Archives par mot-clé : Ciné Saga

Interview pour le magazine Ciné Saga

Ciné Saga 11

J’ai eu l’honneur d’être interviewé dans le onzième numéro du magazine Ciné Saga, « Spécial Super-Héros », disponible en kiosque en mars 2016. Cet entretien est à découvrir ci-après. On y parle comics mais aussi des multiples adaptations de l’homme chauve-souris au cinéma avec évidemment Batman V Superman : l’Aube de la Justice qui sortait au même moment. J’ai repris quelques passages de la section À propos pour répondre à la question sur la création du site et la façon dont il est alimentait.

Les passages colorés en vert n’avaient pas été retenus pour la version définitive de l’article. Ils ont été ajoutés ici pour avoir l’intégralité de cette interview. Quatre questions « inédites » sont aussi à découvrir à la fin.

Merci à Raphaël pour sa confiance et cette publication. Suite à celle-ci, la rédaction du magazine m’a confiée l’écriture d’une étude de cas sur le Joker (publiée en août 2016 dans leur quatorzième numéro) et d’autres articles sur des sujets consacrés au cinéma, aux séries télé ou aux comics. Plus d’informations sur mon site personnel qui recense tous mes papiers hors Batman.

.

Fan ZoneThomas Suinot

« Batman parle à tout le monde et à tout âge »

Thomas Suinot est un fan absolu de Batman. Il anime le seul site Internet français consacré à l’actu de ses comics (www.comicsbatman.fr) *. Pour ce garçon chargé de clientèle dans une entreprise parisienne – quand il ne revêt pas son identité secrète de geek -, l’issue du prochain film estampillé DC ne fait guère de doute… L’homme chauve-souris est largement supérieur à l’homme d’acier ! Interview d’un passionné.

batman-alex-ross

Thomas, comment avez-vous découvert Batman ?
Avec le dessin animé de Paul Dini et Bruce Timm qui passait sur France 3 durant mon enfance. J’ai dû voir tous les épisodes. J’adorais vraiment cette série ! Ensuite j’ai vu les films de Tim Burton. Le second, Batman : Le Défi, m’a vraiment chamboulé, même s’il a assez mal vieilli. Puis il y a eu ceux de Joel Schumacher. Les comics sont venus après, il y a une dizaine d’années, mais il n’y avait pas un grand choix à l’époque.

Pourquoi Batman ? Qu’est-ce qui vous attire chez lui et pas forcément chez les autres super-héros ? D’ailleurs, apprécies-tu d’autres super-héros ?
La noirceur de l’univers de Batman me fascine, de même que « la crédibilité » de son histoire. Bruce Wayne n’a aucun super pouvoir, il a uniquement recours à son intelligence, sa force physique et ses gadgets (donc, à l’argent). À la base c’est un détective meurtri. La plupart de ses adversaires sont fous ou malins, il n’y a pas vraiment de monstres aux super pouvoirs. Ce n’est pas quelque-chose qui me rebute dans d’autres séries mais dans le cas de Batman, je suis vraiment fan de ce côté « réaliste ». Le Chevalier Noir est très solitaire, voire égoïste et paradoxalement, entouré d’alliés. Même si, moralement c’est une personne bonne, qui a son propre code et se refuse de tuer, Batman franchit parfois les limites. Il n’hésite pas à mentir ou à frapper pour parvenir à ses fins. Il y a une certaine ambigüité qui en fait un héros à part. Mais ce n’est pas un héros infaillible. Cette notion est très intéressante, de même que sa paranoïa et son côté parfois misanthrope. Ce n’est pas un personnage forcément sympathique,. Cela renforce l’intérêt de ce héros. Il a des faiblesses psychologiques, il n’est pas immortel mais il est intelligent et il suit ses convictions. Tout l’univers qui gravite autour de lui, à commencer par ses ennemis, renforce ma fascination. Je ne me lasse jamais de lire des histoires sur Batman car les artistes, en tout cas les plus originaux, trouvent toujours de nouvelles choses à raconter qui peuvent s’inscrire dans une chronologie cohérente. Parmi les super-héros « connus » de chez DC Comics, j’apprécie Green Arrow, qui est un peu un « Batman bis » du propre aveu de son créateur (pour les mêmes raisons, c’est à dire le côté « plausible »), et la Justice League, qui rassemble une équipe de super-héros dont les aventures en solo m’intéressent peu mais qui deviennent plus fascinantes une fois qu’ils sont regroupés (dans La Ligue de Justice donc) et sans doute parce que Batman en fait partie. Chez Marvel, j’aime beaucoup les X-Men, qui ont une réelle dimension politique et sont métaphoriques de nombreux problèmes de la société, Spider-Man, pour son humour et son côté cool, et les Gardiens de la Galaxie qui me rappellent un peu Star Wars. Sinon, je suis un fan inconditionnel de Watchmen.

Beaucoup disent que Batman est la locomotive de DC Comics. Êtes-vous d’accord ?
Tout à fait. Aussi bien aux États-Unis qu’en France, Batman est la série de DC qui se vend le mieux avec la Justice League. Ce n’est pas anodin. Le Chevalier Noir a une énorme communauté de fans. C’est un héros traduit partout dans le monde et décliné sur divers supports : dessins animés, jeux vidéo, films, séries télé, mais aussi quelques rares mangas (!) et évidemment une tonne de figurines et jouets divers. Pourquoi cette popularité ? Peut-être pour les mêmes raisons que les miennes : le côté humain, « plausible », de Batman, son histoire, la noirceur de Gotham, les multiples protagonistes, aussi bien dans le camp des alliés que celuis des ennemis et antagonistes, qui possèdent une forte identité et beaucoup de charisme. C’est aussi un comic qui s’adresse aux enfants, aux adolescents ou aux adultes en fonction des auteurs. Après, on peut s’interroger sur le phénomène : pourquoi Superman et Wonder Woman, autres figures de DC, ne captivent-ils pas autant ? Pourtant, il y a aussi des films, des séries, etc. Batman reste plus universel que les autres, peut-être. Il parle à tout le monde et à tout âge.

Qu’attendez-vous de Batman V Superman : l’Aube de la Justice ?
Les premières images sont très excitantes. J’aime beaucoup Zack Snyder, Batman, alors les deux ensemble… Je vois plus le film comme une ouverture de l’univers DC au cinéma à travers un prisme de réalisme et de crédibilité accrue, avec la noirceur nécessaire, plutôt qu’un « simple » film sans autre enjeux pour les deux héros. Il y a aussi l’excitation de montrer, enfin, un Batman plus âgé, qui affiche une grande maturité, et sa réaction face à un éventuel allié, Superman, qu’il considère de prime abord comme un ennemi très puissant. Un ennemi qu’il est indispensable de contrôler. Il semble logique que Zack Snyder emprunte sa version du Chevalier Noir à Frank Miller, en s’inspirant du comic The Dark Knight Returns. L’idée aussi de voir un nouveau Joker me séduit. L’approche diffère de celles de Nicholson chez Tim Burton et Heath Ledger chez Christopher Nolan. Je suis très confiant dans le jeu de Jared Leto pour proposer un nouveau Clown de Crime passionnant. Les éternels fans grincheux râleront encore, forcément, mais ils oublient vite que même dans les comics, il y a eu plusieurs Jokers : certains auteurs en ont fait un homme psychopathe fou à lier, d’autres un fin manipulateur, excentrique ou encore « un impulsif sanguin intelligent ». Comme dans les différents films, finalement. (MàJ : une analyse qui rejoint l’étude de cas sur le Joker à retrouver ici).

Que pensez-vous du choix de Ben Affleck, qui a fait un flop dans Daredevil, pour remplacer Christian Bale (Batman dans la trilogie de Christopher Nolan) ?
J’avais été très surpris par l’annonce à l’époque mais en voyant les premières images, j’ai pensé que ce rôle pouvait lui aller. Ben Affleck a la carrure nécessaire. Physiquement, il fera le boulot, c’est un véritable roc. Et vu qu’il doit camper un Batman plus âgé et certainement désabusé, voire paranoïaque, ce choix me semble idéal. Je ne le trouve pas forcément charismatique dans tous ses films, avec son côté blasé et son air de chien battu, mais pour Batman V Superman, ça semble une bonne idée. Je l’ai beaucoup apprécié dans Gone Girl, donc je suis confiant. Je reste persuadé que même sans Christian Bale on aurait pu inclure efficacement la trilogie de Nolan comme le début de l’univers étendu de DC au cinéma. En sous-entendant que Man of Steel puis Batman V Superman se déroulent des années après. Puis, soit en gardant Christian Bale qui aurait pris de la bouteille, soit en expliquant que l’actuel Batman qui sévit dans Gotham City est le remplaçant de l’originel. Mais ce ne sera pas le cas puisque c’est à nouveau le personnage de Bruce Wayne qui est utilisé donc ça ne peut pas fonctionner. Ça aurait pu être une bonne idée et faire sens avec le message final que laissait entendre The Dark Knight Rises (qu’il n’y a pas « un seul » Batman mais que c’est un justicier symbolique, peu importe qui est derrière le masque — que va en toute logique porter John « Robin » Blake (Joseph Gordon-Levitt)). Je ne me souviens plus trop de Daredevil, mais Ben Affleck a évolué depuis. Et puis derrière la caméra, comme pour l’écriture du scénario, on n’a pas affaire à n’importe qui.

Qu’avez-vous pensé de la trilogie de Christopher Nolan ?
Je l’ai adorée. Elle était traitée sous un angle hyper réaliste, comme les comics de Batman que j’affectionne le plus. C’est moins flagrant dans Batman Begins mais clairement revendiqué dans The Dark Knight, qui est l’un de mes dix films préférés tous genres confondus. Même si j’adore ceux de Tim Burton, surtout le second, la trilogie de Nolan est très certainement la plus proche de l’image que je me faisais du Chevalier Noir à travers tout ce que j’avais vu ou lu. Avec le recul, je regrette certaines facilités du dernier film (The Dark Knight Rises) ou plutôt ses incohérences. J’aurais apprécié des scènes se référant au Joker, en tournant un bref plan de lui de dos, par exemple. Je comprends que Nolan ait voulu écarter toute éventuelle nouvelle image de lui mais avec quelques astuces et le numérique, je suis sûr qu’il aurait pu clore l’histoire de son Joker dans The Dark Knigt Rises, ou au moins en faire un caméo. Je n’ai pas trouvé Christian Bale spécialement transcendant en tant que Bruce Wayne, notamment dans les scènes où il est en public, alors qu’en tant que Batman, il est excellent. Ce sont deux personnages bien distincts qui, à mon humble avis, nécessitent un jeu différent. C’est pour ça que j’ai hâte de voir ce que va donner Ben Affleck. Physiquement il est totalement différent et peut-être qu’il y aura une nouvelle approche dans le rôle de Bruce Wayne.

Quel serait votre classement des meilleurs films consacrés à Batman ?
Sans hésiter The Dark Knight (2008) en tête. Je suis allé le voir huit fois au cinéma ! Chaque fois que je le revisionne en Blu-Ray, il me transporte toujours autant. Ensuite, Batman : Le Défi (1992) car il a marqué mon enfance. Après je mettrais très certainement The Dark Knight Rises (2012) puis Batman Begins (2005) et le premier Batman (1989) de Tim Burton. Et enfin, les deux de Joel Schumacher parce qu’il faut bien les placer quelque-part.…

Qu’avez-vous pensé des « performances » de George Clooney et Val Kilmer dans le rôle ?
(Rires) À peu près la même chose que tout le monde… Quoique non, Val Kilmer était plutôt correct. Batman Forever (1995) se regarde encore gentiment, c’était une nouvelle approche, plus colorée, humoristique, qui visait un public beaucoup plus jeune. Les producteurs ne voulaient plus de l’univers sombre de Burton. Résultat : dix ans plus tard, avec Batman Begins, c’est à nouveau un univers sombre, ou en tout cas plus froid et réaliste qui assure le succès du personnage au cinéma. Quant à Georges Clooney… le film est clairement un navet mais à voir en tant que tel. C’est devenu une comédie nanar devant laquelle on se marre si on a beaucoup, beaucoup de recul ! (Rires)

Pourquoi avoir créé un site sur Batman ? Comment l’alimentez-vous ? Quelle quantité de travail cela représente-t-il ?
Fin 2011, je voulais mieux connaître le monde des comics consacrés à Batman. Je ne trouvais rien de très pertinent sur Internet. Il y avait des dossiers archaïques ou mal rédigés, peu de sites spécialisés, des informations confuses, des bandes dessinées épuisées… Il était compliqué de trouver quelque chose de clair et net. J’ai donc entrepris de créer un site pour approfondir tout cela afin de guider un internaute souhaitant assouvir sa passion. J’ai voulu concevoir le site que j’aurais aimé trouver pour m’aider à me lancer dans les comics Batman et qui me servirait de base de référencement critique. Aujourd’hui, les retours sont très positifs, aussi bien de la part de ceux qui se lancent dans cet univers que de ceux qui le connaissent déjà. Ils apprécient mes critiques et mes analyses. Je référence tout ce qui est publié en France et j’essaie de chroniquer chaque livre. Cela demande énormément de temps de travail, que je suis incapable de quantifier. J’ai constaté que je travaillais dessus par période. Pendant trois ou quatre mois, je ne fais rien. Et puis soudainement, je lis plusieurs comics et je les chronique tous d’un coup. J’imagine que ça me permet de ne pas me lasser du personnage, de ne faire que quelques sessions de lecture avec Batman plusieurs fois par an. Pas en continu. C’est d’autant plus intéressant que je suis un très grand lecteur, qui aime varier les genres. L’écriture d’un article prend beaucoup de temps, je suis très pointilleux sur tout, je me relis sans cesse, je vais aussi lire d’autres critiques, non pas pour être inspiré ou comparer, mais pour voir si quelque chose aurait pu m’échapper durant ma lecture ou s’il y a une anecdote éditoriale que je ne connaissais pas. Je m’efforce aussi de sélectionner de belles images d’illustrations, de les recadrer si besoin, de répertorier toutes les personnes qui ont travaillé sur un ouvrage (aussi bien les artistes que les traducteurs par exemple) mais aussi de retrouver toutes les anciennes publications françaises (s’il y en a eu). Un article peut s’écrire en plusieurs heures voire plusieurs jours, j’aime prendre mon temps, je préfère qu’il y ait peu de publications, mais qu’elles soient de qualité. C’est du travail mais c’est aussi une passion, donc, c’est toujours du plaisir ! Et puis cela m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes, d’être en contact avec Urban Comics pour des concours… J’ai même offert la carte de visite du site à David Hego, le directeur artistique de la saga de jeux vidéos Arkham de Rocksteady ! Petit à petit, le site gagne en visibilité et en popularité. Je reçois régulièrement des e-mails de remerciements de nouveaux fans. Je reste parfois en contact avec eux, c’est un très beau cadeau de retour. Parfois quand je parle avec de nouvelles personnes et que j’évoque mon site, on me répond « Ah oui je le connais ! » ou « J’y suis déjà allé, il est très bien. » Ces propos sont une immense fierté et un réel plaisir. Il y a désormais plusieurs sites qui traitent des comics. En cinq ans il y a eu un énorme regain pour le genre, grâce au formidable travail d’Urban Comics (qui édite le catalogue de DC Comics mais aussi Vertigo et de l’indépendant), très certainement grâce aux films Marvel aussi, peut-être également parce que les médias en parlant moins comme un simple « divertissement pour enfants ». Déjà que la bande dessinée n’est pas forcément associée à de l’Art, et quand c’est le cas, elle est connotée négativement, alors la bande dessinée qui traite de super-héros… Sauf que (et c’est le même constat pour la science-fiction et la culture de l’imaginaire d’une manière générale), on s’aperçoit qu’un public de tout âge aime ça ! Les films cartonnent au cinéma (jusqu’à quand ?) et les séries se multiplient. Avec soit une approche basée sur du divertissement et un côté « populaire » (sans y voir une approche négative bien entendu) comme pour l’ensemble des films Marvel et les séries comme SHIELD, Arrow et Flash (DC pour ces deux dernières). Ou soit une veine beaucoup plus sombre, froide et réaliste comme l’excellente série Daredevil (Marvel) sur Netflix et les films DC Man of Steel et donc Batman V Superman, qui continue sur cette lancée. Tout cela pour dire qu’il y a désormais beaucoup de sites Internet qui parlent des comics mais un seul est uniquement consacré à ceux dédiés à Batman : le mien ! En toute modestie, j’en suis plutôt fier et très honoré. J’espère pouvoir continuer à l’alimenter régulièrement et pour de nombreuses années mais ma vie personnelle et professionnelle est déjà bien remplie ! (Rires)

Quelle(s) différence(s) voyez-vous entre Marvel et DC ?
Je connais moins les comics Marvel, mais pour les films, que j’apprécie beaucoup, je note une approche très divertissante qui séduit ou rebute, forcément. Marvel a un côté très « coloré », très fun et cool. C’est leur créneau et je trouve ça plutôt sympa. DC a, historiquement parlant, toujours affiché fièrement une certaine maturité, un côté plus adulte et plus sombre dans ses comics. C’est ce qui va ressortir au cinéma dans Batman V Superman et Suicide Squad. Ces films ne vont pas être tous publics, à l’inverse des Marvel. J’apprécie les deux et je passe de bons moments devant. Je ne comprends pas pourquoi les fans cherchent une rivalité entre les deux. Cela fait des années que les éditeurs mettent en scène des héros différents et développent des histoires différentes. Pourquoi vouloir à tout prix les mettre au même niveau ? Je ne dis pas qu’ils ne sont pas comparables sur certains points, mais nous avons une offre très diversifiée. Entre les deux éditeurs — et mêmes les autres, moins connus du grand public —, le nombre de super-héros existants, les différents auteurs qui travaillent dessus et les différentes approches — plus ou moins de sérieux, d’humour, de réalisme, de politique, de légèreté —, vous êtes quasiment sûr de trouver quelque-chose qui vous plaise ! Il est dommage que DC ait dû attendre autant avant de tenter un univers partagé au cinéma. Ils peuvent remercier Marvel pour cela..

_____________________
.
cine-saga-interview-thomas-suinot
.
Ci-dessous, d’autres questions qui n’ont pas été publiées, faute de place et/ou de pertinence.

Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Thomas Suinot, j’ai 28 ans et je suis chargé de clientèle dans une entreprise parisienne. Je suis également le créateur de www.comicsbatman.fr et son unique rédacteur. J’aime évidemment la bande-dessinée : j’ai lu la franco-belge durant mon enfance, puis découvert la japonaise durant mon adolescence avec les mangas et aujourd’hui je suis davantage tourné vers l’américaine, donc les comics, même si je lis encore de tout. En plus de ceci, je suis plutôt cinéphile et séries-addict. J’ai été journaliste, j’aime donc écrire : plusieurs de mes livres ont été publiés et le prochain est consacré à Lost, ma série favorite. J’adore aussi aller à des concerts, jouer à des jeux vidéo, bref j’ai un côté geek à passions multiples.

Avez-vous une collection de comics conséquente ou des objets particuliers (bustes ou autres produits) consacrés à Batman ?
J’ai évidemment une grande collection de bandes dessinées sur Batman (et plein d’autres : de l’indépendant, du Star Wars, du Marvel… en plus des mangas et des productions franco-belges). Au-delà de ces nombreux comics (parutions en kiosque et en librairie), j’ai un beau coffret collector de la trilogie de Nolan, tous les jeux vidéos sur PS3 et PS4 (la saga Arkham et Injustice) mais c’est à peu près tout donc pas grand chose finalement ! (Rires) Je n’ai pas de grands et bels objets type bustes, figurines ou autres. Je compte investir dans deux belles figurines très luxueuses du Joker et Harley Quinn prochainement. En somme je n’ai rien « d’exceptionnel » ou de collector. Tout est à la portée des collectionneurs et lecteurs assidus.

Comparé aux deux films de Tim Burton, où situez-vous la trilogie de Christopher Nolan ?
Tout simplement à part. Les films de Burton, surtout le second, font partie d’un univers visuel très gothique, très Burtonien en somme, dans lequel il place ses histoires et ses personnages aux origines différentes (le Joker en un bon exemple). Chez Nolan c’est une toute autre approche : un postulat de base très plausible dans « notre monde réel », moins fantastique et « féérique ». Finalement c’est comme dans les comics, il y a différents univers de Batman qui sont tous plus ou moins modelés sur les mêmes bases. Mais on va évidemment retrouver des différences notables dans plusieurs d’entre eux. Avec parfois des uchronies, comme le Batman qui se déroule dans l’univers des jeux vidéo de la saga Arkham qui a une histoire principale originale jamais vu ou lu ailleurs (même si les bases originelles sont les mêmes). Idem avec l’autre jeu vidéo Injustice : les Dieux sont parmi nous. Il bénéficie désormais de sa propre série de comics pour enrichir et explorer son histoire très original, avec un univers totalement différent qu’à l’accoutumé (Superman est un dictateur à la tête de la Terre entière). C’est pour cela que ça ne me choque pas qu’il n’y ait pas de continuité entre les films de Burton et Nolan. Pareil avec celui de Snyder, je le considère aussi à part car il fait partie d’un autre univers. Même si on aurait peut-être pu trouver une continuité existante entre The Dark Knight Rises et le Batman plus âgé de Batman V Superman (cf. ma réponse plus haut).

Avez-vous regardé la série Batman des années 60 ? Et suivez-vous celle sur Gotham aujourd’hui ? Qu’en pensez-vous ?
J’ai juste vu le film tiré de la série des années 60, c’est très kitch évidemment : un nanar à regarder au moins une fois mais bon… Je suis plutôt mitigé sur Gotham, je n’ai vu que la moitié de la première saison, je ne suis pas fan au point d’attendre chaque semaine avec impatience le nouvel épisode. Je trouve que la série n’arrive pas à se situer entre un style axé adolescent et jeune adulte ou une veine beaucoup plus sombre et adulte. Gotham oscille maladroitement entre les deux. Le côté feuilleton n’est pas assez présent pour moi, les épisodes ne se suivent pas spécialement avec un arc narratif précis, il y a plutôt une enquête différente par semaine avec en toile de fond des personnages qui évoluent autour mais ce côté freak of the week est un peu décevant. L’acteur qui joue Bruce Wayne ne me convainc pas et j’ai un peu de mal avec l’idée qu’il devienne presque un Batman Junior après si peu de temps écoulé depuis la mort de ses parents. C’est trop tôt. Idem avec les futures Catwoman et Poison Ivy : elles sont trop jeunes pour être prises au sérieux. Techniquement la série n’est pas forcément originale non plus, c’est dommage. Globalement c’est donc une déception pour Gotham mais qui contient tout de même quelques qualités pour ne pas abandonner en cours de route. Je suis curieux de voir l’évolution de ce nouvel univers autour de Batman. J’ai cru comprendre que le Joker arrivait durant la seconde saison, actuellement diffusée, je vais essayer de rattraper mon retard pour voir la nouvelle approche donnée à ce formidable ennemi.

* Ce passage est un peu « maladroit ». Il y a bien sûr d’autres sites qui chroniquent des comics sur Batman, mais un seul reste uniquement « ciblé » sur cela, là où les autres traitent d’autres productions DC ou Marvel ou une foule d’autres bandes-dessinées.

Étude de cas : Le Joker

Suite à mon interview dans le magazine Ciné Saga en début d’année 2016, leur rédaction m’a demandé d’écrire une étude de cas sur le Joker pour leur quatorzième numéro (1), sorti en août 2016. L’article devait s’étaler sur quatre pages avant de s’étendre à huit, tant il y a de choses à raconter. Retour sur la création du Clown du Crime, son évolution à travers les comics et son essor dans la culture populaire, grâce au cinéma, aux dessins animés et aux jeux vidéo. Avec des interviews de Yan Graf, éditeur chez Urban Comics, et Pierre Hatet, mémorable doubleur du Joker sur plusieurs supports artistiques.
(Rédigé en juin 2016, donc avant la sortie du film Suicide Squad. ///// Cliquez sur les couvertures pour accéder aux critiques.)

Joker Heath Ledger The Dark Knight

Qui rira le dernier ?

Des bandes dessinées américaines aux films en passant par les jeux vidéo et les séries d’animation, le Joker est partout, tout le temps. Il fascine, autant que Batman, depuis trois quarts de siècle. Retour sur sa création, son évolution et ses nombreuses apparitions.

Le 21 juillet 1866, Victor Hugo débute, à Bruxelles, l’écriture d’un nouvel ouvrage : L’Homme qui rit. Presque trois ans plus tard, le roman philosophique est publié en France. Le personnage principal, Gwynplaine, est un saltimbanque défiguré, mutilé au niveau de la bouche notamment, donnant l’illusion d’un sourire forcé en permanence. En 1928, le réalisateur d’origine allemande Paul Leni dévoile son adaptation cinématographique muette avec Conrad Veidt dans le rôle de Gwynplaine. Bill Finger, le co-créateur de Batman et son principal scénariste à ses débuts, donne en 1940 une photographie de l’acteur (en noir et blanc) à Bob Kane, le dessinateur désormais crédité comme concepteur du Chevalier Noir. L’encreur de l’époque, Jerry Robinson, propose une carte à jouer d’un Joker pour finaliser la création. L’ennemi le plus célèbre et iconique de Batman est né, la paternité étant attribué aux trois artistes. En extrapolant, on peut affirmer que d’une certaine façon, c’est le fruit de l’imagination d’un des écrivains français les plus célèbres et réputés qui a servi de base embryonnaire au désormais incontournable Joker.

Image 01
L’acteur Conrad Veidt et la première apparition du Joker
dans Batman #1 en 1940 (dessiné par Bob Kane & Jerry Robinson)

Bill Finger lui apporte des origines en 1951 (dans Detective Comics #168) en créant le fameux Masque Rouge, plus connu sous son nom originel : Red Hood (qui sera repris en 1989 dans Killing Joke et modernisé en 2014 par Scott Snyder dans Batman #0 puis dans l’arc L’An Zéro). Le mythe dit que l’inspiration du fameux heaume rouge, brillant et lisse est venue à nouveau d’un écrivain français réputé : Alexandre Dumas. C’est la dernière partie du livre Le Vicomte de Bragelonne, publié de 1847 à 1850, qui fermait la trilogie entamée avec Les Trois Mousquetaires, qui aurait fourni au scénariste de comics sa matière brute : il y est en effet question du fameux Homme au masque de fer.

Une absence totale de moralité

image-02Plus de 75 ans après sa création, le Clown du Crime est devenu un personnage à part entière de la culture populaire. Outre sa perpétuelle apparition dans les bandes dessinées Batman et Detective Comics, parmi les titres les plus emblématiques, durant plusieurs décennies, c’est à la fois l’écriture du personnage, sa psychologie atypique, son absence totale de moralité et son essor à travers d’autres supports artistiques qui ont contribué à sa renommée. Il fascine et séduit autant qu’il repousse et effraie. Miroir déformé d’un héros solitaire et sombre, il se veut fantasque et coloré. Certains le considèrent comme fou, d’autres l’estiment habile manipulateur, doué d’une rare intelligence.

Dès sa création pour le premier numéro de la série Batman en 1940 (le justicier est né un an avant dans le numéro #38 de Detective Comics), ses auteurs souhaitaient un ennemi « fort » et qui laisserait une trace pour cette nouvelle publication. Bien malin, l’éditeur, DC Comics, décida de ne pas tuer le Clown dès sa première apparition (chose très fréquente à l’époque pour les ennemis de Batman). Fou furieux, manipulateur, tueur sans remords : la première version du Joker, jusqu’en 1942, est, quelque part, assez proche de l’imaginaire collectif. Il « s’assagit » ensuite jusqu’en 1954, devenant un « simple » bouffon trouvant un attrait aux farces et attrapes, tout en restant cet ennemi flamboyant et unique.

Dès lors, le Comics Code Authority, organisme de censure, contraint indirectement à une disparition du Joker (mieux que d’avoir eu une version trop ringarde et aseptisée), remplacé par des monstres de science-fiction ou fantastiques, afin de coller avec le registre de genre du Batman de l’époque. Cela durera près de quinze ans. L’Arlequin de la Haine continue de défier le Goliath de Gotham à travers les planches et connaît un regain de popularité en 1966, grâce à la série télévisée  de ABC, où l’acteur Cesar Romero lui prête ses traits. Du pur nanar dans lequel le terrible ennemi paraît bien ridicule. Mais cela lui permet d’accroître son aura et de se faire connaître par davantage de personnes.

[Couverture de Detective Comics #69 par Jerry Robinson en 1942. L’’une des rares montrant le Joker tenant des armes à feu.]

La mort de Robin

C’est en 1989 que le Joker acquiert définitivement son statut de Némésis culte. Deux raisons à cela. La première se joue outre-Atlantique, au Pays de l’Oncle Sam, dans les chapitres #426 à #429 (décembre 1988 à janvier 89) de la série Batman : le Joker tue Robin. Il s’agit alors du deuxième Robin, alias Jason Todd, qui succéda à Dick Grayson (un nom un peu plus connu du « grand public » puisqu’il était le Robin originel devenu un super-héros à part entière sous l’alias Nightwing). Dans cette histoire, intitulée Un Deuil dans la Famille (publié pour la première fois en France en 2003 puis réédité en 2013 par Urban Comics, l’éditeur actuel des aventures du Dark Knight), ce sont les lecteurs eux-mêmes qui ont scellé le sort du second side-kick de Batman à travers un vote massif organisé par DC Comics ! Une drôle de façon de faire pour l’époque mais qui restera dans l’histoire de la bande dessinée américaine.

Comics Batman 10 Un Deuil dans la Famille Comics Batman 20 The Dark Knight Returns  Comics Batman 22 Arkham Asylum

Si cette mort, d’une violence inouïe, accentue le statut de méchant du Joker et marque à jamais la mythologie de Batman, l’histoire n’est paradoxalement pas la plus emblématique du Caped Crusader. Jim Starlin, son scénariste, met en scène un Batman au cœur de la politique et du Moyen-Orient. Il faut attendre 2002 pour entrevoir le retour de Jason Todd, dans l’excellent ouvrage Hush, écrit par Jeph Loeb, avant de le voir se concrétiser dans Under the Red Hood, sous la plume de Judd Winick, en 2005 (tous deux disponibles chez nous sous les titres Silence et L’Énigme de Red Hood, toujours chez Urban Comics). La mort de Robin survient après trois années de publications où le Joker a littéralement pris un tournant radical.

En effet, dans les comics, aux États-Unis tout du moins, le Joker est devenu une entité résolument sombre, violente et menaçante. Pire qu’à l’accoutumée. Il y a donc eu, en 1989, Un Deuil dans la Famille mais les prémices de cette version extrêmement dérangeante sont apparus en 1986, dans The Dark Knight Returns de Frank Miller (Sin City, 300…). On y découvrait, dans un futur hypothétique, un Joker incapable de vivre, totalement dépressif, depuis la disparition (volontaire) de Batman. Le Clown retrouve goût à la vie uniquement lorsque le Chevalier Noir refait son apparition. C’est dans ce comic book, que Miller suggère (en premier) la mort de Robin par la main du Joker. L’artiste polémique récidivera quinze ans après dans The Dark Knight Strikes Again, une suite nettement inférieure, où il fera carrément de Dick Grayson… le Joker !

Un Joker au sommet de la folie

batman killing jokeAprès The Dark Knight Returns, qui deviendra culte et constituera un pilier du monde des comics, sort en 1988 Killing Joke, de Brian Bolland et Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta…). Le Joker est alors au sommet de sa folie : il kidnappe Gordon, l’humilie, tire sur sa fille Barbara (Batgirl), et est ainsi responsable de son handicap (elle deviendra Oracle en étant condamnée à rester sur un fauteuil roulant). Cette version extrêmement noire (et désormais reniée par Moore) sous-entend même que le Joker aurait violé la fille du commissaire… Une adaptation animée sort ce mois-ci (MàJ : le 3 août 2016). Dans la foulée, Grant Morrison écrit son formidable Arkham Asylum, publié en 1989, qui vient accroître l’aura maléfique du Joker. Les méandres et errances de Batman dans le célèbre asile, où il a peur de céder à sa propre folie face à un Joker plus survolté que jamais.

Le même auteur laisse entendre dans Batman #663, à travers des bribes de la thèse d’Harleen Quinzel, que le Joker n’a pas de personnalité propre ni d’ego mais plutôt des « super-personnalités ». Cette plongée au cœur de la folie dans Arkham Asylum inspirera le jeu vidéo éponyme qui sera mis en vente pile vingt ans après.Comics Batman 28 Joker Anthologie Dans cet autre média, le Clown du Crime occupe une place prépondérante. S’inspirant des comics précités et récupérant les doubleurs des dessins animés (Mark Hamill en VO, Pierre Hatet pour la VF), la saga Arkham sera un succès critique et public.

Il faut attendre 2005 pour lire une nouvelle version de la première apparition du Joker, soixante-cinq ans après sa naissance. Elle est intitulée L’Homme qui rit (The Man Who Laugh en version originale), nom qui évoque clairement l’œuvre de Victor Hugo et le film de 1928 (qui bénéficia, pour l’anecdote, d’un passable remake français fin 2012, avec Marc-André Grondin dans le rôle-titre). Dans cette histoire, Gordon et Batman alternent les monologues intérieurs (de la même façon que Batman : Année Un, par Miller) et son auteur, Ed Brubaker, distribue la carte de la folie en modernisant à peine son socle d’inspiration : l’énigmatique Joker annonce des morts à la télévision, celles-ci ont lieu aux heures dites, comme dans Batman #1 de 1940. Les deux sont à (re)lire dans l’indispensable Joker Anthologie, toujours chez Urban Comics.

« Il incarne la peur des clowns maléfiques »

« Le Joker touche des publics différents, à des degrés divers et pour des raisons diverses. Pour le public plus jeune, il incarne la peur des clowns maléfiques : leur côté étrange, leur maquillage…, souligne l’éditeur Yan Graf qui a travaillé sur cet ouvrage. Mais le Joker est aussi un symbole d’anarchie, poursuit-il. Les personnages de méchants charismatiques sont légion dans la culture populaire et ces dernières années, les assassins insensibles ou psychopathes ont remporté les faveurs du public. Ils produisent une sorte de fascination/répulsion et depuis longtemps, on sait que le spectateur ou le lecteur aime se placer dans les pas d’un meurtrier. Le Joker est l’un de ces personnages flamboyants qui vivent sans repère moral, il est celui qui rejette toutes les règles ou toutes les valeurs sur lesquelles on bâtit une société civilisée. De plus, il ridiculise les autorités, à commencer par Batman. C’est le fou de la cour du roi mélangé à un artiste de la mort. Sa complexité en fait un personnage aux multiples facettes. »

joker-dessin-anime

C’est donc avec quatre œuvres cultes publiées entre 1986 et 89, The Dark Knight Returns, Killing Joke, Arkham Asylum et Un Deuil dans la Famille, que le lectorat des aventures de l’homme chauve-souris découvre non pas un nouveau visage ou une nouvelle version du Joker mais un stade jamais atteint auparavant en termes de danger. L’ennemi emblématique, qui avait déjà tué auparavant, devient un miroir menaçant. Il s’en prend directement à l’entourage de Batman. On découvre une psyché le voulant proche de l’homme chauve-souris, voire indispensable. Sans Batman, il n’existerait pas. Mais sans le Joker, Batman n’existerait-il sans doute pas non plus ? À cette interrogation, Tim Burton viendra ajouter son grain de sel, ou plutôt son grain de folie.

the_joker_cesar_romero

La seconde salve qui fait grimper le Joker sur les hautes marches de la culture populaire (après cet enchaînement de comics noirs) est bien entendu l’interprétation magistrale de Jack Nicholson dans le film réalisé par Tim Burton en 1989 et sobrement intitulé Batman. Ce n’est pas la première fois que le Joker apparaît à l’écran : Cesar Romero le jouait, comme évoqué plus haut, dans la célèbre série débutée en 1966 avec Adam West, qui s’acheva deux années après, au bout de trois saisons suivi d’un film nanar devenu culte par la force des choses, principalement par son côté kitch. Le Joker était donc déjà connu d’une partie de la population (en plus des lecteurs réguliers des bandes dessinées, bien sûr, sans oublier les quelques produits dérivés de l’époque) mais il n’avait jamais été montré aussi sombre et menaçant, hors productions papiers.

C’est d’ailleurs avec le long-métrage de Burton que la « Batmania » va réellement commencer, surtout en France. Pour surfer sur le succès, le film bénéficiera évidemment d’une suite (Batman Returns/Le Défi — davantage dramatique et à l’esthétique gothique très soignée, avec un style plus Burtonien que jamais, qui a déplu aux producteurs) et surtout la création d’un nouveau et formidable dessin animé. Le Joker y est particulièrement mis en avant et doublement accessible (aux enfants et aux adultes). Les jeux vidéo et l’arrivée des comics en France favorisent une fois de plus le développement du personnage.

Jack Nicholson campe un Joker mythique

jack_nicholson_the_jokerJack Nicholson, 52 ans à la sortie du film, n’a plus rien à prouver en tant qu’acteur. Il a reçu un Oscar pour son rôle dans Vol au-dessus d’un nid de coucou en 1975 et surtout, il a déjà offert une incarnation de la folie pure dans le célèbre film de Stanley Kubrick sorti en 1980 : Shining. Le quinquagénaire vole la vedette au Chevalier Noir, fadement interprété par Michael Keaton. Grand succès critique et public, avec 400 millions de dollars de recettes, cette nouvelle mouture de Batman au cinéma, résolument plus sombre (en adéquation, donc, avec les comics de l’époque), dévoile au monde entier le génie du Joker. Si le film a vieilli par bien des aspects, la performance de Nicholson, son terrible visage et ses inoubliables costumes, font encore mouche.

Dans l’esprit des gens, le Joker EST Jack Nicholson. Il ne peut en être autrement. Un truand de base considéré comme fou, qui deviendra littéralement et physiquement le Joker après un jet de produit chimique reçu dans le visage, et évidemment sa célèbre chute dans une cuve d’acide, le tout causé par Batman lui-même. L’homme veut semer un certain chaos dans la ville, sans raison aucune. Il est plutôt « comique » avec des sautes d’humeur violentes, forcément. Il possède même une certaine élégance. Offense suprême : il a lui-même tué les parents de Bruce Wayne, lorsqu’il s’appelait Jack Napier et était âgé d’une vingtaine d’années (une « trahison » pour les fans des aventures sur papier puisqu’il a été maintes fois confirmé que Thomas et Martha Wayne succombent sous le feu de Joe Chill). C’est donc le (futur) Joker qui va créer Batman, avant que celui-ci ne contribue à la naissance du Joker. Ce dernier lance dans le film : « Je vous ai fait ! » Ce à quoi le célèbre justicier répond : « Tu m’as fait en premier. » L’existence de l’un va de pair avec l’autre, la boucle est bouclée.

Presque vingt ans plus tard, le regretté Heath Ledger personnifie le Clown du Crime dans une version se voulant très plausible, dans le second opus de la trilogie de Christopher Nolan. The Dark Knight, sorti en 2008, fait suite à Batman Begins dont la fin annonçait la venue à Gotham dudit Joker. Les fans hurlent et déchantent : personne d’autre que Nicholson ne peut jouer le Joker.

Mark Hamill (Luke Skywalker) est fan

image-14-pierre-hatetEntre-temps il y a eu l’excellente série animée de Bruce Timm et Paul Dini. Le Joker était doublé par Mark « Luke Skywalker » Hamill pour la version originale, un rôle qu’il a rempli dans bon nombre d’autres productions d’animations ou encore dans la célèbre saga de jeux vidéo Arkham (tout du moins, dans les trois du studio de Rocksteady : Arkham Asylum, Arkham City et Arkham Knight — en France c’est Pierre Hatet qui s’en est chargé sauf, comme le célèbre Jedi, pour Arkham Origins, où Stéphane Ronchewski, le doubleur de Heath Ledger a officié à sa place — dans chaque jeu le Joker est remarquablement mis en avant). Mark Hamill confiait : « Dans toute ma carrière, il est le personnage le plus stimulant, gratifiant et plaisant que j’ai eu à incarner. » En France, c’est donc la voix de Pierre Hatet qui s’impose en très peu de temps. Cet acteur de théâtre, connu pour être la voix française du Doc Brown de la trilogie Retour vers le Futur, juge « formidable ce qu’a fait Mark Hamill. Mais je ne m’en suis jamais inspiré et je l’ai peu écouté… »

Déclaration plus surprenante encore : « Je ne savais pas vraiment qui été le Joker quand j’ai commencé à le doubler. En revanche, je connaissais  »L’Homme qui rit » de Victor Hugo grâce au théâtre. C’est d’ailleurs grâce à mes performances de comédien sur scène que j’ai été choisi pour devenir la voix du Joker. » Une voix désormais indissociable du personnage dans l’imaginaire des petits et des grands. « Des enfants me reconnaissent et me demandent de faire un rire ou le célèbre ‘‘Mon Batounet’’ encore aujourd’hui,  confie Pierre Hatet dans sa résidence parisienne avec sourire. J’ai découvert le Joker sur papier il y a deux ans grâce à un ouvrage,  »Joker Anthologie ». Personne ne m’a guidé pour trouver LA voix et je n’ai pas non plus cherché à connaître le personnage dans les bandes dessinées. Quand j’aborde un doublage, je suis comme un acteur qui rentre dans un rôle. J’ai essayé de trouver une vérité dans le Joker, je l’ai ensuite imposée et tout s’est fait naturellement. »

joker-arkham-asylum

Le comédien n’a malheureusement pas été convié à doubler le Joker dans Suicide Squad (MàJ : c’est Paolo Domingo qui l’a fait) ni dans le dessin animé Killing Joke (MàJ : Marc Saez s’est attribué le rôle), tous deux sortant cet été. « Une pétition a circulé sur Internet (MàJ : à découvrir sur ce lien, et lire cet article —même s’il est approximatif par bien des aspects— pour mieux comprendre). On ne m’a pas appelé, j’attends que le téléphone sonne… J’ai bien conscience, en toute modestie bien sûr, d’avoir marqué plusieurs générations, alors je le redoublerai avec plaisir. Je suis très attaché au personnage. » Sur la folie du Joker, Pierre Hatet a son hypothèse : « À mon avis, il est intelligent et calculateur, c’est le Prince du Crime face au Prince de la Vertu. C’est un méchant jaloux. Par opposition à Batman, le Prince de la Justice, dont le Joker admire la pureté et l’honnêteté, le Clown deviendra le Prince du Mal. »

[Pierre Hatet, fière voix de la version française du Joker à son domicile © Thomas Suinot ]

Batman et le Joker, unis à jamais

Durant plusieurs décennies, du côté des comics, maints auteurs se sont interrogés  sur l’identité réelle du Joker. Pas son identité civile mais son vrai but, sa véritable interaction avec Batman. Pour certains artistes, il est tout simplement le double version maléfique de l’homme chauve-souris. L’un ne peut vivre sans l’autre. L’un est responsable du destin de l’autre. Ils sont le miroir d’une même personnalité, chacune correspondant à un extrême. Une vision particulièrement soulignée dans Killing Joke et dans le moins connu Batman : Secrets, de Sam Kieth.

    Batman Secrets Batman le deuil de la famille Batman 4 L'An Zero 1ere partie Batman Mascarade Endgame Fini de Jouer Tome 7

Plus récemment, c’est Scott Snyder qui évoquera cette confrontation quasi fraternelle, à travers les tomes 3 à 5 puis 7 de la série Batman (chez Urban Comics à nouveau). Soit dans Le Deuil de la Famille, L’An Zéro puis Mascarade. Entre 2011 et 2015, le scénariste a livré une version moderne du Joker tout en gardant l’esprit d’origine. En mai et juin 2016, à la fin de la série Justice League, juste avant que l’éditeur DC Comics n’opère un nouveau relaunch, nommé Rebirth (une opération visant à repartir de zéro dans ses séries), on a appris qu’il n’y avait pas un mais trois Jokers différents depuis que Batman est devenu le justicier de Gotham City…

Le Dark Knight profite donc de sa nouvelle série (tout juste publiée aux États-Unis et qui arrivera très certainement début 2017 en France) pour enquêter sur cette révélation, plutôt cohérente et très excitante. L’éditeur Yan Graf la trouve amusante car « elle valide le découpage choisi dans Joker Anthologie, qui mettait en valeur l’évolution du personnage à travers différentes phases, de maitre chanteur assassin à tueur en série en passant par braqueur de banque déluré ! ».

Heath Ledger fait taire les « haters »

the-dark-knight-the-joker-heath-ledger-batmanRetour en 2008 : la performance d’Heath Ledger vient à bout des haters. Christopher Nolan avait d’ailleurs prévenu avant la sortie du film : son Joker serait finalement très sérieux. On revient à l’inévitable question qui hante les fans : le Joker est-il un fou doué d’une intelligence sans faille, ou bien d’un génie intelligent avec « quelques » accès de folie, une folie passagère ? Feint-il d’être fou ? A-t-il une logique ? Le mystère demeure dans chaque œuvre qui le met en avant. Son identité ? Comme dans la plupart des livres, il la modifie selon son bon vouloir.

On note toutefois qu’ici, le Joker se maquille lui-même et que son sourire provient de cicatrices (causées par son père ou lui-même, nul ne sait), tandis que chez Tim Burton et dans la majorité des comics, la peau du Joker est définitivement blanche et ses cheveux verts (après la plongée dans l’acide). Ledger sera oscarisé à titre posthume, éclipsant totalement le travail de ses collègues. Dans The Dark Knight, le Joker se rapproche d’un anarchiste terroriste, trouvant en Batman un défi à sa hauteur. Il va lui prouver que le monde peut basculer dans la folie, dans le chaos, du jour au lendemain, qu’on abrite en chacun de nous un fou et que l’unique intérêt de la vie et de le laisser s’échapper… Ce « style » et le look de cette version du Joker sont repris par  Lee Bermejo (scénariste et dessinateur) dans sa bande dessinée au titre simpliste : Joker.

Coup de tonnerre en avril 2015 : la première photo du Joker version Jared Leto pour Suicide Squad est mise en ligne. L’annonce de la présence du talentueux acteur dans le célèbre rôle avait moins décontenancée qu’à l’époque de Ledger, chacun ayant retenu la leçon. En revanche, la photo dévoilant un Joker couvert de tatouages et avec des dents argentées fait immédiatement rager les éternels haters. Les premières vidéos atténueront un peu ces critiques. Faut-il rappeler que dans certains comics le Joker est tatoué (comme dans All Star Batman : le jeune prodige, de Jim Lee et Frank Miller) ? Il ne paraît pas non plus illogique qu’il se soit fait refaire une mâchoire que Batman lui a cassée de nombreuses fois ?

Jared Leto proposera quelque chose de différent

Cette troisième version cinématographique (quatrième en comptant le nanar de 1966) développe le même schéma que dans les comics : le Joker est à l’unisson de la folie. Et il existe plusieurs formes de folie, la différence d’approche entre Nicholson et Ledger en étant la plus belle preuve. Nul doute que Leto, sous l’égide de David Ayer (Fury) pour son escadron de la mort, apportera quelque chose de novateur, qui se retrouvera cristallisé dans l’esprit commun. On murmure déjà qu’il apparaîtra dans les autres productions cinématographiques de DC Comics : le film The Batman porté par Affleck et peut-être même dans Justice League, prévu pour fin 2017.

Le mythe se réinvente sans cesse, comme dans toutes les bonnes variations d’un même thème occulté pendant des décennies. « À ce stade, il est comme Jésus, estime Jared Leto. Une icône. Un mythe. Il s’agit de se montrer à la hauteur. » L’acteur a envoyé en cadeau un rat à Margot Robbie durant le tournage. Elle y joue sa muse : Harley Quinn. Autre offrande, pour Will Smith (Deadshot) : des préservatifs usagés… Une rumeur démentie par le principal intéressé un an après la sortie du film ; on évoque plutôt un magazine pornographique à la place. Moins trash mais irrévérencieux quand même. Jared Leto a sa façon bien à lui de déstabiliser ses partenaires hors écran ! « Au départ je suis retourné à la source et j’ai lu autant de comics que je le pouvais. Mais je devais dépasser cela. Car, à chaque nouvelle incarnation, le personnage s’est redéfini. À chaque fois, l’essence du Joker est là mais elle change. Après avoir compris cela, il fallait passer à la transformation physique, expliquait plus sérieusement, le chanteur de Thirty Seconds to Mars. C’était un honneur de me voir proposer un tel rôle. Le Joker est dans la culture populaire depuis plus de 75 ans. Je suis le dernier en date à l’interpréter, avec de glorieux prédécesseurs. Il fallait que je prenne des libertés, que j’expérimente des choses. Le réalisateur m’a autorisé à lâcher prise, ça n’a pas de prix ! »

jared-leto-joker

« Sans Batman, le crime n’est plus amusant ! », clame le Joker dans un épisode de la série d’animation, sous la plume de Paul Dini. Une citation qui ouvre l’excellent beau livre « Tout l’art du Joker » (encore et toujours chez Urban Comics). Un crime peut-il être amusant sans Batman ? Selon la série télé Gotham (Fox), oui. Une version brouillonne du Joker est apparue dans la deuxième saison, donc à l’époque où Batman n’existait pas (le feuilleton met en avant les débuts de Gordon à Gotham City). Un certain Jérôme a tout pour être le futur Joker (outre le look et d’autres éléments, il annonce ses morts à la télévision, comme dans le tout premier comic book) mais, sans en dévoiler trop, il ne participera finalement qu’à l’ébauche de celui-ci. « La création du Joker est une histoire beaucoup plus large et épique que ne le réalisent les gens. À mesure que la série avancera, ils verront comment une mythologie est née, comment une sorte de comportement culturel a été créé, menant au Joker lui-même. Jérôme est la graine de ce dernier », soutenait Bruno Heller, le showrunner de la série.

Le Joker se réinvente à sa façon, sensiblement différent à chaque nouvelle apparition artistique, sous une forme ou une autre. Son identité reste un mystère. Son but ultime est-t-il de répandre la folie ou de défier encore et toujours Batman ? C’est fou, après plus de trois quarts de siècle, on ne sait toujours pas vraiment qui il est mais il continue — et continuera — de fasciner un bon bout de temps. Pierre Hatet n’hésite pas à citer Victor Hugo : « L’Homme qui rit est un homme mutilé, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. » On s’en contentera encore des années avec plaisir.

image-07-tout-lart-du-joker image-09-joker image-13-sombre-reflet-tome-02

.

_____________________

.

cine-saga-14Cet article est initialement paru dans Ciné Saga #14, en août 2016 (pages 32 à 39).
Couverture ci-contre ainsi qu’un aperçu ci-dessous de la mise en page de l’ensemble de l’article, qui a été légèrement modifiée pour la version imprimée .

Quelques mises à jour ( « MàJ ») ont été ajoutées pour la reprise sur le site en novembre 2016.
Deux brefs ajouts ont également été rédigés en plus (la mention de la BD Joker et la dernière phrase de conclusion — que j’aimais beaucoup et qui avait été enlevé dans le magazine).
Les images et photos d’illustration ne sont pas forcément les mêmes pour avoir, ici, une plus belle unité visuelle.

Un petit encadré « À savoir » indiquait ceci : Thomas Suinot est le fondateur et unique rédacteur du site www.comicsbatman.fr. La plupart des livres mentionnés dans cet article sont chroniqués sur ce site.

Un « Top 10 des plus grands méchants des comics » était avant cet article (pages 16 à 21). Le Joker y avait la première place avec ce petit texte, de Raphaël Nouet : Que serait Batman sans le terrible Joker ? La principale arme du plus grand des méchants est son cerveau, contaminé par une folie par moments contagieuse. Lui ne rêve pas de gouverner la Terre ou d’anéantir l’univers, simplement – et c’est déjà beaucoup ! – de faire souffrir son prochain. Le Mal dans toute son horreur, dont la carrière est décortiquée dans les pages 32 à 39 […] suivi d’une nouvelle mention de mon nom et du site.

.

article-cine-saga-etude-joker.

_____________________

.

(1) — J’ai également rédigé, pour ce même numéro, un article sur Star Wars : Rogue One ainsi qu’une interrogation sur le renouvellement, possible ou non, de la Science-Fiction au cinéma.

Depuis juillet 2016, j’écris régulièrement pour le magazine Ciné Saga et sa déclinaison orientée série (Séries Saga). Niveau comics, j’ai évoqué Walking Dead dans un numéro thématique à la célèbre série télé avec des zombies. Le reste est à découvrir sur mon site personnel, avec les titres de mes contributions pour chaque magazine avec parfois la lecture des articles.

Je suis extrêmement fier de cette étude de cas. C’est une très belle « récompense » que m’a offert le travail effectué sur ce site depuis bientôt cinq ans. Grâce à mes articles, j’ai pu en écrire un sur ma passion, publié dans un magazine édité à 30.000 exemplaires et disponible partout en France ! Même si j’ai déjà eu de nombreuses publications « papier » par le passé, je ne peux que me réjouir de celle-ci, qui a évidemment une forte importance.

Un très très grand merci à Pierre Hatet et Geneviève, ainsi qu’à Clémentine et Yan Graf d’Urban Comics. Disponibles, chaleureux et réactifs, nul doute que cet article n’aurait pas eu la même « qualité » sans eux. Merci à Raphaël sans qui rien n’aurait été possible, et à Franck pour sa relecture et ses corrections.

Une version plus allégée de cette étude a été publiée sur Le Huffington Post le 18 décembre 2016.

joker-ha