez Urban Comics.
Dans Batman Imposter, Sorrentino est au sommet de son art : il délivre habilement ses cases et planches avec une approche inédite, une construction hors-norme qui va parfois dans tous les sens sans jamais perdre son lecteur (cf. nombreuses images en fin de cette critique). Ses traits réalistes, aussi bien pour les protagonistes que pour les déambulations nocturnes et urbaines, sont magnifiés par la colorisation de Jordie Bellaire (qui œuvrait déjà avec lui sur Joker : Killer Smile mais aussi sur des chapitres de Batman et Detective Comics, comme les deux excellents premiers tomes de Joker War ou encore sur The Dark Knight Returns – The Golden Child ; elle est par ailleurs scénariste du reboot en comics de Buffy contre les vampires, qu’on conseille également).
Les pleine planches de la patte si singulière de Sorrentino couplées aux tons sombres, souvent nappées d’écarlate, le tout dans une veine ultra réaliste, parfois d’une froideur sans nom, et dotées subtilement d’une pointe d’émotion sont simplement parfaites. Il n’y a rien à redire (si on est emporté par ce style, évidemment mais difficile de faire la fine bouche).
En synthèse, Batman Imposter coche toutes les cases de la bande dessinée exigeante, passionnante, accessible, originale et pour un prix tout à fait correct (18€). On aurait tort de s’en priver ; on prend le pari que dans très peu de temps elle sera dans toutes les listes des comics Batman incontournables et cultes ! Seule une partie de sa conclusion pourrait décevoir le lecteur suite à ses attentes mais globalement l’œuvre tient la route et pourra être analysée à travers plusieurs prismes.
Comme souvent dans des coups d’éclats du genre, une suite pourrait arriver (elle n’est pas prévue à date) mais The Dark Knight Returns et Batman – White Knight, par exemple, ont eu quelques héritiers – moins inspirés… À suivre dans quelques années donc. D’un côté on ne voudrait pas « toucher au sacré », d’un autre on apprécierait en savoir davantage sur la psyché de ce Wayne et de retrouver les nouvelles têtes créées spécialement pour ce titre, à commencer par la charismatique Blair Wong. Dans tous les cas : un achat indispensable (qui donne encore plus envie de découvrir le film The Batman si vraiment le comic a servi d’une des matrices pour sa conception) !
[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 février 2022
Scénario : Mattson Tomlin
Dessin : Andrea Sorrentino
Couleur : Jordie Bellaire
Traduction : Yann Graf
Lettrage : Éric Montesinos
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