Doomsday Clock est officieusement la suite de Watchmen, monument du comic-book qui a révolutionné le genre lors de sa publication en 1986-87. S’il est évident qu’il faut connaître cette bande dessinée culte avant d’entamer Doomsday Clock, en vente depuis le 23 octobre 2020, d’autres pré-requis sont plus ou moins nécessaires (mais aucun réellement « obligatoire », in fine). Explications.
WATCHMEN
Lecture obligatoire sur laquelle on ne va pas s’éterniser ici tant une critique et un résumé seraient denses. Sachez que si vous avez vu l’adaptation en film réalisée par Zack Snyder (idéalement dans sa version Director’s Cut — pas forcément la Ultimate), vous connaissez déjà l’essentiel. Une unique différence notable à préciser se situe dans l’exécution du plan d’Ozymandias. Dans la bande dessinée, il fait appel à un corpus d’humains talentueux (ingénieurs, artistes… qu’il tuera ensuite) pour concevoir une créature extraterrestre, menace ultime qui permet aux pays de la Terre de s’unir pour faire front et aboutir sur une paix universelle, basée donc sur un mensonge et une manipulation. Les rares personnes au courant sont le Hibou et le Spectre Soyeux qui décident de garder le secret, le Dr. Manhattan qui, s’il n’approuve pas ce plan mais concède l’intérêt commun de sa finalité, part s’exiler sur Mars et, enfin, Rorschach qui se fait assassiner par Manhattan car il voulait révéler la vérité au monde entier, n’acceptant aucun compromis. Son carnet intime qui relatait tous ces faits a été envoyé à un journal sans qu’on sache (à la fin de Watchmen) ce qu’il en sera fait.
Dans le long-métrage sorti au cinéma en 2009, c’est le Dr. Manhattan lui-même qui fait office de menace (nucléaire) — un choix parfois controversé puisque cela cassait la notion d’imaginaire infusée par Alan Moore dans le médium (mais apportait une meilleure plausibilité) et, surtout, se basait sur un problème né aux États-Unis et non d’une autre planète (difficile donc de s’unir dans un second temps avec le pays)… L’excellente série télévisée du même titre diffusée sur HBO en 2019 proposait également une suite au comic-book tout en s’en démarquant habilement. Le showrunner Damon Lindelof a, lui, bien pris en compte la fin de Watchmen issue de la bande dessinée et non du film. Pour les fans, on conseille quelques titres de Before Watchmen, qui remontent aux origines des protagonistes, dont Minutemen (cf. mon autre site beforewatchmen.com).
FLASHPOINT
Point de départ d’une nouvelle ère dans les comics DC, l’univers créé dans Flashpoint rabat quelques cartes notables dans la mythologie des super-héros. Ainsi, Bruce Wayne a été tué enfant et c’est son père Thomas Wayne qui a endossé la cape de Batman par exemple (qu’on retrouvera dans Le Badge, dont on parle plus bas, et dans la série Batman Rebirth). Aquaman et Wonder Woman se livrent une guerre sans merci et imposent leur suprématie aux humains. La mère de Barry Allen est toujours en vie et Flash n’a pas ses pouvoirs (dans un premier temps en tout cas). En quelques chapitres (cinq officiellement, six officieusement en comptant l’introduction sur Nega-Flash (Eobard Thawne), l’ennemi du bolide écarlate responsable de cette situation inédite), Geoff Johns mêle habilement des personnages familiers dans une itération singulière et passionnante.
En découle non pas une Terre parallèle mais une étrange « remise à zéro » (relaunch donc) qui efface la continuité dite Classique (1985-2011) et lance un nouveau départ pour tous les justiciers (les fameux titres de la collection Renaissance, alias New 52). Mais ce « Flashpoint Univers » fait partie intégrante de l’univers dans lequel gravite Flash et reviendra par la suite se greffer à quelques histoires. Impossible de savoir si cela était anticipé dès le départ par le scénariste lors de publication en 2011 — encore moins si des connexions à Watchmen étaient prévues par la suite à ce stade (il n’y en aucune dans Flashpoint). Indispensable pour avoir en tête les éléments importants qui déboucheront sur Doomsday Clock.
JUSTICE LEAGUE – LA GUERRE DE DARKSEID (facultatif)
Après Flashpoint, la série Justice League est repartie à zéro. Ses membres se connaissent à peine dans le tome un de la série du même titre (époque Renaissance / New 52 toujours) et s’unissent pour la première fois. Au cours d’une dizaine de volumes (puis quatre intégrales rééditées), l’équipe affronte Darkseid et l’Anti-Monitor. De cette guerre (compilée et disponible dans le quatrième et dernier tome de la réédition en intégrale donc — cf. couverture à gauche), on constate de brèves allusions à de nouvelles menaces, un nouveau statu quo pour quelques personnages et des éléments qui convergent vers une « suite » qui semble importante (en complément de deux pages d’épilogue qui — désormais — font sens quant à la connexion avec Watchmen/Doomsday Clock). La fin globale du comic-book est d’ailleurs beaucoup trop ouverte pour livrer une conclusion satisfaisante d’un point de vue narratif. Superman semble vouer à mourir, Batman apprend qu’il y a trois Joker et non un, Wonder Woman découvre un secret de famille, Lex Luthor tient un nouveau rôle crucial, etc.
Pas forcément de gros liens directs avec les autres histoires (passées ou futures) listées sur cette pages mais quelques subtilités à droite à gauche et surtout une mise à jour intéressante pour mieux savoir « qui est qui » avant d’aborder la suite. Rien d’obligatoire avant d’entamer Doomsday Clock donc mais si vous possédez ces comics, autant relire rapidement sa conclusion et, surtout, son épilogue (probablement à ce moment là que Geoff Johns savait vers quoi il se dirigeait concrètement).
DC UNIVERS REBIRTH #1
Cette fois c’est la bonne, le chapitre one-shot de DC Univers Rebirth confirme une nouvelle relance des titres mais amorce un virage bien mystérieux relié à Flashpoint. C’est Wally West qui est désormais au centre du récit (il avait disparu depuis Infinite Crisis) et tâche de revenir dans l’univers des super-héros, alertant d’une menace plus grande que Darkseid (rétroactivement il s’agit bien sûr du Dr. Manhattan).
Plusieurs indices prouvent les connexions aux Gardiens (Watchmen) : le découpage en neuf cases de la première planche qui reprend le fameux gaufrier de l’œuvre culte (en plus de montrer les rouages d’une montre comme Jon Osterman en son temps), la mort de Pandora (apparue dans la série Justice League justement) qui est similaire à celle de Rorschach (et à celle de Metron vue en épilogue de La Guerre de Darkseid), la découverte du fameux badge du Comédien dans la Batcave et la conversation finale entre Ozymandias et Manhattan reprise à la fin avec les aiguilles de la fameuse montre de ce dernier puis de l’horloge de l’apocalypse (traduction française du terme « Doomsday Clock »).
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Audacieuse et ambitieuse, l’histoire (toujours signée Geoff Johns) amorce bien sûr la fusion des deux univers phares de l’éditeur américain (celui de Watchmen donc, croisé avec celui des super-héros de DC Comics). Première « introduction » à Doomsday Clock, ce récit intitulé DC Univers Rebirth place aussi quelques pions : mort de Superman (à lire dans Superman Requiem) mais retour de celui de la continuité Classique, présence d’un certain Johnny Thunder en vieil homme fou et d’une mystérieuse femme blonde lunaire, retour du professeur Palmer (Atom — qui n’aura finalement pas de présence dans Doomsday Clock) et de nombreuses apparitions de personnages iconiques de DC (incluant certains découverts dans La Guerre de Darkseid)… Frustrant dans un premier temps autant qu’excitant (on veut la suite !) voire agaçant (toucher à l’intouchable Watchmen qui se suffisait à lui-même est risqué) mais ô combien passionnant !
On peut lire DC Univers Rerbith dans le gros pavé du même nom qui compile ce chapitre (indispensable) d’une soixantaine de pages ainsi que tous ceux consacrés aux héros et antagonistes de DC qui montrent leur nouveau statu quo. Ceux-ci sont en revanche pas du tout obligatoires (en plus d’être inégaux), on préfère conseiller l’achat de la version kiosque de l’époque (mai 2017), c’est-à-dire le magazine Récit Complet Justice League Hors-Série #1 : DC Univers Rebirth (voir couverture à gauche). Vendu 4€50 initialement, on continue de le trouver aisément aux alentours de 5€ en occasion, ce qui évite de débourser 35€ pour la version librairie.
DC UNIVERS REBIRTH – LE BADGE (BATMAN & FLASH)
Dernière ligne droite et seconde véritable « introduction » à la rencontre de Watchmen et des super-héros de DC, Le Badge tient en quatre chapitres et met en avant Flash et Batman. Tous deux enquêtent sur ledit badge, étrange artefact trouvé dans la Bat-Cave lors de la réapparition de Wally West. On retrouve l’emblématique découpage en gaufrier neuf cases dans le premier épisode qui marque aussi le retour de Néga-Flash, à l’origine de l’univers Flashpoint. Le bolide écarlate et le Chevalier Noir vont justement à nouveau dans cet univers et rencontrent Thomas Wayne. Un ancien Flash, Jay Garrick, est également de la partie, faisant la part belle (à travers toutes ces publications différentes depuis Flashpoint) aux différents justiciers doué de super vitesse. On aperçoit encore le vieil homme fou (Johnny Thunder) et la mystérieuse femme blonde enfermée cette fois à Arkham. L’épilogue montre désormais clairement la main du Dr. Manhattan, tous est prêt pour la confrontation entre cette entité bleutée mi-humaine mi-divine et… Superman !
Là aussi Le Badge s’avère fascinant mais bien trop frustrant tant l’ensemble n’avance pas trop. Intrinsèquement, il a peu d’intérêt d’ailleurs. Néanmoins en relisant tout à la suite, entre cohérence narrative et superbes graphismes, difficile de bouder son plaisir. Attention à ne pas décevoir dans la conclusion, donc dans Doomsday Clock, car la première partir de ce dernier prend trop son temps pour avancer l’histoire qu’on avait déjà eu sporadiquement ici et là…
DOOMSDAY CLOCK
Aboutissement de longue haleine, rencontre extraordinaire de l’univers de Watchmen et des (nombreux) personnages de DC Comics au sens large (justiciers et antagonistes), Doomsday Clock séduit et déçoit (forcément) à la fois. Œuvre importante, dense et (inutilement) complexe, le livre ne marquera pas autant l’industrie qu’une des nombreuses « crisis » de l’éditeur même s’il tend à s’y prétendre fièrement (à raison). D’une qualité graphique exceptionnelle sous les traits de Gary Frank, l’héritage de Dave Gibbons est préservé, la pastille « nostalgique » en moins au niveau de la colorisation notamment (de Brad Anderson, qui excelle dans son style, un peu éloigné de celle de John Higgins en son temps). On émet quelques réserves sur le scénario et, in fine, la succession d’Alan Moore tant Geoff Johns rate des évidences mais réussit d’autres éléments, tout en soignant son ensemble, remarquable de cohérence (même s’il faut accepter quelques ficelles narratives grossières). C’est l’avant-propos de l’éditeur qui résume le mieux Doomsday Clock : le cynisme et les désillusions issus de Watchmen ont rendez-vous avec le (monde) merveilleux des super-héros. En ce point, la bande dessinée est immanquable pour les fans des deux univers.
Critique et analyse complète sur le site.
On récapitule. Les bases « essentielles » sont donc (en plus de Watchmen bien sûr) : Flashpoint, DC Univers Rebirth #1 (idéalement en version kiosque) et Le Badge. L’investissement de ces trois livres n’est pas excessif (à l’exception de la version librairie de DC Univers Rebirth) et la lecture très rapide : une grosse dizaine de chapitres. Certains évoquent la lecture facultative de DC Univers Rebirth – Superman, il n’en est rien, cela n’a aucun intérêt. Doomsday Clock pourrait se lire juste en suite de Watchmen mais il serait dommage de passer à côté des trois œuvres pré-citées pour mieux le savourer. Néanmoins, si vraiment vous n’avez pas le temps, l’argent ou l’envie de plonger dans les DC, la seule lecture de Watchmen suffit amplement.