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Batman / Spawn 1994

En 1994, deux ans après l’arrivée dans l’industrie des comics de Spawn, l’éditeur de ce dernier, Image Comics, publie en accord avec DC Comics, une histoire où Spawn rencontre Batman (sobrement intitulée Spawn/Batman). C’est le scénariste Frank Miller qui l’écrit et la situe carrément dans son univers de The Dark Knight Returs ! Le créateur et dessinateur historique de Spawn, Todd McFarlane, illustre ce récit d’une cinquantaine de pages.

Dans la foulée, DC propose lui aussi une fiction entre le Chevalier Noir et le diable de New-York (Batman/Spawn : War Devil). Trois auteurs habituels qui travaillaient à l’époque sur l’homme chauve-souris opèrent : Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant. La partie graphie étant assurée par Klaus Janson. Là aussi tout se déroule sur une cinquantaine de pages.

Ces deux titres (relativement « courts » donc) sont compilées avec des bonus dans Batman / Spawn 1994, disponible en France chez Urban Comics depuis le 10 novembre 2023. C’est à cette même date que les lecteurs français peuvent découvrir la troisième aventure commune de Batman et Spawn (initialement sortie aux États-Unis en 2022) dans Batman / Spawn. Découverte et explications de ce singulier binôme !

Couverture classique (gauche) et couverture alternative limitée.

[Résumé de l’éditeur]
Un mal ancien est revenu à Gotham City. La dernière fois qu’il est apparu, une colonie entière a été rayée de la surface de la Terre, ne laissant qu’un seul indice : Croatoan. Qui que soit Croatoan, il faudra tout le talent d’enquêteur de Batman et les capacités surnaturelles d’un ancien soldat devenu HellSpawn pour sauver les citoyens de Gotham de l’enfer qui est sur le point de se déchaîner sur notre monde.

[Début de l’histoire Batman/Spawn : War Devil]
Simon Vesper a été tué il y a quelques années par Spawn mais son corps n’a jamais été retrouvé. Vesper avait initié la création de la Tour de Gotham, sur le point d’être inaugurée de nos jours.

Batman enquête de son côté sur la disparition de Virgil Dare mais trouve des indices le menant à Vesper, qu’il suspectait d’entretenir des liens avec la mafia il y a six ans avant de perdre sa trace suite à ce qui semblait être son assassinat.

Spawn songe à nouveau à son ancienne cible mais ne se rappelle plus pourquoi il devait lui oter la vie. Il décide de retourner à Gotham pour tenter de se souvenir…

[Début de l’histoire Spawn/Batman]
Attaqué à Gotham par un robot d’appartenance russe, Batman réussit à le vaincre et découvre que ce dernier est relié à une tête humaine (!) parlant anglais. Cette dernière était à un vagabond alcoolique de New-York. Comme le détective le précise : « qu’est-ce que le cerveau d’un clochard new-yorkais fait dans un cyborg soviétique ? »

Le Chevalier Noir se rend à New-York pour enquêter et tombe sur Spawn. Les deux commencent à s’entretuer…

[Présentation & contextualisation]
Il est nécessaire de contextualiser la création de Spawn et, de facto, celle de l’éditeur Image Comics. Si vous êtes familier de tout ceci, vous pouvez passer directement à l’onglet critique. En 1992, sept dessinateurs prestigieux quittent Marvel, déçus et agacés de la façon dont ils sont traités (en terme de royalties notamment mais aussi d’être cadenassé pour leur liberté créatrice – en gros). Ainsi, Todd McFarlane (qui œuvrait sur Spider-Man par exemple), Jim Lee (X-Men), Rob Liefeld (Deadpool), Erik Larsen, Marc Silvestri, Jim Valentino et Whilce Portacio fondent leur propre maison d’édition Image Comics.

Leur indépendance permet de concevoir plusieurs comics phares de l’époque comme Spawn bien sûr (créé par McFarlane), mais aussi WILDC.A.T.s (par Jim Lee — un univers racheté puis réédité par DC Comics ensuite, incluant trois livres en France par Urban fin novembre), Youngblood, Savage Dragon, etc. Ces séries sont un véritable succès et Spawn se vend autant voire mieux que Spider-Man par exemple ! Image Comics donne un nouveau souffle au médium et une lueur d’espoir pour de nombreux auteurs et artistes qui voient grâce à ce nouvel éditeur une certaine révolution dans l’industrie.

La crise des comics de 1993 et les départs successifs de Whilce Portacio (qui a vite renoncé dès 1992) puis Rob Liefeld (1996) et Jim Lee (1998) complexifient la pérennité d’Image Comics qui peine à renouer avec des succès, malgré la solide et remarquable longévité de Spawn. Il faut attendre le début des années 2000 pour retrouver une santé financière, critique et populaire avec l’arrivée du scénariste Robert Kirkman qui signe dans la foulée Invincible puis, surtout, The Walking Dead. En 2012, c’est la passionnante série Saga qui donne une impulsion nouvelle à Image Comics et lui permet de conserver sa stabilité. Si l’évolution de cet éditeur vous intéresse, un simple tour sur Wikipédia (en français de surcroît) donnera quelques clefs de compréhensions, l’article étant assez complet.

Revenons à Spawn. Todd McFarlane présente son anti-héros en 1992 et le succès est immédiatement au rendez-vous (la série fêtera son 350ème chapitre début 2024, cf. couvertures VO ci-dessous – on y reviendra). . Il faut dire que les traits résolument modernes et élégants de l’artiste sont une certaine révolution graphique pour l’époque (toutes proportions gardées puisque McFarlane était déjà « connu » et d’autres illustrateurs de renom comme Jim Lee arborait un style un peu similaire). Le dessinateur pioche dans ses souvenirs d’adolescent pour concevoir Spawn : Al Simmons, un ancien des forces spéciales mort au combat fait un pacte avec le démon Malébolgia. Il accepte de lui vendre son âme dans l’espoir de revoir sa femme et devra mener les troupes de l’Enfer à la victoire contre les forces céleste de l’Armageddon. Mais la créature est séquestré durant cinq ans avant d’être renvoyé sur Terre, défiguré, méconnaissable et arborant différents pouvoirs surnaturels…

Devenu Spawn, Al se rend compte des multiples trahisons dont il fut victime, aussi bien en tant qu’humain qu’HellSpawn (une fois de plus, pour en savoir davantage sans se farcir l’entièreté des comics, la page Wikipédia dédiée vulgarise assez bien l’ensemble)… L’œuvre est sanglante, originale et mature. Elle donnera lieu en 1997 à deux adaptations : un film (raté) et une série d’animation sur HBO (18 épisodes) bien accueillie. Un nouveau long-métrage est prévu pour 2025 au plus tôt. L’auteur de ces lignes l’avoue humblement, il n’a lu que le premier tome de la série principale Spawn (et nul besoin de le connaître ou d’en savoir davantage pour apprécier ce Batman/Spawn 1994 d’ailleurs — un peu moins pour celui de 2022/2023 en revanche).

Si Spawn est produit par Todd McFarlane, aussi bien aux pinceaux qu’à l’écriture, il laisse volontiers et assez rapidement le scénario d’un ou deux chapitres à quelques pointures dont les fameux « trois M » liés à Batman : Frank Miller, Alan Moore et Grant Morrison ! Si ces collaborations sont ponctuelles, elles inaugurent du bon et McFarlane cèdera, entre autres et principalement, à Brian Holguin l’écriture de sa série sur de longs segments. Plus important, McFarlane délaisse aussi ses dessins à plusieurs pointures dont la plus longue au profit de… Greg Capullo ! Le célèbre artiste occupe une place majeure dès le deuxième tome et jusqu’au neuvième (il reviendra aussi dans le douzième) – il signe une jolie illustration de Spawn/Batman à l’époque, à découvrir en bas de cet article, avant le bloc À propos. En somme, Capullo travaille presque sept ans sur Spawn, il était donc naturel qu’il s’approprie la troisième rencontre avec le Chevalier Noir (qu’il a dessiné durant plus de cinq ans) en 2022 dans l’autre comic book Batman / Spawn, sorti fin 2023 chez nous.

 

Spawn va fêter début 2024 son 350ème chapitre ! Ce qui en fait le comic book le plus long (plus de trente ans d’existence) hors registre super-héroïque. Pour lire Spawn en France, c’est (désormais) assez simple, l’éditeur Delcourt ayant effectué un travail assez formidable quand ils ont récupéré les droits au milieu des années 2000. Il y a tout d’abord la série Spawn (aussi nommée Spawn Archives), étalée sur 22 tomes (le dernier est sorti début 2023) et contenant 250 chapitres (de la série éponyme, donc simplement intitulée Spawn en VO). La suite directe se déroule dans Spawn Renaissance, compilant les épisodes 251 à 330 de la série initiale, toujours en cours de publication aux États-Unis. Cela porte à ce jour ce second titre à 13 volumes (le quatorzième est prévu pour janvier 2024). Voir des couvertures ci-dessus.

À noter que les tomes 19 à 22 de Spawn (regroupant les épisodes #201 à #250) furent publiés « en doublon » quelques années plus tôt chez le même éditeur en huit volumes dans Spawn – La Saga infernale. Il s’agissait à l’époque de profiter d’une semi relance après le 200ème chapitre et être au plus près de la publication VO. Désormais il n’y a donc plus trop d’intérêt de l’acheter (c’est aussi pour éviter cette confusion que Spawn est titrée Spawn Archives – tout le monde suit ?). McFarlane a étendu son univers dans de nombreuses séries annexes, parfois en continuant de les écrire ou bien en laissant la mains à d’autres auteurs mais en gardant une supervision.

Citons Sam & Twitch (six opus), centré sur le duo de flics des mêmes noms (malheureusement plus réédités) et différentes histoires anthologiques et un peu « à part » regroupées sous l’appellation Spawn Hors-Série (une douzaine de récits incluant les deux avec Batman mais, idem, certains ne sont plus en vente, d’autres réédités sous forme d’intégrale). Il y a, entre autres, Spawn / WildC.A.T.s (forcément), Violator (l’un des antagonistes de Spwan), HellSpawn, Spaw Dark Ages, Du sang et d’ombre, Les architectes de la peur, Spawn Godslayer, Spawn – The Undead, etc. Voir les couvertures ci-dessus.

Depuis fin 2022, on peut découvrir trois autres séries gravitant autour de Spawn : King Spawn (Spawn devient le rois des enfers, trois tomes en cours), Gunslinger Spawn (relecture façon western, trois volumes en cours aussi) et Spawn – Scorched, L’Escouade Infernale (toute une équipe se créé autour de Spawn avec plusieurs autres anti-héors, deux opus pour l’instant). Notons que cette nouvelles salve a carrément droit à un triptyque de couvertures (cf. ci-dessous). Enfin en 2023, La malédiction de Spawn s’est ajouté à ce fameux Spawn Universe, qui est donc riche et varié ! Todd McFarlane en parle aux confrères de Comicsblog sur ce lien en octobre 2023.

Cette (longue) présentation effectuée, que vaut donc ces rencontres entre Spawn et Batman publiés initialement en 1994 ?

[Critique]
Si l’introduction de cet article ainsi que l’avant-propos d’Urban Comics à l’intérieur du livre évoque chronologiquement la première histoire de Spawn/Batman publiée par Image Comics (donc celle Miller/McFarlane) puis celle par DC, le recueil présente d’abord celle de DC (War Devil) et ensuite l’autre. C’est donc dans cet ordre que les critiques seront aussi publiées.

[Critique Batman/Spawn : War Devil]
La rencontre épique entre le suppot de l’Enfer et l’homme chauve-souris a lieu et… ce n’est pas aussi incroyable que ce qu’on était légitime d’imaginer. Sans surprise, un rapide affrontement entre les deux avant une association se déroule de façon assez convenue. La faute à un scénario conçu à six mains (!) – Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant (responsables à l’époque de nombreuses sagas cultes sur le Chevalier Noir : Knightfall, Cataclysme, No Man’s Land…) – trop bavard et verbeux dans ses dialogues et peu intéressant dans son intrigue globale. En synthèse, un homme mort revient à la vie et veut tuer davantage de personnes, sous l’égide de la magie noire et d’apparitions de démons, évidemment.

L’alliance de Spawn et Batman ne sera donc pas de trop pour venir à bout du démon derrière tout cel (bien qu’assez confuse dans sa résolution). Le célèbre justicier de Gotham et l’anti-héros venant de New-York s’associent presque « comme si de rien était », ne prennent pas le temps de se connaître et collaborent comme si c’était une évidence. Il en est de même pour la conclusion du récit où les protagonistes se quittent après un échange cohérent du côté des deux certes mais étonnante malgré tout. Ce sont peut-être les fans de Spawn qui préfèreront ce War Devil, où la création de Todd McFarlane occupe peut-être une place moindre ou identique que Batman mais semble plus soigné dans l’écriture ou dans l’empathie envers ce singulier personnage.

La dimension graphique perd aussi de sa superbe, Klaus Janson (inoubliable encreur de The Dark Knight Returns) ne réussissant jamais à rendre iconique ce rendez-vous improbable de deux monstres sacrés des comics. Janson a également du mal à gérer son espace géographique, trop étriqué dans des petites cases, canibalisant les grands espaces qui auraient été nécessaires à sublimer l’inoubliable cape de Spawn mais, surtout, l’incursion dans le registre fantastique/horrifique (plus ou moins) inédit à l’époque. Il y a bien une double page sympathique (cf. ci-dessus) mais le reste suit difficilement, dans un style maladroitement ancré (avec un a et non un e) dans les années 1990, à l’inverse des traits de McFarlane (dans l’histoire suivante) – et même ceux de Capullo à l’époque – bien plus intemporels et encore appréciables et délectables aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Heureusement, la colorisation de Janson aidé de Steve Buccellato confère une patte visuelle assez riche, arborant tour à tour le côté sombre de Gotham et les palettes écarlates propres à Spawn. Ce rouge vif dénote d’ailleurs pour un résultat globalement agréable. Toute la bande dessinée est proposée à la fin du livre dans une version encrée en noir et blanc et avec les dialogues en VO. Un bonus qui ravira les fans de Janson et permet de gonfler le nombre total de pages à presque 170, les deux titres principaux ne s’attardant que sur une petite cinquantaine de planches (pourquoi pas compiler les trois histoires de Batman / Spawn (incluant celle de 2022/2023) dans un seul et même ouvrage pour un prix total plus abordable ?).

[Critique Spawn/Batman]
Cette fois c’est la bonne ! La rencontre entre Spawn et Batman est épique, brutale et d’une superbe signature graphique. Il faut dire que c’est Todd McFarlane lui-même (le créateur de Spawn) qui illustre la cinquantaine de pages du titre. L’artiste avait déjà dessiné Batman – Year Two / Année deux en 1987 et avait repris les « pastilles journalistiques » de Frank Miller dans The Dark Knight Returns (1986) dans sa série Spawn. Il semblait donc y avoir une certaine logique voire osmose entre les deux artistes pour cette collaboration. Miller signera une postface l’année suivante de ce Spawn/Batman (donc en 1995), inclut dans l’édition du premier tome de Spawn en France (Résurrection).

Visuellement donc c’est un sans faute. Ici l’espace est nettement mieux pensé avec de belles séquences d’anthologie iconisant tour à tour chacun des deux (anti) héros. C’est d’autant plus incroyable quand on constate aujourd’hui que ces dessins remontent à 1994 et qu’ils n’ont pas pris une ride (et sont nettement plus aboutis que certains plus récents). McFarlane croque sa New-York nocturne habituelle, évidemment proche de la Gotham des aficionados de Batman. L’artiste sublime la rencontre tour à tour violente puis « psychologique ». Rien à redire.

Côté scénario, Frank Miller prend son temps. Contrairement au titre précédent, il se fait narrateur omniscient au service du lecteur et cela fonctionne étonnamment bien, conférant une écriture fluide puis organique quand Spawn et Batman prennent la relève. C’est une guerre d’ego entre les deux qui s’annoncent derrière un conflit (plus dangereux) d’une mystérieuse femme. En ce sens, l’intrigue de fond, vaguement politique et un brin plus science-fiction (par rapport à la première, davantage orienté fantastique/horrifique) est efficace sans faire d’éclat. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande plume complexe ou trop originale.

S’il est fièrement annoncé que la fiction se déroule dans le même univers instauré par Miller dans The Dark Knight Returns, ce n’est clairement pas évident durant la lecture et pourrait être un titre indépendant que ça ne changerait pas grand chose (on retrouve juste cette approche brutale et radicale du Wayne de Miller). L’auteur cite également son Année un mais, encore une fois, cela relève davantage du clin d’œil que d’une réelle volonté d’ajouter un complément indispensable à l’univers. Néanmoins, ce Spawn/Batman vaut indéniablement le coup pour les amoureux des traits de McFarlane (cf. planches ci-dessous et les trois dernières de cet article) et cette confrontation au sommet !

[Conclusion de l’ensemble]
Inutile de préciser que les fans de Spawn ET de Batman doivent évidemment se procurer cette compilation de deux récits emblématiques de 1994. Même si le premier est très moyen, le second est une élégante pépite graphique. En revanche, les passionnés de Batman uniquement peuvent faire l’impasse puisque ces deux courts titres n’apportent pas grand chose à la mythologie (et chronologie) de l’homme chauve-souris – à l’inverse de la version 2022/2023 qui place son récit dans la série Batman de Scott Snyder. D’autant plus qu’il faut débourser 17 € pour à peine une centaine de pages de bandes dessinées, quand on ne connaît pas spécialement Spawn il n’y a pas forcément de raisons de se lancer dedans.

Comme évoqué plus haut, une bonne solution de rapport qualité/prix (et nombre de pages/prix) aurait été de compiler la troisième histoire (2022/2023) dans un seul et même livre (avant ou sans les bonus proposés) pour combler à peu près tout le monde. Il est toujours difficile d’anticiper si cela aurait été mieux accueilli ou non, d’autant plus que ces deux éditions sont aussi proposées avec deux variantes (augmentant au passage le prix à 20 € pour celle de 1994 et 22 € pour l’autre !). Les collectionneurs et complétistes seront probablement conquis par ces jolies propositions. Le lecteur « lambda » (ce n’est en aucun cas un terme péjoratif) y trouvera peut-être moins son compte (36 € au total pour trois histoires d’une cinquantaine de pages dont une assez moyenne, ça commence à piquer).


Illustration de Greg Capullo pour le crossover Spawn/Batman, 1993

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 1994 Spawn/Batman #1 + Batman/Spawn: War Devil #1
Nombre de pages : 168

Scénario : Doug Moench, Chuck Dixon, Alan Grant, Frank Miller
Dessin & encrage : Klaus Janson, Todd McFarlane
Couleur : Klaus Janson, Steve Buccellato, Steve Oliff, Olyoptics

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurice

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The Dark Knight Returns – The Golden Child

Nouvel enrichissement du « Dark Knight Universe » de Frank Miller, The Golden Child se déroule après les trois premiers volumes. Il est l’équivalent d’un tome 3.5 d’une certaine façon (au même titre que The Last Crusade fut le 0). L’œuvre met en avant la « nouvelle génération de héros », c’est à dire Carrie Kelley/Batwoman, Lara (fille de Superman/Wonder Woman – qui était au centre de Dark Knight III) et Jonathan (leur jeune fils). Découverte de ce segment très court (48 pages !), toujours écrit par Miller mais cette fois dessiné par Rafael Grampá.

[Résumé de l’éditeur]
Alors qu’une élection approche et provoque un soulèvement sans précédent au sein de la population de Gotham, Batwoman, Superwoman et son jeune frère [Jonathan], le fils de Superman et Wonder Woman, tentent de lever le voile sur la panique qui s’empare des citoyens de la ville. Car, derrière le candidat populiste se cache le seigneur d’Apokolips, le maître de l’Anti-Vie, Darkseid !

[Critique]
Difficile d’avoir un avis tranché sur The Golden Child… Au niveau de l’histoire, d’un côté, les « retrouvailles » avec Carrie Kelley et l’univers conçu par Miller en 1986 sont agréables, d’un autre côté, la rapidité d’exécution de l’ensemble et le récit en lui-même qui reste, in fine, plus ou moins anecdotique, sont dommageables. Au niveau des dessins par contre, c’est magnifique (on en reparle plus loin). Il est utile de le rappeler : le comic-book tient en 48 pages seulement. C’est donc extrêmement court, davantage que The Last Crusade (64 pages) et presque autant que Killing Joke (46) — ce qui n’empêche évidemment pas d’être excellent voire culte, comme le dernier exemple le prouve facilement. L’éditeur est donc obligé de garnir sa bande dessinée de nombreux bonus tout en gardant un prix attractif (15.50€), c’est le cas ici, on y revient en fin de chronique.

Néanmoins, dans le cadre d’une extension de The Dark Knight Returns, on est loin d’atteindre la maestria scénaristique de son aîné. La narration est pourtant très alléchante : suivre de jeunes justiciers (dont deux femmes) lors d’un évènement politique important. Le reflet avec la société actuelle et Donald Trump, croqué plusieurs fois, est évident — précédé d’une polémique stérile (comme souvent avec DC, comme le fameux Bat-Zizi dans Batman – Damned l’an dernier) concernant cette fois une couverture de TGC mal vu par le régime politique en Chine car elle… encouragerait la démocratie !). Malheureusement, cet aspect sociétal est trop survolé…

On retrouve quand même aisément la patte Miller avec ses thèmes de prédilection (l’homme derrière l’artiste a d’ailleurs étonnamment changé de convictions ces dernières années, qu’on pourrait vulgariser par une fascination pour l’autoritarisme et état sécuritaire dans un premier temps puis une certaine appréciation de l’anarchie et du sens de la révolte par le peuple désormais — ce qui, à nouveau, se ressent dans le texte). Les pensées subjectives de chaque protagoniste vont défiler par segment et agrémenter ces sujets : le détachement et le cynisme de Lara, la soif de justice de Carrie, la « naïveté » de Jonathan, la sophistication de Darkseid couplée à… la folie du Joker ! C’est là la grande surprise de Golden Child (hélas dévoilée en quatrième de couverture et en introduction) : le Joker est de retour !

Pour ceux qui n’ont pas lu les précédents volumes de TDKR, on n’évoquera pas son identité mais il est important de préciser qu’il s’agit ici d’un « autre » Joker (là aussi un héritier en quelque sorte) et qu’on ignore de toute façon de qui il s’agit concrètement… Cela rappelle un peu l’excellent film éponyme qui voyait monter un nouveau leader en la figure populiste du criminel. Ici, les enjeux sont différents et le Joker finalement secondaire : c’est Darkseid qui est le véritable ennemi, magnétique et mystérieux. Son association improbable avec le Clown du Crime n’est qu’un prétexte pour mieux « introduire » (encore et toujours cette sensation d’un univers qui ne demande qu’à être découvert — à l’instar de la lecture de Dark Knight III) Jonathan, second enfant de l’union entre Superman et Wonder Woman (le « Golden Child », l’enfant d’or, c’est bien sûr lui).

C’est là le (gros) point faible de l’ouvrage : la sensation d’avoir à peine effleurer son potentiel narratif. Tout gravite autour de cinq personnages qu’on quitte trop rapidement sans réel « coup de poing cérébral » (comme TDKR en son temps) ou « scènes visuelles mémorables ». On aimerait tellement continuer de voir grandir les descendants de l’homme chauve-souris et de l’homme d’acier (tous deux malheureusement absents du one-shot). On aimerait tellement en savoir davantage sur ce nouveau Joker, sur le passif de Darkseid dans cette mythologie alternative du Chevalier Noir, sur l’émancipation de Carrie Kelley, sur le « retour » de Bruce/Batman jeune (esquissé en fin de volet précédent), sur le soutien ambigu de Lara (qui porte un tee-shirt avec l’emblème de son père sur la poitrine et une veste en cuir avec le logo de sa mère au dos — une chouette création !), etc. Des multitudes d’infinités scénaristiques plus ou moins loupées et à la conclusion un poil trop facile et frustrante.

Heureusement (et c’est là le gros point fort cette fois), les planches du trop rare Rafael Grampá sont sublimes et un vrai régal pour les fans. La collaboration entre Miller et le dessinateur est née suite à couverture alternative qu’avait produit Grampá pour DKIII (cf. cet album compilation). Proche du style de Frank Quitely (Justice League – L’autre Terre) et de Katsuhiro Otomo (Akira) selon l’éditeur, Rafael Grampá soigne ses cases avec foule de détails, notamment pour ses visages mi-difformes, mi-élégants, bien aidé par la colorisation de Jordie Bellaire ; il est évident que The Golden Child est un indispensable pour les amoureux de l’artiste.

Mais attention, comme souvent quand on s’éloigne des traits « conventionnels / mainstreams », il est évident que ça ne plaira pas à tout le monde et, comme toujours, si les quelques dessins illustrant cette critique vous séduisent, vous pouvez foncer, sinon abstenez-vous (cf. Batman – Année 100 qui était un bon exemple dans le genre également). Car l’intérêt du livre est principalement cet aspect graphique couplé à ses découpages et son dynamisme ambiant, conférant une sincère singularité au titre.

La bande dessinée contient d’ailleurs toute les planches en noir et blanc encrées, sans texte ni niveaux de gris, ainsi que de nombreux croquis et quelques couvertures inédites, gonflant le nombre de pages à 136. Une aubaine pour les passionnés (au plus proche de la version deluxe très similaire sortie une semaine plus tôt aux États-Unis). The Golden Child est donc une plongée dans un univers graphique fort séduisant mais hélas bien trop court pour en être pleinement satisfait. Le faible prix (15,50€) et les bonus conséquents devraient suffire pour les amoureux du style atypique de Rafael Grampá. Les autres passeront probablement leur chemin…

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 18 septembre 2020.

Scénario : Frank Miller
Dessin : Rafael Grampá
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin et Stephan Boschat)

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Dark Knight III (intégrale)

Après une publication en quatre volumes pour coller au plus près de la sortie aux États-Unis (2016-2017), Urban Comics a, sans surprise, proposé l’intégrale de Dark Knight III en janvier 2019. Ce troisième volet du fameux « Dark Knight Universe de Frank Miller » n’avait pas vraiment convaincu en lecture initiale (donc au rythme des sorties étalées sur deux ans).

Les quatre volumes ont déjà été chroniqués sur le site (cf. Tome 1, Tome 2, Tome 3 et Tome 4) mais que vaut une lecture complète « à la suite » de Dark Knight III ? L’œuvre en sort-elle plus aboutie, plus passionnante ? On se prête au jeu à l’occasion de la sortie de The Dark Knight Returns – The Golden Child (qui est une mini-suite de DKIII).

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir remporté une victoire décisive contre le tandem formé par Luthor et Brainiac, Batman disparaît, et Gotham est à nouveau en proie au crime et à la désolation. Mais peu après, la rumeur circule : le Chevalier Noir serait de retour… Au même moment, Lara, la fille de Superman, appelle le scientifique Ray Palmer au secours de la ville-bouteille de Kandor.

[Critique]
On ne va pas trop s’étendre longuement sur cette « nouvelle » critique puisqu’elle existe déjà sous forme de quatre articles, chacun détaillé sur deux chapitres de l’histoire principale et ses deux « appendices », cf. Tome 1, Tome 2, Tome 3 et Tome 4 — une chronique plus longue pour ce dernier volume, qu’on conseille en priorité s’il ne fallait en (re)lire qu’une.

En effet, pour cette intégrale, Urban a repris les épisodes dans l’ordre chronologique proposant ainsi les neuf chapitres de Dark Knight III, chacun entrecoupé d’appendices (des back-ups centrés sur un personnage en particulier), mettant en avant respectivement Atom, Wonder Woman, Green Lantern, Batgirl (et brièvement Aquaman) et Lara puis le trio féminin Batgirl/Lara/Wonder Woman (intitulé World’s Finest), Green Lantern/Hawkman/Hawkgirl (Strange Adventures), Yindel/Bruno (Detective Comics) et Batman/Batwoman & Clark/Lara (Action Comics). L’ensemble s’étale sur 360 pages environ, complémenté d’une petite cinquantaine de pages bonus (résumé, sketchbooks, crayonnées, biographies… — pour les nombreuses couvertures alternatives en couleur il faut se tourner vers ce sublime recueil limité à 2000 exemplaires). Soit un gros pavé de plus de 400 pages.

Andy Kubert dessine le récit principal et Frank Miller s’occupe des appendices (avec Eduardo Risso pour le deuxième). Cela avait longuement été décortiqué : Kubert essaie de rapprocher son style avec celui de Miller à l’époque, en résulte des planches hybrides mal équilibrées mais, heureusement, bien découpées et avec quelques scènes d’anthologie. L’artiste aurait gagné à conserver sa propre patte même si on la perçoit de temps en temps mais on le sent contraint et limité dans ses croquis.

Quant à Miller, ce n’est plus un secret depuis une éternité : il a perdu de sa superbe quand il est aux pinceaux. Des brouillons affreux, plein de couleurs vives plus ou moins justifiées, des figures presque tremblotantes sans décors ou à l’arrière fond uni d’une pauvreté affligeante. Heureusement, au fil de ces chapitres complémentaires, Miller retrouve un peu son talent.

Côté scénario, la lecture « à la suite » est évidemment plus digeste et cohérente. On le rappelle : il est quand même nécessaire d’avoir lu The Dark Knight Returns (évidemment) mais aussi idéalement sa suite décriée (et très inférieure) The Dark Knight Strikes Again. Une des réussites majeures de l’œuvre est son rythme : pas le temps de s’ennuyer, tout se lit très bien et rapidement (l’ensemble est moins dense et plus accessible que TDKR, ce qui n’est pas plus mal).

Seuls les appendices cassent un peu l’immersion du récit principal, corrélées -comme on vient de le voir- à leur pauvreté graphique qui tranche radicalement avec les traits de Kubert. Mais… les dessins de Miller offrent paradoxalement une certaine nostalgie bienvenue pour les fans de l’artiste. Miller, justement, co-écrit avec Brian Azzarello l’ensemble du livre sans réellement savoir « qui fait quoi » : d’un côté on retrouve bien la patte du scénariste et ses thèmes de prédilection, d’un autre côté ils ne sont pas trop difficiles à singer (en bien ou en mauvais) ; délicat donc de trancher si Miller a apporté un vrai surplus à l’écriture ou s’il officiait plutôt comme simple conseiller par exemple. Mais peu importe.

L’équivalent du premier tome (très moyen en lecture indépendante) devient ici une longue introduction semi-efficace qui s’émancipe rapidement (forcément) pour se prolonger dans un récit doublement palpitant jusqu’à la moitié du livre : les menaces sont concrètes, violentes, brutales… et Andy Kubert proposent de jolies planches avec une certaine démesure quant à ses héros déchus, mi-déifiés, mi-sacrifiés (équivalent du second tome donc).

Un affrontement gigantesque, très sanglant, habilement mené par le binôme Superman/Batman et quelques alliés poursuivent le titre (troisième tome), livrant de chouettes scènes d’action, toujours entrecoupées d’appendices gênants, même si Miller s’améliore au fil des épisodes et cela, jusqu’à la fin. Enfin, un autre combat titanesque clôt l’histoire suivie d’une élégante conclusion, plus légère après un cynisme et une violence quasiment perpétuelle (quatrième tome).

Outre les défauts graphiques évoqués (le « style » brouillon et pauvre de Miller sur les appendices, le déséquilibre de Kubert, hésitant entre ses propres traits — précis, fins, détaillés — et ceux de son aîné pour une certaine homogénéité entre les trois volumes), Dark Knight III pêche aussi par le non approfondissement de certains de ses personnages (les ennemis Quar et Baal en tête, complémentés par leur manichéisme primaire, Yindel et quelques figures iconiques de DC comme Flash, Green Lantern et d’autres justiciers relégués à une figuration de luxe – comme en son temps TDKSA qui se focalisait sur des super-héros DC et non Batman en particulier). La menace (kryptonienne) sort un peu de nulle part et fait office de facilité scénaristique.

On retient surtout la belle amitié entre l’homme d’acier et l’homme chauve-souris, plus efficace que jamais, l’exploration d’un univers « culte » modernisé subtilement (mais pas assez), la mise en avant de (nouvelles) héroïnes féminines comme Carrie/Batgirl et Lara (personnage clé de l’œuvre) mais aussi de Wonder Woman, au début et à la fin notamment. Une plongée dans Gotham certes, mais aussi dans l’univers DC au sens large, avec l’accent mis sur la fameuse Trinité et leurs héritières.

Mélange des genres agréable, on oscille entre l’aventure haute en couleur et le récit noir über brutal, l’urbanisme nocturne et la jungle diurne, la science-fiction (un peu) et le fantastique (un peu aussi), l’aventure épique et le drame plus ou moins tragique… Ça passe bien. Le plaisir aussi de constater la cohérence de toutes les intrigues et protagonistes qui se rejoignent ingénieusement (il est fort probable que « tout » était prévu dans la tête des auteurs depuis le début). La conclusion est réussie (c’est rare, il faut le souligner) et ferme efficacement la boucle côté Batman (malgré un statu quo intéressant qu’on aimerait découvrir) tout en la rouvrant aussi bien pour lui que pour Superman. In fine, on a donc l’impression d’esquisser (encore) une nouvelle mythologie du Chevalier Noir qui ne demande qu’à être explorée (à nouveau) tant tout passe trop vite et forme (presque) une introduction gigantesque pour « le monde de demain ».

On conseille donc Dark Knight III, qui gagne en qualité au fil des chapitres et, si on ferme les yeux sur ses problèmes évidents, propose un produit mi-mainstream, mi-indépendant, qui devrait ravir les moins exigeants. Ceux qui s’attendent à un coup de poing cérébral (comme TDKR en son temps) seront déçus, ceux qui cherchaient une narration dense et politique devraient plutôt se tourner vers White Knight. Si ce ne sont pas vos envies premières alors DKIII se lit aisément et avec plaisir.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 25 janvier 2019.

Scénario : Frank Miller et Brian Azzarello
Dessins : Andy Kubert et Brian Azzarello
Encrage : Klaus Janson
Couleur : Brad Anderson et Alex Sinclair

Lettrage : Stephan Boschat — Studio Makma
Traduction : Jérôme Wicky

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