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Batman Anthologie

Recueil de vingt histoires sur le Chevalier Noir, Batman Anthologie est un très bon ouvrage qui permet d’explorer près de 75 années de publications sur l’homme chauve-souris, de sa création à sa « renaissance », en passant par les apparitions de personnages importants. Chaque récit est introduit par un texte éditorial et d’autres articles informatifs (l’ensemble fourmille d’anecdotes intéressantes dont quelques-unes retranscrites dans cet article) parsèment cette anthologie, ainsi que des courtes biographies de chaque auteurs et artistes. Incontournable.

Comics Batman 21 Anthologie

« Il ressemble à un démon mais qui combattrait du côté des anges. Il se tient perché comme une gargouille au-dessus de sa ville, mais fait preuve de la plus grande compassion pour ceux qui vivent dans les bas-fonds.
Marqué par la tragédie, il a fait de sa colère sa force et de ses peurs une arme. Batman reste un être de contradictions et de paradoxes.
Solitaire, il s’entoure de multiples alliés. Sans pouvoirs, il est le plus apte à diriger des cortèges de surhommes. Hors-la-loi, il a comme meilleur ami un commissaire de police. »

PREMIÈRE PARTIE – DYNAMIQUE DUO
[cinq récits & quatre éditos]
– Âge d’or des comics –

1939 Detective Comics #27 : L’affaire du syndicat de la chimie (6 pages)
Scénario :
Bill Finger | Dessin : Bob Kane
Bruce Wayne est en visite chez le commissaire Gordon. Un coup de téléphone au policier signale un meurtre. Gordon propose à Bruce Wayne de l’accompagner sur la scène du crime. Un des associés de la victime reçoit des menaces de mort anonymes et se fait tuer également. Sur la piste des assassins, une silhouette menaçante : Bat-Man !

Batman 1939

La toute première aventure de l’homme chauve-souris, appelé à l’époque Bat-Man. Six planches qui ont évidemment un côté kitch mais permettent de plonger dans une époque avec nostalgie et -surtout- de découvrir LA première version du Dark Knight. Toutes les cases comportent du texte, une narration type « voix off » pour décrire tout ce qu’il se passe ; une habitude du genre qui s’estompera au fil des années à travers les différentes bandes dessinées. Cela a un petit charme désuet désormais. À l’époque la « mort » d’un ennemi est loin de déranger le détective, au contraire, il stipulera même, lorsqu’un malfrat tombe dans un réservoir d’acide (déjà !) : « une fin adéquate pour ceux de son espèce ». Cette radicalité (qui se poursuivra un petit temps) sera justifié par la suite à cause du traumatisme vécu lors de l’enfance de Wayne.

À noter que cette courte histoire bénéficie régulièrement d’un « remake » pour les anniversaires de Batman. La dernière en date remonte en 2014, pour les 75 ans du Chevalier Noir, et était parue dans le Detective Comics #27 (puisque la numérotation du magazine était repartie à zéro depuis le Relaunch DC Comics). En France, on a pu découvrir cette Affaire de la mafia de la chimie (un léger changement dans le titre) dans le Batman Saga #27 (août 2014) mais aussi dans le sixième tome de Batman : Passé, Présent, Futur (qui compilait plusieurs chapitres one-shot pour un résultat assez moyen).

1939 • Detective Comics #33 : La légende de Batman (2 pages)
Scénario : Bill Finger | Dessin : Bob Kane et Sheldon Moldoff
Pourquoi et comment Bruce Wayne a décidé de devenir Batman.

Batman 1939

La naissance d’un super-héros, la toute première origine de l’homme chauve-souris. C’est rapide et très court (une planche et demi) et fut publié en guise de bonus du « vrai » chapitre de la série afin de dévoiler la création du (futur) mythe. Rien de très nouveau pour cette histoire connue de tous, souvent remontrée mais jamais remaniée et régulièrement adaptée (dans tous les supports possibles : comics, films, jeux vidéo…) sans jamais modifier les éléments phares de ces origines. Rien de nouveau donc, si ce n’est que c’est la toute première bande dessinée qui les a dévoilées !

1940 Detective Comics #38 : Robin, le garçon prodige (12 pages)
Scénario : Bill Finger | Dessin : Bob Kane et Jerry Robinson
Le criminel Zucco rackette quasiment tout le monde dans une petite ville de banlieue. Il oblige ses victimes à lui verser de l’argent, sous peine de représailles sévères. Le directeur du cirque Haly refuse de le payer et les parents du jeune Dick Grayson vont trouver la mort dans un « accident » causé par Zucco. Batman rejoint aussitôt l’acrobate orphelin et lui propose son aide, puis le prend sous son aile pour former son premier partenaire, le jeune prodige : Robin.

Robin

La première apparition de Dick Grayson, onze numéro seulement après celle de Batman. Le succès fut immédiat (malgré les réticences des responsables éditoriaux de l’époque). À l’instar des histoires précédent, le côté kitch prévaut aussi sur ce chapitre. La narration omniprésente et les dialogues parfois ridicules provoquent toujours une petit sourire. Malgré le drame survenu, l’ensemble est plutôt léger, on ne s’encombre pas du deuil des parents de Dick (!), l’enfant habite tout de suite au Manoir Wayne sans être surpris de l’identité de Batman (aucun passage ne la mentionne), etc. Aujourd’hui cela passerait difficilement, mais c’est le charme de l’âge d’or des comics qui opère.

Quelques soucis techniques au niveau des dessins (à moins que ce ne soit une erreur d’impression) qui montrent des traits extrêmement gras et assombrissent chaque case. On notera qu’à priori Robin tue quelqu’un (il pousse un malfrat depuis des poutres d’un bâtiment en construction) et que le terrible Zucco (ressemblant un peu au brouillon du Pingouin) est appréhendé et finira sur « la chaise électrique ! » dixit Batman lui-même. Peu importe tous ces détails, qu’on peut juger comme des qualités ou des défauts, nous avons là le premier récit dévoilant à la fois le Dick Grayson, son histoire, ses origines et sa naissance en tant que Robin.

1944 • Detective Comics #83 : Accidents intentionnels (12 pages)
Scénario : Don Cameron | Dessin : Jack Burnley | Encrage : George Roussos
Bruce et Dick surprennent Alfred en pleine séance de gymnastique dans la BatCave (le domestique a de l’embonpoint à ce moment dans la bande dessinée). Le majordome part ensuite en vacances puis Batman et Robin enquêtent sur des personnes cambriolant leur propre enseigne !

Alfred Fatty

Alfred est introduit dans dans Batman #16, en 1943. À ses débuts, le domestique, fils de l’ancien valet des Wayne, acteur de théâtre et détective amateur, est plutôt rondouillard. Il faudra attendre l’arrivée de son interprète William Austin, dans le premier feuilleton adapté, pour donner au célèbre majordome son allure svelte et sa fine moustache. En effet, le look de l’acteur est par lui suite directement repris dans les comics. Cette histoire explique donc cette métamorphose pour les lecteurs ayant connu l’ancien look d’Alfred.

Notons que le domestique n’est pas non plus si flegmatique et doté de son sang-froid hors pair à ce moment là. Au contraire, il lui arrive d’être maladroit et peu sûr de lui. Bruce Wayne dira même que « c’est un tyran domestique, et il est aussi empoté qu’un éléphant, mais il va me manquer ! ». Là aussi c’est l’occasion de constater une évolution intéressante pour ce personnage emblématique. Du reste, on suit un chapitre plutôt convenu et prévisible, avec quelques prémices de manipulation mentale plus ou moins plausible (on évoque déjà des intenses pulsions et autre message subliminal !). On retrouve la destination de la « chaise électrique » (assené par Robin cette fois-ci) et les quelques problèmes graphiques déjà cités. La légère surprise de fin avait sans doute eu son petit effet à l’époque.

1948 • Batman #49 : Le scoop du siècle (12 pages)
Scénario : Bill Finger | Dessin : Lew Sayre Schwartz | Encrage : Chales Paris
La journaliste Vicky Vale prend Bruce Wayne en photo en train de poser sur un yacht. Celui-ci est attaqué par Le Chapelier Fou et Bruce est forcé d’attendre avant d’agir sous son alias. Il échoue face à ce nouvel ennemi mais Vicky Vale a immortalisé le combat. Son supérieur lui propose alors de suivre Batman au quotidien pour montrer comment il enquête et ainsi convaincre de potentiels criminels de ne pas agir. La jeune femme rencontre donc Batman et Robin, tous deux acceptent.

Vicky Vale First Premiere Apparition

Deux nouveaux personnages voient le jour ici : Vicky Vale et le Chapelier Fou. Ce dernier, déjà obsédé par le mythe d’Alice au Pays des Merveilles, n’est finalement qu’un énième malfrat sans réelle particularité, excepté son look et l’univers Carollien bien sûr (le contrôle mental ne viendra que par la suite, lorsque le Chapelier sera plus ou moins remanié par d’autres scénaristes, dont Bill Finger qui en livrera une version plus orientée sur une collection de chapeaux). Les combats contre ce nouvel ennemi ne sont pas plus convaincants que les autres à l’époque, mais par contre, toute l’histoire entre Vicky Vale et Bruce Wayne/Batman est passionnante.

Devant jouer les play-boys face à la journaliste, le milliardaire n’est pas insensible au charme de cette femme « forte » (malgré les tentatives de drague pas très subtiles, Vicky Vale montre son statut d’indépendante). La jolie journaliste souhaite prouver que Bruce Wayne est Batman et ne lâchera pas l’affaire tant qu’elle n’y arrivera pas. On pourrait titiller évidemment sur certaines incohérences (elle détient des premières preuves plutôt solides qu’elle pourrait publier, à moins qu’elle soit sous le charme de Bruce et hésite à le faire ?) et toujours ce petit côté kitch dans les dialogues et les dessins, mais cette histoire sort du lot et s’avère finalement plus originale qu’à l’accoutumée (surtout pour l’époque).

DEUXIÈME PARTIE – CROISÉ EN CAPE
[quatre récits et quatre éditos]
– Âge d’argent des comics –

1955 Detective Comics #216 : Le Batman de demain (12 pages)
Scénario : Ed Hamilton | Dessin : Dick Sprang | Encrage : Charles Paris
Bruce Wayne sauve des personnes lors d’une soirée où est conviée Vicky Vale. Le bras cassé, il est obligé de porter un bandage. Il lui est alors impossible d’enquêter sur un homme se maquillant et déguisant en autres civils sans que la journaliste ne constate que Bruce Wayne et Batman ne font qu’un. L’homme chauve-souris et Robin décident alors d’appeler Brane Taylor, le Batman du 31e siècle (3055 pour être exact) ! Celui-ci avait requiert l’aide de Robin dans une précédente aventure qui se déroulait dans le futur.

Batman Brane Taylor

Résolument orientée dans un registre de pure science-fiction, cette histoire, ainsi que la découverte de Brane (contraction de Bruce et Wayne), est plutôt sympathique. Dommage de ne constater aucune « évolution » chez l’être humain en soi —au contraire, Brane est un très mauvais enquêteur et un coureur de jupon— mais uniquement sur les gadgets et l’équipement. Cela provoque une certaine non-plausibilité mais peu importe, cela a tout de même son charme, c’était un peu la « mode » de ces années là dans les comics, comme le stipule l’édito avant le chapitre. Une fois encore, c’est le personnage de Vicky Vale qui demeure plus intéressant que le scénario (ou bien de ce nouvel allié improbable). Elle continue de vouloir démasquer l’identité du vrai Batman (elle comprend rapidement que ce n’est pas le même qui endosse la cape dans la suite de l’aventure), ce qui nous permet de connaître à la fin la taille de monsieur Wayne : 1m85. Un récit plaisant, vite oubliable mais plaisant.

1958 World’s Finest Comics #94 : L’origine de l’équipe Superman – Batman (12 pages)
Scénario : Hamilton | Dessin : Dick Sprang | Encrage : Stan Kaye
Batman et Robin apprennent que Lex Luthor s’est évadé de prison. Ils décident de se rendre à Metropolis pour aider leur ami Superman à retrouver son ennemi juré. Sur place, le duo est farouchement rejeté par Powerman, nouvel allié de l’Homme d’Acier. Batman et Robin décident de suivre discrètement cette étrange équipe tout en se remémorant leur première rencontre et alliance avec Superman, à qui ils avaient sauvé la vie.

Batman Superman

Très bonne histoire, colorée et dynamique, avec un réel double suspense (sur les origines du trio et sur l’identité de Powerman). Les cases sont très détaillées et le scénario tient bien en haleine. Il y a toujours les mêmes « défauts » propre à l’époque (détailler « oralement » ce que chaque personnage fait ou pense alors qu’on le constate sur le dessin), et les ennemis très manichéens mais, une fois encore, ce n’est pas sur cet aspect qu’il faut critiquer l’œuvre. L’amitié entre Superman et Batman (et Robin) est très forte et s’avère plus touchante que prévue (par la suite ils seront plus alliés que amis, régulièrement en désaccord ou en conflit, même s’ils œuvrent pour le Bien tous les deux). L’édito nous apprend que la réelle toute première alliance entre les deux super-héros de DC Comics a eu lieu… à la radio ! Autre anecdote amusante : la bande dessinée dévoile un Robin très doué en… couture.

1964 Detective Comics #327 : La menace du masque mystérieux (15 pages)
Scénario : John Broome | Dessin : Carmine Infantino | Encrage : Joe Giella
Bruce et Dick errent dans Gotham Village, lieu atypique de la ville, vestige du passé, menacé d’être détruit. Wayne fait partie d’une association œuvrant pour préserver le lieu ; il est pris à partie par une femme en pleurs lui reprochant cette action. Elle explique que l’endroit est envahi de criminels et que son petit ami a disparu au sein de ce Gotham Village. Cela rappelle une dernière mésaventure à Batman et Robin, durant laquelle ils furent littéralement immobilisés par une étrange force provenant d’un malfrat du même lieu.

Batman 1964

Comme le stipule l’édito, Batman a un nouveau look (concrètement le logo sur sa poitrine change) et la patte graphique de l’époque évolue énormément. En effet, l’encrage devient plus sec, donc plus fin et rend le tout plus réaliste (plus moderne au moment des faits). L’histoire (en deux parties) reflète aussi, sommairement, des bouleversements sociaux inspirés du réel. On constate aussi un riche vocabulaire pour narrer les aventures de l’homme chauve-souris et son acolyte, ce qui est très plaisant (car on tend aujourd’hui, malheureusement, de plus en plus vers une « simplification » de langage dans beaucoup d’œuvres dites populaires, aussi bien dans certains comics donc, que des dessins animés ou films —d’une manière générale ce qu’on pense, à tort évidemment, uniquement destiné aux enfants et adolescents— cela contraste avec la pluralité des mots employés plusieurs décennies auparavant et qui formaient une solide base de connaissances et de culture, de l’éducation en somme). Ce bilan prévaut également pour les chapitres antérieurs, évidemment, et se prolongera encore de nombreuses années tout de même, heureusement.

L’ennemi, bien qu’anecdotique, utilise une science poussée pour manipuler à distance les deux héros, on reste dans un registre plutôt réaliste ; ce qui est plaisant. L’idée d’une BatCave pour criminels est excellente et mériterait d’être reprise et plus aboutie. Pour le reste, Batman et Robin se débarrassent aisément à mains nues d’une trentaine d’hommes armées… Le Chevalier Noir les gardera en joue avec un pistolet, élément plutôt inattendu que regrettera le superviseur éditorial de l’époque.

1967 Detective Comics #359 : Les débuts fracassants de Batgirl (16 pages)
Scénario : Gardner Fox | Dessin : Carmine Infantino | Encrage : Sid Greene
Barbara Gordon passe sa première nuit en tant que Batgirl à affronter Killer Moth qui venait tout juste d’agresser Bruce Wayne. L’homme costumé en mite rackette tous les millionnaires de Gotham City. La jeune femme croise alors Batman qui la somme d’arrêter de jouer les super-héroïne. Mais Killer Moth, qui a réussi à s’échapper, n’a pas dit son dernier mot.

Batgirl

Entrée explosive pour Batgirl, premier personnage féminin au potentiel « fort » (même si Vicky Vale était déjà présente, la fille de Gordon est, à l’inverse, une super-héroïne) qui apportera une bonne fraîcheur au titre, et permettra au Dynamique Duo de devenir le Terrific Trio. L’histoire en soi n’est pas exceptionnelle, faute à un ennemi de troisième ordre plutôt ridicule, mais à découvrir de nos jours sous le prisme d’une nouvelle grille de lecture est intéressant. En effet, plusieurs années après, c’est l’ouvrage Batgirl – Année Un qui sera considéré comme les origines « officielles » de la jolie rousse. Et dans ce récit, c’est à nouveau Killer Moth qui sera mis en avant (accompagné de Firefly) mais d’une façon nettement plus plausible et passionnante. Toujours dans cet Année Un, les auteurs ont pioché grandement dans les origines de 1967 (celles-ci donc) en les réadaptant et modernisant un peu, évidemment.

Rien de très « original », même si l’apparition d’une nouvelle alliée l’est déjà à la base, mais tout est très classique et convenu finalement. Une fois encore, il était inutile de s’entacher d’un scénario plus compliqué pour l’époque, donc ce n’est pas un gros défaut en soi et puis, à l’instar des premiers pas de Batman puis de Robin, il s’agit là de LA première apparition de Batgirl, c’est donc à découvrir, forcément ! On notera au passage de jolies figures de style, parfois à consonance poétiques et, hélas, bon nombre de jeu de mots ridicules de Robin, ou d’expressions laissant dubitatif (« Nom d’une interférence ! », sans doute calquée sur la série animée de l’époque).

TROISIÈME PARTIE – CRÉATURE DE LA NUIT
[quatre récits et trois éditos]
– Âge de bronze des comics –

1970 • Detective Comics #395 : Le secret des sépultures vacantes (16 pages)
Scénario : Dennis O’Neil | Dessin : Neal Adams | Encrage : Dick Giordano
Bruce Wayne est convié à une soirée mondaine, au Mexique pour une étrange soirée, au cœur d’un cimetière. Très vite, un invité manque de se faire assassiner et le couple d’hôte paraît très étrange. Obligé de revêtir sa cape, Batman enquête.

Batman Adams ONeil

Flirtant avec le fantastique et annonçant les prémices de Ra’s al Ghul (il sera officiellement créé un an et demi après par le même duo mythique d’auteurs), cette courte histoire amorce le virage nettement plus noir dans l’univers du Dark Knight. Aussi bien graphiquement parlant que scénaristiquement. Les planches sont belles, très belles, plus du tout colorées, froides et sombres. Le changement par rapport aux deux âges précédents est d’emblée radical, d’autant plus que le travail d’O’Neil et Adams évoluera davantage dans une veine (paradoxalement au style fantastique) nettement plus réaliste en imposant des problèmes plus complexes, des intrigues mieux ficelées et, surtout, un côté feuilleton en imaginant des chapitres à lire à la suite et plus en « one-shot ». Le début d’une nouvelle ère donc. Peut-être pas le meilleur exemple pour l’illustrer (Batman au Mexique, seul, dans un récit un peu hors norme — une volonté du scénariste pour changer un peu des précédents récits), mais clairement une page se tourne et on se rapproche, lentement mais sûrement, de la figure de Batman que l’on connaît mieux aujourd’hui (dont le point d’orgue sera assuré avec The Dark Knight Returns de Frank Miller, à l’issue de cet âge de bronze des comics).

1974  Detective Comics #442 : La mort rôde dans les cieux (11 pages)
Scénario : Archie Goodwin | Dessin : Alex Toth
Batman combat de mystérieuses personnes à bord d’avions de combat. S’il s’en sort de justesse après un premier round, il devra lui-même prendre la voix des airs, épaulée par la fille d’un célèbre pilote, qui est mort des années plus tôt et dont les anciens « amis » semblent vouloir en découdre avec elle.

Batman Alex Toth

Une curieuse et courte histoire, sortant totalement des classiques enquêtes de Batman. Si le découpage plutôt original des planches, avec la notion de verticalité et chute aérienne oblige, s’avère réjouissant, l’ensemble demeure plutôt confus et sans intérêt. Ce chapitre a sans doute été sélectionné car il est le seul qu’Alex Toth a dessiné sur le Chevalier Noir, œuvrant habituellement et avec succès sur Green Lantern. Une sorte d’hommage déguisé donc, mais clairement passable.

1977 • Detective Comics #474 : Ricochet de Deadshot (17 pages)
Scénario : Steve Englehart | Dessin : Marshall Rogers | Encrage : Terry Austin
Le Pingouin est arrêté et son voisin de cellule, Deadshot, s’évade de prison. Batman essaie de convaincre, en vain, Ruper Thorne, homme politique qui a décrété hors-la-loi le Dark Knight. Thorne reçoit même un avertissement du « fantôme » d’Hugo Strange. En plus de tout ceci, Bruce Wayne a bien du mal à cacher son identité secrète à sa compagne Silver St. Cloud.

Deadshot 1977

Difficile de plonger dans cette histoire tant les références à des intrigues annexes précédentes sont mises en place. C’est la « révolution » de l’époque qui veut ça puisqu’on s’habituera de plus en plus à des chapitres qui se succèdent et commencent à former des arcs narratifs. Il est donc judicieux de lire l’introduction d’Urban Comics qui resitue le contexte de l’histoire pour ne pas être trop perdu. Malheureusement, ce récit s’intercale difficilement en tant que lecture unique puisqu’on aurait aimé connaître les numéros d’avant évidemment, mais aussi la suite puisque tout reste plus ou moins en suspens ; excepté le personnage de Deadshot, finalement très secondaire malgré le titre. L’ennemi est loin de la représentation qu’on avait pu se faire avec le titre sorti onze plus tard : La Cible de Deadshot, nettement supérieur et plus convaincant dans la psyché de cet antagoniste puissant. Malgré tout, on constate à nouveau une nette évolution graphique et scénaristique avec des inspirations beaucoup plus modernes, « adultes » et sérieuses.

1980 • DC Special Series #21 : On recherche : le Père Noël… mort ou vif ! (10 pages)
Scénario : Dennis O’Neil | Dessin : Frank Miller | Encrage : Steve Mitchell
Lors d’une nuit de Noël, Batman doit déjouer un casse. Il a en effet appris qu’un bateau était amarré exprès pour attendre une livraison provenant d’un vol qui doit avoir lieu le soir même.

Batman Miller 1980

Première histoire de Batman dessinée par Frank Miller, alors âgé de vingt-trois ans seulement. Son style est encore (très) loin de celui auquel on l’identifiera aisément des années plus tard mais l’ensemble est plutôt de bonne qualité. Une histoire un peu courte et convenue, rien d’exceptionnel dans le scénario, pourtant signé par Dennis O’Neil. Toutefois, c’est à nouveau une évolution vers un côté plus sombre, un personnage manque de se faire tuer, il n’y a pas d’humour, etc. À découvrir pour le tandem d’artistes. On suppose qu’à l’instar du chapitre de Toth, celui-ci n’a été retenu que pour le prestigieux nom de son auteur.

QUATRIÈME PARTIE – CHEVALIER NOIR
[cinq récits & cinq éditos]
– Âge moderne des comics –

1987 Detective Comics #574 : Mon commencement, et ma probable fin. (22 pages)
Scénario : Mike W. Barr | Dessin : Alan Davis) | Encrage : Paul Neary
Batman ramène Robin (Jason Todd), sévèrement blessé, en urgence dans la clinique de Leslie Thompkins, fidèle alliée et mère adoptive de Bruce après la mort de ses parents. L’occasion de se remémorer les tragiques origines du jeune homme ainsi que son parcours universitaire.

Leslie Thompkins

Le docteur Leslie Thompkins avait été introduit par Dennis O’Neil en 1974 dans There’s no Hope in Crime Alley (étonnamment absent de cette anthologie) avant de devenir plus récurrent. Ici, c’est l’occasion de moderniser les origines de Batman, de le voir épaulé dès sa jeunesse par cette femme forte et de lire leur conflit sur la manière d’œuvrer pour « le Bien ». On y découvre un Chevalier Noir presque sans espoir, tenant un discours contraire à ses convictions premières. Extrêmement bien dessinée (clairement en avance sur son temps), cette histoire est très convaincante, voire indispensable pour mieux saisir le reflet de l’époque — réel et éditorial — un an avant la mort de Jason Todd. Les flash-backs aux teintes chaudes dénotent avec le récit « présent » et cette utilisation des couleurs pertinente n’est pas sans rappelée quelques chefs-d’œuvres du genre (Killing Joke notamment…). On notera aussi la pagination s’étendant désormais à vingt-deux planches.

1991 Detective Comics #633 : Crise d’identité (22 pages)
Scénario : Peter Milligan | Dessin : Tom Mandrake
Bruce Wayne se réveille dans l’eau d’un fleuve et rentre au Manoir en essayant de se souvenir de la veille mais impossible. Alfred le trouve même très étrange, pour cause : Bruce clame qu’il y a une BatCave et qu’il est Batman. Son majordome lui explique que c’est faux et que le vrai Batman est actuellement en ville, que son maître n’a jamais été le justicier nocturne.

No Batman

Une histoire traitant la thématique sur le conflit interne entre Bruce et son alter-ego (dans la veine de ce que Killing Joke et Arkham Asylum proposaient peu de temps avant, en plus court et moins bon, mais tout de même). Brillamment écrit, dessiné dans un style proche des bandes dessinées franco-belges réalistes de l’époque (XIII par exemple), ce petit récit est passionnant. Même si sa fin peut décevoir, nous avons là un nouvel exemple de l’évolution plus dramatique, psychologique de Batman. À cette époque, les comics sur le Dark Knight sont très sombres et ont déjà changé la donne (Killing Joke précédemment cité, mais aussi la mort de Jason Todd, sans oublier la chute dans Knightfall, etc.). Une bonne surprise donc.

L’introduction éditoriale nous apprend —sans avoir de lien avec le chapitre publié— que le personnage d’Anarky, créé peu avant, avait été imaginé comme un nouveau Robin par ses créateur Alan Grant (scénariste) et Norm Breyfogle (dessinateur).

1997 Detective Comics #711 : Permission de minuit (21 pages)
Scénario : Chuck Dixon | Dessin : Graham Nolan | Encrage : Cam Smith
Un hold-up a lieu dans une supérette où Bruce Wayne faisait une course nocturne pour sa compagne. Il feint être faible pour appréhendé les deux malfrats. Il se rend ensuite à une soirée distinguée et reconnaît parmi les invités des hors-la loi.

BRUCE

Malgré le talentueux tandem d’auteurs (Dixon et Nolan sont responsables de la grande saga Knightfall, bien qu’inégale et trop longue, elle est restée « culte » par bien des aspects), cette courte histoire n’est guère passionnante. Il est toujours plaisant de voir Bruce Wayne en civil, mais hélas, en plus de l’ensemble très prévisible et convenu, les dessins manquent de clarté dans les traits car la colorisation ne leur rend pas hommage. À priori on est dans les premiers pas de pleine assistance par ordinateur pour cette fonction si particulière. À l’instar de nombreux comics des mêmes années, les couleurs enlaidissent énormément les planches ; d’autant plus que bon nombre de cases comportes des fonds unis. On peut déceler une surimpression d’ombre et de « noir » dans quelques-unes d’elles (sauf s’il s’agit d’un défaut de publication). Comme pour le court récit du binôme légendaire O’Neil/Adams, il s’agit ici d’un autre duo d’artistes reconnus (moins cultes, évidemment) qui déçoit.

2001 Detective Comics #757 : Prendre l’air (22 pages)
Scénario : Greg Rucka | Dessin : Rick Burchett | Encrage : Rodney Ramos
Tandis que Batman poursuit en Batmobile des criminels venant de tuer des policiers, la voiture de ceux-ci cause un accident qui entraîne la chute d’un véhicule d’une famille d’une falaise et s’enfonce dans l’eau. Le Chevalier Noir ne le remarque pas lors de sa course, prêt à tout pour arrêter les bandits.

Batman Rucka

Greg Rucka a créé la série Gotham Central et est connu pour développer le côté le plus humain chez ses personnages, souvent féminins. Il ne déroge pas à la règle ici, en quelques cases et coups de crayons de son acolyte, l’empathie surgit pour les victimes, mortes ou non, et est plus ambigu concernant le Chevalier Noir (qui a l’air de prendre « plaisir » dans son combat, tout en tenant un discours plutôt nihiliste). Deux couleurs seulement prédominent l’ensemble des planches : le violet et le vert. On pourrait croire le Sphinx derrière tout cela puisque ce sont ses penchants visuels mais pas du tout. Le résultat est très beau, graphiquement un peu hors-norme du coup et même si la fin est plutôt prévisible, on passe un bon moment de lecture (trop court, évidemment). On constate de façon plus distincte dans ce récit une évolution majeure dans l’univers des comics et surtout de Batman : les blocs narratifs anonymes omniprésents ont disparu (principalement durant cet âge moderne) pour faire place à des monologues plus internes, par conséquent plus efficaces et immersifs.

2006 Detective Comics #821 : Les belles gens (22 pages)
Scénario : Paul Dini | Dessin : J.H. Williams III
Une jeune femme dite de la « Haute Société » se fait agresser par un voyou qui savait pertinemment qui elle était. Ce n’est pas la première fois que cette situation arrive, Batman part donc enquêter en endossant son costard de Bruce Wayne et en se rendant à diverses soirées mondaines.

Bruce Dini Williams

Paul Dini est célèbre pour avoir supervisé la série d’animation de Batman de 1992. Il scénarisera plusieurs comics sur le Caped Crusader, dont l’ensemble rassemblé en trois tome dans Paul Dini présente Batman (contenant notamment le retour de Silence). L’histoire qu’il propose ici prend place après les nombreuses grandes sagas qui duraient des années (Knightfall, No Man’s Land, Jeux de Guerre et Infinite Crisis, pour n’évoquer que celles publiées en France) et après que Bruce Wayne, totalement paranoïaque, se soit absenté un an pour mettre son éternel croisade de côté et réapprendre à vivre. Un contexte nécessaire de rappeler (et très bien expliqué par Urban Comics) pour mieux resituer la situation du héros dans la longue chronologie de ses sept décennies d’aventures.

Ce magnifique chapitre (et histoire plutôt bien ficelée et captivante) est dessinée de main de maître par J.H. Williams III, qui œuvre sur Batman de temps à autre mais surtout sur la série Batwoman. L’artiste, dont le style est très fin, élégant et réaliste tout en ayant un côté léché et très maîtrisé, se plaît à casser les codes graphiques habituelles du découpage des cases pour proposer des planches inédites et originales, s’étalant parfois sur de superbes doubles pages. Le tout est coloré avec brio par John Kalisz qui séduit immédiatement par son habile utilisation des teintes chaudes ou froides, promettant une ambiance nocturne ou plus chaleureuse en un clin d’œil. (L’image d’illustration ne rend pas assez hommage à l’ensemble, puisqu’on découvre durant tout le récit plusieurs techniques et rendus différents, mais toujours classes et agréables.) À noter également, le retour de Robin, plutôt absent après l’âge d’argent, sous les traits cette fois de Timothy Drake, troisième jeune prodige. Il s’agit très certainement de la meilleure histoire de l’ouvrage.

CINQUIÈME PARTIE – RENAISSANCE
[deux récits & un édito]
– Relaunch DC Comics / NEW 52 –

2012 Batman & Robin Annual #1 : Batman Impossible (38 pages)
Scénario : Peter J. Tomasi | Dessin : Ardian Syaf | Encrage : Vicente Cifuentes
Damian Wayne impose un jeu de piste à son père en le faisant voyager dans des pays où les propres parents de Bruce se sont rendus. La démarche du fils turbulent est touchante mais le Chevalier Noir n’apprécie guère de laisser Gotham « seule » et de ne pas savoir où se trouve son nouveau Robin.

Damian Annual

C’est un excellent récit (au format annual, donc près d’une quarantaine de pages), qui sera republié dans Batman & Robin : Tome 03 – Batman Impossible. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le reste de la même série, tout au moins savoir les nouvelles bases relancées avec le personnage de Damian (et donc, connaître dans les grandes lignes le run de Morrison, qui écrira pendant sept années une véritable mythologie du Dark Knight en proposant une aventure reprenant les codes de chaque grand âge des comics et en créant donc un fils au célèbre détective). Ce chapitre est touchant, avec une pointe de légèreté et d’onirisme, tout ce qu’il faut pour apporter un peu de légèreté dans un univers déjà très sombre depuis quelques temps. Critique plus détaillée et contextualisée sur le lien du troisième tome.

2013 Batman #21 : L’An Zéro : Cité Secrète (1ère partie) (21 pages)
Scénario : Scott Snyder | Dessin : Greg Capullo | Encrage : Danny Miki
Gotham City est devenue une jungle urbaine, où pousse la végétation et la loi n’existe plus. Dans ce paysage improbable, surgit Batman à moto, nouvel héros d’une cité secrète. Cinq mois plus tôt : le gang des Red Hood enchaîne les hold-up ; Bruce Wayne s’est infiltré parmi eux, il décide d’agir en tant que justicier.

Batman Zero Year Moto

Ce chapitre, bien que très réussi, est un peu à part dans cette anthologie puisqu’il ne peut clairement pas se lire en stand-alone. Ce n’est pas une histoire unique, elle servait de bonus et de « bande-annonce » avant la réelle publication en France qui aura lieu quelques mois plus tard dans Batman Saga #23 avant d’être regroupé avec sa suite dans le quatrième tome de la saga Batman : L’An Zéro (première partie). La critique complète est donc à découvrir dans l’article dédié. Néanmoins, cela montre -montrait- l’actuel « présent » en terme d’évolution. Nous étions arrivés à un stade graphique époustouflant grâce au travail de Greg Capullo et un renouveau scénaristique de Scott Snyder (finalement peu impacté par le Relaunch DC Comics), qui considère la ville de Gotham comme personnage à part et modernise les origines du Dark Knight, plus de trente ans après celle de Frank Miller (dans Année Un).

Cette anthologie est donc un must-have pour tous les fans de Batman, débutants ou non. Pourtant on pourrait déplorer un choix d’histoires « inégales » (si tant bien que ce mot n’est pas forcément pertinent pour couvrir près de 75 ans de publications) qui brille évidemment par l’absence des ennemis emblématiques du Dark Knight (par la suite, Urban Comics a publié une anthologie sur les Vilains de DC Comics et une sur le Joker — toutes deux se complétant aussi avec celle sur le DC Univers). Étrange donc de lire des aventures du Caped Crusader sans le voir face à ses éternels rivaux. Mais on s’y fait, cela change, et finalement ce n’est pas plus mal, même si peut-être moins passionnant dans certains récits.

La seconde déception se trouve dans le choix de comics issus de la période de l’âge de bronze (clairement la moins bonne), pourtant la plus propice en terme d’évolution et de changements parfois radicaux, qui s’avère assez pauvre en histoires réellement captivantes. Mais la mise en avant de Bruce Wayne (et non de Batman) sur toute la deuxième moitié du recueil est judicieuse car rarement explorée, même si elle est peut-être peu « efficace » dans l’exercice d’une compilation de courts récits uniques indépendants.

Passé ces « mauvais points », tout le reste est indéniablement extrêmement intéressant ! D’une part pour suivre l’évolution d’un mythe sur trois quart d’un siècle. Changements sociaux et adaptations, styles et inspirations, l’on ne peut que constater cette montée en « puissance » du Chevalier Noir pour être devenu celui qu’on connaît aujourd’hui. D’autre part, ce matériel complètement inédit est une mine d’or pour les novices ou les lecteurs de longue date. Enfin, le travail éditorial, très détaillé et accessible, est une autre raison d’acheter cette anthologie. Idéale pour commencer sa collection et sa plongée dans l’univers du Dark Knight, ou bien tout simplement pour la compléter, mais clairement indispensable, malgré les quelques fautes observées.

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