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Joker – L’Homme qui cessa de rire

On avait quitté le Joker il y a pile deux ans, à la fin du troisième et dernier tome de Joker Infinite (réédité pour l’occasion en une seule intégrale le 19 août 2024). Il est de retour dans L’homme qui cessa de rire, en vente depuis le 30 août 2024, suite qui peut se lire comme un récit complet. Long, inégal, parfois surprenant et appréciable, parfois décevant et pénible, découverte et critique d’un titre à la couverture séduisante (mais éloignée du contenu graphique et scénaristique).

[Résumé de l’éditeur]
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent… L’absence du Joker à Gotham a laissé le terrain libre à ses plus fidèles rivaux, qui n’ont pas tardé à se partager le pouvoir sur les bas-fonds de la ville. Double-face, le Pingouin, le Sphinx ou encore Black Mask, aucun n’était préparé au retour du Prince Clown du Crime, et encore moins à sa vendetta. S’il ne peut pas reprendre Gotham, il prendra le contrôle des États-Unis !

[Contextualisation et introduction par Jérôme Wicky (traducteur habituel chez Urban mais qui n’a pas travaillé sur ce titre)]
Attention aux révélations des différents titres de l’ère Infinite ! Néanmoins ce texte revient très justement sur ce qu’il faut se remémorer.

Joker : l’éternel retour
Cet album nous présente le retour du Joker à Gotham, son territoire de prédilection. Mais où était-il passé depuis quelque temps ? Voici quelques clés pour s’y retrouver.

Commençons par BATMAN – JOKER WAR (collection DC Rebirth), série de trois albums [1] relatant le dernier grand coup du Clown Prince du Crime. Longtemps, le Joker a connu l’identité secrète de Batman, mais il préférait feindre l’ignorance pour obéir à sa propre fantaisie. Lorsque l’identité de Superman est révélée publiquement, le tueur livide change de paradigme et met à exécution un plan machiavélique pour s’emparer de la fortune de Bruce Wayne, alter ego de son meilleur ennemi. Le Joker peut ainsi armer et financer ses fans, de plus en plus nombreux. Ils se surnomment « les Clowns » et plongent Gotham dans une guerre civile. La saga s’achève par une confrontation entre le Joker et son ancienne amante et alliée, Harley Quinn, passée depuis du côté des anges. Harley lui tire une balle dans l’œil, mais le Joker survit et parvient à s’échapper.

[1] Voir les critiques sur ce site. L’on apprécie les deux premiers opus (tome 1 et tome 2 donc – ils n’ont pas de titres précis) et nettement moins le dernier (tome 3).

L’ombre du Joker plane sur BATMAN INFINITE (4 tomes, collection DC Infinite) [2], mais il n’y apparaît pas vraiment. On lui fait porter le chapeau d’un nouveau crime abominable, surnommé le « Jour An » par la presse: 500 pensionnaires de l’Institut Arkham pour malades mentaux (que le Joker a longtemps fréquenté) sont gazés par la fameuse toxine du Joker. Parmi les victimes figurent le célèbre colosse de Santa Prisca, Bane et Bily Sampson, membre d’une famille de richissimes cannibales texans, rejeton impie de Dallas et de Massacre à la Tronçonneuse.

[2] Là aussi, voir les critiques sur le site de cette série inégale. Les trois premiers volets se suivent (Lâches par essence, État de terreur (1ère partie), État de terreur (2ème partie), le quatrième est presque complètement indépendant (Abyss).

Le « Jour A» est la goutte d’eau qui incite l’opinion publique et les autorités, déjà éprouvées par la « guerre du Joker », à opter pour une politique sécuritaire s’opposant aux super-héros. Cette politique sera mise en œuvre par l’industriel Simon Saint, avec l’assentiment du maire Nakano, via son projet « Magistrat », et la création de cyborgs Peacekeepers voués à remplacer et à traquer la Bat-famille. Il sera plus tard révélé que Saint était associé à l’Épouvantail, ennemi de Batman passionné par l’étude de la peur. Le Chevalier Noir et ses amis triompheront de ces embûches et la situation reviendra à la normale. Pour autant, le Joker continue de manquer à l’appel.

On découvrira le fin mot de l’histoire dans JOKER INFINITE  (3 tomes, collection DC Infinite) [3]. Le Joker, qui porte désormais un œil de verre rouge suite à la blessure par arme à feu infligée par Harley, se cache au Bélize, dans une maison luxueuse fournie par « Le Réseau », société secrète offrant de tels services aux grands criminels. En guise de représailles au « Jour A », qu’il est censé avoir initié, sa planque est prise d’assaut par plusieurs ennemis : la famille Sampson, dont le patriarche veut le dévorer ; Vengeance, un clone féminin de Bane créé par le Réseau à la demande du gouvernement de Santa Prisca ; et enfin l’ex-commissaire Gordon, commandité par Cressida, fille d’un ancien membre de la Cour des Hiboux tombé en disgrâce. Ainsi débute une traque qui mènera Gordon aux trousses du Joker, de Majorque au Texas, en passant par Paris.

[3] Une fois de plus, les critiques sont disponibles pour les trois opus : La chasse au clown, Le faiseur de monstres et Du clown au menu. Comme dit en haut de cette page et curieusement omis dans ce texte de la part de l’éditeur, ces trois volumes ont été réédités en une seule intégrale (couverture à gauche – disponible pour 40 €) sortie une semaine avant Joker – L’homme qui cessa de rire. De quoi être ambigu sur le sujet et écouler les derniers stocks des tomes simples ? Bizarre… Quoiqu’il en soit, cette traque du Joker est globalement conseillée, surtout ses débuts et certains points de sa dernière ligne droite et malgré un ensemble qualitatif et graphique parfois hétérogène.

On découvre alors que Bane a feint sa propre mort et que, dans l’ombre, il a tiré les ficelles afin de provoquer le « Jour A » et faire accuser le Joker. Cressida, dont il a fait son bras droit, souhaitait également exposer au grand jour les exactions de la Cour des Hiboux et du Réseau pour venger son père et les mettre hors d’état de nuire. Elle sera finalement exécutée par le Joker, mais Gordon jurera de poursuivre son œuvre avec l’aide de son vieil ami, Harvey Bullock.

Depuis, on a revu le Joker dans l’actuelle série Batman écrite par Chip ZDARSKY, BATMAN DARK CITY. Les événements du présent album se déroulent parallèlement au tome 3 de cette série [4], dans lequel Batman se retourne contre sa Bat-famille, infligeant notamment à Jason Todd un traitement débilitant en le soumettant à une peur intense à chaque pic d’adrénaline.

L’un des thèmes récurrents de BATMAN DARK CITY est le dédoublement de Batman… et celui du Joker, qui y apparaît sous diverses formes, multipliant les personnalités. JOKER – L’HOMME QUI A CESSÉ DE RIRE s’inscrit dans la même thématique, comme vous le constaterez dès la fin du premier chapitre. Deux Jokers pour le prix d’un ? Attention, il y a de quoi s’y perdre !

[4] Pas besoin de renvoyer vers toutes les critiques de Dark City et cette mention au troisième tome ne sert qu’à justifier une seule planche en fin d’ouvrage de L’homme qui a cessé de rire (à propos de Red Hood) et, éventuellement et indirectement pourquoi Batman est peu présent.

[Début de l’histoire]
Le Joker
est de retour à Gotham, face aux bandes de Double-Face, du Sphinx et de Black Mask. Il préfère ne pas les affronter mais tue quelques prisonniers dont un homme sous une cagoule.

Cet homme survit pourtant et s’avère être le parfait sosie du Joker ! À moins qu’il s’agisse de l’originel ? Qui est ce double ?

L’autre Clown Prince du Crime décide de s’attaquer à… Lost Angeles. Tandis que le « second » Joker tâche de redevenir le pire criminel dans Gotham.

Pour Red Hood, l’occasion est trop belle pour enfin se venger de son ennemi juré !

[Critique]
Que c’est long ! Douze interminables chapitres (et leurs back-ups), sans compter les deux épisodes de Knight Terrors à la fin du livre de presque 500 pages ! Est-ce que The Man Who Stopped Laughing (son titre VO) méritait autant de pages ? Certainement pas. Le récit écrit par Matthew Rosenberg (qui a signé quelques parties de Batman Detective Infinite et Joker Infinite, justement) se perd souvent dans des morceaux narratifs guère passionnants et parfois confus (on s’y perd – volontairement a priori – entre les deux Joker, pas forcément déplaisant mais un peu pénible sur la longueur) et est trop bavard, verbeux. Il accole (surtout dans sa première moitié) des bulles de pensées narratives en complément de séquences où l’on lit des dialogues. On se surprend à feuilleter les pages et lire d’abord l’un des textes puis le suivant, preuve qu’il y a un manque de fluidité et d’intelligibilité dans ce procédé faussement complexe et, in fine, un peu inutile…

Néanmoins, il y a de bonnes choses dans ce Joker – L’homme qui cessa de rire. Tout d’abord on retrouve le célèbre némesis de Batman complètement imprévisible et violent ! Car si le Joker est un « méchant » d’anthologie, ce qui le démarque dans bien des cas et sa cruauté et son côté inattendu. Il veut tuer un homme de main sur un coup de tête ? Un civil ? Un simple passant ? Un journaliste ? Allez c’est parti ! C’est fortement appréciable de revoir cette figure du Mal renouer avec cette véritable folie. Et, comme dit plus haut, vu qu’il y a deux Jokers on en a carrément deux fois plus ainsi !

En outre, le parcours croisé des deux Jokers (jusqu’à leur confrontation et l’explication finale) est plutôt haletant même s’il aurait pu être raccourci. L’un virevolte avec des personnages de seconde zone, l’autre s’allie avec Solomon Grundy et se tape avec Killer Croc. N’en dévoilons pas trop mais partez du principe que les figures emblématiques habituelles de la mythologie du Chevalier Noir, fièrement mises en avant dans le résumé de quatrième de couverture, n’apparaissent pas (à l’exception des trois nommés dans le début de l’histoire et de façon très éphémère). Il en est de même pour Batman, totalement absent de l’aventure. Seul Red Hood occupe une place de choix et, à ce sujet, ses fans devraient y trouver leur compte, tant la quête de vengeance de Jason Todd se poursuit encore de façon plus intense ici.

Malgré tout, Joker – L’homme qui cessa de rire déçoit dans sa conclusion sur « l’identité » du second Joker : une énième idée bordélique et improbable qui aura – peut-être – des répercussions dans la sacro-sainte continuité. Au moins il y a une explication, on craignait qu’il n’y ait rien du tout après tout ce temps passé à lire les déboires respectifs des Jokers et après un contenu fortement inégal. La faute aussi à un rythme de lecture complètement cassé par des back-ups inutiles. Chacun d’entre eux se déroule après un épisode et propose une petite histoire sur le Joker avec deux de ses hommes de main – qui meurent presque systématiquement. L’on y suit un Joker amoureux (de différentes femmes héroïnes !) ou partiellement démuni. C’est amusant au début, une fois, deux fois… avant d’être lassant et gâchant complètement l’harmonie scénaristique. Pire : l’on pouvait croire y déceler des explications sur le fameux double du Joker à plusieurs reprises (multivers ? clone ? sosie ?) mais il n’en est rien.

Un conseil donc : pourquoi pas lire tous ces back-ups avant ou après l’histoire principale ? Notons que le dernier est directement incrusté dans un chapitre, faisant office d’une bande dessinée lue par un enfant puis par le Joker (mais, encore une fois, ça n’a aucun impact sur l’œuvre globale). En lisant « à la suite » les simples douze épisodes de L’homme qui cessa de rire, on devrait les apprécier davantage. Mais est-ce que cela vaut 40 € ? Honnêtement non… Débat toujours délicat (et subjectif) que celui du rapport à l’argent par rapport à la qualité d’un livre (et son nombre de pages parfois).

Heureusement, les dessins de Carmine Di Giandomenico (vu et apprécié dans Batman – The Knight), mis en couleur par Arif Prianto, offrent une solide proposition graphique (et complètement homogène tout au long de la fiction – un sacré point fort !) qui épouse plutôt bien le récit quand celui-ci est dans ses meilleurs segments. Il y a de l’action, du mystère, de l’humour (noir), des choses relativement singulières (le Joker à Los Angeles !), des personnages secondaires plutôt inhabituels (Kate Spencer/Manhunter…) – cf. dernière image de cette critique, qui en dévoile un petit peu, attention donc si vous descendez pour les voir, un texte averti avant – et quelques autres bons éléments.

Malheureusement ils sont mal dosés, mal équilibrés et racontent, in fine, quelque chose de bordélique (à l’image du Joker), partiellement pertinent. Les back-ups sont majoritairement de Francesco Francavilla (Sombre Reflet, Joker Infinite…) aux dessins et à la colorisation (remplacé deux fois par Will Robson / Hi-Fi avec Ryan Cady à la co-écriture toujours avec Rosenberg) et offrent aussi de jolies séquences visuelles très psychédéliques mais, comme dit juste avant, sans grand intérêt en marge de l’arc principal.

En somme, si on avait juste eu les épisodes principaux sans rien d’autres pour 25 € environ (peut-être un peu plus ou un peu moins), on aurait conseillé Joker – L’homme qui cessa de rire. Pour 40 €, on a plutôt tendance à conseiller un emprunt en médiathèque, d’autant que si le titre « révolutionne » (toutes proportions gardées) le Joker, dans l’immédiat cela semble moins marquant (et prenant) que d’autres avant lui (incluant les plus clivants comme Trois Jokers – qui explorait aussi cette idée de plusieurs Jokers mais d’une façon totalement différente et pas forcément « bonne » pour autant). Ajoutons la très chouette galerie habituelle des couvertures alternatives en clôture du volume qui vaut aussi le coup.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 30 août 2024.
Contient : Joker The Man Who Stopped Laughing #1-12 + Knight Terrors : Joker #1-2
Nombre de pages : 488

Scénario : Matthew Rosenberg, Ryan Cady
Dessin & encrage : Carmine Di Giandomenico, Francesco Francavilla, Will Robson, Stefano Raffaele (Knight Terrors)
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Nick Filardi, Hi-Fi

Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Tess Brunet et Roy Lorine)

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Attention, l’image ci-dessous révèle certaines choses de la fin de l’histoire.

Batman White Knight – Génération Joker

La saga White Knight (aussi appelé le MurphyVerse – cf. index à venir prochainement) se poursuit avec un cinquième volume qui se concentre sur Jackie et Bryce, les jumeaux de Harley Quinn. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
Lorsque, Bryce et Jackie, les jumeaux du Joker et de Harley Quinn s’enfuient dans une Batmobile volée, seul l’hologramme de Jack Napier, a un espoir de les ramener chez eux sains et saufs et de les tenir à l’écart des séides du Joker. Mais le crime n’est pas la seule tentation à laquelle ils vont être confrontés : les enfants découvrent un secret qui pourrait ramener leur père à la vie pour de bon ! Arriveront-ils à faire revivre le plus grand ennemi du Chevalier Noir ?

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
À l’instar de l’opus White Knight centré sur Harley Quinn (déjà écrit par Katana Collins), celui sur Bryce et Jackie, les enfants d’Harley et Jack, prolonge chronologiquement l’entièreté de cet univers créé par Sean Murphy. Si le volume se concentre bien évidemment sur les jumeaux, il avance doucement quelques pions/personnages en vu de la suite de l’ensemble (légère révélation qui n’en est pas une si vous avez lu Beyond the White Knight : la conclusion de l’ouvrage introduit un personnage phare de l’univers de Superman, l’homme d’acier étant la promesse du prochain segment de White Knight, tout se recoupe donc en ce sens). Alors, qu’est-ce que vaut ce Generation Joker ?

Et bien… c’est une lecture rapide, plaisante et bien rythmée (l’entièreté de l’action s’étale sur une poignée d’heures) mais peut-être moins prenante et convaincante que les précédents volumes (ceux de Sean Murphy ou celui de Collins). Le pitch est simplement une course contre la montre pour retrouver les enfants fugueurs et éventuellement les sauver de différents dangers, à commencer par l’influence potentiellement néfaste de leur géniteur. Les personnages, principalement Bryce et Jackie donc, sont moins caractérisés et nuancés que leur parent, qui avaient eu droit à des moments soignées (principalement dans White Knight et dans le tome sur Quinn), ce qui est un peu dommage. La relation avec Jack Napier est complètement tirée par les cheveux et rejoint un des défauts de Beyond the White Knight : il s’agit d’un hologramme produit par une intelligence artificielle. Accepté cet élément mi science-fiction, mi facilité narrative, on suit un road-trip mouvementé où l’on croise plusieurs figures familières de Batman.

Ainsi, une poignée de vilains mythiques (la fille du Ventriloque et Scarface, Freeze, Poison Ivy…) et d’antagonistes propres au MurphyVerse (la Neo Joker entre autres) rivalisent avec la famille Quinzel et quelques versions singulières des créations de Murphy : Diana Ring et John Stewart en agents du FBI (Wonder Woman et Green Lantern normalement) ainsi que… Wally West ! Ce dernier mentionne d’ailleurs que Central City n’a jamais eu de super-héros, instaurant là l’idée que Flash n’existe pas (encore) et que seulement Batman opère dans ce monde. De quoi régaler les puristes de cet univers si atypique.

Côté écriture et narration, l’intrigue suit un chemin assez balisé, pas inintéressant pour autant mais manquant d’une certaine audace voire originalité qui faisait le sel des débuts de White Knight. C’est davantage un prolongement, voire une parenthèse, sympathique qu’une lecture indispensable dans la saga (à l’inverse du volet sur Harley Quinn qui, lui, ajoutait considérablement de choses pour se révéler aussi bien passionnant qu’incontournable, même meilleur que Curse of the White Knight à l’époque).

Côté dessin, Mirka Andolfo avait déjà signé quelques segments chez DC (Wonder Woman, Teen Titans, American Vampire…) et Marvel (Ms. Marvel, Extreme Venomverse…) mais est surtout connue pour des titres plus indépendants comme Ange et Démon, Mercy ou Sweet Paprika.  L’artiste promulgue à merveille un style entre celui de Sean Murphy et de Matteo Scalera (qui avait œuvré sur l’opus sur Quinn), c’est donc un quasi sans faute en terme de cohérence graphique de l’univers, d’autant plus que les découpages déstructurés apportent une certaine fantaisie à l’ensemble. On peut déplorer quelques séquences d’action un peu trop statiques en revanche ou des visages pas forcément expressifs mais c’est du chipotage. Au global, il n’y a pas grand chose à reprocher à la partie visuelle de Generation Joker. (En revanche, difficile d’adhérer au choix de couverture en noir et blanc d’Urban Comics tant celle-ci reflète peu l’ouvrage et, surtout, que de nombreuses autres auraient été plus judicieuses mais cela relève d’une certaine subjectivité.)

On aurait aimé apprécier davantage ce tome, auquel il manque à la fois un petit grain de folie propre au Joker ou davantage d’humanité (voire de mélancolie) qui fonctionnaient à merveille dans le premier White Knight et dans celui sur Harleen. La barre étant placé assez haut dans cette mythologie, on est donc un peu plus exigeant que la moyenne (c’est peut-être un tort) mais pour le prix (17 € les six épisodes et les bonus), peu de risque d’être trop frustré par cette histoire. S’aventurer de nouveau dans le MurphyVerse reste appréciable et on a surtout hâte de voir où vont nous mener les auteurs !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 mai 2024.
Contient : Batman White Knight : Generation Joker #1-6
Nombre de pages : 168

Scénario : Katana Collins, Clay McCormack (sur une idée originale de Katana Collins et Sean Murphy)
Dessin & encrage : Mirka Andolfo
Couleur : Alejandro Sanchez

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

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Batman White Knight – Génération Joker [édition noir et blanc] (24 €)


Batman – Europa

Batman et le Joker en Europe (incluant Paris), servie par une équipe talentueuse dont quelques grands noms (entre autres, Brian Azzarello et Jim Lee), voilà qui est alléchant ! Étonnamment, ce court récit (quatre chapitres) n’a été publié qu’en magazine (Batman Récit Complet #8), donc dans un format souple/kiosque et pas en librairie. Il a pourtant bénéficié d’une édition en couverture dure dans la collection Eaglemoss (seul moyen de l’avoir dans ce format). Critique et explications.


(Couvertures du magazine, de la version Eaglemoss et de la VO.)

[Résumé de l’éditeur]
Voir l’Europe et mourir. Épuisé après un combat contre Killer Croc, Batman fait un rapide examen médical à l’issue duquel il apprend qu’il a été empoisonné. Remontant la piste des maigres indices qui lui sont accessibles, il retrouve le Joker. Pensant dans un premier temps que le Clown du Crime est le coupable, il découvre avec effarement que ce dernier est lui aussi atteint du même mal : quelqu’un cherche à éliminer le héros et son adversaire. Ensemble, le Chevalier Noir et son ennemi juré entament une tournée des grandes villes européennes, de Berlin à Prague, de Paris à Rome, à la poursuite de leur assassin.

(Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, cela est déjà largement suffisant.)

[Critique]
Annoncé dès 2005 puis repoussé à 2011 avant d’être enfin publié fin 2015 aux États-Unis (les comics furent datés de janvier à avril 2016 – avant d’arriver deux ans et demi plus tard chez nous), Batman – Europa résulte d’un atypique cheminement éditorial ; comme l’explique Urban Comics en introduction. Projet né de multiples rencontres au milieu des années 2000, Batman – Europa associe les talents d’auteurs venus de différents pays. Le dessinateur Jim Lee et le scénariste Brian Azzarello, tous deux Américains (États-Uniens ndr), sont rejoints par le scénariste italien Matteo Casali et par trois dessinateurs, Giuseppe Camuncoli venu d’Italie, Diego Latorre en provenance d’Espagne et Gérald Parel originaire de France.

Camuncoli est en charge du découpage des quatre chapitres et des dessins du deuxième (Prague), là où Lee officie sur le premier épisode (Berlin) – l’on apprend d’ailleurs que le célèbre dessinateur doit son amitié à Casali et Camuncoli lors d’un long séjour en Italie dans les années 2000, où les premières pierres d’Europa furent posées lors de conversations, avant qu’Azzarello rejoigne le projet des années plus tard. Étonnamment, Latorre signe le troisième chapitre (Paris) et Parel le dernier (Rome). On aurait pu penser que chaque artiste traiterait d’une ville liée à son pays mais ce n’est pas le cas (et ce n’est clairement pas grave). Chacun appose son style singulier (mention spéciale pour Latorre) voire y dresse une passerelle en reprenant les mêmes planches (Lee et Parel) ; mais avant d’évoquer ces élégants dessins, que vaut cet Europa ?

On est clairement dans une histoire assez « simpliste » (et on le répète : ce n’est pas un défaut) avec une enquête bien rythmée bien qu’un peu confuse. Si l’investigation emmène Batman et le Joker en Europe, elle aurait très bien pu se dérouler à Gotham que ça n’aurait pas changé grand chose. C’est un simple prétexte à croquer quelques lieux géographiques cultes. Cela reste plaisant et change malgré tout des habituelles quartiers malfamés de Gotham. Les indices menant d’une ville d’Europe à une autre sont un peu « forcés » mais, une fois de plus, on ferme les yeux sur cela pour profiter du voyage.

En parallèle du dépaysement (géographique et… graphique !), on retrouve un thème récurrent dans la mythologie du Chevalier Noir : la vie de Batman est intrinsèquement connectée à celle de son ennemi juré. Si le Dark Detective a souvent été « accusé » d’être le créateur de ses vilains emblématiques, incluant le célèbre Clown, ici les deux doivent collaborer et former un duo inédit s’ils veulent survivre. C’est l’une des originalités de la fiction, qui replace l’alchimie du binôme au cœur de l’histoire.

En se concentrant sur Batman et le Joker, les deux auteurs (Matteo Casali et Brian Azzarello) délaissent les figures communes habituelles du Caped Crusader (à l’exception de Killer Croc, Alfred et le mystérieux responsable du virus). Là aussi ça fonctionne plutôt bien, Europa restant particulièrement accessible (comprendre : s’affranchissant de l’encombrante continuité et chronologie habituelle) et bénéficiant d’une intrigue menant le lecteur en haleine (malgré sa résolution mitigée). La bande dessinée a beau tenté de soigner son récit, il manque un ou deux chapitres pour prendre un peu le temps de souffler ou d’expliciter différemment la cabale (qui permet, à minima, de sublimer les bâtiments les plus connus et nobles de l’Europe).

C’est finalement avec son parti pris graphique que Batman – Europa sort son épingle du jeu. Les artistes sont tous en très bonne forme et emmènent le Chevalier Noir dans un voyage visuel et chromatique détonnant. On démarre avec Jim Lee qui « s’encre » lui-même, de façon très épurée – c’est le cas de le dire, puisque ses crayonnés sont directement mis en couleur – gommant ainsi l’aspect « comic book » habituel du dessinateur (Batman – Silence…). Ses traits fins et détaillés permettent au coloriste Alex Sinclair de livrer des planches somptueuses, moins « mainstream » qu’à l’accoutumée.

Giuseppe Camuncoli s’occupe ensuite de tout (en plus d’officier les découpages de l’entièreté du livre), imposant une touche graphique également en marge, proche des tons pastels et proposant des séquences nocturnes élégantes mais aussi des batailles diurnes contre des robots assez surréalistes. Place après à Diego Latorre qui vaut le détour à lui seul. Il illustre (dessine, encre, colorise) tout le segment de notre capital en s’inspirant du style de Bill Sienkiewicz et Dave McKean (L’Asile d’Arkham…). Brillant. Magnifique. Cauchemardesque.

Gérald Parel (lui aussi à l’œuvre sur tous les aspects) conclut le titre avec une patte là encore différente – mais ne gâchant jamais la compréhension visuelle globale. Poursuivant l’approche « indépendante » du chapitre précédent, Parel signe des cases sublimes, aux peintures âpres, parfois sensiblement réalistes… Il se réapproprie même le début de la BD (croquée par Jim Lee) avec son aquarelle, sur quelques pages (voir ci-dessous).


Batman – Europa est donc une semi-curiosité, qui vaut le détour par sa belle galerie de planches/dessinateurs et son scénario simple mais efficace. Un brin trop court et à l’exécution trop rapide, c’est pourtant un petit coup de cœur étrangement trop méconnu. Il faut dire que la révélation finale abrupte et étrange laisse un goût amer (et on retient souvent la conclusion d’une œuvre plutôt que tout ce qui l’a précédée). Une lecture conseillée pour ses dessins et le tandem Batman/Joker (rien de nouveau sur les échanges entre les deux et les quelques réflexions habituelles qui en découlent) que pour son enquête et son côté « carte postale »/voyage touristique. Malgré tout, voir Batman en Europe ici est nettement mieux réussi que dans La Dernière Sentinelle (sorti en France en 2022).

Entre les multiples couvertures alternatives (dont celle de Latorre sur Paris, cf. bas de cette critique) pouvant servis de bonus et les critiques globalement positives, il est étrange que Batman – Europa ne soit pas sorti en librairie. Comme dit en début d’article, il a été pourtant inclus dans la collection Eaglemoss, donc avec une couverture en « dur » (cas unique pour les comics Batman en France d’Urban Comics). Il reste heureusement aisément accessible en occasion à prix correct (moins de dix euros – et à ce tarif, il serait dommage de passer à côté !) comme à l’époque de sa mise en vente (5,90 € seulement) ; à moins que l’éditeur ne décide de le proposer dans une luxueuse édition dans un avenir proche ?

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 31 août 2018.
Contient : Batman Europa #1-4

Scénario : Matteo Casali et Brian Azzarello
Dessin : Jim Lee, Giuseppe Camuncoli, Diego Latorre et Gérald Parel
Encrage et couleur : les mêmes (sauf Alex Sinclair pour la couleur du premier chapitre)

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Stphan Boschat (Studio Makma)

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