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Batman / Spawn 1994

En 1994, deux ans après l’arrivée dans l’industrie des comics de Spawn, l’éditeur de ce dernier, Image Comics, publie en accord avec DC Comics, une histoire où Spawn rencontre Batman (sobrement intitulée Spawn/Batman). C’est le scénariste Frank Miller qui l’écrit et la situe carrément dans son univers de The Dark Knight Returs ! Le créateur et dessinateur historique de Spawn, Todd McFarlane, illustre ce récit d’une cinquantaine de pages.

Dans la foulée, DC propose lui aussi une fiction entre le Chevalier Noir et le diable de New-York (Batman/Spawn : War Devil). Trois auteurs habituels qui travaillaient à l’époque sur l’homme chauve-souris opèrent : Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant. La partie graphie étant assurée par Klaus Janson. Là aussi tout se déroule sur une cinquantaine de pages.

Ces deux titres (relativement « courts » donc) sont compilées avec des bonus dans Batman / Spawn 1994, disponible en France chez Urban Comics depuis le 10 novembre 2023. C’est à cette même date que les lecteurs français peuvent découvrir la troisième aventure commune de Batman et Spawn (initialement sortie aux États-Unis en 2022) dans Batman / Spawn. Découverte et explications de ce singulier binôme !

Couverture classique (gauche) et couverture alternative limitée.

[Résumé de l’éditeur]
Un mal ancien est revenu à Gotham City. La dernière fois qu’il est apparu, une colonie entière a été rayée de la surface de la Terre, ne laissant qu’un seul indice : Croatoan. Qui que soit Croatoan, il faudra tout le talent d’enquêteur de Batman et les capacités surnaturelles d’un ancien soldat devenu HellSpawn pour sauver les citoyens de Gotham de l’enfer qui est sur le point de se déchaîner sur notre monde.

[Début de l’histoire Batman/Spawn : War Devil]
Simon Vesper a été tué il y a quelques années par Spawn mais son corps n’a jamais été retrouvé. Vesper avait initié la création de la Tour de Gotham, sur le point d’être inaugurée de nos jours.

Batman enquête de son côté sur la disparition de Virgil Dare mais trouve des indices le menant à Vesper, qu’il suspectait d’entretenir des liens avec la mafia il y a six ans avant de perdre sa trace suite à ce qui semblait être son assassinat.

Spawn songe à nouveau à son ancienne cible mais ne se rappelle plus pourquoi il devait lui oter la vie. Il décide de retourner à Gotham pour tenter de se souvenir…

[Début de l’histoire Spawn/Batman]
Attaqué à Gotham par un robot d’appartenance russe, Batman réussit à le vaincre et découvre que ce dernier est relié à une tête humaine (!) parlant anglais. Cette dernière était à un vagabond alcoolique de New-York. Comme le détective le précise : « qu’est-ce que le cerveau d’un clochard new-yorkais fait dans un cyborg soviétique ? »

Le Chevalier Noir se rend à New-York pour enquêter et tombe sur Spawn. Les deux commencent à s’entretuer…

[Présentation & contextualisation]
Il est nécessaire de contextualiser la création de Spawn et, de facto, celle de l’éditeur Image Comics. Si vous êtes familier de tout ceci, vous pouvez passer directement à l’onglet critique. En 1992, sept dessinateurs prestigieux quittent Marvel, déçus et agacés de la façon dont ils sont traités (en terme de royalties notamment mais aussi d’être cadenassé pour leur liberté créatrice – en gros). Ainsi, Todd McFarlane (qui œuvrait sur Spider-Man par exemple), Jim Lee (X-Men), Rob Liefeld (Deadpool), Erik Larsen, Marc Silvestri, Jim Valentino et Whilce Portacio fondent leur propre maison d’édition Image Comics.

Leur indépendance permet de concevoir plusieurs comics phares de l’époque comme Spawn bien sûr (créé par McFarlane), mais aussi WILDC.A.T.s (par Jim Lee — un univers racheté puis réédité par DC Comics ensuite, incluant trois livres en France par Urban fin novembre), Youngblood, Savage Dragon, etc. Ces séries sont un véritable succès et Spawn se vend autant voire mieux que Spider-Man par exemple ! Image Comics donne un nouveau souffle au médium et une lueur d’espoir pour de nombreux auteurs et artistes qui voient grâce à ce nouvel éditeur une certaine révolution dans l’industrie.

La crise des comics de 1993 et les départs successifs de Whilce Portacio (qui a vite renoncé dès 1992) puis Rob Liefeld (1996) et Jim Lee (1998) complexifient la pérennité d’Image Comics qui peine à renouer avec des succès, malgré la solide et remarquable longévité de Spawn. Il faut attendre le début des années 2000 pour retrouver une santé financière, critique et populaire avec l’arrivée du scénariste Robert Kirkman qui signe dans la foulée Invincible puis, surtout, The Walking Dead. En 2012, c’est la passionnante série Saga qui donne une impulsion nouvelle à Image Comics et lui permet de conserver sa stabilité. Si l’évolution de cet éditeur vous intéresse, un simple tour sur Wikipédia (en français de surcroît) donnera quelques clefs de compréhensions, l’article étant assez complet.

Revenons à Spawn. Todd McFarlane présente son anti-héros en 1992 et le succès est immédiatement au rendez-vous (la série fêtera son 350ème chapitre début 2024, cf. couvertures VO ci-dessous – on y reviendra). . Il faut dire que les traits résolument modernes et élégants de l’artiste sont une certaine révolution graphique pour l’époque (toutes proportions gardées puisque McFarlane était déjà « connu » et d’autres illustrateurs de renom comme Jim Lee arborait un style un peu similaire). Le dessinateur pioche dans ses souvenirs d’adolescent pour concevoir Spawn : Al Simmons, un ancien des forces spéciales mort au combat fait un pacte avec le démon Malébolgia. Il accepte de lui vendre son âme dans l’espoir de revoir sa femme et devra mener les troupes de l’Enfer à la victoire contre les forces céleste de l’Armageddon. Mais la créature est séquestré durant cinq ans avant d’être renvoyé sur Terre, défiguré, méconnaissable et arborant différents pouvoirs surnaturels…

Devenu Spawn, Al se rend compte des multiples trahisons dont il fut victime, aussi bien en tant qu’humain qu’HellSpawn (une fois de plus, pour en savoir davantage sans se farcir l’entièreté des comics, la page Wikipédia dédiée vulgarise assez bien l’ensemble)… L’œuvre est sanglante, originale et mature. Elle donnera lieu en 1997 à deux adaptations : un film (raté) et une série d’animation sur HBO (18 épisodes) bien accueillie. Un nouveau long-métrage est prévu pour 2025 au plus tôt. L’auteur de ces lignes l’avoue humblement, il n’a lu que le premier tome de la série principale Spawn (et nul besoin de le connaître ou d’en savoir davantage pour apprécier ce Batman/Spawn 1994 d’ailleurs — un peu moins pour celui de 2022/2023 en revanche).

Si Spawn est produit par Todd McFarlane, aussi bien aux pinceaux qu’à l’écriture, il laisse volontiers et assez rapidement le scénario d’un ou deux chapitres à quelques pointures dont les fameux « trois M » liés à Batman : Frank Miller, Alan Moore et Grant Morrison ! Si ces collaborations sont ponctuelles, elles inaugurent du bon et McFarlane cèdera, entre autres et principalement, à Brian Holguin l’écriture de sa série sur de longs segments. Plus important, McFarlane délaisse aussi ses dessins à plusieurs pointures dont la plus longue au profit de… Greg Capullo ! Le célèbre artiste occupe une place majeure dès le deuxième tome et jusqu’au neuvième (il reviendra aussi dans le douzième) – il signe une jolie illustration de Spawn/Batman à l’époque, à découvrir en bas de cet article, avant le bloc À propos. En somme, Capullo travaille presque sept ans sur Spawn, il était donc naturel qu’il s’approprie la troisième rencontre avec le Chevalier Noir (qu’il a dessiné durant plus de cinq ans) en 2022 dans l’autre comic book Batman / Spawn, sorti fin 2023 chez nous.

 

Spawn va fêter début 2024 son 350ème chapitre ! Ce qui en fait le comic book le plus long (plus de trente ans d’existence) hors registre super-héroïque. Pour lire Spawn en France, c’est (désormais) assez simple, l’éditeur Delcourt ayant effectué un travail assez formidable quand ils ont récupéré les droits au milieu des années 2000. Il y a tout d’abord la série Spawn (aussi nommée Spawn Archives), étalée sur 22 tomes (le dernier est sorti début 2023) et contenant 250 chapitres (de la série éponyme, donc simplement intitulée Spawn en VO). La suite directe se déroule dans Spawn Renaissance, compilant les épisodes 251 à 330 de la série initiale, toujours en cours de publication aux États-Unis. Cela porte à ce jour ce second titre à 13 volumes (le quatorzième est prévu pour janvier 2024). Voir des couvertures ci-dessus.

À noter que les tomes 19 à 22 de Spawn (regroupant les épisodes #201 à #250) furent publiés « en doublon » quelques années plus tôt chez le même éditeur en huit volumes dans Spawn – La Saga infernale. Il s’agissait à l’époque de profiter d’une semi relance après le 200ème chapitre et être au plus près de la publication VO. Désormais il n’y a donc plus trop d’intérêt de l’acheter (c’est aussi pour éviter cette confusion que Spawn est titrée Spawn Archives – tout le monde suit ?). McFarlane a étendu son univers dans de nombreuses séries annexes, parfois en continuant de les écrire ou bien en laissant la mains à d’autres auteurs mais en gardant une supervision.

Citons Sam & Twitch (six opus), centré sur le duo de flics des mêmes noms (malheureusement plus réédités) et différentes histoires anthologiques et un peu « à part » regroupées sous l’appellation Spawn Hors-Série (une douzaine de récits incluant les deux avec Batman mais, idem, certains ne sont plus en vente, d’autres réédités sous forme d’intégrale). Il y a, entre autres, Spawn / WildC.A.T.s (forcément), Violator (l’un des antagonistes de Spwan), HellSpawn, Spaw Dark Ages, Du sang et d’ombre, Les architectes de la peur, Spawn Godslayer, Spawn – The Undead, etc. Voir les couvertures ci-dessus.

Depuis fin 2022, on peut découvrir trois autres séries gravitant autour de Spawn : King Spawn (Spawn devient le rois des enfers, trois tomes en cours), Gunslinger Spawn (relecture façon western, trois volumes en cours aussi) et Spawn – Scorched, L’Escouade Infernale (toute une équipe se créé autour de Spawn avec plusieurs autres anti-héors, deux opus pour l’instant). Notons que cette nouvelles salve a carrément droit à un triptyque de couvertures (cf. ci-dessous). Enfin en 2023, La malédiction de Spawn s’est ajouté à ce fameux Spawn Universe, qui est donc riche et varié ! Todd McFarlane en parle aux confrères de Comicsblog sur ce lien en octobre 2023.

Cette (longue) présentation effectuée, que vaut donc ces rencontres entre Spawn et Batman publiés initialement en 1994 ?

[Critique]
Si l’introduction de cet article ainsi que l’avant-propos d’Urban Comics à l’intérieur du livre évoque chronologiquement la première histoire de Spawn/Batman publiée par Image Comics (donc celle Miller/McFarlane) puis celle par DC, le recueil présente d’abord celle de DC (War Devil) et ensuite l’autre. C’est donc dans cet ordre que les critiques seront aussi publiées.

[Critique Batman/Spawn : War Devil]
La rencontre épique entre le suppot de l’Enfer et l’homme chauve-souris a lieu et… ce n’est pas aussi incroyable que ce qu’on était légitime d’imaginer. Sans surprise, un rapide affrontement entre les deux avant une association se déroule de façon assez convenue. La faute à un scénario conçu à six mains (!) – Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant (responsables à l’époque de nombreuses sagas cultes sur le Chevalier Noir : Knightfall, Cataclysme, No Man’s Land…) – trop bavard et verbeux dans ses dialogues et peu intéressant dans son intrigue globale. En synthèse, un homme mort revient à la vie et veut tuer davantage de personnes, sous l’égide de la magie noire et d’apparitions de démons, évidemment.

L’alliance de Spawn et Batman ne sera donc pas de trop pour venir à bout du démon derrière tout cel (bien qu’assez confuse dans sa résolution). Le célèbre justicier de Gotham et l’anti-héros venant de New-York s’associent presque « comme si de rien était », ne prennent pas le temps de se connaître et collaborent comme si c’était une évidence. Il en est de même pour la conclusion du récit où les protagonistes se quittent après un échange cohérent du côté des deux certes mais étonnante malgré tout. Ce sont peut-être les fans de Spawn qui préfèreront ce War Devil, où la création de Todd McFarlane occupe peut-être une place moindre ou identique que Batman mais semble plus soigné dans l’écriture ou dans l’empathie envers ce singulier personnage.

La dimension graphique perd aussi de sa superbe, Klaus Janson (inoubliable encreur de The Dark Knight Returns) ne réussissant jamais à rendre iconique ce rendez-vous improbable de deux monstres sacrés des comics. Janson a également du mal à gérer son espace géographique, trop étriqué dans des petites cases, canibalisant les grands espaces qui auraient été nécessaires à sublimer l’inoubliable cape de Spawn mais, surtout, l’incursion dans le registre fantastique/horrifique (plus ou moins) inédit à l’époque. Il y a bien une double page sympathique (cf. ci-dessus) mais le reste suit difficilement, dans un style maladroitement ancré (avec un a et non un e) dans les années 1990, à l’inverse des traits de McFarlane (dans l’histoire suivante) – et même ceux de Capullo à l’époque – bien plus intemporels et encore appréciables et délectables aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Heureusement, la colorisation de Janson aidé de Steve Buccellato confère une patte visuelle assez riche, arborant tour à tour le côté sombre de Gotham et les palettes écarlates propres à Spawn. Ce rouge vif dénote d’ailleurs pour un résultat globalement agréable. Toute la bande dessinée est proposée à la fin du livre dans une version encrée en noir et blanc et avec les dialogues en VO. Un bonus qui ravira les fans de Janson et permet de gonfler le nombre total de pages à presque 170, les deux titres principaux ne s’attardant que sur une petite cinquantaine de planches (pourquoi pas compiler les trois histoires de Batman / Spawn (incluant celle de 2022/2023) dans un seul et même ouvrage pour un prix total plus abordable ?).

[Critique Spawn/Batman]
Cette fois c’est la bonne ! La rencontre entre Spawn et Batman est épique, brutale et d’une superbe signature graphique. Il faut dire que c’est Todd McFarlane lui-même (le créateur de Spawn) qui illustre la cinquantaine de pages du titre. L’artiste avait déjà dessiné Batman – Year Two / Année deux en 1987 et avait repris les « pastilles journalistiques » de Frank Miller dans The Dark Knight Returns (1986) dans sa série Spawn. Il semblait donc y avoir une certaine logique voire osmose entre les deux artistes pour cette collaboration. Miller signera une postface l’année suivante de ce Spawn/Batman (donc en 1995), inclut dans l’édition du premier tome de Spawn en France (Résurrection).

Visuellement donc c’est un sans faute. Ici l’espace est nettement mieux pensé avec de belles séquences d’anthologie iconisant tour à tour chacun des deux (anti) héros. C’est d’autant plus incroyable quand on constate aujourd’hui que ces dessins remontent à 1994 et qu’ils n’ont pas pris une ride (et sont nettement plus aboutis que certains plus récents). McFarlane croque sa New-York nocturne habituelle, évidemment proche de la Gotham des aficionados de Batman. L’artiste sublime la rencontre tour à tour violente puis « psychologique ». Rien à redire.

Côté scénario, Frank Miller prend son temps. Contrairement au titre précédent, il se fait narrateur omniscient au service du lecteur et cela fonctionne étonnamment bien, conférant une écriture fluide puis organique quand Spawn et Batman prennent la relève. C’est une guerre d’ego entre les deux qui s’annoncent derrière un conflit (plus dangereux) d’une mystérieuse femme. En ce sens, l’intrigue de fond, vaguement politique et un brin plus science-fiction (par rapport à la première, davantage orienté fantastique/horrifique) est efficace sans faire d’éclat. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande plume complexe ou trop originale.

S’il est fièrement annoncé que la fiction se déroule dans le même univers instauré par Miller dans The Dark Knight Returns, ce n’est clairement pas évident durant la lecture et pourrait être un titre indépendant que ça ne changerait pas grand chose (on retrouve juste cette approche brutale et radicale du Wayne de Miller). L’auteur cite également son Année un mais, encore une fois, cela relève davantage du clin d’œil que d’une réelle volonté d’ajouter un complément indispensable à l’univers. Néanmoins, ce Spawn/Batman vaut indéniablement le coup pour les amoureux des traits de McFarlane (cf. planches ci-dessous et les trois dernières de cet article) et cette confrontation au sommet !

[Conclusion de l’ensemble]
Inutile de préciser que les fans de Spawn ET de Batman doivent évidemment se procurer cette compilation de deux récits emblématiques de 1994. Même si le premier est très moyen, le second est une élégante pépite graphique. En revanche, les passionnés de Batman uniquement peuvent faire l’impasse puisque ces deux courts titres n’apportent pas grand chose à la mythologie (et chronologie) de l’homme chauve-souris – à l’inverse de la version 2022/2023 qui place son récit dans la série Batman de Scott Snyder. D’autant plus qu’il faut débourser 17 € pour à peine une centaine de pages de bandes dessinées, quand on ne connaît pas spécialement Spawn il n’y a pas forcément de raisons de se lancer dedans.

Comme évoqué plus haut, une bonne solution de rapport qualité/prix (et nombre de pages/prix) aurait été de compiler la troisième histoire (2022/2023) dans un seul et même livre (avant ou sans les bonus proposés) pour combler à peu près tout le monde. Il est toujours difficile d’anticiper si cela aurait été mieux accueilli ou non, d’autant plus que ces deux éditions sont aussi proposées avec deux variantes (augmentant au passage le prix à 20 € pour celle de 1994 et 22 € pour l’autre !). Les collectionneurs et complétistes seront probablement conquis par ces jolies propositions. Le lecteur « lambda » (ce n’est en aucun cas un terme péjoratif) y trouvera peut-être moins son compte (36 € au total pour trois histoires d’une cinquantaine de pages dont une assez moyenne, ça commence à piquer).


Illustration de Greg Capullo pour le crossover Spawn/Batman, 1993

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 1994 Spawn/Batman #1 + Batman/Spawn: War Devil #1
Nombre de pages : 168

Scénario : Doug Moench, Chuck Dixon, Alan Grant, Frank Miller
Dessin & encrage : Klaus Janson, Todd McFarlane
Couleur : Klaus Janson, Steve Buccellato, Steve Oliff, Olyoptics

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurice

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Batman – Killing Time

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City, 4 mars, 16h46. Banque centrale. Un étrange client fait son apparition. Personne ne le sait, mais le braquage du siècle est sur le point d’avoir lieu, dans cette banque précisément. Trois malfrats – Catwoman, le Pingouin et le Riddler – s’associent pour mener à bien leur mission, juste histoire de tuer le temps…

[Début de l’histoire]
4 mars, 16h33. Killer Croc se rend à la First National Bank de Gotham.

Une heure plus tôt, Selina Kyle joue au tennis dans la résidence privé des Barrington où elle est devenue une amie de Cookie, l’hôtesse des lieux.

17h03, Gordon allume le Bat-signal et Batman apparaît…

À 17h13, Edward Nygma, alias le Sphinx entre dans le bureau Ronald Barrington (mari de Cookie), à l’United Gotham Bank.

24 heures plus tôt, le Pingouin soudoie un homme de main de la First National Bank de Gotham.

Le braquage parfait. Mais pour qui ? Et… pour quoi ?

[Critique]
C’est très beau, ça démarre bien, le concept est plutôt original et… tout s’enlise et devient pénible en cours de route, quel dommage ! L’auteur Tom King est très clivant chez DC Comics, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, ce scénariste tente ici un comic book « de casse ». Un braquage millimétré alléchant mais qui se perd ensuite dans une narration verbeuse, vulgaire et vaine. On explique.

Contrairement à ce que nous fait croire l’éditeur ou le début de la bande dessinée, seulement deux antagonistes emblématiques de l’univers de Batman sont très présents tout au long de la fiction : Catwoman et le Sphinx (Riddler en VO). Un tandem souvent vu en duo (Catwoman à Rome par exemple ou plus récemment de façon plus modeste dans Joker War). Le binôme fonctionne plutôt bien, ces deux célèbres vilains étant moins « fous » que leurs camarades d’Arkham. Bien sûr, il gravite autour d’eux d’autres figures connues : le Pingouin mais aussi Killer Croc, Ra’s al Ghul et quelques autres qu’on ne dévoilera pas.

Le bestiaire est donc assez riche et magnifiquement illustré (on y reviendra). La véritable menace est plutôt un nouveau personnage, nommé « l’aide ». Un étrange gentleman âgé d’environ quatre vingt ans, d’une force inouïe capable de mettre le Chevalier Noir sur la touche. En soi, pourquoi pas mais on n’y croit absolument pas… Ce n’est pas forcément grave dans le cadre de l’intrigue, ce qui lui fait défaut est tout autre : l’écriture générale.

Tom King ne peut s’empêcher de TOUT raconter. Il n’y a quasiment pas une planche sans qu’un narrateur omniscient (on apprendra dans la dernière ligne droite de qui il s’agit) détaille de la même façon ce qui se déroule : à telle heure, à tel endroit, telles personnes font ceci ou cela. Et Tom King s’amuse avec cette forme d’écriture en bousculant la linéarité de son texte, enchaînant des petits ou grands sauts dans le passé ou dans le futur. Même ritournelle donc : à tel endroit, tant de minutes/heures/jours plus tard, telles personnes font ceci ou cela. Efficace et amusant dans un premier temps mais vite gonflant à la longue.

Le scénariste croise même son récit avec un second, fortement encré dans une dimension antique, qui viendra expliciter l’objet du braquage. Là aussi, Tom King se loupe à moitié, conférant un macguffin inintéressant (tout le monde court après ce mystérieux butin) et une évolution peu crédible au titre. Même Batman, se revendiquant propriétaire de ce qui a été volé, n’explique pas pourquoi il l’avait caché dans une banque et non dans sa Batcave quand on lui demande… In fine, le lecteur ne s’implique pas spécialement dans la course contre la montre pour récupérer ce fameux trésor…

Pire encore : entre les bulles de narration omniprésentes et lassantes, le scénariste abonde de mots grossiers dans la bouche de ses protagonistes. Ce n’est nullement un défaut à la base (cela peut même être marrant comme Negan dans The Walking Dead ou cohérent avec l’ambiance d’un titre, comme Marv dans Sin City – jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn) mais l’éditeur états-uniens et français ont fait le choix de ne traduire aucun juron. Comme souvent en bandes dessinées, on se retrouve donc avec une suite de symboles pour ne pas écrire un gros mot. On retrouve donc des « %#$@#$ » au lieu d’écrire « putain / merde / enculé / fils de pute » ou autres termes folklorique…

Encore une fois, ce n’est pas forcément un défaut en temps normal quand ça arrive de temps en temps mais dans Killing Time c’est littéralement à chaque bulle quand deux voire trois anti-héros (incluant Catwoman et le Sphinx) s’y prêtent. De quoi alourdir davantage une écriture déjà bien plombée par de multiples défauts. Un exemple ci-dessus : une seule case, trois bulles de dialogue, six phrases, sept mots écrits de cette façon usante à décrypter/lire (oui : c’est pareil dans la version française que propose Urban Comics – images à venir à l’occasion).

Si l’on pouvait fermer les yeux sur les nombreux improbabilités propres au médium (Batman qui terrasse plusieurs tigres à mains nues, Catwoman qui vient à bout d’un groupe d’hommes de main armées en quelques secondes, la surpuissance d’Aide, etc.) on a quand même du mal à trouver l’ensemble de Killing Time pertinent. Entre le « tout ça pour ça » de soupir en fin de lecture et le « divertissement sympathique » pour les moins exigeants, l’œuvre se cherche un peu, parfois prétentieuse, pourtant prometteuse à défaut d’être révolutionnaire ou trop ambitieuse MAIS très jolie visuellement (cf. les nombreuses illustrations de cette chronique). Quel dommage (bis)…

Heureusement, les six chapitres bénéficient d’un sans faute graphique, orchestré d’une main de maître par David Marquez. L’artiste signe l’intégralité des dessins (et probablement l’encrage car ce n’est pas précisé), conférant non seulement une homogénéité visuelle mais aussi son style épuré, dynamique et efficace dans les nombreuses scènes d’action qui parsèment la fiction. Alejandro Sanchez colorise et apporte une variation chromatique propre aux comics (comprendre que chaque figure est richement mise en couleur grâce à ses costumes et looks habituels) tout en ajoutant cette ambiance parfois austère nécessaire à l’ambiance, parfois plus cosy avec de subtiles jeux de lumière. On apprécie aussi les looks du Pingouin et Catwoman, presque calqués sur ceux du film Batman – Le Défi (là où Nygma est davantage modernisé).

En cela, il est vrai que toutes ces belles planches sont peut-être le point fort de Killing Time, avec son concept initial, ses segments parfois originaux et son (modeste) puzzle narratif. Difficile de déconseiller la lecture mais difficile aussi de la conseiller pleinement – les éléments relevés dans cette chronique devrait arriver à vous aider à choisir. On ne retrouve pas forcément la « patte » de Tom King (qui aime bien déconstruire ses héros et leur insuffler une certaine humanité) donc ses habituels détracteurs pourraient apprécier, toutes proportions gardées tant l’écriture regorge de certains défauts. Pour un braquage de qualité avec Catwoman, on favorise plutôt, ben… Catwoman – Le dernier braquage.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Batman Killing Time #1-6
Nombre de pages : 192

Scénario : Tom King
Dessin : David Marquez
Couleur : Alejandro Sanchez

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Makma (Gaël Legeard)

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Injustice 2 – Histoire complète du jeu vidéo

À l’instar du premier jeu vidéo Injustice, les évènements qui se déroulent dans Injustice 2 (le jeu) n’existent étonnamment pas en comics. C’était l’un des points faibles du second opus, un mode histoire  court et un peu frustrant (il existe deux fins qui n’ont pas de suites – ni en jeux vidéo, ni en comics – à défaut d’avoir un jour un Injustice 3 mais les probabilités sont assez faibles). Par ailleurs, le récit occultait des explications bienvenues (le retour de Black Canary, Green Arrow, Wonder Woman et Hal Jordan, la montée en puissance de Gorilla Grood, Supergirl avec Black Adam, etc.), faisant des comics d’Injustice 2 une lecture quasiment indispensable pour bien « comprendre » comment l’univers en était arrivé là.

Bref, une fois la lecture d’Injustice 2 terminée, le lecteur voudra forcément savoir ce qu’il se passe. Comme pour l’opus précédent, il existe plusieurs façons de le savoir. Simplement jouer au jeu vidéo (comptez une poignée d’heures, à peine cinq…), regarder des cinématiques complètes sur YouTube (celle-ci de 2h50 par exemple) ou bien lire le résumé détaillé sur Wikipédia. C’est ce dernier, remanié et augmenté, qui est proposé ci-après. À noter qu’Injustice 2 se divise en douze chapitres, le dernier pouvant être joué du point de vue de Batman ou de Superman, ouvrant sur deux fins radicalement différentes.

Prologue

Des années auparavant sur Krypton, Kara Zor-El, adolescente, assiste impuissante à l’invasion de sa planète par des androïdes et l’extraction des villes par un énorme vaisseau spatial. Sa mère se sacrifie pour qu’elle fuie la planète avant sa destruction, en même temps que Kal-El, alors nourrisson. Les deux navettes quittent Krypton en même temps, mais l’explosion de la planète endommage la navette de Kara, qui dérive dans l’espace…

Chapitre 1. La chute d’un Dieu (Batman)

Il s’agit d’une séquence se déroulant au tout début d’Injustice du point de vue de Batman et Damian Wayne. L’on assiste au moment où Damian décide de rejoindre Superman.

Chapitre 2. La femme qui rit (Harley Quinn)
& Chapitre 3. La cité des gorilles (Green Arrow et Black Canary)

Cinq ans après la défaite de Superman, Batman et ses alliés tentent depuis de réparer les dégâts causés par le Régime de Superman. Cependant, une nouvelle faction ennemie émerge : la Société, composée de super-vilains dirigés par Gorilla Grodd, qui cherche à combler le vide laissé par Superman. Ayant perdu de nombreux alliés, tués ou corrompus par le Régime, Batman est contraint de monter une nouvelle équipe pour y faire face. Il envoie Black Canary, un Green Arrow d’une Terre alternative (l’original ayant été tué par Superman avant les événements de Injustice), et Harley Quinn pour les combattre à Gorilla City, où le Doctor Fate prévient Arrow et Canary d’une nouvelle menace s’approchant de la Terre.

Après avoir vaincu Grodd, le couple est enlevé par Brainiac, le véritable cerveau derrière la Société. Après avoir collecté et détruit Krypton plusieurs années auparavant, il avait dans l’intention de récupérer Superman, le survivant kryptonien, mais a nourri le nouvel intérêt d’ajouter la Terre à sa collection. Alors que Brainiac prend le contrôle de l’Œil, le système de télécommunication planétaire de Batman, ce dernier cherche d’autres alliés pour le combattre, mais refuse l’aide de Superman, enfermé dans sa prison irradiée de rayons solaires rouges.

Chapitre 4. Invasion ! (Flash)
& Chapitre 5. En eaux troubles (Green Lantern)

Catwoman, l’agent double de Batman dans la Société, libère Harley et les deux fuient Gorilla City. Flash et Hal Jordan (redevenu Green Lantern) tous deux en quête de rédemption, se retrouvent et se rallient à Batman, qui envoie Green Lantern à Atlantis pour quérir le soutien d’Aquaman. Ce dernier refuse de prime abord, mais finit par accepter après que Brainiac a attaqué son royaume par le biais d’Atrocitus.

Chapitre 6. L’attaque de l’île Stryker (Blue Beetle et Firestorm)

Pendant ce temps, Black Adam et Wonder Woman, cachés à Kahndaq, s’occupent de Kara, alias Supergirl, récemment arrivée sur Terre, et travaillent secrètement à restaurer le Régime. Lorsqu’ils voient les forces armées de Brainiac attaquer la planète, ils tentent une percée dans la prison de Superman, puis affrontent Firestorm et Blue Beetle pour le libérer. Batman, comprenant qu’il ne peut combattre Brainiac sans aide, décide alors de libérer Superman, et une trêve est établie le temps d’éliminer la menace.

Chapitre 7. Entrée par effraction (Cyborg et Catwoman)

Cyborg, Catwoman et Harley Quinn retournent à la Batcave pour reprendre le contrôle de l’Œil (affrontant Poison Ivy, Bane et Grid au passage) et ainsi coordonner les opérations de secours aux civils.

Chapitre 8. La Déesse de la guerre (Wonder Woman)
& Chapitre 9. Le dernier espoir de Krypton (Supergirl)

Wonder Woman emmène Supergirl à Metropolis, et dévie ouvertement du plan de Batman. Lorsqu’elle est sur le point de tuer Cheetah et Harley Quinn, Supergirl l’arrête, puis se dirige vers la Forteresse de Solitude pour confronter Superman sur les actions de Diana, et apprend la vérité sur le régime de terreur instauré par son cousin. Après avoir collecté plusieurs villes autour du globe, Brainiac décide alors de détruire la planète. L’alliance tente de détruire le vaisseau-mère de Brainiac, mais ses boucliers défont aisément les héros, incapacitant même les deux Kryptoniens, et le vaisseau semble désintégrer Superman dans un énorme rayon chargé. Après l’ultimatum laissé par Brainiac (lui remettre Supergirl ou détruire la planète dans une heure), l’alliance concocte un plan pour affaiblir le vaisseau-mère en utilisant le trident d’Aquaman pour canaliser la foudre magique du Rocher d’Éternité.

Chapitre 10. Les trois rois (Aquaman et Black Adam)

À Kahndaq, Gorilla Grodd s’attaque à Black Adam et Aquaman avec Canary, Arrow et Blue Beetle sous son contrôle mental, mais est finalement tué par Aquaman. Le duo réussit à affaiblir suffisamment le vaisseau pour permettre à Batman et Supergirl d’y pénétrer. Les deux sont capturés, mais Batman est sauvé par Superman, qui n’avait été que téléporté dans le vaisseau-mère.

Chapitre 11. Les meilleurs des meilleurs (Batman et Superman)

Les deux amis d’autrefois s’allient et affrontent successivement Firestorm et Swamp Thing manipulés mentalement, puis un Dr Fate soumis à Brainiac par les Seigneurs de l’Ordre. Ce dernier est vaincu et son casque est brisé, annulant l’influence des Seigneurs. Il est tué quelques instants plus tard par un tentacule de Brainiac, qui sera difficilement maîtrisé par le duo de justiciers. Superman décide de prendre le contrôle mental du vaisseau pour l’empêcher de détruire la planète et restaurer les villes extraites. Il parvient à en restaurer la majorité, mais à cause des dégâts du vaisseau, Metropolis et Coast City semblent définitivement perdues.

La fragile trêve prend fin au moment de déterminer le sort à réserver à Brainiac : Batman, Flash, Green Lantern et Supergirl veulent l’épargner pour restaurer toutes les villes, mais Superman, Wonder Woman, Black Adam et Aquaman veulent éliminer définitivement la menace et prendre le contrôle de la technologie du vaisseau pour asseoir le pouvoir du Régime. Alors que la situation est extrêmement tendue, Batman attaque Superman avec une lame de kryptonite dorée, et une bagarre générale éclate. Batman et Superman battent aisément les alliés de leurs camps ennemis respectifs avant de s’affronter une bonne fois pour toutes dans la Batcave. L’issue du combat final change en fonction du choix du joueur quant au camp à rallier.

  • Chapitre 12. La justice absolue (Batman)
    Si le joueur choisit le camp de Batman, ce dernier affronte et vainc Aquaman, Black Adam et Wonder Woman. Lors de la confrontation finale, il bat Superman, le maîtrise avec des menottes en kryptonite et le bannit dans la Zone Fantôme. Batman décide alors de créer une nouvelle Ligue des Justiciers avec ses alliés, et offre une place de choix à Supergirl.
  • Chapitre 12. Le pouvoir absolu (Superman)
    Si le joueur choisit le camp de Superman, ce dernier affronte Green Lantern, Flash et Supergirl, puis Batman équipé d’une armure de kryptonite verte, et le bat. Il tue Brainiac, se lie mentalement à son vaisseau et entreprend de rétablir le Régime sur Terre avec l’aide des prisonniers de Brainiac. Il offre à Supergirl, enfermée dans son ancienne prison, une chance de rejoindre ses rangs, lui annonçant avoir restauré les villes manquantes ainsi que la paix globale. Alors qu’elle refuse en bloc, Superman lui présente Batman, contrôlé mentalement et lui dit qu’elle se rangera de son côté, d’une manière ou d’une autre.