Archives de catégorie : La Galerie des Vilains

Suicide Squad – Get Joker !

Une prestigieuse équipe artistique (Brian Azzarello à l’écriture, Alex Maleev au dessin), un récit complet, une publication dans le Black Label… Suicide Squad – Get Joker ! partait avec beaucoup de qualités pour devenir un titre au pire singulier et une curiosité à lire, au mieux une future référence culte et incontournable. Malheureusement, après une excellente introduction, la fiction se vautre dans un exercice vulgaire et peu passionnant. Critique et explications.

[Résumé de l’éditeur]
Chargée de mettre un terme à la série de cadavres laissés dans le sillage du Clown Prince du Crime, la Suicide Squad d’Amanda Waller doit traquer le plus grand ennemi de Batman dans l’espoir de le mettre six pieds sous terre, une bonne fois pour toute. Par devoir, mais surtout par vengeance, l’ancien jeune prodige de Batman, Jason Todd, accepte de mener cette bande de criminels sur le terrain et de ne surtout faire confiance à personne. Et surtout pas à Harley Quinn

[Début de l’histoire]
Jason Todd
, alias Red Hood, est en prison. Amanda Waller lui rend visite et lui propose une vengeance idéale : tuer le Joker via une mission d’une nouvelle équipe de Suicide Squad.

L’ancien Robin accepte et prend donc la tête d’une bande de mercenaires atypiques composés d’autres prisonniers, méta-humains ou non, et bien sûr d’Harley Quinn, l’ancienne compagne du célèbre Clown Prince du Crime…

[Critique]
Quel dommage ! Le début de Suicide Squad – Get Joker ! est palpitant mais sa suite et fin particulièrement moyenne pour ne pas dire ratée (et décevante selon les attentes bien sûr). En trois chapitres (d’une cinquantaine de pages chacun), le récit va à l’essentiel : exposition (premier chapitre), action (deuxième), rebondissements et conclusion (troisième). Pas de temps mort donc, de quoi survoler l’entièreté de ses nombreux protagonistes à l’exception de Todd.

En effet, Jason Todd devient le leader d’une nouvelle équipe dirigée par Amanda Waller. Une énième Suicide Squad avec un objectif bien précis : tuer une bonne fois pour toute le Joker. Qui de mieux placé que l’ancien Robin assassiné par le célèbre Clown pour mener cette mission ? C’est sur cette idée originale (et étonnamment jamais proposée auparavant) que le scénariste Brian Azzarello invite son lectorat à assister à une succession d’action par une équipe atypique : Firefly, Silver Banshee, Pebbles, Miou Miou (! – Meow Meow en VO, Miaou Miaou aurait été plus adapté en français), Plastique, Wild Dog, Y es-tu (!! – Yonder Man en VO) et Harley Quinn. En somme, des méta-humains, mercenaires ou criminels de seconde voire troisième zone (à noter que Pebbles et Miou Miou sont des créations pour la bande dessinée).

Azzarello a déjà écrit pour Batman avec plus ou moins de réussite. On lui doit l’excellent Joker et sa très moyenne suite Damned. L’auteur avait également signé les sympathiques Cité brisée (et autres histoires…). Chez DC Comics, il s’est illustré sur l’excellente série 100 Bullets (disponible en cinq tomes intégrales) et plusieurs segments d’Hellblazer/Constantine. Son style cru et incisif, usant parfois gratuitement d’une certaine vulgarité ne fonctionne pas toujours. Get Joker ! n’y fait pas exception puisque les membres de la Suicide Squad sont assez grossiers et insultants. « On est baisés. » ou « J’te baise ! » reviennent plusieurs fois, y compris dans la bouche du Joker. Étrangement, d’autres termes vulgaires sont édulcorés dans leur traduction (« fuck/fucked/fuck you, pussies… »).

Tous ces mots fleuris n’apportent rien à la fiction, si deux ou trois font mouche, ils sont vite trop nombreux et on s’en lasse. C’est quelque chose qui fonctionne mieux au cinéma ou en série qu’en lecture concrète (romans ou bandes dessinées). Azzarello corrèle sa fiction à des faits réels, en évoquant l’attaque du Capitole par un des membres de la Suicide Squad et la suspicion envers les élites (médiatiques et politiques) à travers un personnage banalement « complotiste » sans aucune nuance (« on nous ment » / « on est oppressé »). Là aussi ça a du mal à prendre alors qu’il y avait des choses pertinentes à tirer de cette volonté d’encrer le récit dans une forme de populisme « séduisante ». Mais le traitement enchaîne les clichés et la réflexion n’est pas développée…

Si l’on comprend tout ce qui se déroule durant les trois épisodes, les deux derniers sont nettement moins bien écrits que le premier, qui emportait d’emblée le lecteur dans ce qui s’annonçait comme une aventure fascinante et fracassante. Impossible de ne pas penser à l’excellent film The Suicide Squad de James Gunn en voyant les membres d’autres teams de Suicide Squad ainsi que la façon dont ils sont mis en scène. Les mêmes costumes et look déstabilisent d’ailleurs – faut-il inclure ce comic book dans le canon des films ? Dans le prolongement du diptyque Joker/Damned ? Car si les connexions sont peu nombreuses, la scène de pole dance d’Harley Quinn fait écho à ces autres créations d’Azzarello. Quinn est très peu vêtue dans la seconde moitié du titre (pour une raison qui se « justifie » au début mais n’est pas très intéressante et aurait dû s’arrêter un moment).

Le look (et même « le caractère ») du Joker n’aide pas non plus. Taciturne, peu souriant, crâne rasé avec une crête et habillé comme Alex dans le film Orange Mécanique (les « droogies » sont mêmes nommés explicitement), on a du mal à avoir de l’empathie pour le célèbre Clown, rappelant un peu celui de La Guerre des Rires et des Énigmes – déjà peu apprécié. C’est aussi dans la seconde partie de Get Joker ! qu’on perd en fluidité de lecture, davantage cryptique, manquant d’une certaine synergie, en plus de la traduction étrange de la vulgarité et des noms de protagonistes (cf. exemples plus haut).

De la même manière, les dessins d’Alex Maleev sont de moins en moins bien… En effet, à l’instar du scénario, le début est particulièrement soigné, bien encré et colorisé, avec plusieurs détails en fond de cases et des visages expressifs. Plus on avance dans la BD, moins on a de décors et un côté brouillon ressort de l’ensemble. Quelques traits peu expressifs pour croquer des visages, un aplat de couleur en guise d’arrière-plan, etc. Un peu comme Jock lorsqu’il n’est pas en forme, cf. Le Batman Qui Rit. Heureusement, la colorisation assurée par Matt Hollingsworth accentue l’ambiance lugubre du titre, rappelant le même travail de l’artiste sur des titres récents comme White Knight et sa suite, ou des plus anciens comme Catwoman – Le Dernier Braquage. Il y a même une petite vibe Sean Murphy entre les traits de Maleev couplés aux couleur d’Hollingsworth – qui officie donc sur les créations de Murphy.

En synthèse, côté histoire, l’équipe de Suicide Squad court après un Joker peu empathique avant de s’allier avec lui puis tout se termine dans des affrontements soudains, pas forcément lisibles et une conclusion assez frustrante puisqu’on ne sait pas si le Joker a été tué ou non… Beaucoup de bonnes idées se succèdent mais aucune n’est exploitée correctement pour rendre le titre incontournable. L’ambiance graphique confère une patte singulière au comic mais s’avère beaucoup trop hétérogène pour être réussite. Il manque donc une constance visuelle dans les visages ou les poses iconiques pour avoir un équilibre entre le scénario bancal et les dessins qui, in fine, le sont aussi. Difficile donc de conseiller le titre, à la traduction parfois étrange aussi (c’est suffisamment rare pour être souligné – le traducteur n’étant pas un régulier chez Urban, ceci explique peut-être cela), peut-être pour les amoureux de Jason Todd ou les férus d’Azzarello…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le
Contient : Suicide Squad : Get Joker #1-3

Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Alex Maleev
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :  (17€)

       

  

Joker Infinite – Tome 3 : Du clown au menu

Troisième et dernier tome [1] de Gordon Joker Infinite (en vente le 2 septembre prochain), Du clown au menu vient conclure une histoire originale dont le premier volet était percutant et saisissant et le second un peu moins palpitant. Critique et conclusion.

[1] Bien qu’indiqué en quatrième de couverture que la série Joker Infinite est « en cours » (et non « terminée ») ce troisième tome est bien le dernier comme l’avait stipulé Urban Comics dans une publication sur Facebook annonçant l’ouvrage en avril dernier (puis confirmé une seconde fois en réponse à mon interrogation fin juin/début juillet).

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir été gravement blessé par la famille Sampson alors que ces derniers mettaient enfin la main sur le Joker, Jim Gordon semble laisser sa fille Barbara prendre sa place dans sa quête du Clown Prince du Crime. Mais ses mystérieux commanditaires ne le voient pas d’un bon œil et s’apprêtent à dévoiler leurs réelles intentions… ainsi que leur véritable identité. Le Joker pourra-t-il survivre à l’assaut de ce groupe de l’ombre, d’une famille de cannibales, et de Vengeance, la clone de Bane que Gordon a lâché sur lui ?

[Début de l’histoire]
Pas besoin d’en dire davantage que le résumé de l’éditeur.

[Critique]
Une bonne suite et une conclusion « à peu près » satisfaisante ! Voilà qui synthétise la première pensée une fois la lecture terminée et, surtout, qui fait plaisir en ces temps de productions de comics assez balisées. Au programme de ce troisième tome qui porte très bien son nom puisque le Joker est littéralement un clown au menu des cannibales : six chapitres qui connectent toutes les intrigues vues précédemment.

Le premier épisode est un long flash-back, dans la continuité de l’annual #1 qui fermait le tome précédent, revenant sur le quotidien de Gordon après Killing Joke. Sa cohabitation avec Barbara, le GCPD corrompu et… son fils James Jr. revenu au bercail familial, fasciné par le Joker. Tout ce chapitre est à nouveau dessiné, encré et colorisé par Francesco Francavilla et son style pulp inimitable aux tonalités chaudes, jeux de lumière efficaces et traits simples mais efficaces. Comme dans les deux volumes précédents, ce procédé graphique permet d’identifier immédiatement que cette partie du récit se déroule dans le passé.

Une parenthèse s’impose (sur ce paragraphe et le suivant) tant on se rend compte que les séries « héritières » de Killing Joke se déroulent sur deux axes. Un premier avec différentes histoires qui sont, directement ou indirectement, impactées. On pense bien sûr à tous les comics de ces trente dernières années qui évoquent au détour de quelques cases les sinistres évènements relatés dans Killing Joke mais qui ne servent, au final, « que » de rappels historiques ou bien de repères chronologiques dans la grande mythologie de Batman. En revanche, on trouve dans Trois Jokers une véritable « suite » assumée (à insérer canoniquement ou non dans la continuité selon le bon vouloir du lecteur) et désormais dans ces Joker Infinite. La courte série synthétise bien les démons de Gordon tout en lui offrant une opportunité de vengeance (ou de rédemption).

En marge de tout ceci, et c’est ce que nous appelons le second axe des séries « héritières » de Killing Joke, il y a ce qui semble peu connecté de prime abord. Sombre Reflet notamment, qui mettait en scène James Gordon Jr. (avec à nouveau Francavilla au dessin, ainsi que Jock), qu’on revoie ensuite dans Le Batman Qui Rit, qui devient de facto une étrange extension au précédent titre. Là aussi, le poids du passé (et donc des blessures de Killing Joke) trouvent un écho conclusif dans les Joker Infinite. On pourrait donc lire « à la suite » Killing Joke, Sombre Reflet, Le Batman Qui Rit, Trois Jokers puis Joker Infinite qu’on arriverait à tisser une ligne narrative où s’entremêlent avec brio Batman, le Joker et – surtout – la famille Gordon : James et ses deux enfants, Barbara et James Jr. Un canevas du neuvième art passionnant qui s’étale sur des années, conçu probablement involontairement mais proposant de belles choses !

Revenons au troisième tome de Joker Infinite. Passé l’introduction sur le passé de Gordon, on renoue avec toutes les intrigues en cours qui trouvent chacune une résolution plus ou moins satisfaisante. Du côté des figures féminines de Gotham (Barbara, Julia, Orphan – Spoiler n’apparaît pas cette fois, étrangement), elles se connectent habilement avec l’enquête de Gordon sur le Réseau via un passage de flambeau et une entraide globale. Le fameux Réseau, justement, est mieux explicité, on comprend aussi les motivations de la Cour des Hiboux, ou plutôt de Cressida. La famille Sampson revient également sur le devant de la scène, là aussi on saisit davantage les connexions avec le reste du récit (en gros, les Sampson sont des cannibales mais le Réseau a besoin d’eux pour exploiter le pétrole sur leur terrain et, surtout, continuer de servir des mets humains à l’élite secrète urbaine – ça semble bordélique dit comme ça mais fait sens dans la BD). Et le Joker dans tout ça ? Un bouc émissaire déniché par Cressida qui veut faire tomber le fameux Réseau et qui a utilisé Vengeance, la clone de Bane, pour arriver à ses fins.

Attention, quelques révélations majeures dans ce paragraphe, passez au suivant pour vous en préserver. Cressida s’est surtout alliée avec… Bane. Qui n’était donc pas mort – comme on le pressentait –, c’est l’une des premières surprises du scénario (toujours signé James Tynion IV) qui arrive à la moitié de la lecture. C’était prévisible mais ça permet de débouchait sur une relation père/fille entre Bane et Vengeance prometteuse. Seconde surprise du scénario : l’ergot de la Cour des Hiboux est en fait James Gordon Jr. À moitié zombifié, il pourra donc revenir ultérieurement dans un rôle d’antagoniste ou allié… Et comment ça se termine tout cela ? Et bien, un statu quo plus ou moins inchangé : le Joker est toujours vivant et libre (quelle surprise…), Bane et Vengeance se sont éclipsés (hâte de les revoir), le Réseau est plus ou moins démantelé (on ignore si des clones d’autres ennemis sont prévus).

Surtout, James Gordon est apaisé avec lui-même. Et c’est ce récit, son récit, qui reste en mémoire. L’évolution d’un homme blessé, meurtri, usé… Certes, l’écriture manque parfois de finesse et ce qui gravite autour de Gordon n’est parfois pas très élaboré ou mal équilibré mais qu’importe. La force de ce tome et de la série en général et d’avoir mis au second plan le Joker, ne pas en avoir fait un personnage présent dans chaque chapitre ou chaque page. Forcément, on pourrait estimer le titre voire les couvertures un poil mensongers mais c’est carrément mieux ainsi. L’histoire reste plutôt originale, assez solide, singulière, brutale et sanglante. Tout n’est – n’était – pas parfait, loin de là, mais la proposition transpire l’honnêteté et l’envie de sortir d’un moule narratif trop calibré. Même si ça ne révolutionne pas forcément la mythologie du Chevalier Noir, ça fait avancer Gordon, ça rabat quelques cartes (il va travailler dans le privé avec Bullock, Vengeance est un personnage prometteur, les restes du Réseau peuvent déboucher sur des choses intéressantes…) et ça reste une lecture plaisante. Le dernier chapitre est un long échange entre Batman et Gordon d’où résulte une sincérité touchante chez le policier, expliquant être en paix avec ses choix de vie (et donc de ne pas tuer le Joker).

Le tome se termine sur un épisode entièrement en noir et blanc (Signals en VO, étonnamment nommé Conclusion ici), entièrement écrit, dessiné, encré et « colorisé » par Lee Weeks, provenant de la troisième série Batman Black & White. Rappelons que celle-ci se définit par plusieurs épisodes indépendants de quelques planches (huit seulement en moyenne), consacrés au Chevalier Noir et signés par de prestigieux artistes, le tout, bien évidemment, en noir et blanc. Une initiative débutée en 1996 et poursuivi en 2013/2014 puis repris en 2020/2021. Ces salves d’anthologie sont disponibles en français également (en deux tomes pour l’instant, en attendant le troisième et dernier pour 2022 ou 2023). Bref, ce Batman Black & White #5 (juin 2021) est anecdotique et même s’il suit brièvement Gordon, il n’a pas trop lieu d’être ici. Prenons-le comme un bonus détaché du reste.

On aurait aimé que Julia, Orphan et Spoiler ne soient pas réduites à de la figuration et Barbara un brin plus en avant mais tant pis. Si les réponses aux mystères sont satisfaisantes, on peut aussi déplorer leur manque d’exploitation : le clonage du Réseau, l’emprise de ce dernier au niveau mondial, le cannibalisme apparemment apprécié de beaucoup (!) et ainsi de suite. Ça ne gâche pas l’œuvre en soi, ça laisse quelques portes ouvertes surtout, faut d’avoir enrichit tout ça en si peu de temps, ce n’est donc pas très grave mais ça aurait élevé la fiction pour qu’elle soit davantage marquante voire « culte » (à défaut, son premier tome reste dans les coups de cœur du site).

En synthèse, on conseille cette courte série Joker Infinite, mais… il faut donc débourser au total 48€ pour lire une grosse quinzaine d’épisodes, ça pique un peu quand on se dit qu’il y aura peut-être dans quelques années une intégrale en un seul tome pour une trentaine d’euros… Il est étonnant de ne pas avoir proposer la série en deux tomes dans un premier temps. À voir donc selon le budget de chacun : emprunt en médiathèque, achat complet ou patience avant une éventuelle réédition intégrale…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 septembre 2022.
Contient : The Joker #10-15 + Batman Black & White #5

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin : Giuseppe Camuncoli, Francesco Francavilla
Encrage : Francesco Francavilla, Cam Smith, Lorenzo Ruggiero, Adriano Di Benedetto
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Sarah Grassart et Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.fr :
Joker Infinite – Tome 3 : Du clown au menu (17€)
Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres (15€)
Joker Infinite – Tome 1 : La chasse au clown (16€)

 

Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres

Après un excellent premier tome, Jim Gordon Infinite, ou plutôt Joker Infinite, continue son chemin narratif palpitant et original.

[Résumé de l’éditeur]
Lors du jour de l’attaque sur l’asile d’Arkham, Billy Sampson a perdu la vie. Et sa famille est bien décidée à se venger de celui qu’ils suspectent d’avoir initié le massacre : le Joker. Jim Gordon est également à ses trousses et le suivra jusqu’à Paris, malgré les embûches semées sur son chemin et la désapprobation de sa propre fille. Mais si le Clown Prince du Crime était cette fois innocent du crime qu’on lui impute… Gordon pourrait-il risquer sa vie pour lui ?

[Début de l’histoire]
En se faisant arrêté par Interpol, Jim Gordon découvre l’existence du « Réseau », un organisme qui permet aux vilains de se reposer dans de endroits paradisiaque mais aussi, et surtout, de concevoir des tissus humains dupliqués afin de simuler des morts ou de créer des clones.

De leur côté, Barbara, Cassandra et Stephanie affrontent un ergot de la Cour des Hiboux tout en essayant d’aider Julia Pennyworth, la fille d’Alfred, qui s’est rendu à Santa Prisca, lieu de pèlerinage des aficionados de l’assassin de son père (cf. Batman Rebirth – Tome 12).

Quant à Vengeance, la femme arborant le masque de Bane, elle propose à Gordon de tuer le Joker, introuvable pour l’instant…

[Critique]
Attention, tome relativement court puisqu’il n’est composé que de l’épisode Annual #1 de la série The Joker (son titre en VO) et trois de ses chapitres : les #7 à #9, le #10 n’est pas inclut contrairement à ce qui est annoncé sur le site de l’éditeur – il sera dans le troisième et dernier tome. Sur ce sujet, bien qu’il soit indiqué en quatrième de couverture que la série Joker Infinite est « en cours » (et non « terminée ») avec un troisième tome à paraître (le 2 septembre prochain), celui-ci sera bien le dernier comme l’avait stipulé Urban Comics dans une publication sur Facebook annonçant l’ouvrage (puis confirmé une seconde fois en réponse à mon interrogation). La série The Joker compte pour l’instant (juin 2022) quinze chapitres et un annual, tous écrits par James Tynion IV, qui quitte la série après ce quinzième épisode justement. On ignore si un autre auteur reprendra la suite à partir de l’épisode #16. Bref, on comptabilise donc une grosse centaine de pages pour l’intégralité de ce second volet. Que vaut-il ?

On retrouve les bons ingrédients du précédent mais aussi une certaine « déception », par sa durée très courte notamment, impossible de ne pas être frustré tant on veut lire la suite et qu’on a l’impression de n’avoir ici qu’un échantillon de l’ensemble. Il faut dire qu’on apprend beaucoup d’éléments en peu de temps. Tout d’abord, la fameuse existence du « Réseau », qui vient expliciter pas mal de choses (la possibilité d’offrir à des antagonistes des « aires de repos paradisiaques » (!) par exemple), ensuite le parcours « croisé » de Jim et de Vengeance puis, enfin, une nouvelle interaction avec le célèbre Clown. Tout cela en trois épisodes, avec la parenthèse Gothamienne féminine (un peu sous-exploitée jusqu’à présent, en espérant que ça s’améliore ensuite et que Julia soit davantage mise en avant aussi) ainsi qu’un ultime chapitre sous forme de flash-back (l’annual) qui montre Gordon faire le ménage chez les ripoux du GCPD tout en laissant sa fille jouer à Batgirl (puisqu’il le sait depuis longtemps) et encaissant les remarques de ses collègues à propos du sex-appeal de Barbara (!).

Ce qui marque dans Le faiseur des monstres est bien sûr l’évolution de Gordon, toujours aussi tiraillé par sa morale mais obstiné par sa traque. Le passage sur ses blessures passées à cause du Joker est un excellent rappel pour comprendre la douleur de l’homme. On y revoit son humiliation dans Killing Joke bien sûr mais aussi la mort de sa compagne Sarah Essen (No Man’s Land – Tome 6) – qu’on avait un peu oublié… – et celle de son fils (James Jr.) dans une case où on le voit se suicider en sautant d’un phare, sous les yeux de Batgirl [étonnamment le comic book ne précise pas d’où provient ce passage, ni la version d’Urban ni la VO – alors qu’ils citent bien les autres œuvres, un comble ! – cet évènement était pourtant relaté dans Batman Bimestriel #13 (novembre 2021), dans Batgirl #49 très précisément, merci à l’internaute Bc pour la précision en commentaire]. Joker Infinite arrive même à créer une connexion plus ou moins improbable avec Le Deuil de la Famille (non pas pour la mort de Todd, qui reste une « évidence » mais… pour la vente de missiles pour terroristes décrites à l’époque dans la fiction !).

Le titre de ce deuxième tome est assez révélateur puisqu’on découvre une véritable « fabrique de monstres », conçue par un scientifique (« le faiseur » donc) à base de… clonage. C’est ainsi qu’est née Vengeance. Et que d’autres projets ont vu le jour. C’est à la fois un peu faiblard comme scénario – toujours assuré par James Tynion IV – et paradoxalement un peu audacieux (les limites sont infinies, imaginonsdes clones du Joker !). Une solution de facilité qui, pour l’instant, a juste créé un « Bane féminin »… On aurait aimé une nouvelle antagoniste propre à elle plutôt qu’un calque d’une figure emblématique connue (quoique… quand on voit la non originalité de Punchline… – toujours absente du récit, les back-ups qui lui sont consacrées ne sont pas incluent dans l’édition française). Rappelons aussi qu’on ne sait pas vraiment si Bane est mort, ça semble beaucoup trop gros pour être vrai (son « cadavre » avait juste été aperçu au détour d’une case sans réelle explication). La famille texane cannibale ne figure pas non plus dans ce volume qui condense donc pas mal d’éléments et avance plus ou moins correctement malgré son faible contenu.

Heureusement, l’ouvrage peut compter sur les brillants dessins de Guillem March (pour les deux premiers chapitres) puis ceux de Stefano Raffaele (le troisième), tous deux au style homogène, précis, dynamique et bénéficiant d’une chouette colorisation effectuant un joli travail des lumières (à nouveau par Arif Prianto puis Romula Fajardo Jr.). On retient quelques séquences fulgurantes, parfois chargées en hémoglobine ! Francesco Francavilla revient pour les dessins et la couleur de l’épisode annual qui se déroule dans le passé. S’il réussit aisément Gordon et les agents du GCPD, il se loupe sur les figures d’ennemis, à commencer par le Joker (assez peu présent dans ce tome d’ailleurs). Néanmoins, cela reste l’occasion de réitérer la formule gagnante du précédent volet avec le style davantage pulp et nappé d’orange pour le passé (Francavilla) et une approche plus « réaliste » et classique pour le présent (March – dont on conseille les deux premiers tomes de Catwoman, récemment chroniqués).

En synthèse, Joker Infinite – Tome 2 poursuit l’originalité entamée dans le volume précédent mais avec une certaine amertume : le récit est trop court et un de ses éléments narratifs assez décevant. Gageons que le troisième et dernier tome parvienne à conclure habilement tout cela !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 1er juillet 2022.
Contient : The Joker #7-9 + The Joker Annual #1

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin & encrage : Guillem March, Stefano Raffaele, Francesco Francavilla
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Coralline Charrier, Lorine Roy et Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.fr :
Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres (15€)
Joker Infinite – Tome 1 : La chasse au clown (16€)