Souvent évoquée, rarement narrée, la période où Bruce Wayne quitte Gotham pour se forger et devenir un puissant détective et combattant hors-pair est enfin modernisée et compilée dans un beau volume. Batman – The Knight explore aussi bien les pays que l’évolution d’un jeune homme fragile. Ce récit complet est-il pour autant indispensable ? Découverte et critique (avec quelques révélations mineures).
[Résumé de l’éditeur]
Est-ce de la tristesse ou de la colère ? Ou les deux mêlés l’un dans l’autre, à travers les méandres de la psyché complexe de son nouveau patient ? Le Docteur Hugo Strange cherche les réponses à ces questions, en essayant de comprendre les mécanismes de défense psychologiques que l’adolescent a pu construire pour se protéger d’un événement traumatique de son enfance. Mais ce nouveau patient n’est pas exactement comme les autres… Ce nouveau patient est le jeune homme le plus riche de la ville, un certain Bruce Wayne !
[Critique]
Enfin une aventure qui met en avant Bruce Wayne (malheureusement pas dans ses « affaires économiques quotidiennes ») et non Batman. Encore un récit sur les origines du futur justicier ? Oui et non. Ce n’est pas un secret : le jeune milliardaire a parcouru le monde quelques années avant de revenir à Gotham et devenir l’homme chauve-souris. On a déjà vu des bribes de ce voyage initiatique avec quelques flash-backs ici et là ou diverses mentions – la plus courante étant l’entraînement aux arts ninja (dans des temples enneigés) et la rencontre avec Ra’s al Ghul (toutes deux seront en effet dans The Knight mais pas d’une façon qu’on imagine de prime abord).
En près de trois cent pages, le scénariste Chip Zdarsky imagine une épopée à la fois passionnante mais terriblement frustrante. En somme : complètement inégale. Dès le départ, l’auteur envoie Wayne à Paris où il se perfectionne à l’acrobatie (et au vol) grâce à une femme un peu plus âgée, rappelant terriblement Selina Kyle/Catwoman… Pour l’originalité, on repassera. Plus improbable : l’homme conserve constamment son costard pour ses missions nocturnes… Heureusement, il croise Henri Ducard (rappelant plus ou moins le récent (et moyen) Batman – La Dernière Sentinelle dans lequel un Batman âgé allait en France et retrouvait également cet antagoniste mentor).
En étirant ce premier arc sur deux voire trois épisodes, on songeait à une mise en place lente et progressive du protagoniste mais il n’en est rien. Chaque autre chapitre se résumera à un autre pays, un mentor éphémère, une sous-intrigue souvent artificielle et un ou deux personnages secondaires revenant de temps en temps. On pense au dénommé Anton notamment – tour à tour ami ou ennemi de Bruce. Il s’avère (on ne le sait pas forcément en lisant le comic book même si les connaisseurs le devinent aisément surtout à partir d’un certain moment « graphique ») qu’il s’agit de Ghost Maker, créé par James Tynion IV dans le troisième opus de Joker War (le moins bon), avant de devenir un allié récurrent !
Effectivement, ce semi-vilain débarquait de nulle part à l’époque – une aberration – et trouve donc ses origines dans une maxi-série écrite par une autre personne… Il est fort probable que Zdarsky ait des plans pour lui, puisqu’il signe la série actuelle Batman (cf. la critique du premier tome de Dark City, ainsi que les autres œuvres de l’artiste listées dedans) et souhaite peut-être le réutiliser (connectant ainsi son one-shot à la série régulière). Intrinsèquement parlant, le lecteur non familier avec Ghost Maker ne loupera rien en particulier en ne sachant pas qui il sera « dans le futur ».
Dans The Knight, on navigue donc dans différentes contrées, permettant un dépaysement plutôt efficace (notamment pour les décors : l’urbanisme de Paris laisse place à de la neige, de la verdure, du désert… en Russie, Canada, à Shanghai, etc.) et on croise quelques têtes connues comme Zatanna et, sans surprise, Ra’s al Ghul et sa fille Talia. C’est d’ailleurs la dernière ligne droite de The Knight, consacrée à La Ligue des Assassins, qui est plus familière et demeure un point d’accroche importante, à défaut de proposer de réelles surprises ou une aventure un peu inédite (après tout, on sait très bien comment ça va se terminer).
Zdarsky réussit habilement son travail pour montrer l’évolution mental (et physique) de Bruce mais peine à croquer les autres figures qui gravitent autour de lui, cantonnés à des archétypes ni originaux, ni attachants. On oublie(ra) vite les noms de ses créations une fois le livre terminé. En résulte donc une certaine frustration, parfois l’impression d’en faire trop (le segment parisien), parfois pas assez (on survole l’entraînement à la magie, à l’espionnage, au mental, aux armes à feu…). Trop de personnages secondaires gravitent éphémèrement auprès de Wayne pour qu’on les apprécie à leur juste valeur (Lucie, Oblonvsky, Jungo, Skyspider, Captio, Kirigi…).
On pourrait se laisser aller à la réflexion analytique sur la croisade de Wayne, entamée bien plus tôt qu’on ne le pense, s’attelant à combattre l’injustice dès qu’il le pouvait. Le travail du jeune homme était profondément encré en lui dès le début, entre son mental d’acier et son abnégation à combattre le crime, peu importe les sacrifices qu’il doit/devra faire, de même qu’il a toujours mis un point d’honneur à ne jamais franchir la ligne rouge – élément revenant plusieurs fois ici. Ce n’est pas une écriture très poussée ou complexe mais elle reste efficace dans ce qu’elle a à proposer, bien aidée et servie par les illustrations (on y revient juste après).
La trame de The Knight est néanmoins sympathique pour peu qu’on aime voir un Wayne encore perfectible (même s’il on craint rarement pour lui et qu’il a déjà ce côté abîmé et « immortel »), foncièrement humain et « maladroit » (dans ses combats, ses pensées ou ses errances romantiques). Cet apprentissage est le point fort de l’œuvre, dont on sent la sincérité à travers la plume d’un scénariste oscillant entre le bon et le moins bon.
Heureusement, l’ensemble des dessins permettent aussi de tirer le titre un peu plus vers le haut. Parce qu’ils sont globalement « beaux », servi par le talent de Carmine Di Giandomenico (Flash Rebirth…), croquant un Wayne reconnaissable et une grande variété de fonds de cases fournies, sans oublier une action plutôt lisible et fluide, ainsi qu’une palette d’expressions faciales plutôt variée et qui sonne « juste ». La colorisation d’Ivan Plascencia (La Nuit des Monstres…) ajoute une dimension bienvenue notamment sur le travail des lumières intérieurs ou naturelles en extérieur (funfact : à ne pas confondre avec son cousin Fco, également coloriste chez DC Comics, notamment sur la série Batman de Snyder, Last Knight on Earth).
Conserver un seul illustrateur tout le long permet d’avoir une homogénéité visuelle appréciable et, in fine, un one-shot pas indispensable mais pas trop trop mal si on sait ce qu’on vient chercher en tout état de cause (ça se lit bien, le rythme est bon). L’avantage est aussi son accessibilité (de quoi l’ajouter dans la rubrique « par où commencer » sur les origines) ; en cela The Knight satisfera davantage les nouveaux lecteurs que les fans de longue date qui pourront faire l’impasse sur une histoire pas forcément « mise en image » auparavant mais dont tous les tenants et aboutissants avaient déjà été explorés d’autres façons.
[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023.
Contient : Batman : The Knight #1-10
Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Carmine Di Giandomenico
Couleur : Ivan Plascencia
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)
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