[Histoire]
Gotham City, 19h03, un tremblement de terre d’intensité 7.6 sur l’échelle de Richter détruit la ville. Les immeubles s’effondrent, les incendies font rage, des citoyens innocents meurent dans les décombres ou sous l’eau…
Les différents justiciers (Batman, Nightwing…), les héros du quotidien (Gordon, Bullock…) et même les antagonistes pas forcément du bon côté de la loi (Catwoman, Azraël…) font face à une menace naturelle, sans précédent, bien plus grave qu’à l’accoutumée.
Chacun aide comme il peut et affronte cette épreuve, aussi injuste soit-elle et face à laquelle il ne peuvent concrètement « rien faire ».
[Critique]
Ouvrage assez conséquent de 462 pages, Cataclysme se divise en seize chapitres et plusieurs interludes, ainsi qu’un court prologue et épilogue. Chaque chapitre provient d’une série différente du Batverse (comme pour Knightfall) : Batman, Detective Comics, Shadow of the Bat, Catwoman, Nightwing, etc. (détails dans la section À propos). Certains sont même inédits pour cette version française, à savoir Azrael #40, Catwoman #57, Robin #52 et Batman Arkham Asylum – Tales of Madness #1, qui sont parfois volontairement « coupés » pour rester focaliser sur l’histoire principale.
On y suit donc les points de vue de différents protagonistes durant cet évènement majeur, très important dans la mythologie du Chevalier Noir. En effet, Cataclysme poursuit la « chute » psychologique (et même physique) de Bruce Wayne/Batman après Knightfall, Legacy et Contagion. Ces deux derniers sont (étrangement) inédits en France et narrent la propagation du virus Ébola dans Gotham City. Peu après il y a donc ce tremblement de terre qui vient mettre à mal un peu plus le(s) justicier(s) avant de se poursuivre dans la grande saga No Man’s Land. En effet, et c’est à la fois la force et la faiblesse de Cataclysme, il s’agit avant-tout d’une introduction à No Man’s Land (série complète en six tomes). Celui-ci peut donc se lire comme un volume unique (one-shot) mais sous-entend clairement une suite que le lecteur souhaite logiquement découvrir.
L’intérêt de Cataclysme se situe dans la multiplicité des regards vers cette catastrophe, quasiment tous débutants (dans la première partie du livre tout du moins) juste avant que ne se déclenchent les premières secousses. Nightwing songe en premier lieu à savoir si Barbara Gordon est vivante, Robin, alias Timothy Drake, (en voyage en Europe) est dans un avion quand le tremblement de terre se produit et s’inquiète avant tout pour son père, Batman est tiraillé entre secourir les citoyens, empêcher une évasion de prisonniers de Blackgate et (plus ou moins) conserver son identité secrète (le Manoir Wayne s’est effondré sur la Bat-Cave), et ainsi de suite.
À ce titre, les meilleurs moments concernent, contre toute attente, des inconnus : un chapitre consacré à des gangsters chargés d’aider des passants coincés sous des décombres et un condamné à mort (à Blackgate) qui clame son innocence à son avocate peu avant son exécution. Le tremblement de terre vient lui apporter le miracle dont il avait besoin pour ne pas être tué puisque celui-ci lui permet de s’échapper. Le duo composé d’Huntress et Spoiler apporte un peu de nouveauté, d’ailleurs toute l’évolution d’Huntress au cour de l’ouvrage est intéressante. Le personnage souhaite s’émanciper des justiciers « classiques » en n’hésitant pas à tuer certains criminels. Un choix que ne cautionne évidemment pas le Dark Knight. Un chapitre centré sur Catwoman, très prenant, se concentre sur la peur et la solitude de Seline Kyle ; son individualisme mêlé à la forte empathie pour des êtres en détresse sont très bien écrits.
Les autres épisodes se suivent et sont plus ou moins « classiques » (par rapport à la catastrophe subit), il y a même une certaine répétition mais qui n’est pas soporifique ou agaçante (contrairement à des passages de Knightfall, notamment les tomes 3 et 4, assez indigestes).
On note un certain fil rouge dans la seconde moitié de l’œuvre avec un homme (le Maître-Secousses – sic) clamant être responsable du tremblement de terre et souhaitant une rançon de la part de la ville afin qu’il ne déclenche pas un séisme encore plus meurtrier. De prime abord, ce nouvel ennemi paraît bien ridicule, d’autant plus qu’il demande de l’argent (re-sic) mais une fois son identité révélée, cela fait sens et est même plutôt bien trouvé.
La galerie des ennemis classiques de Batman fait ici de la figuration (Double-Face, le Pingouin, Bane, Poison Ivy…) intervenant en personnage très secondaire le temps de quelques planches, exception faite du chapitre divisé en trois parties se déroulant à l’Asile d’Arkham avec le Joker, le Sphinx, l’Épouvantail et Killer Croc notamment.
C’est justement une question qu’on se pose dès le début de Cataclysme : quid des « méchants » durant cette catastrophe ? Nous avons nos réponses, promettant de rudes aventures à la Bat-Family pour la suite de l’histoire.
Le récit mentionne un nombre conséquent de victimes (blessés et morts) et en montre quelques-unes mais clairement pas assez pour véritablement s’émouvoir ou « prendre une énorme claque ». Les morts ne sont pas aux abonnés absents mais au vu de la tragédie, l’impact aurait été plus fort pour le lecteur d’afficher, ou suggérer, davantage de cadavres (suggérer par dessin et non par texte, comme cela est fait plusieurs fois). Cela rappelle un peu les reproches qui avaient été fait à propos de la fin du film Man of Steel (à raison). On s’étonne d’ailleurs de l’absence de Superman pour la rescousse et l’aide qu’il aurait pu apporter (lui ou la Justice League), nulle mention dans le scénario alors qu’il y a (logiquement) une explication plausible à cela.
Le scénario est écrit à plusieurs mains, avec une nette dominance pour Chuck Dixon et Doug Moench (déjà aux manettes des années plus tôt sur Knightfall). Les dessins se suivent et ne se ressemblent pas (dans leur style) mais aucun ne dégage un esthétisme plus important que d’autres (éventuellement Rick Taylor pour Arkham Asylum : Tales of Madness #1) ; il n’y a pas non plus de planches « ratées », globalement la cohérence se tient pour savoir qui est qui, pour découvrir les ruines de Gotham. L’intérêt se situe davantage dans l’histoire pour Cataclysme : une tension palpable, des héros impuissants face aux forces de la nature, des échos très personnels pour certains protagonistes, etc.
Proposer Cataclysme comme un one-shot est un poil mensonger, de même que sa couverture, très graphique et réussie certes (signée Bill Sienkiewicz) mais peu représentative de l’œuvre. Prenant et plutôt original, ce début d’une nouvelle saga de Batman est clairement efficace et abouti. Les auteurs prennent leur temps (parfois un peu trop mais l’équilibre est plutôt « juste ») et on a envie de lire la suite.
NB : Alfred chantonne Mon amant de Saint-Jean en nettoyant l’argenterie. Une enquête est en cours pour savoir si cette référence à Edith Piaf était dans la version originelle ou non. C’est important.
[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 21 mars 2014
Premières publications originales en 1998.
Contient :
Batman #553-554 (écrit par Doug Moench et dessiné par Klaus Janson)
Shadow of the Bat #73-74 (écrit par Alan Grant et dessiné par Mark Buckingham)
Detective Comics #720-721 (écrit par Chuck Dixon et dessiné par Graham Nolan)
Nightwing #19-20 (écrit par Chuck Dixon et dessiné par Scott McDaniel)
Azrael #40 (écrit par Dennis O’Neil et dessiné par Roger Robinson)
Catwoman #56-57 (écrit par Devin Grayson et dessiné par Jim Balent)
Robin #52–53 (écrit par Chuck Dixon et dessiné par Staz Johnson)
Batman Chronicles #12 (écrit par Devin Grayson, Klaus Janson, Chris Renaud et Kelley Puckett et dessiné par Marcos Martin, Klaus Janson, Alex Maleev et Rick Burchett)
Batman Blackgate : Isle of Men #1 (écrit par Doug Moench et dessiné par Jim Aparo)
Batman : Huntress/Spoiler #1 (écrit par Chuck Dixon et dessiné par Eduardo Barreto)
Batman – Arkham Asylum : Tales of Madness #1 (écrit par Alan Grant et dessiné par Rick Taylor)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)
Traduction : Jean-Marc Lainé
Adaptation Graphique : Pascal Chirat
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