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Flashpoint Beyond

Nouvelle pièce du puzzle narratif complexe chapeauté par Geoff Johns depuis des années, Flashpoint Beyond s’insère « délicatement » dans un ensemble de comics. Il met en avant le Batman de l’univers Flashpoint, donc Thomas Wayne, le père de Bruce (son fils unique a été tué à sa place), comme le montre la couverture choisie. Suite indirecte de Flashpoint et du Monde de Flashpoint (celui sur Batman notamment, éventuellement ceux sur Aquaman et Wonder Woman) mais aussi de Doomsday Clock (!), ce Flashpoint Beyond prolonge également et très brièvement DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, dans lequel Thomas mourrait. C’est ce qu’explique brillamment l’avant-propos de l’éditeur, à lire impérativement pour mieux contextualiser l’œuvre.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir tout sacrifié pour aider Flash à remodeler l’univers et sauver la vie de Bruce Wayne, Thomas Wayne se réveille dans un monde qu’il croyait disparu. Contraint d’enfiler à nouveau le masque de Batman, il arpente les rues de Gotham à la recherche de réponses. Une quête qui pourrait bien l’envoyer aux quatre coins du monde ; notamment en Europe.

[Début de l’histoire]
Dans l’Univers-Prime (« l’habituel »), Batman cherche la montre de Janey Slater (Watchmen) avec l’aide du Mime et Marionnette. Cela empêcherait-il Thomas Wayne de mourir dans l’univers de Flashpoint ?

Dans ce dernier justement, Thomas Wayne se réveille malgré son ancienne « mort », ne comprenant pas pourquoi il a survécu dans son monde. Il part enquêter…

De son côté, Barry Allen investigue sur les victimes de l’Horloger et rencontre Thomas Wayne, qui lui explique toute la modification temporelle que le futur Flash a causé. Allen ne s’en souvient plus…

[Critique]
Comme évoqué en introduction, Flashpoint Beyond poursuit un vaste univers mais – heureusement – il n’y a pas besoin de trop de lectures en amont pour le comprendre et le savourer. Par exemple Doomsday Clock n’est pas très pertinent (uniquement pour les rares apparitions du Mime et de Marionnette et les deux ultimes pages de Flashpoint Beyond), idem pour Le Badge, les Batman Rebirth où intervenait Thomas Wayne ou les DC Infinite Frontier, nul besoin de réellement les connaître.

Il faut surtout avoir lu Flashpoint et le récit (en trois chapitres) sur le Batman de Flashpoint (disponible à l’époque en trois numéros en kiosque puis dans Batman – Cité Brisée (et autres histoires…) et désormais dans Le Monde de Flashpoint – Tome 1 : Batman). Étonnamment, l’œuvre ne s’appelle pas Flashpoint – The Dark Knight ou quelque chose du genre alors qu’il se concentre exclusivement sur Thomas Wayne (donc Batman). Les différents Flash apparaissent à peine, le titre suit avant tout la quête de vérité du père de Bruce.

Pour cela, Beyond se décompose en sept chapitres, un premier qui contextualise (le #0) puis six autres. Le numéro d’introduction (#0) est dessiné par Eduardo Russo, qui avait signé (et donc quasiment « créé ») le fameux Batman du Flashpoint (cf. liens plus haut) – en petite forme ici (cf. les deux images ci-dessous). Cela permet de conserver une homogénéité, ou plutôt une passation graphique. En effet, c’est ensuite l’artiste Xermánico qui illustre la majorité de l’œuvre. Alejandro Germánico Benito González de son vrai nom, un espagnol au style élégant, encré suffisamment pour proposer un monde brutal et différent, avec une colorisation de Romulo Fajardo Jr. pour un résultat sublime, alternant vivacité chromatique et ténèbres mystérieuses (en témoignent les images d’illustrations de cette critique).

Ça tombe bien, la poignée de scènes se déroulant dans le monde du Batman « classique » (Univers-Prime) sont, elles, composées par Mikel Janin (qui opérait déjà sur les Batman Rebirth où intervenaient ponctuellement Thomas Wayne – tout le monde suit ?). Enfin, les deux dernières planches du livre sont de Gary Frank, connectant ainsi Flashpoint Beyond à Doomsday Clocks. Chaque dessinateur s’occupe donc d’un monde en particulier, ne dénotant pas la cohérence graphique de l’ensemble. Un très bon point en somme. Passons au reste.

Le scénario est écrit par Geoff Johns évidemment mais aussi par Jeremy Adams (auteur de quelques chapitres de Flash et de différentes productions d’animation DC plus ou moins notables) et Tim Sheridan (scénariste, entre autres, des excellents films d’animation La mort et le retour de Superman, Le règne des Supermen et Batman – Un long halloween). Trois auteurs pour une histoire pas forcément compliquée mais parfois exigeante tant elle est référencée à d’autres choses. Une fois de plus, en ayant une connaissance un peu familière de l’univers Flashpoint ça devrait aller.

On se plaît donc à suivre plusieurs axes narratifs particulièrement passionnants dont l’investigation de Thomas Wayne pour savoir « pourquoi il est vivant et dans quel but ». On apprécie aussi de naviguer dans un monde où plusieurs rôles sont inversés ou différents de qu’on a l’habitude de lire (la femme d’Harvey Dent, Gilda, est Double-Face, Martha Wayne la Joker,Aquaman et Wonder Woman sont des rivaux, Sofia Falcone est commissaire, etc.). Forcément, les amoureux de Wayne Senior et son côté radical vont aussi y trouver leur compte (il y a un petit côté Punisher qui ne fait pas dans la dentelle dans ce Batman Flashpoint !). Il y a également des choses un peu plus légères, par exemple l’étonnante prise d’affection du Pingouin envers le jeune garçon Dexter recueilli dans le Manoir Wayne (où Thomas et Oswald officient). L’enfant y voit carrément un modèle de paternité de substitution, un rôle qui semble plaire au Pingouin !

Tout cela se révèle plutôt original et palpitant. Il y a bien des passages ardus, quand on dérive sur des explications du Divin Continuum (les initiales de… DC) et les rédactions sans fin autour de l’omnivers, l’espace, l’hypertemps, le multivers, etc. (à l’avant-dernier épisode notamment) mais ils sont plutôt rares donc la lecture globale reste assez fluide et l’ensemble intelligible. Flashpoint Beyond est une réussite en tous points mais s’intercale dans un schéma tellement singulier qu’il ne s’adresse qu’au lectorat bien à jour (soit au minimum deux titres à connaître).

C’est à la fois sa force et sa faiblesse, il enrichit habilement un univers alléchant mais demeure moins abordable pour les autres. Il est à peine auto-contenu car sa conclusion ouverte laisse quelques questions en suspens (notamment avec les Maîtres du Temps et l’étrange connexion à Doomsday Clock). Enfin, en VO le sous-titre de la BD est The Clockwork Killer (L’horloger en français), laissant sous-entendre qu’il pourrait y avoir un autre Flashpoint Beyond ?

Difficile après tant d’années de savoir si l’architecte Geoff Johns a encore des choses à raconter dans sa construction atypique. On a déjà cité la plupart des comics plus ou moins rattachés à Flashpoint Beyond, ajoutons rapidement Trois Jokers qui n’est pas du tout relié mais dont un élément est important (et a fait grand bruit outre-Atlantique). En effet, lorsque la Joker du monde de Flashpoint évoque le Joker de l’Univers-Prime, elle parle d’un homme père de famille (cf. Killing Joke avec un dessin repris en noir et blanc) et donne son identité ! Jack Oswald White. Voilà. Le véritable nom du Joker est ainsi dévoilé, plus de quatre vingts ans après sa création. Au détour d’une case et d’un dialogue presque anodin. C’est très étrange… Et difficile de savoir si c’est une information officielle et canonique (elle n’a jamais été reprise ensuite).

En somme, Flahspoint Beyond est une proposition très originale, un brin « bordélique » (on insiste sur les guillemets – nous sommes loin des délires de Scott Snyder et son Multivers Noir par exemple), superbement illustrée, plaisante à suivre et inédite. Reste (à l’instar de Catwoman – Lonely City, chroniqué en même temps) qu’il manque quelque chose qui le rendrait davantage culte. La faute sans doute a son statut un peu bâtard : pas vraiment un récit sur Batman, pas du tout un titre sur Flash, pas non plus une fiction s’insérant dans la « chronologie officielle du Chevalier Noir », pas un one-shot indépendant, pas vraiment lié à une seule œuvre mais à plusieurs petits bouts ici et là… C’est une belle récompense pour les complétistes mais c’est probablement moins enthousiasmant pour les autres.

(Deux autres critiques intéressantes : celle des Toiles Héroïques et celle d’UMAC.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 mars 2023.
Contient : Flashpoint Beyond #0-6

Scénario : Geoff Johns, Jeremy Adams, Tim Sheridan
Dessin : Eduardo risso, Xermánico, Mikel Janin, Gary Frank
Couleur : Trish Mulvihill, Romulo Fajardo Jr., Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Yann Graf
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Maurine Denoual, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Flashpoint Beyond (21 €)



   

Infinite Crisis – Tome 05 : Crise infinie

Cette fois, c’est la fin ! Après un premier tome introductif très efficace (Le projet O.M.A.C.), les deux suivants – plus inégaux – qui se composaient de nouvelles séries spécifiquement conçues pour la saga (Unis pour le pire et Jour de vengeance) et le quatrième qui proposait enfin la première partie de la « crise infinie » (Les survivants), Infinite Crisis arrive à sa conclusion dans un cinquième tome qui vient rabattre les cartes de l’univers DC ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Superboy-Prime et Alexander Luthor, les derniers survivants de la précédente Crise cosmique sont bien décidés à ressusciter leurs Terres détruites durant cet événement. Luthor lance ainsi la Société Secrète à l’assaut de Metropolis, tandis que les deux Superman s’affrontent entre différentes dimensions. Au terme de ce combat, un nouveau Multivers pourra-t-il renaître ?

[Critique]
Comme les tomes précédents, celui-ci se compose de plusieurs segments distincts. La suite est fin de la série Crise infinie bien sûr (trois chapitres entremêlés entre les autres histoires) mais aussi les conclusions de La guerre Rann-Thanagar et Unis pour le pire (tous deux entamés dans le deuxième tome), Le projet O.M.A.C. (dans le premier) et Voici ta vie, Superman, évidemment centré sur l’homme d’acier (composé de trois épisodes : Superman #226, Action Comics #836 et Adventures of Superman #649).

A l’instar du quatrième et solide volet, ce cinquième se lit globalement bien avec une certaine cohérence. En effet, les chapitres sont disposés de façon à être à peu près dans l’ordre chronologique mais cela casse une certaine immersion, notamment pour la série éponyme (Crise infinie / Infinite Crisis). Par ailleurs, il faut se rappeler des deux premiers tomes pour renouer avec leurs « suites et fins » ici mais si on a lu toute la saga dans l’ordre en quelques jours ou semaines, alors aucun problème.

Difficile de résumer donc le début de cet ultime opus qui regroupe les conclusions de quatre (voire cinq) fictions ! On débute avec la fin de La guerre Rann-Thanagar, probablement la partie la moins passionnante de l’ensemble mais contenant de belles propositions graphiques cosmiques. Le titre accélère véritablement ensuite avec le cinquième épisode de Crise infinie où l’on suit le Superman de Terre-2 qui assiste impuissant à la mort de Lois Lane avant de tomber fou de rage et de s’en prendre, entre autres, au Superman de Terre-1 (planète où se déroule l’entièreté de l’action de la saga). En parallèle, le Luthor rescapé de Crisis on Infinite Earths rétablit le multivers et d’autres mondes, afin de créer la « Terre parfaite » (en voulant tamiser chaque Terre pour récupérer chaque « bonnes parties » et tout fusionner en une unique Terre idyllique).

La narration (toujours de Geoff Johns) est – à ce stade – relativement dense, complexe, folle et passionnante ! Mais le fil rouge du récit (de ladite crise infinie) est alors un peu mise de côté pour faire place au long passage sur Superman, qui sonne comme un honneur au kryptonien, avec une armée d’artistes étalée sur trois épisodes (dont Joe Kelly et Jeph Loeb au scénario et notamment Jerry Ordway, Tim Sale, Lee Bermejo, Phil Jimenez, Ian Churchill et Ed McGuiness… aux dessins). Les amoureux de Superman seront probablement aux anges, profitant d’une narration différente mais aussi de différents hommages visuels (cf. images en fin de critique).

En suivant à la fois la vie de Superman mais aussi l’évolution de l’être humain au sens large (incluant une pleine planche devant le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau), l’on saisit mieux la dualité entre la noirceur du modernisme des super-héros et l’ancien âge (plus lumineux) des ères DC Comics. Un sujet fleuve qui parsème Infinite Crisis et déjà entamé dans Crise d’identité d’une certaine manière (auquel on trouve quelques nouveaux échos dans le livre). De la même manière, la longue introduction consacrée à Power Girl dans le tome précédent se connecte un peu plus ici (mais on peut déplorer avoir pris autant de temps avant (et de place) pour, in fine, pas grand chose).

Après cette semi-parenthèse, la crise reprend (Infinite Crisis #6) et on assiste un véritable maelstrom des figures de DC, effectuant de la figuration pour la majorité. L’intrigue se recentre sur les deux Superman, la Trinité mais aussi le nouveau Blue Beetle, unique entité à réussir à voir le fameux satellite l’Œil et les derniers OMAC. Si c’est assez bavard et un peu confus (des milliers de Terre sont montrées subrepticement), on en prend plein les yeux à tous points de vue. Ça fuse de partout en action (dans l’espace notamment) avec plein de couleurs différentes – pas de doute, nous sommes en pleine lecture d’un comic book ! Les dessins de Phil Jimenez, Jerry Ordway et George Pérez sont incroyables (accompagnés d’Ivan Reis et Joe Bennett sur les autres chapitres).

Ensuite, nouvelle « pause » dans l’histoire puisqu’on retrouve Sasha Bordeaux (en OMAC) pour découvrir ce qu’elle devient depuis le premier volet, pile au moment où elle se connecte au titre principal. Idem pour Unis pour le pire où on renoue avec quelques Secret Six mais surtout avec Oracle (Barbara Gordon) et… le Limier Martien ! Une association efficace pour un épisode plus palpitant que le précédent mais qui garde un goût d’inachevé.

Enfin, l’ultime épisode d’Infinite Crisis (#7) explose tout sur son passage. La confrontation entre les Superman (face notamment à Superboy), la fin de Luthor (assez surprenante – avec l’intervention d’un personnage DC extrêmement populaire qui était cantonné à un curieux absentéisme jusqu’à ce moment fatidique) et… un départ de la Trinité pour se ressourcer. Bizarrement, le retour d’autres Terres est à peine évoquée (il a eu lieu en amont) et on se concentre sur le bien fondé et l’humanité de Superman, Wonder Woman et Batman, tous trois croqués en civil pour l’occasion. Tous décidant de prendre une année de repos pour réfléchir à une nouvelle méthode pour agir, déconstruire leur propre vision de la justice, etc. Ce qui donnera lieu à plusieurs séries dont la 52 (que s’est-il passé durant une année d’absence de la Trinité ?).

Voici pour les résumés de ce cinquième volume, assez inégal. Si les conclusions de chaque arc sont les bienvenues, elles sont parfois expéditives voire frustrantes (on veut – encore – la suite de ce qui se déroule pour certains protagonistes ; à découvrir justement dans de nouvelles séries, Secret Six déjà évoquée mais aussi Checkmate par exemple ou encore One Year Later). Surtout : elles cassent le rythme effréné de la série principale, nettement plus soutenue et aboutie, mémorable et impressionnante ! Difficile d’en vouloir à l’éditeur qui a ainsi imprimé une saga complète et dans un ordre de lecture idéale, au détriment donc d’une immersion plus soignée.

Ce qui ressort de l’ensemble est malgré tout relativement positif : toutes les pièces du puzzle se sont assemblées, rien a été mis de côté. Les multiples menaces se croisent et donnent du fil à retordre à nos héros, principalement la force brute de Superboy couplé au génie de Luthor et sa reformation des Terres. On assiste à la fois à la fin d’une ère (et son lot de tragédie) et on nous en esquisse les contours alléchants d’une nouvelle (recouvrer une « dignité » (envers le peuple ? le lecteur ?)). Le scénariste Geoff Johns a signé un récit fort, mature et intelligent, consolidé par les autres architectes de l’évènement. Du reste des crédits d’ailleurs (pour ce tome) on retrouve les mêmes équipes que précédemment pour chaque conclusion des mini-séries évoquées (Dave Gibbons, Greg Rucka et Gail Simone donc côté écriture).

Graphiquement, l’ensemble n’est pas forcément homogène mais la série principale, comme évoqué plus haut, est magistrale. Entre moments iconiques et lisibilité exemplaire des (nombreuses) séquences d’action, on retient aussi quelques parties bien sanglantes (Black Adam qui défonce littéralement la tête du Psycho Pirate, Superboy-Prime qui se bat contre les deux autres Superman…). Une conclusion épique, aussi bien au sens figuré que littéral !

Ce cinquième et dernier tome d’Infinite Crisis conclut brillamment une épopée qui a su habilement jongler entre les points de vue, fausses pistes et enjeux (d’une guerre spatiale aux conflits humains en passant par une bataille entre intelligence artificielle et magie pure). En brassant la plupart des genre avec brio, cette saga (incontournable à l’époque en 2005 et toujours aujourd’hui) a révolutionné une fois de plus la mythologie de DC Comics. Plus accessible que Crisis on Infinite Earths, à laquelle elle est mécaniquement reliée (ainsi qu’à Crise d’identité), Infinite Crisis passe mieux l’épreuve du temps que son illustre aînée de 1985. Plus touchante et émouvante également, chose rare dans l’industrie.

[Conclusion de l’ensemble]
Infinite Crisis vaut-il le coup ? Indéniablement oui. Certes il y a des épisodes de trop (ceux sur Superman notamment – évidemment les férus de l’Hommes d’acier seront servis et en profiteront davantage) ou encore des séries annexes inégales et mal exploitées, mais c’est un véritable plaisir de lecteur que d’avancer pas à pas dans l’énorme échiquier que représente le jeu de piste de Johns et ses compères. Si cela démarre fort (premier tome) puis accuse une petite baisse de régime (les deux volumes suivants), c’est pour mieux redémarrer et cracher son potentiel ensuite (les deux derniers volets).

Les multiples visions confèrent une approche singulière très plaisante. Si l’œuvre – on l’a dit – a révolutionné en son temps DC Comics, l’impact fut moins « spectaculaire » (toutes proportions gardées). Les morts ne durent jamais très longtemps et de nouvelles crises remettent tout à plat (Final Crisis suivra très rapidement en 2009 puis Flashpoint en 2011). Ce n’est pas tant le destin tragique de certains protagonistes (beaucoup de seconds couteaux à de rares exceptions) mais plutôt le statu quo de la Trinité, le « nouveau départ » et surtout le retour des Terres parallèles et du multivers (fièrement annoncé sur chaque frise chronologique de l’éditeur) qui ajoutent un marqueur résolument majeur et impactant.

La saga fourmille de références mais reste accessible – c’est sa grande force, à l’inverse de Crisis on Infinite Earths (qu’elle cite abondamment dans ses deux derniers volets). Ainsi, on retrouve souvent mentionné le sort de Green Lantern/Hal Jordan – quand il était Parallax notamment, cf. Crise temporelle –, le Corps des Green Lantern illumine d’ailleurs la conclusion de multiples façons, on voit aussi les conséquences de la déconstruction de la Justice League dans Crise d’identité (notamment dans Crise de conscience, au cœur du troisième tome d’Infinite Crisis), enfin la mort de Superman et l’ascension à la présidence de Lex Luthor sont aussi régulièrement évoquées. En somme, la plupart des titres importants publiés chez DC dans les années 1990 et le début des années 2000 trouvent une sorte d’aboutissement dans cette crise infinie, poussant le lecteur à s’interroger sur la noirceur et le degré de complexité atteint chez ses héros favoris. Certains diront que c’est le début de la fin, d’autres une audace et une voie novatrice et agréable.

Côté Batman, ce dernier joue un rôle prononcé dans Infinite Crisis, notamment au début (le projet O.M.A.C., c’est lui indirectement), au milieu (au sommet de sa paranoïa et colère face à ses collègues qui l’ont trahi et manipulé – cf. les conséquences de Crise d’identité) et à la fin (le combat contre l’Œil, le soutien à Nightwing, etc.). C’est donc encore plus plaisant de suivre cette saga aussi bien quand on est fan de DC Comics que de Batman (contrairement à Crisis on Infinite Earths où le Chevalier Noir était quasiment absent). L’investissement économique est conséquent (un peu moins de 150 €) mais le jeu en vaut la chandelle. Néanmoins, si vous souhaitez surtout lire l’évènement principal (ou que vous n’êtes pas complétistes), alors les tomes quatre et cinq peuvent suffire. Le premier et, surtout, le troisième restent appréciables pour avoir la suite directe de Crise d’identité. En somme, le second volet est le plus « passable ».

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 1er avril 2016.
Contient : Infinite Crisis #5-7 + Rann-Thanagar War Special + OMAC Project Special + Villains United Special + Superman #226 + Action Comics #638 + Adventures of Superman #649

Scénario : Geoff Johns, Dave Gibbons, Joe Kelly, Greg Rucka, Gail Simone, Jeph Loeb
Dessin : collectif (voir critique)
Encrage : collectif
Couleur : collectif

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Infinite Crisis – Tome 01 : Le projet O.M.A.C. (30 €)
Infinite Crisis – Tome 02 : Unis pour le pire (30 €)
Infinite Crisis – Tome 03 : Jour de vengeance (30 €)
Infinite Crisis – Tome 04 : Les survivants (30 €)
Infinite Crisis – Tome 05 : Crise infinie (24 €)





Infinite Crisis – Tome 04 : Les survivants

Cette fois ça y est, après les trois volumes quasiment « d’introduction » – aux qualités inégales mais globalement satisfaisantes – la « vraie » crise infinie débute enfin !

[Résumé de l’éditeur]
La Tour de Garde de la Ligue de Justice a été détruite dans une explosion ! Le Rocher d’Éternité a chuté sur Gotham City ! La guerre spatiale entre Rann et Thanagar a été interrompue par une anomalie cosmique ! L’attaque des OMAC n’a été repoussée que pour un temps ! Et la Société Secrète des Super-Vilains prépare une évasion de grande ampleur ! Tous ces événements tragiques conduisent trois anciens surhommes à faire leur retour afin de rectifier la situation, que les héros l’acceptent ou non !


[Critique]

Sans surprise, ce quatrième et avant-dernier tome d’Infinite Crisis se compose de plusieurs titres afin de conserver une grande cohérence du plan d’ensemble de la fiction. Les quatre premiers épisodes de la série éponyme Crise Infinie (Infinite Crisis en VO) occupent un peu moins de la moitié du livre. Ils sont entrecoupés par Power Trip, un arc en quatre épisodes (JSA Classified #1-4) centrés sur Power Girl, « l’autre » cousine de Superman (on y reviendra), l’épilogue Jour de Vengeance (poursuivant donc la mini-série du troisième tome) et un chapitre spécial qui donne son titre au volume : Les survivants (Infinite Crisis Secret Files #1).

Le gros fil rouge est bien sûr Crise Infinie, qui permet d’assembler (enfin !) les pièces du puzzle ; mais cette histoire, chapeautée par Geoff Johns, a besoin de se connecter aux autres épisodes pour avoir une compréhension absolue. Idéalement, il faut même connaître l’ancienne (et la première) crise majeure de DC Comics : Crisis on Infinite Earths.

En effet, quatre personnages issus de ce récit emblématique réapparaissent ici : Superman et Lois Lane de Terre-2 (planète « fondatrice » de la JSA), Alex Luthor de Terre-3 (seul héros sur un astre où le Syndicat du Crime régissait) et Superboy de Terre-Prime (le seul et unique super-héros de cette Terre) – tous ont droit à une fiche/dossier récapitulatif en fin d’ouvrage. (Ajoutons aussi le retour du Psycho-Pirate.) Ce petit groupe de survivants a continué d’évoluer dans une dimension « à part » où le temps ne s’écoulait pas et où ils pouvaient observer les évènements de l’unique Terre restante.

Ainsi, des évènements emblématiques de DC ont été suivis lointainement : la mort de Superman, la chute de Batman (Knightfall), Hal Jordan devenu Parallax (Heure Zéro – Crise temporelle), la crise interne de la Justice League et la lobotomie opérée par des justiciers (Crise d’identité), l’élection de Lex Luthor comme Président des États-Unis, le meurtre de kryptoniens, etc. et  bien sûr la déconstruction – physique et psychologique – au fil du temps de la Justice League (dans les tomes d’Infinite Crisis justement). Le petit groupe dresse un constat : les super-héros de la Terre qu’ils scrutent indéfiniment sans agir sont de plus en plus violents. Il va falloir les sauver, d’eux-mêmes et des ennemis de l’ombre qui agissent depuis quelques temps. Il va falloir sauver cette Terre, ou en retrouver d’autres ?!

Emmené par le Superman âgé et le Luthor « gentil », le quatuor parsème la bande dessinée avant d’obtenir carrément un très long épisode dédié révélant ce qu’il s’est déroulé pour eux depuis Crisis on Infinite Earths et quelques mystères jalonnant l’entièreté de l’histoire depuis le début. En parallèle, on suit bien sûr les difficultés pour la Trinité habituelle à affronter les multiples menaces. Wonder Woman est déchue depuis qu’elle a tué Max Lord, Batman la renie et tente de réparer ses propres erreurs (son satellite d’espionnage l’Œil qui a été détourné) et Superman ne veut toujours pas interférer pour guider les terriens qui en auraient bien besoin.

Autour d’eux, les catastrophes s’amplifient. La tour de garde a explosée (avec le Limier Martian à l’intérieur), les centaines « d’androïdes » O.M.A.C. prennent d’assaut les villes et Themyscira, le conflit cosmique autour de Rann-Thanagar fait rage, le Rocher de l’Éternité est tombé sur Gotham, les « sept péchés capitaux » se baladent dans la nature et prennent possession de personnes pour les manipuler. Une tâche pour laquelle le Pacte des Ombres revient, offrant une conclusion épique au combat face au Spectre (on s’agace en revanche de la lecture confuse lorsque Zatanna jette un sort puisque les lettres sont écrit à l’envers (de droite à gauche pour former un mot, comme magie qui devient « eigam » par exemple) mais l’ordre des mots reste lui de gauche à droite (cf. image ci-dessous)… C’est pareil en version originelle mais c’est toujours aussi pénible.

Si ce quatrième tome est passionnant de bout en bout, il est entaché d’un rythme décousu en proposant le retour de Power Girl durant quatre chapitres assez tôt. Ce placement est légitime pour être cohérent avec l’arrivée de Karen Starr, la cousine de Superman sur Terre-Deux (là où Supergirl/Kara Zor-El est celle de l’homme d’acier de Terre-Un). Karen provient d’une Terre qui n’existe plus et personne ne se souvient d’elle. Un épineux souci qui permet de comprendre la difficulté de la jeune femme a trouvé sa place.

Le problème de Power Girl provient de la caractérisation de cette héroïne quasiment dénudée tout le long et avec une énorme poitrine apparente. Un choix assumée aussi bien dans l’écriture (cf. image ci-dessous et tout en bas de cette critique) que dans les dessins signées Amanda Conner. C’est un peu dommage de s’attarder sur ce sujet à plusieurs reprises (sexy mais jamais trop vulgaire non plus, heureusement !).

On préfère plutôt se concentrer sur la complexité à Power Girl de recouvrer la mémoire et retrouver « son » Superman. Là-dessus, la jeune femme est particulièrement attachante, perdue dans son esprit et sa vie, comme le lecteur (peut-être) face à la somme d’informations à ingurgiter.

La recherche de sa place dans le monde fonctionne bien mais Power Trip aurait gagné à être amputé d’un ou deux chapitres pour être plus proche du ton du reste de l’œuvre. De même, quelques segments plus génériques (de cet opus) semblent survolés : la guerre avec les amazones et deux ou trois autres évènements dont l’ampleur est plutôt à saisir dans (encore) d’autres récits (Aquaman, Wonder Woman, Teen Titans, DC Special : The Return of Donna Troy…). Tant pis.

Si l’ensemble se lit bien, il faut parfois s’accrocher, notamment quand on replonge littéralement dans Crisis on Infinite Earths et sa vulgarisation puis dans de nouvelles « explications » complexes (par Alex Luthor) sur la création de cet univers et ce qui peut en découler… Le néophyte risque d’être décontenancé mais il l’aurait été bien davantage si Urban Comics n’avait pas publié toutes les parties pertinentes dans les tomes précédents ni effectué un travail éditorial de qualité, dans ses avant-propos récapitulatif ou les synthèses des biographiques des personnages. Pour l’anecdote, l’inspecteur du GCPD Crispus Allen tient un rôle très mineur dans Les survivants, corrélé au quatrième et dernier tome de Gotham Central.

Difficile d’en dévoiler davantage sans gâcher le plaisir de la découverte et de la lecture (l’identité des têtes pensantes de l’ombre qui tirent les ficelles depuis le début sont révélés). Le titre est relativement sombre, presque « sans espoir », parfois même anxiogène (sauf durant le décalage Power Trip/Girl donc), dense et verbeux mais sans jamais perdre en intérêt – au contraire ! Une fois terminé, on veut immédiatement connaître la suite. On se dirige inéluctablement vers quelque chose d’incroyable, improbable, machiavélique même (qui sont les véritables antagonistes ? quelle est la nature de la mystérieuse tour en construction ?).

Graphiquement, la série principale (Crise infinie donc) est servie par Phil Jimenez pour les dessins, épaulé par Ivan Reis le temps d’un chapitre mais surtout par George Pérez et parfois Jerry Ordway. À priori Pérez intervient pour les flash-backs ou transitions connectées à Crisis on Infinite Earths, qu’il dessinait déjà à l’époque vingt ans plus tôt ! Ça foisonne de détails et d’envergure, c’est superbe. De quoi conserver une élégante cohérence visuelle intrinsèque à Crise infinie mais aussi à la précédente crise. Jimenez livre un travail fabuleux avec de belles compositions, un équilibre autour des nombreuses figures DC, dotés de traits fin et précis, tous reconnaissables, des scènes d’action fluides et non figées, des expressions aux visages lisibles, etc. un sans faute donc !

Comme évoqué plus haut, Power Trip est assurée par Amanda Conner et son style cartoonesque (l’artiste reprendra le personnage dans la série éponyme en deux tomes et une autre aventure avec Harley Quinn, toutes deux disponibles en français). De quoi dénoter sévèrement avec le reste du livre (malgré la présence de Geoff Johns au scénario)… L’épilogue Jour de vengeance retrouve la même équipe artistique que dans le troisième volume, à savoir Bill Willingham à l’écrit et Justiniano aux pinceaux ; une patte qui s’insère efficacement avec celle de Crise infinie. Enfin, l’épisode Les survivants bénéficie du talent de Marv Wolfman pour l’histoire et les dialogues (comme à l’époque de… Crisis on Infinite Earths !) et Dan Jurgens (Heure Zéro – Crise temporelle) pour les dessins. Là aussi on y retrouve de jolies choses qui restent fidèles à l’ensemble du livre (à l’exception donc de la parenthèse esthétique (et scénaristique) de Power Trip).

Au total, trois scénaristes se succèdent (Geoff Johns reste l’architecte principal), sept dessinateurs et près d’une quinzaine d’encreurs additionnels ! Sans oublier trois coloristes. Un sacré casting qui n’empêche pas d’être remarquablement fluide (en lecture) et agréable (en dessin). On apprécie particulièrement le travail d’écriture de Johns, sur la psyché des quatre héros « coincés » depuis des lustres dans une autre dimension (il y a aussi un aspect « méta » sur la légitimité des anciens super-héros assez habile), sur l’intrigue globale qui avance habilement et sur les échanges particulièrement vifs, crus et « réalistes » entre Batman, Superman et Wonder Woman. De grands moments parsèment le récit, on « sent » qu’on est sur un chapitre historique et important de DC Comics ! C’est très riche, c’est intelligent, c’est palpitant.

En somme, ce quatrième volet d’Infinite Crisis rentre enfin dans le vif du sujet ! La patience du lecteur qui avait suivi les trois opus précédents est récompensée. De même, ces bases ne suffisent peut-être pas, la connaissance de Crisis on Infinite Earths est un plus non négligeable pour partir avec un solide bagage culturel (ne serait-ce que pour savoir « qui est qui » tant les protagonistes se succèdent – ainsi que la mise à mort de seconds couteaux peu connus) et apprécier pleinement Les survivants, en attendant le dernier tome, très sobrement intitulée… Crise infinie !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 26 août 2022.
Contient : Infinite Crisis #1-4 + Infinite Crisis Secret Files #1, JSA Classified #1-4, Day of Vengeance Special #1)

Scénario : Geoff Johns, Bill Willingham, Marv Wolfman
Dessin : Phil Jimenez, Georges Pérez, Amanda Conner, Justiniano, Dan Jurgens, Jerry Ordway, Ivan Reis
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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