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Suicide Squad – Get Joker !

Une prestigieuse équipe artistique (Brian Azzarello à l’écriture, Alex Maleev au dessin), un récit complet, une publication dans le Black Label… Suicide Squad – Get Joker ! partait avec beaucoup de qualités pour devenir un titre au pire singulier et une curiosité à lire, au mieux une future référence culte et incontournable. Malheureusement, après une excellente introduction, la fiction se vautre dans un exercice vulgaire et peu passionnant. Critique et explications.

[Résumé de l’éditeur]
Chargée de mettre un terme à la série de cadavres laissés dans le sillage du Clown Prince du Crime, la Suicide Squad d’Amanda Waller doit traquer le plus grand ennemi de Batman dans l’espoir de le mettre six pieds sous terre, une bonne fois pour toute. Par devoir, mais surtout par vengeance, l’ancien jeune prodige de Batman, Jason Todd, accepte de mener cette bande de criminels sur le terrain et de ne surtout faire confiance à personne. Et surtout pas à Harley Quinn

[Début de l’histoire]
Jason Todd
, alias Red Hood, est en prison. Amanda Waller lui rend visite et lui propose une vengeance idéale : tuer le Joker via une mission d’une nouvelle équipe de Suicide Squad.

L’ancien Robin accepte et prend donc la tête d’une bande de mercenaires atypiques composés d’autres prisonniers, méta-humains ou non, et bien sûr d’Harley Quinn, l’ancienne compagne du célèbre Clown Prince du Crime…

[Critique]
Quel dommage ! Le début de Suicide Squad – Get Joker ! est palpitant mais sa suite et fin particulièrement moyenne pour ne pas dire ratée (et décevante selon les attentes bien sûr). En trois chapitres (d’une cinquantaine de pages chacun), le récit va à l’essentiel : exposition (premier chapitre), action (deuxième), rebondissements et conclusion (troisième). Pas de temps mort donc, de quoi survoler l’entièreté de ses nombreux protagonistes à l’exception de Todd.

En effet, Jason Todd devient le leader d’une nouvelle équipe dirigée par Amanda Waller. Une énième Suicide Squad avec un objectif bien précis : tuer une bonne fois pour toute le Joker. Qui de mieux placé que l’ancien Robin assassiné par le célèbre Clown pour mener cette mission ? C’est sur cette idée originale (et étonnamment jamais proposée auparavant) que le scénariste Brian Azzarello invite son lectorat à assister à une succession d’action par une équipe atypique : Firefly, Silver Banshee, Pebbles, Miou Miou (! – Meow Meow en VO, Miaou Miaou aurait été plus adapté en français), Plastique, Wild Dog, Y es-tu (!! – Yonder Man en VO) et Harley Quinn. En somme, des méta-humains, mercenaires ou criminels de seconde voire troisième zone (à noter que Pebbles et Miou Miou sont des créations pour la bande dessinée).

Azzarello a déjà écrit pour Batman avec plus ou moins de réussite. On lui doit l’excellent Joker et sa très moyenne suite Damned. L’auteur avait également signé les sympathiques Cité brisée (et autres histoires…). Chez DC Comics, il s’est illustré sur l’excellente série 100 Bullets (disponible en cinq tomes intégrales) et plusieurs segments d’Hellblazer/Constantine. Son style cru et incisif, usant parfois gratuitement d’une certaine vulgarité ne fonctionne pas toujours. Get Joker ! n’y fait pas exception puisque les membres de la Suicide Squad sont assez grossiers et insultants. « On est baisés. » ou « J’te baise ! » reviennent plusieurs fois, y compris dans la bouche du Joker. Étrangement, d’autres termes vulgaires sont édulcorés dans leur traduction (« fuck/fucked/fuck you, pussies… »).

Tous ces mots fleuris n’apportent rien à la fiction, si deux ou trois font mouche, ils sont vite trop nombreux et on s’en lasse. C’est quelque chose qui fonctionne mieux au cinéma ou en série qu’en lecture concrète (romans ou bandes dessinées). Azzarello corrèle sa fiction à des faits réels, en évoquant l’attaque du Capitole par un des membres de la Suicide Squad et la suspicion envers les élites (médiatiques et politiques) à travers un personnage banalement « complotiste » sans aucune nuance (« on nous ment » / « on est oppressé »). Là aussi ça a du mal à prendre alors qu’il y avait des choses pertinentes à tirer de cette volonté d’encrer le récit dans une forme de populisme « séduisante ». Mais le traitement enchaîne les clichés et la réflexion n’est pas développée…

Si l’on comprend tout ce qui se déroule durant les trois épisodes, les deux derniers sont nettement moins bien écrits que le premier, qui emportait d’emblée le lecteur dans ce qui s’annonçait comme une aventure fascinante et fracassante. Impossible de ne pas penser à l’excellent film The Suicide Squad de James Gunn en voyant les membres d’autres teams de Suicide Squad ainsi que la façon dont ils sont mis en scène. Les mêmes costumes et look déstabilisent d’ailleurs – faut-il inclure ce comic book dans le canon des films ? Dans le prolongement du diptyque Joker/Damned ? Car si les connexions sont peu nombreuses, la scène de pole dance d’Harley Quinn fait écho à ces autres créations d’Azzarello. Quinn est très peu vêtue dans la seconde moitié du titre (pour une raison qui se « justifie » au début mais n’est pas très intéressante et aurait dû s’arrêter un moment).

Le look (et même « le caractère ») du Joker n’aide pas non plus. Taciturne, peu souriant, crâne rasé avec une crête et habillé comme Alex dans le film Orange Mécanique (les « droogies » sont mêmes nommés explicitement), on a du mal à avoir de l’empathie pour le célèbre Clown, rappelant un peu celui de La Guerre des Rires et des Énigmes – déjà peu apprécié. C’est aussi dans la seconde partie de Get Joker ! qu’on perd en fluidité de lecture, davantage cryptique, manquant d’une certaine synergie, en plus de la traduction étrange de la vulgarité et des noms de protagonistes (cf. exemples plus haut).

De la même manière, les dessins d’Alex Maleev sont de moins en moins bien… En effet, à l’instar du scénario, le début est particulièrement soigné, bien encré et colorisé, avec plusieurs détails en fond de cases et des visages expressifs. Plus on avance dans la BD, moins on a de décors et un côté brouillon ressort de l’ensemble. Quelques traits peu expressifs pour croquer des visages, un aplat de couleur en guise d’arrière-plan, etc. Un peu comme Jock lorsqu’il n’est pas en forme, cf. Le Batman Qui Rit. Heureusement, la colorisation assurée par Matt Hollingsworth accentue l’ambiance lugubre du titre, rappelant le même travail de l’artiste sur des titres récents comme White Knight et sa suite, ou des plus anciens comme Catwoman – Le Dernier Braquage. Il y a même une petite vibe Sean Murphy entre les traits de Maleev couplés aux couleur d’Hollingsworth – qui officie donc sur les créations de Murphy.

En synthèse, côté histoire, l’équipe de Suicide Squad court après un Joker peu empathique avant de s’allier avec lui puis tout se termine dans des affrontements soudains, pas forcément lisibles et une conclusion assez frustrante puisqu’on ne sait pas si le Joker a été tué ou non… Beaucoup de bonnes idées se succèdent mais aucune n’est exploitée correctement pour rendre le titre incontournable. L’ambiance graphique confère une patte singulière au comic mais s’avère beaucoup trop hétérogène pour être réussite. Il manque donc une constance visuelle dans les visages ou les poses iconiques pour avoir un équilibre entre le scénario bancal et les dessins qui, in fine, le sont aussi. Difficile donc de conseiller le titre, à la traduction parfois étrange aussi (c’est suffisamment rare pour être souligné – le traducteur n’étant pas un régulier chez Urban, ceci explique peut-être cela), peut-être pour les amoureux de Jason Todd ou les férus d’Azzarello…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le
Contient : Suicide Squad : Get Joker #1-3

Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Alex Maleev
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :  (17€)

       

  

Batman : Le Chevalier Noir – Tome 2 (réédition intégrale)

Urban Comics réédite depuis 2018 certaines de leurs séries en compilant en moyenne deux à trois « tomes simples » en un seul, proposant ainsi un nombre réduit de livres (deux à quatre) pour avoir une série complète. C’est le cas de Batman : Le Chevalier Noir, une série initialement divisée en quatre « tomes simples » (Terreurs Nocturnes, Cycle de Violence, Folie Furieuse et De l’Argile) et republiée en 2019 sous forme d’intégrale en deux volumes (comprenant évidemment les deux premiers « tomes simples » pour l’un, les deux derniers pour l’autre). Le premier a fait l’objet d’une critique ici et le second est chroniqué ici. La série s’inscrit plus ou moins en suite du one-shot La Nouvelle Aube (plutôt moyen) mais nul besoin de connaître cette histoire pour découvrir Batman : Le Chevalier Noir.

Le sommaire propose les récits des anciennes éditions, centrés respectivement sur Le Chapelier Fou, Gueule d’Argile, Le Pingouin et Manbat :
Folie Furieuse [Batman : The Dark Knight #16-21 + Annual #1]
De l’Argile [Batman : The Dark Knight #22-25]
Sans voix [Batman : The Dark Knight #26-27]
Bestial [Batman : The Dark Knight #28-29]
L’absence des 4 chapitres bonus sur les ennemis de Batman est tout à fait normal car ils sont totalement déconnectés de l’ensemble et faisaient partie du « Vilains Month ». Il s’agissait des épisodes #23.1 (Le Ventriloque), #23.2 (M. Freeze), #23.3 (Gueule d’Argile) et #23.4 (La fille du Joker) et avaient été chroniqués cet article. Voir tout en bas de cette page pour plus d’explications.

 
(Les couvertures des deux « tomes simples », Folie Furieuse et De l’Argile — publiés en France en juin 2014 et août 2016 — aujourd’hui plus en stock et donc réédités sous forme d’intégrale.)

[Histoire – Folie Furieuse]
Plusieurs kidnappings sans connexions apparentes ont lieu dans Gotham. Le Chevalier Noir enquête et poursuit des malfaiteurs… Il comprend assez tôt que le Chapelier Fou est derrière tout ceci, mais dans quel but ? Il peut contrôler à distance toutes les personnes qui portent ses chapeaux, de quoi lui créer une armée docile et complice facilement…

Dans le civil, Bruce Wayne enchaîne les erreurs dans sa relation avec Natalya, ayant du mal à jongler avec sa double-vie. La femme risque de le quitter pour de bon.

[Critique]
Après avoir dévoilé une partie de l’enfance et des traumatismes de l’Épouvantail dans la seconde moitié du tome précédent (la meilleure) place à la même chose pour le Chapelier Fou. Où l’on apprend qu’enfant il avait une déficience en testostérone et qu’un médicament censé le guérir a développé « une agressivité accrue, un aspect obsessionnel et de la paranoïa ». Sans surprise, une romance avortée avec une certaine Alice a également pesé dans la balance de son destin.

Placer Jervis Tetch au centre du récit est une bonne idée, clairement, car cet antagoniste se fait plutôt rare dans les aventures de Batman, ou bien il est souvent relégué dans un rôle très secondaire voire dans des apparitions éclairs. Cela se comprend car le personnage est prisonnier de sa matrice identitaire : une version maléfique du célèbre chapelier d’Alice au pays des merveilles, qui contrôle mentalement les gens et… qui veut souvent (et « simplement ») recréer des scènes issus du classique littéraire de Lewis Caroll. Aussi bien dans les comics que les dessins animés, ou encore les jeux vidéo, il est rare que le Chapelier Fou s’éloigne de ces trois aspects. Ce qui en fait à la fois sa force (les premières fois ça fonctionne, ou bien quand il y a une certaine originalité dans ce développement — on pense par exemple à Arkham Knight, dernier opus de la saga Arkham, et notamment le niveau bonus La Saison de l’Infamie) et sa faiblesse (on a quand même vite fait le tour, on apprend rien de nouveau à chaque fois même si le voyage reste plaisant s’il y est bien mis en scène, comprendre écrit et croqué).

La narration fonctionne, entre autres, grâce à un humour particulier (jeux de mots ridicules et situations absurdes) mélangé à des séquences particulièrement macabres (on retrouve, en fin de la bande dessinée, ce qui faisait le sel de l’histoire sur l’Épouvantail). Hélas, on se perd un peu dans les versions imaginaires et réelles des protagonistes — c’est le but certes, mais ce n’est pas très fascinant, au contraire — et, surtout, on devine rapidement ce qu’il va se passer. D’un côté l’avancement du Chapelier et son armée de citoyens manipulés à distance (un élément de fiction toujours aussi « faible » en terme de crédibilité et « facile » pour s’octroyer aisément une forte main d’œuvre — donc un point toujours dommageable, que ce soit dans le cas du Chapelier (qui a systématiquement recours à cela) ou d’autres ennemis de Batman), de l’autre l’évolution de la relation de Bruce et Natalya.

A l’instar du tome précédent, on n’y croit absolument pas. Ce personnage féminin a été introduit bien tardivement et on peine à s’y attacher ; de même on a du mal à trouver crédible cette arrivée soudaine dans la vie du milliardaire et cet amour excessif qu’il lui porte (en étant prêt à raccrocher la cape pour elle !). Ce souci d’écriture n’est pas lié à ce tome en particulier mais au travail général sur toute la série, il aurait été plus judicieux de l’introduire dès le début (à la place de la mystérieuse fille lapin qui a disparu et ne reviendra plus) et de développer au fil des épisodes une véritable liaison. L’issue tragique de la jeune femme n’émeut pas plus que ça, était assez prévisible et sert juste à relancer (faiblement) le scénario.

Celui-ci est désormais signé Gregg Hurwitz et les dessins sont de Ethan Van Sciver (#16 à #18) et Szymon Kudranski (#19 à #21 + Annual #1, aka l’interlude — qui propose une jonction cohérente avec le tome précédent un soir d’Halloween mais reste assez oubliable, in fine) ; les couleurs de Hi-Fi. Le premier propose un style graphique assez classique mais efficace : traits fins, découpage dynamique, colorisation cohérente avec des compositions et travail de la lumière agréable… Un côté « mainstream » pas du tout déplaisant mais peut-être trop commun pour vraiment sortir du lot. Le second, en revanche, a clairement une « patte » artistique, proche d’un Jock (Sombre Reflet), avec ses traits anguleux et ses jeux d’ombre. L’ensemble apporte clairement une touche singulière fort appréciable !

Un sans-faute donc côté graphisme et des soucis sur l’écriture, relatif à un personnage « conceptuel » qui peine à se renouveler mais qui n’avait jamais été, paradoxalement, aussi bien modernisé, fouillé et enrichi. Il faut bien sûr ajouter l’élément (secondaire) loupé du scénario pour justifier le problème majeur de l’histoire : la relation entre Bruce et Natalya, dans laquelle le lecteur se sent aussi peu investi que Bruce.

[Histoire – De l’Argile]
Lors d’une prise d’otage, le commissaire Gordon intervient pour s’échanger contre un prisonnier. Le policier tue ensuite les ravisseurs avant de s’en prendre à Batman ! Gueule d’argile se cache bien entendu derrière Gordon et l’ennemi du Chevalier Noir prend aussi l’apparence de Natalya pour déstabiliser le justicier. Comment a-t-il su qu’il y avait un rapport entre les deux ?

[Critique]
Gregg Hurwitz écrit à nouveau cette suite (ainsi que les deux histoires suivantes, cela conserve une certaine cohérence). Alex Maleev s’occupe des dessins, avec une ambiance polar et glauque efficace.

C’est évidemment au tour de Gueule d’Argile d’avoir droit à ses flash-backs contant les origines du monstre. Rarement mis en avant (même si le personnage jouit d’une nouvelle popularité depuis la série Detective Comics Rebirth — et qu’on ne peut que conseiller le double épisode qui lui est consacrée dans la série animée de 1992), il est plutôt bien croqué (narrativement et graphiquement). On y apprend que l’acteur raté a hérité d’une substance argileuse, source du pouvoir de transformation, par… le Pingouin. Qui devient donc son créancier.

Quelques connexions discrètes avec la série Batman (et son tome 6 notamment), la présence du chien Titus (surtout vu dans la série Batman & Robin), et des apparitions de deux membres des Birds of Prey de l’époque : Condor et Black Canary. De quoi élargir un peu l’univers du Caped Crusader dans cette série, très centrée sur Batman et ses ennemis. Du reste, ce segment sur Gueule d’Argile est dans la continuité des deux précédents : simple, efficace, divertissante, bien dessinée. Si on est peu exigeant, pas de raisons de ne pas accrocher.

[Histoire – Sans voix]
Dans un pays inconnu et visiblement du tiers-monde, une femme perd son travail. Elle vit démunie avec sa mère et ses deux enfants mais ne peut subvenir à leurs besoins. Sont dernier né meurt. Son autre fille se fait enlever. La famille converge vers Gotham dans les entrepôts du Pingouin

[Critique]
Comme son titre l’indique plus ou moins, Sans voix ne contient aucun dialogue ! C’est le tour de force de ces deux chapitres, qui se « lisent » (ou plutôt se regardent) sans avoir besoin de texte. Cela rappelle un excellent épisode de Requiem, lorsque Batman est en deuil et où le scénariste avait usé du même effet. Ici, l’ensemble est efficace, même s’il reste anecdotique mais met en avant la cruauté du Pingouin et, comme toujours dans la série, une certaine violence excessive. Hurwitz poursuit donc son traitement anglé sur un ennemi emblématique du Chevalier Noir mais dessiné, cette fois, par Alberto Ponticelli qui instaure un style réaliste qui se marie bien avec cette idée de dialogue absent.

[Histoire – Bestial]
Man-Bat
est de retour, plus violent que jamais. Les soupçons de Batman se portent évidemment sur Kirk Langstorm mais il s’avère que c’est son père, Abraham, qui utilise désormais le sérum le transformant en chauve-souris géante.

[Critique]
À l’instar de l’épisode précédent, deux chapitres sont bien trop courts pour vraiment marquer les mémoires. Dommage car l’aura de ce nouvel antagoniste est plutôt puissante et effrayante. Pourquoi pas l’utiliser plus tard pleinement qu’ici en légère introduction… Hurwitz achève ainsi son petit run, cette fois dessiné par Ethan Van Sciver (qui s’occupait de l’histoire sur le Chapelier Fou) qui réussit à dévoiler un monstre bourré de détails.

> Conclusion (à propos de l’entièreté de la série qui fut annulé au bout de 29 chapitres).

Quatre tomes simples inégaux (le meilleur est le deuxième, puis le troisième, le quatrième et enfin le premier) et donc deux intégrales inégales aussi, chacune comptant un bon segment et un autre plus moyen. Difficile de conseiller l’achat du coup. Rien de révolutionnaire dans Le Chevalier Noir si ce n’est l’accent mis sur des ennemis normalement secondaires. D’un point de vue éditorial, on peut s’étonner que cette série ne fut pas incruster dans les magazines kiosque de Batman à l’époque, elle y aurait davantage eut sa place plutôt que de bénéficier du prestige de librairie directement. Mais il en faut pour tous les goûts, et il est vrai que le côté « divertissement violent simpliste » séduit forcément une cible, habituée ou non aux aventures du Caped Crusader. Même si Greg Hurwitz n’est pas un nom très connu ou qui fait vendre, on aurait plutôt imaginé une saga type « Greg Hurwitz présente… » et un enchaînement de 6 petits volumes (L’Épouvantail en deux parties, idem pour Le Chapelier Fou, puis un pour Gueule d’Argile et un dernier pour le Pingouin — dont il avait déjà signé le one-shot La Splendeur du Pingouin — et Man-Bat). Ou bien carrément un intégrale sur cela (un peu comme ici certes, mais sans la première histoire, déconnectée des autres et indéniablement la plus faible).

> Complément : à propos des 4 chapitres « 23 » bonus.

Comme évoqué en haut de l’article, 4 chapitres bonus centrés sur les ennemis de Batman (déconnectés de la série) faisaient partie du « Vilains Month ». Il s’agissait des épisodes #23.1 (Le Ventriloque), #23.2 (M. Freeze), #23.3 (Gueule d’Argile) et #23.4 (La fille du Joker) et ont été chroniqués dans cet article.

23.1 Le Ventriloque n’a pas été publié en France. Le récit est centrée sur Shauna la ventriloque et Ferdie son étrange pantin, qui proposent un spectacle à Gotham, dans un des rares lieux avec de l’électricité. Confus et très étrange, ce chapitre se poursuit dans la série Batgirl…

23.2 Mr Freeze a été publié dans le magazine Forever Evil #06. L’ennemi de glace profite du chaos régnant à Gotham pour régler de vieux comptes avec un ancien docteur d’Arkham. Son passé et ses motivations sont également évoqués, faisant écho au récit Batman : Annual #1 – Premières Neiges, publié dans Batman Saga #10.

23.3 Gueule d’Argile a été publié dans Batman Saga Hors-Série #05 et est complètement anecdotique, le récit De l’argile présent dans le second intégrale rend mieux hommage au personnage.

23.4 La fille du Joker a été publié en France dans le quatrième tome de la série Catwoman. Cette « fille » du Joker ne l’est pas vraiment, elle a juste récupéré son fameux masque de visage (voir Le Deuil de la Famille) et l’a endossé. Ancienne adolescente aux goûts morbides, elle sombre davantage dans la folie avec ce visage. Elle trouve refuge dans une grotte et va essayer de se l’approprier car de nombreux habitants sont descendus y vivre vu le chaos dans Gotham. Malheureusement il y a une hiérarchie machiste qui y règne. Cette « Fille du Joker » reviendra dans le chapitre #24 de la série Catwoman.

[À propos]

Publié en France chez Urban Comics le 11 octobre 2019

Scénario : Gregg Hurwitch
Dessins : Ethan Van Sciver, Szymon Kudranski, Alex Maleev et Alberto Ponticelli.
Encrage : Divers
Couleur : Hi-Fi

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No Man’s Land – Tome 01

No Man’s Land est une longue saga constituée de plusieurs livres : le volume unique Cataclysme, qui en était l’introduction, puis le récit « principal » No Man’s Land en six tomes et, enfin, New Gotham en trois volumes. Voir la page récapitulative si besoin.
Afin d’établir des résumés et critiques plus visibles qu’un gros bloc de texte reprenant l’ensemble de l’ouvrage, les (petites) histoires qui le composent sont bien distinguées et séparées entre elles. Le résumé est en italique sous le titre et la critique est précédée d’une petite flèche.

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Ni Loi ni Ordre
scénario : Bob Gale | dessin : Alex Maleev
Batman : No Man’s Land #1 | Batman : Shadow of the Bat #83 | Batman #563 | Detective Comics #730

Gotham City a été déclaré no man’s land : personne n’y entre, personne n’y sort. Trois mois après cet état de fait décrété par le gouvernement, les rues sont peuplées des plus pauvres et démunis, ceux qui n’ont pas pu (ou voulu) sortir de Gotham à temps. Les gangs et les criminels se partagent ainsi les zones et la police essaie tant bien que mal d’assurer un semblant de sécurité pour le peu de citoyens restant. Quant à Batman, il semble avoir disparu depuis le début de cette transition… (1) Les denrées sont rares, aussi bien les vivres que les vêtements, certains en font un commerce juteux, comme Le Pingouin, d’autres monnayent ou volent ce qu’ils peuvent. Peu avant le décret no man’s land, le directeur d’Arkham avait libéré tous ses patients, qui errent donc dans Gotham City, en prenant possession de territoires.

Batman No Mans Land Gordon

► Excellente introduction, extrêmement noire et redistribuant toutes les cartes des comics habituels de Batman, ce premier segment (en quatre chapitres) plonge directement le lecteur dans ce nouveau statut quo inédit. On y suit principalement Barbara Gordon et, surtout, son père. Oracle a habilement réussi à établir un réseau de communicants et Gordon en veut profondément à Batman de les avoir abandonnés. Le commissaire, habituel gardien de la morale, change du tout au tout ici, prêt à contourner la loi car celle-ci n’existe plus dans Gotham City. Ce qui ravit Bullock et Petit, un de ses agents très extrémiste mais dont les décisions, radicales, ne sont pas totalement reniées par l’ensemble du GCPD (ni approuvées pour autant). C’est là l’une des forces de l’écriture de Ni Loi ni Ordre : sans garde-fou de la civilisation, comment régenter un minimum la population restante ? Un exemple très concret s’appuie sur une guerre des gangs, habilement coordonnée par Gordon lui-même (il voulait user d’un graffiti – marque d’appartenance d’un lieu désormais – pour lancer les hostilités entre deux gangs rivaux, là où Petit a carrément tué trois de ses membres pour provoquer les autres). Une fois les deux équipes exténués et affaiblies, le GCPD reprend le contrôle du territoire (leur ancien commissariat) et ne sait que faire des prisonniers. Gordon les autorise à partir, espérant que d’autres criminels se chargeront d’eux. Il clame que s’ils reviennent, la peine de mort sera appliquée. Petit surprend tout le monde en en tuant un au hasard pour « montrer l’exemple ». Gordon le réprimande mais est incapable de dire que son officier a mal agi ou que c’était une mauvaise idée…

C’est toute cette ambiguïté morale qui se joue dans les planches. Et c’est assez fascinant. Le retour de Batman est assez prévisible, ainsi qu’une autre super-héroïne revêtant sa cape et son emblème (là encore, Batman n’approuve pas mais ne désapprouve pas non plus). Les raisons de son absence lui sont personnels mais elles devront être abordées ultérieurement. Au-delà du mystère de sa disparition (qui est un élément narratif intéressant en soi), il est un peu dommage qu’Urban ait fait l’impasse sur la jonction manquante entre Cataclysme (qui était lui-même une introduction à la saga No Man’s Land) et ce premier tome.

Batman No Mans Land Map Carte

(1) En effet, on apprend en avant-propos que Bruce Wayne tenta d’user de son poids financier et politique pour demander au niveau fédéral une aide conséquente, mais celle-ci fut refusé. Pendant ce temps, les habitants de Gotham fuyaient les ruines de leur ancienne cité et les haines et tensions furent attisées par Nicolas Scratch, une rock-star au pouvoir hypnotique surhumain. Scratch réussit à convaincre le gouvernement d’ordonner une mise en quarantaine de Gotham, déclarée No Man’s Land. Et depuis, plus personne n’a aperçu la silhouette de l’Homme Chauve-Souris…

Résultat : il y a une petite dizaine de numéros manquants de la série Batman (par exemple), qui auraient peut-être renforcé le contexte. Il n’est pas impossible d’en faire un « numéro zéro » un jour ou bien, et c’est sans doute le cas, l’ensemble n’était éditorialement parlant pas très bon et ne justifiait pas une publication. Il n’y en a évidemment pas besoin pour comprendre le récit, mais on passe d’une situation à la fin de Cataclysme à une autre au début de No Man’s Land qui est tout de même très différente.

Batman No Mans Land Batgirl

Du reste, l’on pense très fortement au film The Dark Knight Rises (dont Nolan avait avoué s’être inspiré de No Man’s Land et de Knightfall), avec cette anarchie régnant sur Gotham City et chacun vivant sous le joug d’un criminel ou dans la peur et, surtout, au jeu vidéo Arkham City. Dans ce dernier, une portion de Gotham était devenue synonyme de prison géante où chaque ancien prisonnier ou fou faisait ce qu’il voulait. Une fois encore, chaque antagoniste prenait les rennes d’un territoire et Batman agissait pour remettre de l’ordre dans tout ça.

En synthèse : ces premiers chapitres sont une bonne entrée matière, écrit par Bob Gale en grande forme et dessiné par Alex Maleev, au style soigné, agréable et élégant, malgré toute la noirceur du propos mais aussi de la « géographie ».

Le Diable tout en bas
scénario : Dennis O’Neil | dessin : Roger Robinson
Azrael : Agent of the Bat #52

Azrael rejoint Gotham City en se cachant dans un bateau, avec une citoyenne qui veut retrouver sa fille dans la ville en ruine. L’ancien Batman (cf. Knightfall) poursuit également Scratch, qui agit dans le No Man’s Land en toute impunité…

Batman No Mans Land Azrael

► Anecdotique de prime abord, cette très brève incursion (un seul chapitre) avec le chevalier déchu de l’Ordre de St. Dumas n’a qu’un double intérêt : introduire Scratch (qui est apparu pour la première fois avant cette histoire — cf. l’avant-propos du tome recopié un peu plus haut) et renouer avec Azrael. Ce n’est pas forcément passionnant mais montre un autre justicier dans ce Gotham en ruines. À l’évidence, ce sont les chapitres suivants cet arc narratif qu’il faudrait lire « d’une traite » pour l’apprécier davantage.

La Peur de la Foi
scénario : Devin Grayson | dessin : Dale Eaglesham
Batman : Legends of the Dark Knight #116 | Batman : Shadow of the Bat #84 | Batman #564 | Detective Comics #731

Le père Christian refuse farouchement d’être protégé par le GCPD et ouvre son église à tous les pauvres, égarés et immigrés se présentant à lui. Une aubaine pour l’Épouvantail qui décide d’infiltrer le lieu. De son côté, Batman offre une seconde chance à un sbire de Black Mask en le plaçant au même endroit. Mickey, l’ancien truand, se rachète comme il peut dans ce nouveau rôle. Mais Huntress reste sceptique aux engagements de Crane (et Mickey), Gordon craint pour la sécurité du lieu et le Pingouin souhaite même y cacher des armes…

 No Mans Land Huntress Batman

► À nouveau, les quatre chapitres composant cette histoire sont aussi réussis que Ni Loi ni Ordre. C’est à peu près la formule qui est appliquée mais d’une façon différente : la moralité est mise à toute épreuve et sous un prisme religieux cette fois. Avec, en plus, le droit à la seconde chance, à la réinsertion et, bien évidemment « la peur de la foi », alliant aussi bien la thématique cher à l’Épouvantail et celle au cœur du sujet avec un homme d’église en plein dilemme. À l’instar de Cataclysme, le personnage le plus intéressant est Huntress, qui continue d’évoluer en tant que justicière mais ne répondant pas forcément aux mêmes codes moraux que Batman (même si elle apparaît ici nettement plus « sage »). Mickey est extrêmement touchant et mériterait de devenir un personnage secondaire régulier.

No Mans Land Epouvantail

Les planches sont soignées et le look de l’Épouvantail très réussi, la patte de Dale Eaglesham résonne le style des années 90 tout en se dirigeant vers une certaine modernité à l’épreuve du temps. Seule la fin, peut-être pas assez noire, tranche un peu avec le reste, sous haute tension et captivant.

Du pain et des jeux
scénario : Ian Edginton | dessin : D’Israeli
Batman : Legends of the Dark Knight #117 | Batman : Shadow of the Bat #85

Batman veut mettre fin aux trafics en tout genre du Pingouin. Pour cela, il décide d’affronter seul ses sbires durant un spectacle organisé par le mafieux. En substance, l’idée est aussi que la population (re)prenne conscience que Batman veille et que ses ennemis doivent le craindre.

Batman Pingouin No Mans Land

► Étape cruciale du retour de Batman : réaffirmer sa légende, acclimater la peur, apprendre à nouveau aux malfrats « qui est le plus fort ». Les codes ont changé, le Chevalier Noir se livre tel un gladiateur dans l’arène du Pingouin avec un but bien précis. La dernière case renforce, d’une certaine manière, la folie du Dark Knight. L’autre figure féminine justicière sans nom actuellement revêtant un masque cachant son visage et arborant fièrement le logo de Batman (une nouvelle Batgirl ?) continue d’apparaître (on imagine qu’elle sera prochainement au centre d’un récit).

Seuls bémols de ces deux chapitres : les dessins et l’encrage. Un style parfois un brin cartoony avec des traits gras, des fonds de case noirs, etc. L’ensemble ne prend pas forcément mais on retient un dialogue entre Gordon et l’homme chauve-souris (non visible) très réussi. Du reste, l’évolution « primitive » suit son cours logique : les arcs et les flèches ont remplacé les pistolets, la viande de chien s’échange au marché noir, etc.

Mosaïque
scénario : Greg Rucka | dessin : Frank Teran
Batman #564 | Detective Comics #731

Oracle doit à la fois consolider son repaire et également « accepter » qu’une nouvelle Batgirl déambule dans Gotham City avec la bénédiction de Batman lui-même. Ce dernier compte sur Double-Tour et KG Beast pour défendre le pénitencier Blackgate. Pendant ce temps, le gang de Black Mask compte bien passer à l’offensive dans la ville…

Batman No Mans Land Black Mask

► Le personnage de Barbara Gordon est bien mis en avant, tout comme son père, quasi-méconnaissable depuis le statu quo inédit de la ville. Les dessins de Frank Teran accentuent cette opportunité, tant ils sont loin des schémas « classiques ». Le côté très hors-norme, plutôt associé à des productions indépendantes habituellement, rendent l’ensemble assez poisseux et malsain, mais clairement réussis. On retrouve, de façon anecdotique, deux antagonistes de seconde zone (Double-Tour et KG Beast), aperçus dans Cataclysme et qui seront très certainement au centre d’un futur récit.

Deux pour la route
scénario : Greg Rucka | dessin : Jason Pearson
The Batman Chronicles #16

Entre le tremblement de terre et peu avant l’application concrète du No Man’s Land, l’agent Montoya a été, durant son « temps libre » à la rescousse de plusieurs citoyens en étant aidé de… Double-Face. Le criminel a en effet montré un altruisme sans faille lors de cette période, secourant bon nombre de citoyen. Mais l’agent de police n’a pas forcément confiance…

Batman No Mans Land Double Face

► Petit aparté revenant sur deux personnages secondaires important : Montoya et Double-Face. Le rapport à la confiance est à nouveau inversé : Double-Face (tout comme l’Épouvantail dans La Peur de la Foi) apparaît soudainement entièrement « bon » et dévoué. De quoi semer le doute chez le lecteur et de découvrir, pour une fois, cet ennemi sous une nouvelle face(tte).

Conclusion : À l’exception de deux/trois histoires dont les graphismes peinent à convaincre, toutes les autres, bien que foncièrement différentes dans leurs styles visuels, permettent d’enchaîner des mini-scénarios parfaitement calibrés pour passionner le lecteur. Seul celui sur Azraël est de moindre qualité mais globalement tout le tome tient parfaitement la route est s’avère presque indispensable tant les qualités sont nombreuses. La myriade de scénaristes ne pose pas de problèmes de cohérence en soi, au contraire, chacun offre un aperçu de sa vision post-apocalyptique.

Entre l’originalité de l’ensemble, le questionnement relatif à la morale, les aventures de protagonistes secondaires, ce premier tome de No Man’s Land est plus que conseillé ! Batman n’est absolument pas au premier plan, contrairement à ce que la couverture nous laisse penser — à ce sujet, les deux premiers tomes n’ont pas les plus belles couvertures contrairement aux quatre derniers. Seul réel « problème » de ce volume : on sait d’avance qu’il y en aura d’autres, au nombre de cinq. Cela peut clairement rebuter le lecteur, en terme de coût évidemment (6 x 28€ = 168€) mais aussi de crainte d’un récit indigeste et répétitif sur le long terme (effet Knightfall oblige). Pour l’instant, ce n’est absolument pas le cas et on ne peut que recommander la lecture de ce tome (l’article sera mis à jour en fonction des critiques des volumes suivants).

Page récapitulative.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le xx avril 2014
Premières publications originales en 1999.
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hungray (Studio Myrtille)
Traduction : Alex Nikolavitch
Adaptation Graphique : Willem Merloo

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Batman – No Man’s Land : Tome 01