New Gotham est une série de trois tomes se déroulant après la saga No Man’s Land (mais il n’est pas obligé de l’avoir lu pour découvrir ce nouveau run). Elle est principalement scénarisée par Greg Rucka, bénéficie d’un style graphique particulier et se focalise sur Gordon et Batman. Critique du premier tome, Évolution, qui contient douze chapitres de la série Detective Comics : du #742 à #753).
[Histoire]
Au lendemain de la fin du no man’s land, Gotham est à la reconstruction. Gordon, toujours endeuillée par la mort de sa femme par le Joker, reprend du service au GCPD. Batman veille et arpente sa ville…
La recrudescence du crime organisé complexifie la situation. Le commissaire et le Chevalier Noir mènent l’enquête sur un meurtre d’un policier récent. Les indices conduisent à un certain Vassili Kosov de la mafia russe.
Mais dans l’ombre, Ra’s Al Ghul dirige un plan secret, aidée de sa complice « Murmure De Défi »…
[Critique]
Évolution est un tome très moyen, aussi bien sur son travail scénaristique (Rucka fut plus inspiré dans No Man’s Land et le sera davantage peu après dans Gotham Central) que graphique (sur lequel on s’attardera plus tard). S’il n’est nul besoin d’avoir lu la saga No Man’s Land (NML) pour apprécier ce premier volet (sur trois) de New Gotham, des références explicites ou non à cette ancienne situation particulière * apparaissent de nombreuses fois. À commencer par la dissociation entre les V.G. (Vrais Gothamiens) et les DEZ (Déserteurs) — dont est affublé Bruce Wayne — qui revient régulièrement et donne naissance à divers conflits. Malheureusement, ceux-ci ne seront pas exploités convenablement.
Le livre se scinde en effet en plusieurs parties et à peu près quatre fils rouges narratifs répartis sur douze chapitres. Le plus important, qui occupe plus de la moitié de l’ouvrage, est la relation entre Batman/Bruce et « Murmure de Défi » (sic). Cette dernière sert donc Ra’s Al Ghul, peu présent in fine. Son plan n’est pas très clair et les nombreux protagonistes issus de mafias et gangs différents n’aident pas du tout à la compréhension. Pire : les transformations en serpent ou en loup des sbires de l’immortel ennemi du Chevalier Noir cassent l’ambiance « hard boiled » qui était pas mal instaurée. C’est à dire un côté polar, urbain et relativement noir (à l’instar de la série Gotham Central, plus aboutie, du même Rucka). Les autres arcs sont plus captivants mais durent moins longtemps. L’un englobe ce qu’on voit en filigrane tout au long du récit (avec quelques mises en avant de temps en temps) : le retour de Gordon (endeuillé), la vie des flics (Crispus, Bullock, Montoya…), la politique à Gotham (un maire peu populaire), etc. bref, ce qui peut clairement se nommer « l’après NML ».
Toujours dans cette optique post-NML, une histoires s’attarde sur Montoya et sa relation avec Harvey Dent/Double-Face (ce dernier étant tombée sous le charme de la policière dans NML) puis la lecture d’un comic-book écrit et dessiné par Dent lui-même le met en scène dans des aventures héroïques (un côté clairement WTF assumé et amusant). Enfin, pour conclure sur cet après NML, on retrouve Poison Ivy qui avait élu domicile dans un parc végétal durant un an où plusieurs orphelins l’avaient rejoint (pendant le no man’s land donc). On récapitule les quatre récits qui s’entrecroisent : Batman contre la mafia et Ra’s Al Ghul via sa sbire « Murmure De Défi », Gordon et ses équipes dans un Gotham qui se reconstruit, Montoya et sa relation ambigüe avec Harvey Dent et enfin Poison Ivy condamnée à quitter un parc où elle n’a jamais blessé ou tué qui que ce soit.
Comme évoqué, toute la partie avec « Murmure De Défi » occupe une place prédominante (la première moitié du livre puis un retour entre deux autres histoires). Celle-ci est plutôt frustrante car l’on retrouve un Batman axé en mode détective (même si pas mal de choses restent confuses dans les résolutions d’énigmes, les nombreux noms de mafieux…) mais avec des problèmes scénaristiques flagrants : manque d’empathie pour « Murmure De Défi » (ce nom…), transformations en animaux surréalistes, manque de clarté sur les enjeux et le plan à long terme de Ghul.
Du côté des graphismes, pas de demi-mesure : ça passe ou ça casse. Deux aspects à prendre en compte, une sur laquelle il est assez simple de faire l’unanimité : la colorisation, effectuée intégralement par le studio Wildstorm FX, qui est excellente puisqu’elle se concentre sur une couleur seulement par chapitre, le reste étant en nuances de gris ou de bleu. Ainsi on retrouve beaucoup de planches mélangeant une couleur froide principale (du bleuté) avec des variations colorisées d’une couleur chaude (orange, rouge…). Presque bichrome donc, ce pari graphique audacieux est réussi (rappelant parfois brièvement Sin City). Malheureusement, le second aspect sur lequel on est plus critique est tout simplement « le dessin ». Huit chapitres sur douze sont ainsi signés par Shawn Martinbrough. Ses traits anguleux et gras (pas tout à fait cartoony quand même mais presque — cf. les nombreuses images d’illustrations de cette critique), manquent cruellement de détails et ressemblent à des brouillons, fan-arts ratés ou des résumés grossiers. L’ensemble (dessins et couleurs) se rejoignent plutôt bien mais on tique quand même devant trop de cases pour apprécier le tout et être émerveillé. Dommage, il y avait clairement un coup à jouer. Heureusement, les quatre chapitres restant sont dessinés par quatre autres artistes et sont nettement plus réussis, ancrés dans un certain réalisme et plutôt élégant, avec toujours ce même jeu de couleur quasi bichromique qui sert à merveille l’ouvrage.
Anecdotiquement, sur le plan éditorial, on sera aussi rebuté par une police d’écriture assez illisible, choisie le temps de quelques planches. Trop de poins négatifs donc, pour véritablement apprécier Évolution. Mitigé aussi par quelques incohérences d’écriture qui sautent aux yeux. Par exemple, Bruce Wayne est affublée par Lucius Fox d’une garde du corps (Mlle Bordeaux). Sans tomber dans un sexisme primaire, on peut s’étonner de ne pas avoir choisi plutôt un voire deux hommes robustes pour ce travail. Peu importe, cette mise en situation inédite pourra déboucher sur des scènes intéressantes (à voir ce que donnera le tome deux). Seulement, dès l’arrivée de cette garde du corps, Bruce s’éclipse de son bureau juste devant elle et ressort peu après en Batman devant les fenêtres. La jeune femme est surprise mais ne fait pas le lien entre le milliardaire et le justicier…
Il faut reconnaître à Rucka quelques idées novatrices ou en tant cas plutôt intéressantes. Wayne apparaît beaucoup en civil, décrit comme un homme à femme et un type maladroit. C’est quelque chose qu’on voit de moins en moins dans les comics sur Batman, c’est donc tout à fait plaisant de (re)trouver cela. On se focalise à nouveau sur lui et Gordon, un peu comme à l’époque d’Année Un, récit initiatique des (nouvelles) origines du Chevalier Noir. Ce retour aux sources parsème Évolution, durant lequel les autres figures d’alliées résonnent par leur absence notoire : quid de toute la Bat-Family qui peuplait NML ? Même Alfred n’officie qu’en figurant le temps de quelques cases.
Un premier tome plutôt moyen, avec des partis pris graphiques et scénaristiques alléchants mais pas forcément bien exploités ou finalisés. À suivre dans les deux volets suivant…
* À noter également, des références aux évènements survenus dans La Tour de Babel et un affrontement avec Hugo Strange mentionné (on ignore de quelle histoire précise il s’agit, peut-être La Proie de Hugo Strange).
[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 16 juin 2017.
Publication originale en 2000 à 2001 dans Detective Comics #742 à #753.
Titres des chapitres :
– Honneur à nos morts [DC#742]
– Évolution (Chapitre 1 à 4) [DC #743-746]
– Évolution I : Murmures dans les Ténèbres
– Évolution II : Unité de but
– Évolution III : Les Lois du Pays
– Évolution IV : Arrière-goût
– Joie-deux Anniversaire [DC #747]
– Rénovation Urbain (Chapitre 1 à 2) [DC #748-9]
– Dépendance [DC #750]
– Balade dans le Parc (Chapitre 1 à 2) [DC#751-2]
– Les Aventures de Copernic Dent [#DC 753]
Scénario : Greg Rucka
Dessin : Shawn Martinbrough | John Watkiss (+ DC #745-6), William Rosado (DC #747), Phil Hester (DC #748-9), Steve Mannion & Brad Rader (DC #753)
Encrage : Steve Mitchell | Hilary Barta & John Lowe(DC #753)
Couleurs : [Studio] Wildstorm FX
Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Moscow ★ Eye
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Ci-dessous, deux exemples des « transformations animales » de deux personnages…