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Batman Beyond the White Knight

Nouveau chapitre du MurphyVerse après l’excellent premier volume (White Knight), sa suite un peu moins réussie mais tout de même solide (Curse of the White Knight) et une parenthèse centrée sur Harley Quinn (qui poursuivait malgré tout l’histoire principale et qui était très bien), Beyond the White Knight est enfin disponible en France ! Entre le titre (Beyond) et les couvertures, pas de doute, l’auteur/dessinateur Sean Murphy est allé pioché du côté de la série d’animation Batman Beyond (Batman, la relève). Découverte.

Comme à son habitude pour certaines grosses sorties, Urban Comics propose plusieurs versions de l’ouvrage.
Ici une classique (24 €), une réservée aux librairies Momie limitée à 499 exemplaires (26 €) et une en noir et blanc (29 €), limitée également.

[Introduction/contextualisation de l’éditeur – disponible en début du livre et sur leur site]
Le nouvel univers établi par Sean Murphy dans Batman – White Knight nous a permis de faire la connaissance de Jack Napier, une version du Joker soignée de ses névroses. Apparemment sain de corps et d’esprit, celui-ci se lance dans une carrière politique, et souhaite qu’à son image, la ville opère une mue salvatrice, grâce à « l’initiative Napier ». Mais la partie sombre du personnage ne tarde pas à refaire surface. Une dualité pleinement exploitée dans Batman – Curse of the White Knight, qui ne se contente pas de montrer un Joker faillible, mais s’intéresse également à la mythologie de Gotham et aux origines de la famille Wayne.

Sean Murphy laisse ensuite le soin à Katana Collins d’écrire le scénario et Matteo Scalera de réaliser les dessins de Batman – White Knight • Harley Quinn. Collins décide quant à elle de se focaliser sur un personnage féminin, souvent relégué au rang de partenaire : Harley Quinn. Femme forte, elle porte l’histoire à elle seule. Seule ? Plus tout à fait, car elle est désormais mère, elle a donné naissance aux jumeaux de Jack Napier : Jackie et Bryce.

Si le justicier masqué faisait preuve d’une violence exacerbée dans les trois premiers titres, comme pour contrebalancer le calme apparent du Joker, il semble avoir retrouvé une forme de sérénité après avoir passé une décennie en prison, suite à la révélation de sa double identité. En guise de peine, Bruce Wayne a légué sa fortune à la ville de Gotham, qui s’en est servi pour renforcer la sécurité de la ville. Le GTO, créé par Napier, a évolué jusqu’à devenir un système de surveillance oppressant et intrusif qui prive les habitants de leurs libertés. La police a ainsi la mainmise sur la ville et veille sur ses citoyens… ou plutôt les surveille.

[Résumé de l’éditeur]
Dix ans après que Gotham s’est interrogée sur l’efficacité réelle du Chevalier Noir, Derek Powers a pris le contrôle des actifs de la famille Wayne et utilise l’unité anti-terroriste de la ville pour protéger les citoyens… mais à quel prix ? Le justicier de Gotham est toujours en prison et, en son absence, c’est à Terry McGinnis de prendre la relève. Mais dans cette ville futuriste dystopique, seul le vrai Batman est conscient des dangers à venir…

[Début de l’histoire]
En explorant la Bat-Cave sur les ordres et conseils de Derek Powers, Terry McGinnis découvre et revêt un costume de Batman inédit et puissant.

En prison, Bruce Wayne apprend que sa fortune léguée à Gotham a permis à Powers d’établir un état policier avec, entre autres, une armée de Batmen suréquipés. Quand il découvre que Mc Ginnis est devenu le Chevalier Noir, l’ancien milliardaire s’évade pour régler ses comptes avec son ancien partenaire Powers et remettre de l’ordre aussi bien dans sa vie que dans sa ville.

De son côté, Harley Quinn a du mal à canaliser sa fille Jackie, au caractère et tempérament plus proche de son père…

Jason Todd est, lui aussi, en proie aux doutes et de moins en moins à l’aise avec son rôle de gardien de prison pour le GTO. Dick Grayson, dirigeant du GTO semble, lui, y trouver son compte.

[Critique]
Batman Beyond the White Knight (BBtWK)
est le moins bon tome des quatre de l’univers conçu par Sean Murphy. L’artiste poursuit son « adultisation » de ses souvenirs liés à Batman (film, séries d’animation, comics…) – pour reprendre les termes de François Hercouët (cf. interview du directeur éditorial d’Urban Comics) – mais livre un épisode où de nombreux éléments ne fonctionnent pas vraiment malgré la qualité des illustrations et quelques idées bienvenues, entre autres sur l’entourage et la famille du célèbre homme chauve-souris. Explications.

Les fans de Batman, la relève (Batman Beyond donc) devraient être plus ou moins conquis car ce nouvel opus de White Knight propose une place de choix à Terry McGinnis et Derek Powers (l’ennemi principal). Terry est malheureusement très secondaire dans la fiction (il est même curieux que la couverture – et même le titre – le montre autant), Powers est, en revanche, assez présent mais suit un sentier complètement balisé (d’abord présenté comme une sorte de bienfaiteur avant d’en découvrir la part sombre – sans aucune réelle surprise, qu’on connaisse ou non sa version originelle). McGinnis et Powers gravitent autour de Bruce Wayne, le roc et véritable personnage principal de cette itération (mais attention, le milliardaire repenti n’a, lui, pas grand chose à voir avec son pendant vieillissant de la série Batman Beyond, et cette fois c’est tant mieux).

Il faut dire que le gros travail d’écriture (plutôt soigné) autour de la figure paternaliste de Wayne est au cœur du récit. Ses erreurs du passé, sa volonté de corriger sans cesse ce qu’il estime avoir échoué, son ambiguïté autour de son individualisme et travail d’équipe, sa romance discrète avec Harley, sa soif de justice, sa « famille » d’alliés et ainsi de suite.

Sean Murphy n’a jamais été aussi bon lorsqu’il met en avant tous les paradoxes de ce bon vieux Bruce et son alter ego. Mention spéciale à son « héritage » non pas financier (détourné pour monter un état de plus en plus liberticide) mais familial. Les nombreux alliés de Bruce parsèment l’ouvrage avec cohésion et pertinence, sans nul doit le point fort de ce BBtWK (même si certains sont en retrait, comme Barbara Gordon). Hélas, la narration est entachée de plusieurs problèmes.

Tout d’abord, l’auteur a (re)placé Jack Napier/le Joker dans quasiment l’intégralité de ses planches avec une facilité d’écriture assez décevante (et irrationnelle). En effet, Bruce Wayne voit une sorte d’hologramme mêlée à une intelligence artificielle couplée à une vague « hallucination » qui a bien sûr la forme et la voix de Napier. S’ensuit un drôle de duo, plus ou moins drôle quand la situation l’exige mais vite lourdingue et peu plausible (certes inspirée par la série d’animation mais quand même…). Pour ne pas entacher le rythme, il aurait probablement fallu une vision du Joker apparaissant sporadiquement à Batman (dans les situations de danger, de faiblesse psychologique, etc.). C’est un procédé assez convenu mais plus pertinent qu’ici (sans compter la séquence – ne lisez pas cette fin de parenthèse pour éviter une mineure révélation – où Bruce est carrément « interchangé » de corps avec Jack (!)).

Le justicier est aussi sujet à des crises d’anxiété, là aussi c’est un procédé qui peine à marcher dans des fictions de ce genre (une fois pourquoi pas, mais c’est vite barbant et peu crédible vu la facilité déconcertante avec lequel Wayne semble toujours aussi agile et puissant malgré sa décennie enfermée). Ensuite, comme évoqué plus haut, Derek Powers est l’antagoniste de de BBtWK. Il n’y aucun étonnement quant à sa véritable nature et le dessein auquel il est voué. L’auteur joue d’ailleurs avec la continuité rétroactive (retcon) pour « arranger » le passé et « faire croire » que Powers était « complice » de Batman durant ses années d’activité. Après avoir lu trois volumes de White Knight où ce n’était jamais mentionné, ça a du mal à passer également…

Enfin, si les alliés de Batman occupent une place non négligeable (et passionnante) dans l’entièreté du volume, on a aussi un peu de mal avec les caractéristiques de chacun. Impossible de reconnaître Dick Grayson par exemple, complètement fermé et énervé ; il est plus proche de l’ADN initial de Jason Todd, lui aussi très présent dans BBtWK. Todd a d’ailleurs droit à deux chapitres interludes (Batman: White Knight presents – Red Hood #1-2 en VO) qui revisite son passé (le Joker ne l’a pas tué mais l’a laissé en vie quand il avait avoué au Clown du Crime la véritable identité de Batman !) et le montre former une nouvelle Robin, Gan. Malheureusement, ce segment prometteur, signé Clay McCormack, est finalement assez sommaire.

Pour l’anecdote, dans l’univers White Knight, Batman a d’abord eu Jason Todd comme premier Robin, avec lequel il a « échoué » et ensuite il a eu Dick Grayson (Tim Drake n’a pour l’instant jamais été mentionné – alors que Duke Thomas existe par exemple). Il s’agit d’une erreur de continuité dans le premier volet qu’a ensuite assumée Sean Murphy et instauré comme étant la chronologie normale de son univers (ce qui est assez intéressant puisque cela permet à Batman d’apprendre de ses erreurs de son enseignement au premier Robin pour être meilleur avec le second – mais ça mériterait un véritable préquel plus poussé que ce qu’on voit ici).

Parmi les nouveaux personnages de BBtWK, en plus de Gan/Robin donc, citons à nouveau McGinnis et Powers – piochés dans Batman Beyond, la police d’écriture étant même apposée plusieurs fois – ainsi que Bryce et Jackie, les jumeaux d’une douzaine d’années de Harley et Jack (apparus bébés dans l’opus consacré à Quinn). Le premier est un garçon relativement sage, la seconde davantage tournée vers la folie de son père (cf. image ci-dessous).

Si les deux ne sont pas très bien exploités pour l’instant, ils ont carrément droit à leur propre série à partir de ce mois de mai 2023, scénarisée par Katana Collins (la femme de Murphy), qui avait déjà signé l’excellent volume sur leur mère. Batman : White Knight Presents – Generation Joker sera composé de six épisodes et sortira en 2024 chez Urban Comics (confirmé par une source très très proche du dossier 😉 ).

L’univers White Knight n’est d’ailleurs par en reste (les deux dernières planches de BBtWK étant particulièrement ouvertes et annonciatrices) : d’autres séries sont en développement. La suite directe (pas encore de titre), toujours chapeautée par Murphy à l’écriture et au dessin mais aussi et surtout World’s Finest : White Knight, également scénarisée et dessinée par Murphy (à moins que ces deux projets… ne soient le même ?). D’autres titres ont été évoqués (souvent en fin des publications VO aux États-Unis) sans réellement de confirmation pour l’instant : Batgirl, Nightwing, Catwoman et Superman. Il est vrai qu’on a vu Batgirl et Nightwing à l’œuvre dans White Knight mais le saut dans le futur proche de BBtWK empêche d’avoir vu leurs aventures plus « classiques » de cette époque peu développée dans le MurphyVerse.

Mais revenons au comic book de cette critique. Batman Beyond the White Knight donne donc la part belle à un Bruce Wayne âgé mais solide, imparfait mais toujours passionnant dans son évolution. Une évolution qui touche aussi la plupart de ses alliés (mention spéciale pour Jason Todd) et l’univers Gothamien très policier ; sur ce point, on retrouve la patte « urbaine » du premier volet qui manquait un peu dans le second. L’évocation d’une armée de robots alliée aux différentes technologies Wayne/Powers a déjà été vue et revue mais fonctionne bien dans l’univers White Knight (impossible de ne pas penser au récent et chouette Catwoman – Lonely City avec Double-Face et Catwoman à la place de Powers et Batman). « Moins de liberté pour plus de sécurité » est une sorte de valeur sûre pour servir de socle narratif même si ça reste, in fine, assez survolé dans l’ensemble – le futur reste néanmoins pas trop « surréaliste » et cohérent avec l’univers des comics et non celui de la série animée, tant mieux.

En revanche, et comme étayé ci-dessus, beaucoup d’éléments ont du mal à servir l’histoire pour la rendre un brin plus palpitante, plus originale, plus incroyable, plus « réaliste » (dans la commune mesure de la fiction établie bien entendu). Il y a un côté convenu à l’ensemble du récit, un manque d’émotions ou d’audace qui l’aurait tiré vers le haut malgré son impeccable rythme et ses dialogues qui font mouche (probablement là où est le plus à l’aise Murphy en tant qu’auteur).

Heureusement, BBtWK bénéficie de la patte visuelle si singulière et plaisante de Sean Murphy qui livre un découpage dynamique, fluide et aéré comme il faut. À l’aise aussi bien dans les séquences intimes qu’explosives (avec de l’action épique en dernière ligne droite), l’artiste montre une fois de plus son amour pour ses personnages, sa ville et ses véhicules). On apprécie particulièrement les ombres de ses protagonistes aux contours de leurs anciens costumes, un procédé simple mais efficace (cf. image ci-dessous). Murphy continue de distiller son titre de références, hommages et souvenirs (aussi bien aux séries d’animation et pas que Beyond, que les comics cultes et les films – incluant aussi celui de Matt Reeves).

En cela, BBtWK est un régal, d’autant plus que le coloriste Dave Stewart (absent des deux premiers White Knight – où Matt Hollingsworth officiait – mais présent sur celui sur Quinn) apporte une véritable identité chromatique qui se marie parfaitement à l’univers habituel de White Knight et, de facto, la vision de Murphy. Les jeux de lumière et évidemment de l’obscurité bénéficient de tout le savoir faire de Stewart qui n’a plus qu’à « repasser » derrière l’encrage de base (de Murphy) qui place la barre relativement haut (ce n’est pas pour rien qu’une version en noir et blanc de la bande dessinée existe, à l’instar des autres opus). En résulte de sublimes pleines pages, parfois statiques mais iconiques, dans l’œuvre (cf. les cinq dernières illustrations de cette critique). Le segment sur Red Hood est dessinée Simone Di Meo, au style plus adouci et « numérique » (cf. image ci-dessous). Il  est connu pour l’excellente série We Only Find Them When They’re Dead et a signé de nombreuses couvertures Batman et Superman pour DC.

En synthèse, Batman Beyond the White Knight souffre de plusieurs défauts non négligeables : un Napier/Joker omniprésent, improbable et peu utile, une trame narrative balisée, une inégalité de représentation des personnages secondaires (incluant Terry McGinnis), un manque d’originalité global – surtout par rapport aux précédents titres du même univers –, un loupé dans l’émotion, etc. La bande dessinée est sauvée in extremis par sa partie graphique de grande qualité et le travail autour de Bruce Wayne, véritable figure angulaire de cette œuvre. Difficile donc de conseiller ou non ce quatrième épisode qui n’atteint pas du tout le niveau des premiers mais qui prolonge un univers inédit et atypique, même si c’est de façon convenue…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 mai 2023.
Contient : Batman : Beyond the White Knight #1-8 +et Batman : White Knight presents – Red Hood #1-2

Scénario : Sean Murphy, Clay McCormack
Dessin : Sean Murphy, Simone Di Meo
Couleur : Dave Stewart

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Coralline Charrier et Stephan Boschat)

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Batman – Curse of the White Knight

Après l’excellent — et désormais culte et incontournable Batman – White Knight — Sean Murphy propose une seconde salve dans son univers détaché de la chronologie « officielle » de Batman (à l’instar de The Dark Knight Returns de Frank Miller qui a conçu au fil des années d’autres volumes pour étoffer également sa propre mythologie, avec des suites et séries annexes).

Cette nouvelle incursion sort dans quatre formats : d’abord le 02 octobre 2020 en version classique en couleurs (22,50€), dans le même format mais avec une couverture alternative spécialement pour les enseignes Fnac (25€), en version limitée en noir et blanc (29,00€)  comme ce fut le cas pour son prédécesseur puis le 20 novembre 2020 en version luxueuse (dans la nouvelle collection Urban Limited) agrandie (36 x 24 cm), encore plus limitée et numérotée de 1 à 1500 avec dos toilé, marquage à chaud et signet (59€ tout de même) !

Que vaut la malédiction (curse en VO) du fameux chevalier blanc ? Critique.


[En préambule si vous n’avez pas le temps de relire White Knight ou sa critique]

Quelques rappels nécessaire et révélations importantes : Harley Quinn (le « vrai » chevalier blanc de Gotham, c’était elle) a secrètement mis au point une pilule guérissant le Joker. Ce dernier est effectivement devenu sain et souhaitait changer la ville de Gotham en bien, sous son alias civil Jack Napier, aux côtés de son ancienne muse (redevenue Harleen Quinzel). Auparavant, le Clown du Crime, trop obsédé par Batman, n’avait même pas compris que son acolyte féminine de toujours (Harley Quinn donc) était partie et qu’une autre  l’avait remplacée : Marian Drews (une de ses anciennes otages). Furieuse de la tournure des évènements (la guérison de son amant), Marian se mue en néo-Joker, véritable nouvelle menace pour la cité.

Dans l’ombre, Jack Napier manipule tous les ennemis du Chevalier Noir afin d’arriver à ses fins politiques. Derrière son apparence « respectable », l’homme est resté menteur et manipulateur mais, cette fois, dans un but plutôt noble. N’est-ce pas ce que fait également Batman (devenu trop dangereux pour tout le monde et sombrant dans une violence hors-norme) ? Napier connaît d’ailleurs la véritable identité du justicier et lui apprend aussi que Jason Todd n’est pas mort…

En parallèle, Victor Fries (alias M. Freeze) ressuscite enfin sa compagne Nora. Le passé de la famille Freeze est lié à celui des Wayne à l’époque des nazis. Une situation explicitée partiellement mais qui renferme encore quelques mystères. La lettre posthume d’Alfred (mort après s’être sacrifié une ultime fois pour son maître) évoque justement des choses secrètes cachées dans le manoir (à la toute fin de l’ouvrage, sans que celles-ci soient dévoilées). Le GCPD s’est doté d’une nouvelle équipe puissante grâce au GTO, Groupe Tactique Opérationnel, initiée par Napier. Celle-ci se compose d’agents d’élites mais aussi des vigilantes de Gotham, comme Nigthwing et Batgirl. Une forme hybride entre forces de l’ordre et justiciers, équipés de la technologie de Batman incluant ses véhicules. Jack Napier redevient le Joker et retourne en prison, épousant Harleen au passage et faisant ses aveux à la police. De son côté,  le Chevalier Noir finit par révéler son identité à Gordon, confessant dans la foulée sa détresse entre son plaisir à faire du mal aux criminels et son envie de restaurer la confiance en son égard.

[Résumé de l’éditeur]
Le fléau Jack Napier est de nouveau derrière les barreaux, mais la sérénité est loin d’être de retour à Gotham, et encore moins au Manoir Wayne, où Bruce peine à retrouver équilibre et sérénité. Son pire ennemi n’a pas seulement ébranlé ses convictions et sa raison d’être, il a également durablement saccagé l’image de Batman et sa légitimité aux yeux des habitants de sa ville. La disparition d’Alfred n’est pas sans séquelle non plus, bien qu’elle laisse derrière lui un héritage inattendu : le journal d’Edmond Wayne daté de 1685, premier de sa lignée à s’être installé à Gotham et adversaire d’un certain Lafayette Arkham, dont les ossements ont été récemment découvert dans la cellule du Joker.

[Histoire]
1685. Manoir d’Arkham. Lord Wayne tue Lafayette Arkham. Ce dernier énonce une malédiction avant de trépasser…

Aujourd’hui. Asile d’Arkham. Le Joker s’échappe, prêt à retrouver son statut de criminel le plus puissant de Gotham et bien décidé à faire oublier son « alter ego » Jack Napier.

Batman et Gordon enquêtent et découvrent de vieux ossements dans une ancienne cellule de l’établissement (où était le Joker à une époque). S’agirait-il des os de Lafayette « Laffy » Arkham, dont la légende raconte qu’il était… un vampire ?

De son côté Bruce Wayne découvre le journal intime de son ancêtre Edmond Wayne, daté de 1685 (dans la cachette qu’évoquait Alfred dans sa lettre posthume).

En parallèle, Nightwing refuse que Batman dévoile son identité aux citoyens de Gotham mais le Chevalier Noir estime que c’est une décision juste et importante, reconnaissant que l’Initiative Napier a fait beaucoup de bien à la ville tout en mettant le justicier face à ses propres erreurs (tout en le « détruisant » intérieurement).

Plus loin dans la cité ténébreuse, Jean-Paul Valley, ancien soldat de l’armée souffre d’hallucinations et apprend qu’il a un cancer. Le Joker, connaisseur des secrets des ancêtres de Wayne ravive la flamme de l’épée et du combat d’Azraël, en la personne de Jean-Paul Valley justement, descendant d’un ennemi des Wayne.

Dans la foulée, le Clown sabote l’annonce de Gordon pour les municipales de Gotham et révèle au monde entier que Batgirl est en réalité Barbara, la propre fille du policier.

[Critique]
Le pari était risqué et il n’est pas vraiment réussi… Après la pépite White Knight, difficile de faire mieux évidemment et le résultat est (très) mitigé. Azraël et l’ancêtre de Bruce Wayne se connectent moyennement à la solide mythologie instaurée par Sean Murphy mais, heureusement, de bons éléments sauvent le reste et l’enrichissent. Explications.

L’univers de Batman, d’une manière générale, se marie moyennement avec les histoires de malédiction (un prétexte ici, il n’y en a pas vraiment), de secte (idem) ou d’ancêtres liés aux Wayne (on a du mal à se passionner pour cette extension d’antan — pas assez proche du présent du héros pour être appréciable, on en reparle plus loin). Ces nouveaux sujets tranchent donc assez radicalement avec le volet précédent — davantage urbain, porté sur le juridique, la morale, le psychisme… — et connotent difficilement avec l’univers du Chevalier Noir (comme souvent donc), en particulier celui mis en place par le scénariste et dessinateur Sean Murphy.

Ainsi, l’Ordre de St. Dumas et Jean-Paul Valley ont toujours été des éléments (crées dans l’indigeste mais culte saga Knightfall) à double tranchant (comme sa lame). D’un côté une psychologie intéressante pour l’être humain (il est quasiment bipolaire, ce qui est hélas peu exploité dans cette itération contemporaine) ainsi qu’une force hors du commun couplée à une panoplie esthétique variée et parfois appréciable quand il endosse le costume, ou plutôt l’armure de Batman (en résulte de savoureuses scènes de combat — ici et déjà à l’époque dans Knightfall). D’un autre côté un passif pénible, un brin lourdingue et surtout un aspect religieux trop prononcé, peu plausible et avec un intérêt limité, in fine.

Heureusement, il n’y a pas « que ça » dans Curse of the White Knight. En complément des dessins toujours aussi sublimes (on y reviendra), l’écriture et certaines situations restent passionnantes car si singulières et hors des sentiers battus. On pense en premier lieu à la relation mi-amicale, mi-amoureuse entre Batman et Harleen Quinzel ainsi que l’évolution de cette dernière. Elle était l’un des points forts du tome précédent, son rôle continue d’être soigné (dommage d’avoir mis sur la touche la néo-Joker même si elle est mentionnée au détour de quelques cases).

Autre suivi appréciable : l’avancement du GTO. Outre l’approche militaire et policière, c’est à nouveau Barbara/Batgirl qui fait l’objet d’une certaine attention ainsi que Renée Montoya, fraîchement promue à la tête des équipes (et dont le costume aux tons pourpres rappellent un peu Huntress — la policière se muera-t-elle en cette justicière dans une suite éventuelle ?). Dick/Nightwing est toujours un peu en retrait mais la fin du livre lui offre un joli échange/hommage. L’on suit évidemment à nouveau le Joker et par bribe Jack Napier — sans aucun doute les passages les plus réussis de l’œuvre. L’équilibre entre cette longue liste de protagonistes (et d’autres) reste idéal et le rythme plutôt soutenu malgré des passages pénibles (voir un peu plus loin). Le texte est dense mais accessible.

Un peu comme dans le tome précédent, Sean Murphy bouscule quelques statu quo de façon inédite : Harleen Quinzel est enceinte, l’identité de Batman est révélée à beaucoup de personnes (dont certaines auxquelles on n’aurait pas songé), celle de Batgirl à la population entière, Gordon démissionne du GCPD, de nouvelles morts dont certaines très osées surprennent et choquent le lecteur, etc. D’autres états des lieux sont plus convenus mais toujours plaisants à découvrir, comme le manoir Wayne qui est brûlé — souvent vu en films mais pas tant que ça en comics ! — ou encore la croisade multiple entre Jean-Paul et le Joker. On note aussi le mystérieux personnage de Ruth, véritable clone d’Amanda Waller, et d’un prêtre, lui aussi énigmatique même s’il fait un peu sens après quelques révélations tardives.

On l’a un peu évoqué, ce qui plombe le récit tient sur deux axes. Le premier correspond à tous les flashbacks de l’ancêtre de Bruce (Edmond Wayne) et cet improbable héritage pour ses descendants (il aurait inondé une partie de Gotham City pour moduler la ville à sa convenance) corrélé à son ennemi de toujours Bakkar (dont Jean-Paul Valley serait, évidemment, le légitime rejeton). Difficile de s’attacher à ces nouveaux personnages ou d’y trouver un intérêt. Seule la conclusion de l’histoire offre une nouvelle perspective et permet de relancer (plutôt efficacement) la narration avec (encore) un statu quo original. Bullock semble être une voix de la raison : « Des histoires de propriétés ? De sectes ? Un vampire qui s’appelle Laffy ? Sans parler de rosbifs et d’un mystère englouti à la Scooby-Doo daté de plus de trois cent piges. En quoi ça va nous aider à choper Azraël ? »

Le second « problème » est lié au premier puisqu’il s’agit de Jean-Paul Valley/Azraël qui est un choix peu cohérent par rapport à White Knight comme on l’a vu car il colle mal au registre initialement mis en place. Bane aurait eu sa place légitime pour le remplacer (il apparaît d’ailleurs pour l’occasion puisque le titre propose une certaine relecture, toute proportion gardée évidemment, de Knightfall, notamment avec la modernisation d’Azraël et de certains de ses costumes). Néanmoins, la présence d’Azraël face, entre autres, à Batman offre des scènes d’action spectaculaires : on ne boude pas son plaisir devant les combats, courses-poursuite et explosions dont la bande dessinée est friande. C’est réalisé avec brio, c’est très intense et réussi !

Une fois de plus, Sean Murphy parsème son histoire de quelques hommages et allusions aux autres œuvres cultes sur Batman, comme le fameux « stylo qui disparaît » issu du film The Dark Knight, ou le logo du Chevalier Noir issu du premier long-métrage de Tim Burton qui orne le tee-shirt… du Joker ! On retrouve aussi son amour pour les Batmobiles avec l’une d’entre elles mise en avant, « ça a toujours été ma préférée » stipule le super-héros/le scénariste. L’auteur égratigne (à nouveau) gentiment tout ce qui a souvent été un peu risible dans la mythologie de Batman, comme Gordon qui n’a jamais reconnu sa fille dans le costume de Barbara « à cause d’un stupide masque en cuir » [autour de ses yeux].

Un peu d’humour au détour de quelques vannes ou punchlines qui manquait peut-être auparavant est le bienvenu. Quelques étrangetés subsistent, comme le matériel informatique utilisé (disquettes et gros écrans d’ordinateurs) qui laisse penser que le récit n’est peut-être pas si « moderne » que cela malgré (dans le tome précédent) l’utilisation de smartphones et de vidéos virales. Une erreur de l’auteur ou une volonté d’être semi-vintage ou plus ou moins intemporel ? Toujours dans les incohérences ou fourvoiements, Batgirl se remet étonnamment vite d’une blessure profonde et on reste surpris d’un certain mutisme planant lors de séquences spécifiques…

Après six chapitres, s’intercale un interlude dessiné par Klaus Janson (encreur de la saga The Dark Knight Returns, donc Murphy reconnaît bien volontiers l’inspiration pour son propre travail, évoquant en Janson une de ses idoles) et intitulé Von Freeze. Prévu initialement pour s’intégrer dans le premier volume (dans lequel Freeze, son passé commun avec les Wayne et des nazis étaient mis en avant), il trouve une place ici plus ou moins bancale ; cassant l’immersion et le rythme du récit principal (en plus de ne pas du tout être dans le même style graphique) et, surtout, y semblant peu connecté suite aux raisons qu’on vient d’évoquer.

Malgré tout, l’épisode est plutôt réussi et s’ancre habilement avec l’Histoire de notre monde et celle, toujours, de cette « nouvelle » mythologie du Chevalier Noir remaniée par Murphy. Seule la fin raccroche fébrilement les wagons avec Curse…. Pourquoi pas inclure ce chapitre spécial dans les prochaines rééditions de White Knight tant il semble davantage y être destiné ? La postface de Murphy, datée de novembre 2019, explique que la famille de Janson a elle-même vécu la fuite de l’Allemagne, à l’instar de ce qu’on lit dans la fiction.

En conclusion, difficile de s’extasier devant Curse of the White Knight qui passe après « l’excellence » (voire le chef-d’œuvre) qu’était son prédécesseur. Le comic demeure intéressant dans l’ensemble car Sean Murphy continue de réinventer l’univers de Batman à sa sauce avec une certaine audace mixée à de jolies évolutions mais malheureusement avec un traitement narratif fortement inégal. Un tiers de l’ouvrage aurait mérité une approche plus terre-à-terre et dans un style plus connecté à ce qui faisait la qualité de White Knight. Cet écart va perdre une partie de son lectorat et surtout « l’aura » qui gravitait autour de cette nouvelle série — sans pour autant rappeler le fossé (immense) entre The Dark Knight Returns en son temps, qui rebâtissait lui aussi la mythologie du Chevalier Noir, et sa première suite catastrophique The Dark Knight Strikes Again.

Curse of the White Knight reste pertinent par certains aspects et il serait dommage de passer à côté, ne serait-ce que pour sa qualité graphique exceptionnelle : traits anguleux et design des personnages toujours aussi inédits, découpage endiablé et efficace (aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus calmes), colorisation peu criarde et élégante (à nouveau assurée par Matt Hollingsworth), etc. Malgré tout, il y a de fortes (mal)chances d’être déçu tant certaines pistes ne sont pas exploitées (quid des autres ennemis ?) et certaines choisies sont nazes (cf. quelques paragraphes plus haut). Encore une fois, le titre se suffit à lui-même mais appelle, sans surprise, à une suite (la fin joue sur un habile teaser).

Pour vulgariser, le comic pourrait se diviser en trois parties : une sur la partie « historique » de Gotham/ancêtre de Bruce (qu’on a donc peu aimé — mais évidemment si ça vous attire foncez, on rêve de voir Sean Murphy sur une œuvre de pirate par contre, il dessine merveilleusement bien ce style), une sur la « seconde partie » de l’arc urbain/juridique/vigilante (la meilleure) et une rassemblant les scènes de combat et affrontements, physiques ou en véhicules, parfois très sanglants et brutaux voire gores (très appréciable). On reste donc sur un quota qualitatif au-dessus de la moyenne. Un second tome qui fera sans aucun doute moins date que son aîné, au résultat en demi-teinte mais qu’on conseille tout de même, pour prolonger la découverte d’un univers atypique et solide.

Comme souvent chez Urban, de nombreuses pages bonus ferment la bande dessinée. Galerie de couvertures alternatives, planches crayonnés (donc noires et blanches), carnet graphique… s’étalent sur une quarantaine de pages. La version noir et blanc ne les comporte pas en revanche. Cette dernière apporte une vision différente, plus « noire », un côté polar et graphique élégant mais qui ne rend pas honneur au travail d’Hollingsworth pour toutes les scènes de combat, surtout celles avec la lame enflammée d’Azraël ou des explosions — les tons orangées sont sublimes. Cela reste évidemment un bel objet en attendant de jeter un œil sur l’autre édition, encore plus limitée (1500 exemplaires) et agrandie.

[A propos]
Le premier chapitre (sur huit sans compter l’interlude sur Freeze) avait été distribué en novembre 2019 au Comic Con à Paris la conférence d’Urban Comics/François Hercouët puis en juillet 2020 pour le Free Comics Book Day (initialement prévu en mai 2020).

Publié chez Urban Comics le 02 octobre 2020.

Scénario & dessin : Sean Murphy (+ Klaus Janson)
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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Quelques couvertures alternatives (cliquez pour agrandir).