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Catwoman – Tome 1 : La règle du jeu

Début des critiques de la série Catwoman de l’ère New52 (Renaissance), dont les premiers chapitres ont « littéralement défrayé la chronique dans leur pays d’origine, informe l’éditeur en quatrième de couverture, en offrant au lecteur une version très explicite de la relation liant Selina au protecteur de Gotham ». En France, quasiment l’entièreté des 52 épisodes a été publié dans deux séries différentes : Catwoman (en 5 tomes) puis Catwoman Eternal (2 volumes). De quoi segmenter la fiction en trois petits « runs » (même si les deux premiers forment un « tout » très inégal) : un premier écrit par Judd Winick (tomes 1 et 2, qu’on conseille), un second par Ann Noccenti (tomes 3 à 5, catastrophique) et un troisième et dernier par Geneviève Valentine (Catwoman Eternal, proposition inédite et intéressante). Retour donc sur le premier tome de Catwoman, La règle du jeu, publié il y a quasiment dix ans : en juin 2012 !

[Résumé de l’éditeur]
Plus que le profit qu’elle en retire, rien n’excite plus Selina Kyle que la cambriole, ou l’art de dérober au nez des plus puissants leurs objets de valeur. Mais si elle n’hésite pas à utiliser ses charmes pour arriver à ses fins, tous n’y succombent pas, et Catwoman mettra, malgré elle, ses proches sous la coupe de nouveaux truands revanchards. Et cette fois, même sa relation intime avec le protecteur de Gotham ne pourra pas la tirer d’affaire.

[Début de l’histoire]
À force d’enchaîner les vols, Catwoman cumule un peu trop d’ennemis. Quand certains remontent sa trace et font exploser son appartement, Selina Kyle doit trouver un hébergement d’urgence et… de l’argent.

Si la jeune femme jongle entre ses sorties nocturnes et ses ébats charnels avec Batman, elle arrive tout de même à trouver quelques gros coups pour se refaire une santé financière.

Mais lorsqu’un drame surgit et que Catwoman vole davantage que prévu, elle se retrouve mêlée à plusieurs conflits, en plus d’être un peu perdu elle-même…

[Critique]
Voilà un titre qui, sans surprise, devrait ravir les fans de Catwoman (les autres pourront aisément passer leur chemin même si Batman y apparaît un petit peu). S’il n’y a pas – pour l’instant en tout cas – de gros fil rouge narratif avec des ennemis connus et/ou charismatiques (Allonge et L’Os dans l’immédiat – cf. deux dernières images de cette critique), on se plaît à suivre les états d’âmes de Selina, naviguant dangereusement entre plusieurs sphères et désarçonnée face à la violence de certaines personnes qu’elle a volées. Le « quotidien » de la féline est d’ailleurs ce qui est habilement mis en scène, page après page.

Un quotidien qui n’est pas de tout repos et enchaîne autant de phases d’action que de brèves contemplations Pas question ici de croquer des « tranches de vie » mélancoliques ou banales mais de suivre Selina dans tous ses états d’âmes. Quand elle se bat, quand elle gagne, quand elle perd, quand elle jubile, quand elle déprime, quand elle a envie de faire l’amour, et ainsi de suite. Et les conséquences de ses actes sont parfois dramatiques, ajoutant une couche de « mal-être » à la belle.

On l’évoquait dans l’introduction, le titre aurait « littéralement défrayé la chronique [aux États-Unis] » ! Pourquoi et qu’en est-il vraiment ? Et bien, Catwoman (la série autant que son héroïne) se montre parfois peu vêtue, très à l’aise avec sa sexualité ou, quand elle revêt son costume, diaboliquement sexy (sa combinaison moulante est du plus bel effet chromatique – on y reviendra). Il n’y a visiblement pas besoin de montrer « grand chose » pour heurter/choquer/surprendre/séduire le lectorat (on est loin de la polémique ridicule de Batman – Damned tout de même) car la protagoniste ne sera jamais dénudée entièrement, portera toujours de la lingerie, on ne verra jamais les tétons de sa poitrine, son sexe ou ses fesses.

Apparemment, la scène d’amour un peu « bestiale et sauvage » entre Batman et Catwoman (à la fin du premier chapitre) est celle qui a fait réagir. Pourtant, elle n’est jamais vulgaire, elle montre une relation intime entre deux adultes comme cela pourrait arriver à n’importe quel couple (sauf qu’eux portent des costumes, quoique… cela peut aussi arriver à n’importe quel couple !). Pas de quoi crier au loup donc même si on reconnaît et comprend le petit côté « subversif » que cela peut susciter : au lecteur de trancher s’il estime que cet aspect « sexy/sexué » de Selina fait partie de l’ADN du personnage ou si l’équipe artistique – composée de trois hommes – se vautre dans un sexisme un peu facile : des femmes en lingerie/tenues sexy, des poses subjectives, du sexe plus ou moins « gratuit » (mais qui sert, à notre sens, l’histoire), etc.

En complément, la fiction est assez brutale et très sanglante. Il y a l’habituelle violence inhérente au genre mais cette fois, elle est chargée en hémoglobine tout en étant assez graphique. Des personnages secondaires trépassent… Les effusions de sang ajoutent une touche « réaliste » dans une énième production mainstream qui souvent n’en ont pas, alors autant l’apprécier. Bref, du sexe et du sang, une formule épuisée mais gagnante ? Sur ce site, on trouve que oui ! Car avant tout, ce premier volume suit une héroïne en proie à quelques démons, particulièrement attachante – le point fort de l’œuvre. Selina est dépeinte comme une personne espiègle et fragile, séductrice oui mais sans tomber dans la facilité narrative ou visuelle.

La règle du jeu est en plus particulièrement accessible puisqu’il profitait du relaunch de l’époque (New 52) pour être une porte d’entrée pour un grand nombre de lecteurs, amateurs ou non de Catwoman. S’il ne révolutionne pas grand chose dans son histoire, le livre met en avant un personnage qui bénéficie d’un capital sympathie d’emblée et de ces quelques séquences « inédites » dans le média (sexe et sang donc, tout en restant relativement soft). Le comic n’oublie pas non plus d’avoir un peu d’humour (malgré l’ensemble assez sombre, in fine), assuré par Selina évidemment, dont le charisme sans faille permet une bonne lecture (si les nouveaux ennemis avaient été plus soignés, on aurait pu avoir un coup de cœur sur ce site). Sa relation avec Batman est à l’image de celle éculée : tantôt passionnelle, tantôt amoureuse, tantôt conflictuelle, toujours mystérieuse et élégante ! C’est aussi un des atouts du titre.

Du reste, les dessins de Guillem March (à l’œuvre dans Joker Infinite et diverses séries : Batman Detective Comics, Batman Rebirth…) couplés à la sublime colorisation de Tomeu Morey (vu récemment sur les Joker War et Batman Infinite – où March signe également certains épisodes) volent la vedette au scénario de Judd Winick (plus à l’aise dans les dialogues). Les traits sont fins, élégants, parfois réalistes, idéaux quand ils croquent le charme « physique » de Selina. Les reliefs sur la combinaison de cuir (ou latex) sont une merveille (inspirée par la version burtonienne de Michelle Pfeiffer dans Batman – Le Défi ?), sans lui conférer gratuitement des formes généreuses qui n’auraient eu aucun intérêt.

La jeune femme y apparaît plus vivante que jamais, expressive, sensuelle, charnelle… Les nombreuses scènes d’action sont lisibles, la lecture est fluide, passionnante aussi bien graphiquement que narrativement. Bref, on conseille cette première (et « nouvelle ») salve d’aventures de Catwoman qui, on le rappelle, va s’étaler sur cinq tomes au total (sept en comptant sa suite plus ou moins directe Catwoman Eternal). Une fiction où l’on découvre la vie mouvementée d’une « simple voleuse » à Gotham City avec un peu de mafia russe, de police corrompue et un ange gardien chauve-souris !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 8 juin 2012
Contient : Catwoman #1-6

Scénario : Judd Winick
Dessin : Guillem March
Couleur : Tomeu Morey

Lettrage : Thomas Davier
Traduction : Christophe Semal et Laurence Hingray

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Un Deuil dans la Famille (+ Les Morts et les Vivants)

Récit emblématique de la mythologie du Chevalier Noir publié de 1988 à 1989, Un Deuil dans la Famille est considéré comme culte à bien des égards mais pas forcément de « la bonne manière ». Si le titre, écrit par Jim Starlin et superbement dessiné par Jim Aparo, s’inscrit évidemment comme un pan incontournable dans l’histoire de Batman, de(s) Robin, de Jason Todd et du Joker, il a rapidement « mal vieilli », principalement à cause de son contexte géopolitique (à tel point que son adaptation vidéo le supprime carrément) et tout simplement car il n’est pas de très grande qualité, in fine. Un Deuil dans la Famille, reste néanmoins à lire pour les fans de Batman et témoigne aussi d’un évènement éditorial inédit pour l’époque (les lecteurs ont voté pour le destin funeste de Jason Todd). Critique, contextualisation et explications.

À noter que le comic contient également les premiers pas de Tim Drake dans Les Morts et les Vivants, signés par d’autres pointures : Marv Wolfman (scénario), George Pérez (scénario et dessin), Jim Aparo à nouveau ainsi que Tom Grummett (dessin). C’est cet autre segment, important également dans l’histoire du Chevalier Noir, qui permet à l’ouvrage de faire partie des coups de cœur et justifie l’achat.

À gauche, la réédition 2017 avec la célèbre image iconique tirée de la tragédie de Batman et Robin.
À droite, la première édition d’Urban Comics (avril 2013) qui reprenait la couverture du troisième chapitre (Batman #428), dessinée par Mike Mignola.

[Résumé de l’éditeur]
Jason Todd, le deuxième Robin, retrouve la trace de sa mère, disparue depuis des années. Mais, au tournant, l’attend également le Joker, le pire ennemi de Batman… Le Chevalier Noir va connaître l’une des heures les plus tragiques de sa carrière. Un Batman peut-il poursuivre sa lutte sans un Robin à ses côtés ?

[Début de l’histoire – Un Deuil dans la Famille]
Suite au comportement impulsif de Jason Todd lorsqu’il endosse le costume de Robin, son père adoptif Bruce Wayne le suspend de ses fonctions de co-équipier. Batman opèrera seul le temps que le jeune homme gère mieux ses émotions.

Fou de rage, Jason déambule dans Gotham et repasse devant l’appartement de ses parents, tous deux décédés. Une voisine lui confie alors une boîte contenant quelques effets personnels des Todd. L’adolescent découvre que sa mère était en fait la compagne de son père et non sa « vraie mère biologique » ! Jason Todd enquête et identifie trois femmes susceptibles d’être sa mère biologique : une est en Israël, l’autre au Liban et la dernière en Éthiopie.

De son côté, le Joker a réussi à détourner un missile nucléaire et souhaite se lancer dans… la politique internationale ! Il compte vendre son arme à « des terroristes arabes ». Pour cela, il va au Liban.

Quant à Bruce/Batman, il est tiraillé entre retrouver son pupille qui a disparu et suivre le Clown Prince du Crime détenteur d’une arme atomique. Il choisit d’aller au Liban poursuivre sa némésis, sans se douter qu’il s’agit d’une des destinations où Jason Todd va également se rendre…

[Critique]
Il est presque sûr que chaque lecteur découvrant Un Deuil dans la Famille sait pertinemment qu’il va y lire la mort de Jason Todd, le second Robin. Entre le nom de l’œuvre, sa couverture, la préface de Jim Starlin qui en parle ouvertement et la connaissance de ce triste sort dans la culture « Batmanienne » voire populaire, difficile de partir sur une base vierge. Seuls les lecteurs de l’époque, fin 1988, on réellement vécu cette tragédie « en direct ».

Aujourd’hui, il est donc acté dès le départ que Todd va être tué par le Joker, qu’il n’y a pas d’autre issue possible (malgré son retour des années plus tard en Red Hood – on en reparlera). Aborder le comic book pose donc un problème de narration : on connaît déjà la destination, il faut donc espérer que le voyage soit réussi, soigné et « agréable ». Ce n’est malheureusement pas vraiment le cas…

Le récit se divise en quatre parties (les quatre épisodes de Batman #426 à #429), étalées en six chapitres distincts, couvrant environ 135 pages. La première partie pose les enjeux de l’histoire efficacement et rapidement ; elle élimine ensuite une menace (le Joker et son missile nucléaire) et une des trois femmes potentiellement mère biologique de Todd. La seconde partie poursuit l’enquête autour de l’identité de la mère de Todd et contient la mise à mort « très graphique » de ce Robin (on y reviendra)… La troisième partie est la douloureuse découverte du cadavre par Batman (le chapitre #428, probablement le plus réussi du livre et tristement célèbre). Enfin, la quatrième partie correspond à l’affrontement final entre le Joker, ambassadeur iranien à l’ONU, bénéficiant d’une immunité diplomatique !

L’arc se déroule peu après Killing Joke auquel le titre fait référence plusieurs fois et poursuit, ainsi, l’enchaînement de titres noirs et violents autour du Chevalier Noir publiés à la fin des années 1980, certains s’inscrivant dans sa chronologie, d’autres restant en marge : The Dark Knight Returns (1986), Année Un (1987), Killing Joke donc (1988) et juste avant Arkham Asylum (1989). À noter que les couvertures sont signées Mike Mignola, dessinateur du moyen Gotham by Gaslight dans la même période (1989) puis scénariste du très sympathique La malédiction qui s’abattit sur Gotham (2000).

Le gros souci d’Un Deuil dans la Famille se situe dès son postulat de départ : l’incursion d’une aventure de Batman (qui va, en plus, s’inscrire comme l’une des plus violentes, traumatisantes et importantes dans sa mythologie) dans un cadre géopolitique « réel » de notre propre monde, à savoir le terrorisme islamiste, le peuple chiite et autres conflits complexes au Moyen-Orient. La BD évoque carrément la prise d’otage dans l’ambassade des États-Unis à Téhéran (brillamment mise en scène et vulgarisée dans le film Argo – dont on conseille la version longue) et une alliance entre le Joker et le dictateur Khomeini ! (C’est comme si, une douzaine d’années plus tard, peu après les attentats du 11 septembre, Batman se serait rendu au Pakistan avec Tim Drake. Double Face se serait allié avec Oussama Ben Laden et aurait tué cet autre Robin par exemple.) Était-ce l’idéal de mélanger cet aspect « réel et violent » avec la mort d’un personnage « fictif et populaire » ? Était-ce vraiment nécessaire ? Ce parti pris scénaristique volontaire apporte donc un lot de bizarreries qui tranche radicalement avec ce qu’on connaissait de l’homme chauve-souris jusqu’à présent. C’est clairement casse-gueule, au mieux maladroit, au pire provocateur. Pour plusieurs raisons évidentes.

Tout d’abord, la fiction s’inscrit automatiquement « à un instant T » et, de facto, sera difficilement intemporel. Elle passera moyennement l’épreuve du temps, faute à ce renvoi d’actualité très précis dans laquelle on l’identifie. Ensuite, mêler de véritables crimes et situations tragiques au sein d’une œuvre puisant – normalement – dans l’imaginaire (sans pour autant ne pas être plausible ou réaliste bien sûr), lui enlève toutes ses fonctions « escapistes » visant à ouvrir une parenthèse fictive pour ses héros de papier. Enfin, et c’est un certain paradoxe, le risque de complètement casser « la suspension volontaire de l’incrédibilité » est très élevé. Impossible de mettre de côté les maladresses ou défauts d’une œuvre qui permettent de se plonger dedans en acceptant ces écarts pour une saine lecture ou compréhension. Mélanger un univers fantasmé avec des éléments particuliers du notre est un pari risqué. Comme dit : ici ça ne « prend pas ». Batman n’avait jamais affronté des « vrais » terroristes et le Joker ne s’était jamais immiscé au Moyen-Orient pour flirter avec eux. Le nommer ambassadeur « de la République Islamique d’Iran » est une idée plutôt naze (assez choquante au demeurant mais pas interdite donc pourquoi pas – autant lui accorder une immunité diplomatique (car cet élément est intéressant en revanche) mais venant d’un autre pays, imaginaire). Cela aurait pu fonctionner mais il aurait fallu un filtre nettement plus « réaliste » que ce qui est proposé ici (le loufoque et excentrique Joker à l’ONU, carrément ?! Allons bon…). On dirait presque une blague de mauvais goût… du Joker ?

C’est bien dommage car certaines choses fonctionnent très bien au demeurant, l’idée d’une mère biologique de Jason, un certain retournement de situation peu prévisible, la mise à mort du jeune pupille, l’audace (et le choc) d’acter le décès dans la mythologie du Chevalier Noir, la relation Bruce/Jason pour laquelle l’empathie du lecteur est mise à rude épreuve (impossible de ne pas avoir envie de gifler Jason puis l’instant d’après de le réconforter, impossible aussi de ne pas apprécier les moments d’accalmie entre les deux, voire leur complicité).

Malheureusement, ces bons éléments souffrent d’un rythme en demi-teinte où chaque chapitre ne peut s’empêcher de démarrer par un récapitulatif des précédents… Plombant d’entrée de jeu l’histoire au demeurant haletante mais parfois pénible à suivre. Les pensées subjectives ou narratives répétant ou expliquant l’action – comme beaucoup de titres de l’époque – accentuent également cette certaine « lourdeur ». Et bien sûr, tout ce qui était évoqué en amont vient aussi gâcher cette immersion (le contexte géo-politique, les lieux, etc.). Pire : dans ce qui se doit d’être austère, quelques éléments risibles (le BatPlane et autres dialogues moyennement convaincants) mettent à mal un récit déjà bien « pesant ». Il ne faut/fallait pas s’attendre à une mort programmée et organisée par le Joker, dans le but de rendre fou le Chevalier Noir, non, il s’agit « sommairement » d’une succession de combat dans le cadre qu’on connaît avec un Clown devenu un étrange terroriste… Au-delà de la qualité intrinsèque du titre, force est de constater que la déception est de mise, même si on avait peu d’attente quant à l’exécution de Robin. Faute aussi (en France tout du moins) à une faible propositions de matériel édité gravitant autour de l’époque Jason Todd en Robin ; difficile d’être extrêmement attaché à ce protagoniste – que beaucoup liront/découvriront pour la première fois ici – même si les quatre chapitres arrivent à bien cerner sa personnalité, remaniée depuis quelques temps en coulisse et causant son impopularité croissante (voir explications plus bas).

En piochant dans les quelques bonnes idées distillées, il y avait de quoi rendre l’œuvre davantage « indispensable ». Elle l’est d’une certaine manière bien sûr, on parle tout de même de la mort de Robin/Jason Todd (cela reste un moment charnière dans la mythologie de Batman, aux longues conséquences) mais manque le coche pour être à la fois incontournable ET un bon comic book. Reste tout de même les superbes planches de Jim Aparo, très en forme, instaurant de belles compositions, aux visages expressifs, aux scènes d’anthologie comme presque l’entièreté de l’épisode #428 avec l’homme chauve-souris déambulant dans les décombres de l’explosion tout en se remémorant ses souvenirs avec Jason puis la découverte du cadavre, dans une pleine planche inoubliable (cf. bas de cette page). Un chapitre qui fait partie des meilleurs de toute l’histoire du Chevalier Noir, sans aucun doute, l’un des plus marquants.

L’illustrateur signe de belles séquences qui ont nourri la postérité (on retient aussi davantage la mort hors-champ de Jason avec le pied-de-biche du Joker que ce dernier en tunique iranienne ou le duo dynamique frappant des terroristes). Seule la colorisation, très propre et « fonctionnelle » au demeurant – assurée par Adrienne Roy – est un peu trop « vive » et dénote avec la dramaturgie mise en scène.

La mort de Jason Todd n’est pas « complètement » issue de l’esprit du scénariste Jim Starlin et du responsable éditorial de l’époque Dennis O’Neil – adepte de remanier les figures iconiques de DC « aux bouleversements sociaux de l’époque ». En effet, ce sont les lecteurs eux-mêmes qui ont eu la possibilité de voter pour sceller le sort de Robin, ils sont complices de ce meurtre ! O’Neil revient longuement sur cet évènement inédit dans une passionnante préface rédigée en avril 1990. Il évoque le parcours éditorial de Robin, d’abord avec le personnage du flamboyant Dick Grayson. Arrivé dans Detective Comics #38, en 1940, un an à peine après la création de Batman, le jeune prodige évolue aux côtés de son mentor jusqu’en 1983 avant de s’émanciper et devenir Nightwing. Il est remplacé dans la foulée (Detective Comics #524) par Jason Todd, imaginé par Gerry Conway et Don Newton. Tous deux « ne cherchaient pas à innover [mais] à combler un vide », d’où la biographie assez proche de Grayson… « Leur ordre de mission était simple : trouvez-nous un nouveau Robin, et sans faire de vagues » précise Dennis O’Neil.

Trois ans plus tard, en 1986, l’auteur Max Allan Collins veut améliorer Jason Todd et propose de faire de lui un gosse des rues avec des parents criminels, une opposition à Batman en somme. Malheureusement, ça ne prend pas. De moins en moins populaire, le nouveau Robin – initialement simple décalque du précédent – devenu trop impulsif voire antipathique, n’était plus vraiment « accepté » dès l’instant où il commençait à avoir sa propre personnalité (!). Au lieu de le retirer des comics, il est décidé de possiblement le tuer. C’est là qu’intervient l’expérience « le coup de téléphone ». Simple, efficace. Comme Todd était peu apprécié, le staff éditorial de DC Comics (incluant O’Neil) opte pour une mécanique inédite : le public va décider si Robin va vivre ou mourir. « Nous placions Jason dans une explosion, et donnions deux numéros de téléphone aux lecteurs [en quatrième de couverture de Batman #427]. S’ils appelaient le premier, ils votaient pour la survie de Jason. S’ils appelaient le deuxième, Robin ne s’en sortait pas vivant. » Apparemment, 5.343 personnes ont voté contre et 5.271 pour, soit plus de 10.600 lecteurs qui se sont prêtés au jeu durant 36 heures (du à 20h), récoltant seulement 72 voix d’écart entre les deux choix ! La réception de ce procédé fut clivante, ce système interactif était jugé intéressant et audacieux par certains, cynique et dégueulasse pour d’autres (incluant Frank Miller !) voire… truqué (sans compter les critiques à propos du numéro de téléphone qui était surtaxé – 0,50$ l’appel) ! La légende raconte qu’O’Neil a lui-même appelé pour sauver Jason. Deux versions du chapitre #428 furent établies au cas où. Une des planches – dans laquelle Batman annonce que Robin est vivant – fut même dévoilée/recyclée bien plus tard, en 2006 dans Batman Annual #25, en évoquant le retour de Todd par un échange des lignes temporelles (illustration visible dans l’édition d’Urban Comics).

Une mort dans les comics est rarement « définitive ». Todd n’y fit pas exception mais pour le meilleur cette fois. Il réapparait en 2003, près de quinze ans après sa disparation, dans l’excellent Batman – Silence (Hush). Même s’il s’agit de Gueule d’Argile qui a pris son apparence, le doute plane… On ignore aussi si, à ce moment précis, le retour « définitif » est prévu ou si c’était simplement un clin d’œil à un « vieux » protagoniste un peu oublié. Néanmoins, cette apparition a des allures de prophétie car dans L’Énigme de Red Hood, grande saga publiée dès fin 2004 (entamée dans #Batman 635) et qui s’étalera tout au long de l’année 2005, on scelle pour toujours le retour de Todd, qui officie en costume et sous un heaume écarlate et se fait appelé Red Hood – nom emprunté au premier costume de l’homme qui l’a tué : le Joker.

En 2010, le segment Red Hood : The Lost Days (Jours Perdus, inclut dans L’Énigme de Red Hood) lève le voile sur la résurrection de Jason. Le jeune homme devient un antagoniste, tantôt mercenaire indépendant, tantôt allié à la Batfamille mais aux méthodes radicales. Il a sa propre série, Red Hood and the Outlaws notamment (disponible en deux tomes chez nous) et occupe une place de choix dans le superbe jeu vidéo Arkham Knight (sous le masque du Chevalier d’Arkham) – rôle repris dans la bande dessinée éponyme mais malheureusement annulée après un tome par Urban Comics. Red Hood/Jason Todd apparaît dans divers titres et ses échanges avec Damian Wayne sont souvent jubilatoires – tous deux étant nettement plus radicaux que leurs aînés ! Citons également l’adaptation vidéo d’Un Deuil dans la Famille où l’on peut retrouver le personnage dans un film interactif où plusieurs cheminements narratifs sont possibles, reprenant des extraits d’une autre adaptation : Batman et Red Hood : sous le masque rouge. Une expérience originale qui permet de renouer un peu avec le système de vote mis en place des années plus tôt.

Retour au comic book. Malgré tous les défauts évoqués, Un Deuil dans la Famille est important dans la mythologie de Batman. Il est donc primordial de le connaître, de le lire… mais à quel prix ? Heureusement, un autre récit complète celui-ci, justifiant finalement l’achat (23€) et le nombre de pages (un peu moins de 300 au total) : Les Morts et les Vivants. C’est dans cette histoire qu’apparaît Tim Drake pour la première fois car le staff DC Comics (y compris O’Neil) comprend que Batman sans Robin ne fonctionne pas. Mais pas question de réitérer les erreurs commises avec Todd, il faut soigner l’arrivée de ce nouveau Robin.

« Comment créer Robin 3 sans générer l’hostilité qui avait pourri la vie de Jason ? » interroge le responsable éditorial (toujours dans la préface). Grâce à Dick Grayson. Si Todd était l’usurpateur alors il fallait lier Tim à Dick, « que Robin 3 recevait l’approbation de son prédécesseur ». Pour cela, Marv Wolfman était l’auteur providentiel : depuis dix ans il travaillait sur Dick et avait co-créé New Teen Titans avec George Pérez. Ainsi, Tim Drake fait ses premiers pas dans une saga publiée dès 1989, aussi bien dans The New Titans (#60-61) que la série classique Batman (#440-442), onze numéros après la mort de Todd, soit moins d’un an plus tard. Critique ci-après.

[Début de l’histoire – Les Morts et les Vivants]
Après la mort de Jason Todd, Bruce Wayne sombre de plus en plus… Brisé et anéanti, il enchaîne les envolées nocturnes sous son masque de Batman, plus violent que jamais. Alfred tende de le soigner et essaie de raisonner son maître, en vain.

En parallèle, le milliardaire se fâche avec Dick Grayson. Ce dernier disparaît quelques temps de ses fonctions au sein des Titans. Grayson s’est simplement éclipsé au cirque Haly, implanté en ville et en bien mauvais état.

Dans l’ombre, un mystérieux jeune homme suit discrètement Bruce, Batman, Dick et Nightwing. Il a bien compris la double identité de chacun et, depuis le meurtre de Todd, souhaite que Dick redevienne Robin afin que Batman redevienne plus stable.

En parallèle, Double-Face est de retour à Gotham City, bien décidé à tuer le Chevalier Noir…

[Critique]
Comment « remplacer » Robin sans doublonner avec Dick Grayson et Jason Todd ? En créant un nouveau personnage proche des deux autres tout en étant différent… C’est le pari réussi de Marv Wolfman qui préfère d’entrée de jeu concevoir un Robin qui ne cherche pas à voler la vedette à Batman mais « simplement et banalement » à l’épauler, à le canaliser. Quand il créé Tim Drake (Tim pour… Tim Burton, qui préparait alors sur son film !), le scénariste Wolfman (habitué à travailler sur les Titans et surtout sur Dick – qui signe une introduction rédigée en 2011) ne lui appose pas de traumatismes : ses parents sont en vie (tout du moins pour l’instant…), sa famille et ses amis n’ont pas de problèmes en particulier. En cela, Drake n’a rien d’un écorché (comme Todd) ni de revanche à prendre ou de deuil à surmonter (comme Grayson).

Le jeune adolescent bénéficie immédiatement d’un capital sympathie élevé : c’est un excellent détective, il voue une admiration sans faille au duo de justiciers qu’il a vu évoluer, etc. Seule ombre au tableau : il s’agit encore d’un garçon aux cheveux bruns. Quitte à concevoir un « Robin 3 », pourquoi ne pas le démarquer physiquement ? Pour que les ennemis de Batman ne comprennent pas qu’il s’agit d’un autre acolyte ? On chipote mais c’est un petit peu dommage.

Côté histoire, co-écrite avec George Pérez (qui dessine aussi, on y reviendra), on navigue cette fois entre deux périples : l’un suivant Dick puis Tim, l’autre Batman et Double-Face. Quand tout le monde se rencontre et converge vers les premiers pas de Drake en Robin, c’est… réjouissant ! Assister à cet instant mythique et particulièrement réussi rehausse le niveau qualitatif de l’ensemble de l’ouvrage. Car si Un Deuil dans la Famille souffrait de nombreux défauts, Les Morts et les Vivants, lui, en a peu : le rythme est très bien dosé, la narration haletante, l’intrigue assez surprenante, les personnages sont attachants, on retrouve la « charmante » Gotham et d’autres éléments inhérents à l’ADN de Batman. La sempiternelle interrogation « d’utiliser » un enfant ou un adolescent dans la croisade du justicier trouve une certaine réponse mais continue de hanter l’homme chauve-souris – qui restera terriblement marqué et affecté par la perte de Todd, dont il s’estime responsable.

Les cinq épisodes se dévorent et les quelques incursions côté Titans (la bande dessinée jongle entre deux séries, The New Titans et Batman) sont très accessibles et ne gênent en rien la lecture si on n’est pas familier de cet (autre) univers. Seul le costume de l’époque de Nightwing a mal vieilli, le reste est toujours passionnant. Double-Face est plutôt soigné même si, là aussi, cela fait un peu redite par rapport à Grayson qui affrontait Dent à ses débuts (cf. Robin – Année Un). On apprécie également la présence soutenue d’Alfred, qui vient même prêter main forte au combat !

Côté dessins, on retrouve Jim Aparo pour les trois chapitres de Batman, rien à redire, l’artiste découpe avec maestria ses scènes d’action et offre de belles expressions sur les visages de ses personnages avec une fluidité et lisibilité exemplaires. Seules quelques cases sont assez pauvres en décors (déjà dans le titre précédent) mais c’est compensé par la vivacité de séquences moins contemplatives. George Pérez et Tom Grummett travaillent en binôme sur les deux épisodes de The New Titans (deux et demi si on inclut quelques pages d’un prologue issues de la même série mais croquées par Aparo). Les artistes parviennent à conserver une homogénéité graphique très appréciable, aussi bien au niveau des traits que de l’atmosphère visuelle globale. Ils sont grandement aidés par la colorisation d’Adrienne Roy (qui officiait déjà sur le titre précédent avec Aparo). En ultime bonus : un court chapitre dessiné par Lee Weeks et écrit par James Robins, À marquer d’une pierre blanche (Legends of the Dark Knight #100) qui montre Todd enfiler son costume de Robin pour la première fois puis sa mort… La sublime image de fin (l’avant-dernière de cette critique sur fond blanc) reste dans les mémoires.

En synthèse, le livre Un Deuil dans la Famille EST indispensable dans la chronologie de Batman pour ces deux évènements majeurs (la mort de Jason Todd et l’arrivée de Tim Drake – qui sera le premier Robin a bénéficié d’une série à son propre nom de justicier, avant de devenir Red Robin, cédant sa place à Damian Wayne) MAIS ne peut pas être considéré comme un incontournable à posséder impérativement du fait de la qualité moyenne de sa première histoire. C’est tout le paradoxe de la fiction : elle demeure importante et aura plusieurs conséquences sur l’évolution du Chevalier Noir mais elle n’est pas un chef-d’œuvre… Classons là tout de même dans les coups de cœur du site, principalement pour Les Morts et les Vivants et son statut particulier de son autre titre dans la culture « Batmanienne » !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 26 avril 2013 puis réédité le 31 juillet 2017.
Précédemment publié chez Semic en 2003.

Scénario : Jim Starlin, Marv Wolfman, Georges Pérez
Dessin : Jim Aparo, Geroge Pérez, Tom Grummett
Encrage : Mike DeCarlo, Bob McLeod, Romeo Tanghal
Couleur : Adrienne Roy, Lovern Kindzierski

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Stephan Boschat – Studio Makma

Contient Batman #426-429 (Un Deuil dans la Famille) puis Batman #440-442, The New Titans #55 et #60-61 (Les Morts et les Vivants), Legends of the Dark Knight #100

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Batman Infinite – Tome 3 : État de terreur (2ème partie)

La séduisante proposition graphique du tome précédent compensait quelques faiblesses narratives. En est-il de même pour cette suite et fin d’État de terreur ? Oui et non. Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Tandis que Poison Ivy développe un réseau de plantes dans les souterrains, Gotham City est rongée par la terreur. Dernier rempart contre ce système de peur permanente promu par Simon Saint, Batman et Miracle Molly poursuivent leur combat. De son côté, l’Épouvantail couve de sombres projets pour traumatiser encore davantage les Gothamiens…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur et la critique ci-dessous suffisent.

[Critique]
À l’instar du volume précédent, une critique par ordre chronologique semble plus pertinent du fait de son éclatement entre les épisodes (sept au total), provenant de différentes séries (deux régulières et deux récits complets). Le premier chapitre, Batman #115 nous ramène dans la série mère initiale, toujours écrite pas James Tynion IV, dessinée et encrée par Bengal et Jorge Jimenez avec une fois de plus Tomeu Morey à la colorisation exceptionnelle, entre autres sur ses jeux de lumière.

On avance un peu plus dans un récit qui « stagnait » jusqu’à présent. Ici, on a Batman et Miracle Molly d’un côté, l’Épouvantail et Sean/Peacekeeper-01 d’un autre, le tout avec Saint qui veut la tête d’Ivy ! Simple mais efficace, sans trop d’éclat (l’action est rapide) et graphiquement Jimenez intervient peu, laissant à Bengal la majorité des planches, pour un résultat graphique un peu plus convenu, malheureusement… L’époque du No Man’s Land est mentionnée, inscrivant – s’il le fallait – cette ère Infinite dans la chronologie « officielle » du Chevalier Noir.

Place ensuite à Nightwing #85, qui remet en avant Dick et Barbara, alias Batgirl. Tom Taylor est toujours à l’écriture (très bon auteur prolifique : DCEASED, Injustice, Suicide Squad Rénégat et, bien sûr, Nightwing Infinite), sublimée par Robbi Rodriguez à l’encrage et au dessin, avec Adriano Lucas – pour un résultat incroyable, graphiquement élégant et au style singulier, une vraie merveille !

Augure est le nom de la femme qui a pris possession du réseau de l’Oracle pour diffuser de fausses informations. Pour en venir à bout, il faudra davantage qu’une destruction physique de matériel informatique. De quoi ouvrir une parenthèse sur le passé du binôme (avec une autre patte artistique – tout aussi réussie) et montrer quelques séquences d’action plus originales que celles de Batman. Si le récit tente une fausse surprise « choquante » (désamorcée en quatre planches mais de toute façon on n’y croyait pas), il ne commet pas d’impairs et conjugue tout ce qu’il faut pour être passionnant, autant dans les aventures de Batgirl que celles de Nighwting, de l’évolution des deux héros et dans l’entièreté de la fresque narrative de l’œuvre globale.

On enchaîne avec le Batman #116 où Jimenez opère cette fois seul aux dessins (tant mieux). L’action bat son plein avec plusieurs confrontations dont le retour de Ghost-Maker (qui reste toujours un deux ex machina…) en allié de Poison Ivy, une situation inattendue à propos de l’Épouvantail, un affrontement très brutal entre Batman et Peacekeeper-01, etc. Des séquences plutôt explosives donc, qui font avancer aussi bien l’histoire (vers une conclusion abrupte ?) que sceller le sort des protagonistes.

Heureusement, le style si atypique de Jimenez couplé à la colorisation sans faille de Morey continuent d’émerveiller tout l’univers de Tynion mis en place depuis le premier tome de Joker War (dont Batman Infinite est la suite directe). Entre les planches de la série Batman avec ce trio artistique et celles de Nightwing, c’est un régal pour les rétines ! On avait justement quitté Nightwing avant cet épisode, on le retrouve juste après – gommant déjà le problème de rythme du premier volet d’État de peur qui jonglait entre trop de récits plus ou moins indépendants, cassant l’immersion narrative – ce n’est donc pas le cas ici, arrivé à la moitié du livre.

Nightwing (#86) reprend pile où il s’était arrêté, avec Dick, Barbara et Tim. D’emblée une mention au back-up de Batman #116 est prononcée mais ce segment n’est pas inclut dans la BD, dommage… Nighwing, Batgirl, Red Robin, Orphan et Spoiler vont affronter Augure, ses robots et Simon Saint. Une conclusion assez convenue et expéditive mais qui reste correcte. En revanche, la série se vautre encore dans une fausse tragédie (on nous fait croire aux morts de certaines personnes – on n’y croit absolument pas – et c’est vite rétabli), pénible…

Reste la proposition graphique, toujours séduisante et le capital sympathie de Dick couplé à Barbara, le duo fonctionne très bien et est super attachant. La fin de l’épisode ouvre également sur une nouvelle antagoniste à suivre.

Dernier chapitre de Batman (#117), permettant de maintenir le rythme impeccable instauré dès le début dans le comic. Le fameux « État de terreur » prend fin, entre exécutions un brin rapides et quelques évènements inattendus, avec une certaine pointe de poésie… Une première conclusion mi-figue mi-raisin (la seconde, la « véritable », est à découvrir en toute fin d’ouvrage, dans Fear State Omega #1.), pour une histoire qui s’était trop attardée dans le premier volet puis s’est soudainement accélérée dans le second, avec parfois une impression de survol.

Si l’arc avec Ivy semble précipité, il trouvera une explication plus poussée juste après dans le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 ; à ce stade, pour expliquer la métamorphose d’Ivy, il faut se tourner vers Tout le monde aime Ivy, le sixième tome de Batman Rebirth (!), et vers la série Catwoman dans… Batman Bimestriel #14 – tous deux cités par l’éditeur au détour d’un dialogue avec Harley Quinn. Un peu rapide pour tout saisir. Du côté de Batman et ses alliés, on retient un Chevalier Noir fougueux, moins désespéré qu’à une époque, interagissant astucieusement avec Molly, entre autres. La conclusion de l’ensemble est donc à découvrir après la critique des deux derniers épisodes qui complètent évidemment cette petite fresque chapeautée par James Tynion IV.

Le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 est sobrement nommé Interlude dans l’édition française – avant l’ultime épisode. Nouveau style graphique, intégralement signé Christian Ward (dessin, encrage, couleur) qui dénote avec ce qui était montré jusqu’à présent tout en restant très soigné. Le découpage y est hors-norme, jouant entre les cases et les mises en scène des planches afin de constituer une lecture parfois labyrinthique ou décloisonnée (rappelant modestement Batman Imposter par exemple, avec la patte unique d’Andrea Sorrentino). Les palettes chromatiques, forcément majoritairement émeraudes, épousent à merveille les traits de l’artiste; mêlant végétation luxuriante et instants intimes feutrés.

On y découvre plus en détail le Dr Bella Garten, aperçue brièvement dans les volets précédents – introduite comme l’ex petite amie d’Ivy alors que cela n’avait jamais été évoqué auparavant. Un procédé scénaristique un peu facile donc, à la manière de Ghost-Maker, considéré comme un élément implanté dans l’univers de Batman depuis longtemps alors qu’on le découvre seulement aujourd’hui. Ce système d’écriture est appelé retcon pour retroactive continuity, soit la continuité rétroactive. Cela consiste à placer un nouvel élément narratif en l’implémentant a posteriori dans un texte/une œuvre, tout en faisant croire (à grands renforts de flash-backs montrant des scènes d’un autre point de vue) qu’il y est disséminé depuis longtemps, c’est-à-dire « défaire la continuité rétroactivement » pour constituer une nouvelle chronologie – Star Wars en est adepte.

L’occasion de mentionner Jason Woodrue, responsable de la transformation de Pamela Isley en Poison Ivy, un personnage (important dans l’histoire d’Ivy) déjà abordé dans Batman Arkham – Poison Ivy. Étonnamment, cet interlude vient complémenter efficacement cet autre comic centré sur l’Empoisonneuse puisque sa relation avec Woodrue était à peine montrée dedans. Le chapitre débouche sur la création d’une « germe contenant le meilleur de Pamela » (sic – utilisée dans l’épisode d’avant). C’est surtout l’évolution de Pam/Ivy qui est intéressante ici, sublimée par les jolies planches de Ward. Du reste, on s’étonne que ce segment n’ait pas été proposé plus tôt (en ouverture de ce troisième tome de Batman Infinite ou dans le deuxième, qui faisait la part belle à plein de récits annexes).

Enfin, Fear State Omega #1 vient fermer le titre – simplement renommé Conclusion dans l’album. Après Fear State Alpha #1 (dans l’opus précédent), cet Omega apporte une conclusion plus développée de toute cette ère étatique de peur. Écrit par James Tynion IV à nouveau mais dessiné par cinq artistes différents (!), l’ultime épisode permet d’achever aussi bien les deux volumes État de terreur que les trois de Batman Infinite puisque le premier (Lâches par essence) y était aussi connecté. On peut même inclure les trois tomes de Joker War, formant ainsi un run en six volets, en attendant la suite…

Il manque à cet état de peur, une dimension plus civile, à hauteur d’homme, comme l’on pouvait la suivre dans Joker War. Néanmoins cette conclusion permet à Batman de « respirer » et, surtout, de s’exprimer, lucide sur son utilité (de plus en plus restreinte) à Gotham et l’avenir de la ville avec ou sans lui. Une approche bienvenue après des épisodes plus ou moins bavards mais qui allaient à l’essentiel. Fear State Omega s’attarde aussi sur quelques têtes connues (Bao/Clown Hunter, Ghost-Maker, Peacekeeper-01…) ou en évoque d’autres le temps d’une ou deux cases (le Batman de Futur State, le collectif Unsanity, Amanda Waller, Catwoman…).

Ce balayage des protagonistes (hors Batman et Crane, les deux mis en avant ici), permet de terminer un long récit qui a offert de belles perspectives graphiques (son point fort), des situations excitantes (les manipulations multiples), de nouveaux personnages plutôt travaillés (Molly, Sean…) et de jolies parenthèses (le duo Nightwing/Batgirl). Malheureusement, le rythme un brin décousu entre les multiples séries et titres complets perd parfois un peu le lecteur, sans s’attarder suffisamment sur ce qui aurait été plus judicieux voire mérité (le parcours d’Ivy, Quinn quasiment absente, Saint expédié aussi, etc.). Une histoire qui, in fine, repart un peu à zéro et ouvre, une fois de plus, un nouveau segment narratif qui pourrait être audacieux et inédit (à suivre dans les cinq chapitres qui seront dans le tome 4 de Batman Infinite, prévu le 23 septembre, écrit et dessiné par une nouvelle équipe – Joshua Williamson et Jorge Molina au scénario, Mikel Janin (Batman Rebirth) au dessin).

Mais, comme toujours, c’est après quelques années qu’on se rendra compte si le récit est resté intemporel et fortement ancré dans la mythologie du Chevalier Noir. Dans l’immédiat, sans être un gros coup de cœur ni une déception ou un loupé, ces tomes 2 et 3 de Batman Infinite sont à savourer visuellement. À ce stade, on retrouve les mêmes critiques que les runs d’auteur précédents, Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et désormais James Tynion IV : chacun y livre un sentier parfois original, parfois convenu, souvent inégal mais proposant de belles choses, graphiquement et scénaristiquement. Chaque artiste a déjà marqué la mythologie de Batman, certains de façon clivante (Snyder), d’autres plus acclamés par un lectorat spécialiste (Morrison) ou néophyte (King). Une chose est sûre : les titres courts ou les récits complets marquent davantage l’Histoire, grâce à un accès plus aisé et un investissement économique (et de temps) moins élevé.

En synthèse, si vous avez aimé la fiction depuis Joker War, aucune raison de ne pas aller jusqu’à État de terreur. Si vous avez trouvé ça « sympa sans plus », inutile de poursuivre. Si vous accordez autant d’intérêt aux graphismes qu’au scénario alors vous serez séduits, sans aucun doute !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 juin 2022.

Contient : Batman #115-117, Nightwing #85-86, Batman Secret Files – The Gardener #1 et Fear State Omega #1.

Scénario : James Tynion IV + Tom Taylor
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez + Robbi Rodriguez  + Christian Ward (+ collectif)
Couleurs : Tomeu Morey + Adriano Lucas + Christian Ward (+ collectif)

Traduction & Introduction : Jérôme Wicky & Thomas Davier
Lettrage : Makma (Sabine Maddin, Michaël Boschat et Gaël Legeard)

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Ci-dessous les six couvertures variantes de la série Batman qui constituaient un grande fresque une fois rassemblée.