Retour sur la grande saga Injustice (cf. index), complément du célèbre jeu vidéo éponyme. Que vaut ce premier tome (de la première série, Injustice – Les dieux sont parmi nous) ? Faut-il connaître le jeu pour le lire et l’apprécier ? Critique.
[Résumé de l’éditeur]
Manipulé par le Joker, Superman tue la mère de son enfant à naître : Lois Lane. Fou de rage, l’Homme d’Acier s’en prend directement au Clown Prince du Crime et l’arrache des mains de Batman pour lui ôter la vie. Cet assassinat de sang-froid marque le début d’une ère sombre pour les héros de la Ligue de Justice. Une ère où chacun devra choisir soigneusement son camp : rejoindre la croisade aveugle de Superman contre le crime ou entrer en rébellion aux côtés de Batman.
Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.
[Critique]
Injustice ne vole pas sa réputation élogieuse (sur le jeu vidéo et la série de comics). Beaucoup de protagonistes gravitent dans ce volume qui couvre donc « la première année » du point de bascule de Superman vers un état totalitaire (soit cinq ans avant le début du jeu). L’auteur Tom Taylor (DCEASED, Suicide Squad Renégat, Batman – La Dernière Sentinelle…) réussi un coup de maître : être à la fois original, passionnant et très « juste » dans sa gestion de l’émotion et de caractérisation des justiciers et leurs ennemis. On explique.
Au départ, il y a le Joker, lassé de perdre contre Batman, qui se tourne contre Superman. Par une habile machination il fait d’une pierre trois coups : il manipule Superman qui tue Lois Lane (!), celle-ci étant enceinte, leur enfant « succombe » aussi et… Métropolis explose, causant la mort de onze millions de personnes. Même le plus bon, le plus généreux et le plus boy scout des justiciers ne peut rester insensible face à cette tragédie. Comme évoqué plus haut, le kryptonien assassine donc le Joker.
C’est le premier domino qui va entraîner la chute d’autres personnages (alliés ou vilains) et de statu quo divers. Si ce premier meurtre est excusable selon certains vu le contexte, ce sont les actions de Clark qui vont suivre qui vont créer un véritable schisme au sein de la vaste galerie de protagonistes DC. Qui ne s’est jamais demandé pourquoi les super-héros n’intervenaient pas dans les conflits géopolitiques existants ? Taylor propose non pas d’y répondre mais carrément de les solutionner par la force de Superman.
L’homme d’acier veut en effet instaurer une ère de paix dans le monde entier grâce à sa puissance (et celle de son entourage). Pourquoi pas… Seul Batman et une poignée de héros semblent réticents ou dans l’observation. Terminé, par exemple, le conflit israélo-palestinien et de nombreux autres qui perduraient. Superman se réserve le droit d’intervenir si quelqu’un ne respecte par ses règles (somme toute basiques : pas de violence et la paix sera préservée).
Mais, on le sait, dans ce genre de situation, rien ne fonctionne comme prévu. Un petit peu comme dans Breaking Bad ou des fictions du même style. C’est un état totalitaire qui régit, lentement mais sûrement. On ferme les yeux sur une ou deux choses (une victime handicapée à vie, un nouveau meurtre…), jugées « pas graves » ou « obligatoires » pour le fameux « bien commun ». Quel prix pour maintenir la paix ? Seul Batman est clairvoyant et, même s’il accorde quelques chances à Superman, par respect pour leur amitié et leur parcour commun, le Chevalier Noir anticipe déjà le changement planétaire qui se profile.
Tom Taylor produit un travail d’écriture magistral aussi bien sur l’état des lieux changeant se profilant (par petites touches ici et là) que par des dialogues ultra efficaces. Les échanges sont percutants, que ce soit pour évoquer la tournure politique ou bien les simples états d’âme des protagonistes (mentions spéciales à Harley Quinn, Green Arrow et la Trinité). Car au-delà de la dimension terrienne et cosmique, politique et sérieuse, c’est aussi l’émotion et les décisions de chaque héros (ou ennemis) qui prédominent.
Ainsi, la perte du Joker affectera évidemment Harley avec la simple pointe d’empathie nécessaire pour rendre la complice criminelle touchante. D’autres morts surviendront ensuite (on ne les dévoilera pas ici), ajoutant également la tristesse et la « justesse » des réactions autour d’eux. Les doutes et questionnements sans fin (dans chacun des camps) sont brillamment mis en texte. Mention spéciale pour Flash qui ne cesse de remettre en cause cette façon de régner de Superman, tout en reconnaissant l’efficacité à peu près global de ce qui se trame. Sans oublier la dose parfaite d’humour de temps en temps pour apporter un brin de légèreté à un récit assez anxiogène.
D’autres personnages, habituellement plus secondaires, sont de la partie. Difficile de tous les lister pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture mais, à ce stade, très peu sont oubliés ou apparaissent à minima le temps de quelques cases. Aucun doute que certains viendront par la suite. Si l’on ne connaît pas le jeu vidéo, on ne sera absolument pas perdu. Mieux : on ignorera ce qu’il arrivera par la suite (à voir si cela sera abordé en comics).
Cela permet aussi d’être circonspect quant à l’évolution finale d’Injustice ? Comment Batman va pouvoir rétablir quoique ce soit ? Son équipe est composée majoritairement d’humains, la Bat-Famille et les Birds of Prey inclus (Catwoman, Huntress, Nightwing, Batwoman, Green Arrow, Alfred…) avec une poignée d’êtres aux pouvoirs (Black Canary, Captain Atom, Black Lightning…). Côté Superman, l’alien a embarqué Wonder Woman, Green Lantern, Cyborg, Shazam, Flash, Hawkgirl, Raven et quelques autres.
Certains changent aussi de camp en fonction de l’évolution de la situation. Damian Wayne par exemple est plus enclin à rejoindre l’homme d’acier qu’à rester avec son père. A moins que des traîtres infiltrent les camps respectifs ? Les humains ne sont pas en reste (les parents de Clark, le président des États-Unis…) et d’autres figures familières sont de la partie, même si certains demeurent à l’écart de la guerre imminent. Aquaman par exemple semble rester en retrait sous la mer dans un premier temps (mais il n’est pas oublié de la fiction, il a bien droit à un chapitre). Quelques marginaux pointent leur tête (à découvrir dans les dernières images en bas de cette critique après l’explosion de Metropolis, à regarder en toute connaissance de cause donc).
Le chapitrage peut d’ailleurs décontenancer, chacun regroupant parfois deux ou trois épisodes distincts, avec une cassure nette graphique (on y reviendra) et narrative. Comprendre que l’on passe soudainement à un autre personnage sans transition ou encore qu’on a un récapitulatif de ce qu’on vient juste de lire. Pourquoi ? Parce qu’Injustice fut d’abord publié sous forme numérique en demi-planche (c’est aussi pour cela qu’il y a peu de pleine planche et qu’on ressent une coupure parfaitement identique à chaque moitié de page régulièrement), facilitant une lecture sur tablette ou smartphone à l’époque.
De janvier 2013 à septembre 2016, le titre a donc montré les années précédant le jeu (puis un peu ce dernier apparemment) avant de revenir à l’année zéro, se déroulant évidemment juste avant la tragédie de Superman. En outre (et avant Injustice 2), un complément dédié à Harley Quinn a vu le jour (Ground Zero) pour relater son point de vue. Pour répondre à la question de l’avant-propos : il ne faut donc pas connaître le jeu vidéo pour savourer les comics (ces derniers se déroulant bien avant et ne nécessitent aucune connaissance particulière au préalable).
Entre la multiplication des pensées de chacun, le grand nombre d’évènements, le bestiaire DC Comics, on pouvait craindre un labyrinthe complexe ou inégal, il n’en est rien. Tout est traité avec grande justesse et appréciabilité. La lecture est extrêmement limpide, on est même dans un page turner version BD (initialement un roman dont on tourne les pages sans cesse pour absolument connaître la suite). La réflexion (au sens noble du mot) est de mise (responsabilité et justice, morale et loi, etc. – de quoi amener à de nombreuses analyses passionnantes !), de même que l’émotion, c’est tellement rare dans les comics. Tom Taylor signe sincèrement une œuvre captivante et généreuse ! Le scénariste met en scène un dilemme classique (de prime abord), souvent abordé mais pas foncièrement travaillé : Batman est-il responsable des victimes de ses nombreux ennemis qu’il préfère laisser en vie ? Superman a-t-il la légitimité pour imposer la paix ?
Seul point noir : une armée de dessinateurs se succèdent à tour de rôle. En vrac : Jheremy Raapack, Mike S. Miller, Bruno Redondo, Axel Gimenez, David Yardin, Tom Derenick, Diana Egea, Kevin Maguire, Neil Googe et Alejandro Gonzales, soit dix différents (et presque autant de coloristes). Certes, tous les protagonistes sont reconnaissables, bien aidé par leurs costumes emblématiques (idem pour les lieux : la Batcave, la Tour de Garde…), mais ça ne suffit pas à avoir une unité graphique. Les visages sont parfois hideux, parfois majestueux. Harley Quinn et Black Canary sont parfois hyper sexy, parfois plus « convenues ». Heureusement, la plupart des scènes d’action conservent leur dynamisme et lisibilité visuelle. Au même titre que le jeu vidéo, l’action est omniprésente, présentant de multiples combats (parfois inimaginables entre certains !) à bout de champ. Parfois cheap, parfois gore, souvent viscéral, c’est un vrai régal pour les amateurs !
On pourrait déplorer la mutation de Wonder Woman en cohésion avec Superman mais sans nuance, la transformant en guerrière au sens propre du terme. Ce n’est pas très grave mais cela peut dérouter les habitués. Attention également à la chronologie : dans les faits il ne s’écoule pas réellement une année mais surtout un bon mois ; là aussi rien d’inquiétant mais ne pas s’attendre à un arc mois par mois par épisode par exemple.
Il n’y a pas grand chose d’autres à reprocher à Injustice, c’est bien sûr un coup de cœur pour ce site, un ouvrage conseillé pour ceux aimant les elseworlds, les amoureux des grands titres DC Comics (proches des fameuses crises et même meilleurs que certaines d’entre elles) et, évidemment, un complément indispensables pour les férus du jeu vidéo éponyme !
À noter que cette première intégrale regroupe donc les tomes simples 1 et 2 de la précédente édition (quelques couvertures alternatives ne sont pas reprises dans l’intégrale). Le premier volet avait aussi bénéficié d’une publication avec le jeu vidéo inclus sur Windows. Retrouvez l’index de toute la saga Injustice sur cette page.
[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 novembre 2020.
Contient : Injustice: Gods Among Us Vol. 1 (#1-12 + Annual #1)
Nombre de pages : 432
Scénario : Tom Taylor
Dessin : Collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif
Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Christophe Semal & Laurence Hingray (Studio Myrtille)
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